« Pouvez-vous m’épeler votre nom s’il vous plait ? »
Je sentais au ton de sa voix, qu’elle était agacée, impatiente d’en finir pour passer au suivant.
- « W.O.L.Z.I.N.C.S.K.Y. »
Elle scrutait la liste d’étudiant·es comme si sa vie en dépendait. Elle leva les yeux et dit d’une voix contrariée : « Wolzincsky, ce n’est pas sur la liste. Vous avez bien renvoyé votre dossier d’inscription ? Réglé les frais de scolarité ? » Elle avait haussé la voix. Super, maintenant elle me tape l’affiche devant les autres. Je sentis le rouge me monter aux joues. C’est toujours à moi que ça arrive, ce genre d’affaire. Je répondis d’une voix que j’essayais d’avoir ferme, mais qui partit dans les aigus : « Oui, j’ai tout renvoyé et j’ai réglé. J’ai même reçu le mail de confirmation. Vous voulez le voir ? »
Je sortis mon téléphone de ma poche. Elle leva les yeux au ciel et fit signe de la main que ce n’était pas la peine : « Il y a dû y avoir un oubli quelque part. Lydia ! » appela-t-elle en se tournant vers la table voisine. « Va me chercher Chrystale, il y en a un qui n’est pas sur les listes ». Puis se tournant vers moi : « Mettez-vous sur le côté s’il vous plait que je passe au suivant en attendant qu’on vous retrouve. »
Et voilà, la rentrée commençait à peine que j’étais déjà mis à l’index. Tout le monde me regardait en se demandant pourquoi je n’étais pas dans la file et moi j’essayais d’avoir l’air faussement détaché, le gars qui s’en fout. Heureusement que j’avais bien pris mon traitement, sinon c’était la crise d’angoisse assurée.
Je détaillais les étudiant·es qui défilaient devant moi, en me demandant s’ils ou elles allaient devenir mes potes. Étrange ce moment où on arrive quelque part pour la première fois. On sait que c’est le début de quelque chose, tout est possible, le temps est comme suspendu. Plus tard, quand on y repense, on se dit que si on n’avait pas parlé à telle personne, si on n’avait pas été dans tel groupe, si on avait pas pris cette option, on n’aurait pas fait la connaissance de ses meilleur·es potes ; bref, notre vie n’aurait pas prit la même direction.
Je ne pus m’empêcher d’écarquiller les yeux devant un mastodonte qui devait faire dans les deux mètres de haut, baraqué comme un joueur de rugby et qui se penchait sur la table pour indiquer son nom sur la liste d’appel. C’était comme s’il avait englouti la table et la meuf qui m’avait recalé ; tout avait disparu et on ne voyait que son dos, arborant une veste en cuir. Alors là, clairement, ce mec ne sera jamais mon pote. Déjà, il est carrément effrayant, ensuite il m’a tout l’air d’un sale con. Porter une veste en cuir alors qu’il fait trente degrés dehors, je ne comprends pas la motivation, à part pour faire sentir à tous sa bonne odeur virile de mâle transpirant. Je détournais les yeux, attirés par une créature de rêve qui venait de faire son apparition dans le hall. Une blonde hyper lookée qui avançait comme si elle était sur un podium. J’oscillais entre la trouver ridicule ou incroyable. En tout cas, elle aimait indéniablement attirer l’attention. Tiens, elle irait bien avec l’autre.
Je sentis une ombre arriver sur moi, comme si une éclipse venait d’avoir lieu. Je tournais instinctivement la tête. Le mastodonte était juste à côté de moi, obstruant toute la lumière extérieure par sa carrure imposante. Ok, en vrai, il ne doit pas être si gigantesque, mais je fais à peine un mètre soixante-dix, donc j’ai l’air d’un nain à côté de lui. Nouvelle bouffée d’angoisse à cette pensée : pourquoi faut-il que ce blaireau vienne se mettre là, attirant encore d’avantage l’attention sur moi ? Le contraste entre sa taille et la mienne devait être comique en plus. Oh c’est ma journée, je le sens, il ne va m’arriver que des merdes… Et l’autre, Chystale, qui n’arrive pas pour me rétablir dans mes droits… Est-ce que ce prénom existe vraiment d’ailleurs ? Dans ma tête, comme d’habitude, ça tourbillonnait. Les pensées s’entrechoquaient, ça partait en live. C’est ce moment que choisit La Montagne pour me tendre la main en souriant : « Salut, moi c’est Rolph et toi ?
- Antoine », répondis-je en lui serrant la main.
Note à moi-même : ne pas me fritter avec ce mec. Sa poignée de main était redoutable.
- « Bon, on dirait qu’on est mis à l’amende toi et moi », poursuivit-il.
A l’amende ? Ce mec parle bizarrement, il sort d’où ?
- « Ouais carrément mec ». J’avais pris mon ton cool, du moins celui que je pensais être cool. Plus je le regardais, plus j’étais dégouté. Le mec était carrément beau gosse. Une coiffure stylée, des yeux bleus, des dents parfaites. Il avait une chemise sous sa veste en cuir et je ne pouvais que constater qu’il ne transpirait pas. Qui plus est, il exhalait une délicieuse odeur de parfum de luxe. Vite, il fallait que je trouve quelque chose d’intéressant à dire pour ne pas passer pour un débile. D’autant que s’il me regardait attentivement, il verrait tout de suite qu’on ne jouait pas dans la même catégorie. Je portais un tee-shirt de sous-marque et un jean défraîchi ; je sentais le déodorant Axe et j’avais remarqué ce matin que j’avais un bouton qui était apparu sur mon visage, alors que je n’en avais plus depuis des années. Sans doute à cause du stress. Lui, il avait la peau aussi lisse que les acteurs des séries Netflix.
« T’es venu en moto ? » Je faisais référence à son blouson. Il ne comprit pas l’allusion.
- « Non en voiture. Et toi ? »
Il me fallut donc expliquer ma blague, ce qui est toujours le signe qu’elle est ratée : « Non mais je te dis ça à cause de ton blouson ».
Il regarda sa manche et dit : « Ah non ! Je n’ai pas mon permis moto depuis longtemps alors je n’ai pas osé venir avec pour la rentrée. »
Sérieux, le gars a une moto ET une voiture. Encore un gros bourg, pensais-je.
C’est au moment où je décidais que cette sympathique conversation allait prendre fin pour cause de lutte des classes, que la fameuse Chrystale surgit devant nous en s’excusant. « Si vous voulez bien me suivre dans mon bureau… » Nous lui emboîtâmes le pas. Elle s’adressa directement à Rolph, comme si je n’existais pas. Sérieux, j’attends depuis plus longtemps que lui et il me passe devant. L’histoire de ma vie. Je restais en retrait à l’entrée du bureau.
Chrystale baissa la voix, ce qui fait que je n’entendis que des brides de leur échange. Je saisis : « On en avait parlé au téléphone. Oui mais quand même il faut régler l’acompte. Je sais bien. Le premier tiers au moins. » Visiblement, la Montagne avait des petits problèmes financiers. Les vacances aux Seychelles ont peut-être un peu flingué le budget de la rentrée – ricanais-je intérieurement. Finalement, ils durent trouver un arrangement car ce fut mon tour.
« Monsieur Wolzincsky, je suis désolée. Comme il manquait la photocopie de votre pièce d’identité à votre dossier, il n’était pas complet et par conséquent, votre nom n’est pas apparu dans le listing final pour l’accueil. Je vous rassure, tout est en ordre. J’ai prévenu ma collègue, vous pouvez retourner dans le hall, elle vous donnera votre sacoche de bienvenue. Ajoutez votre nom sur la liste et émargez bien surtout ».
Elle avait l’air sympa, je décidais de ne pas l’accabler. Je ressortis du bureau et je me rendis compte que mon acolyte m’attendait. Nouvelle bouffée d’angoisse : que me voulait-il ? Je l’imaginais en train de me menacer que si j’ébruitais ses problèmes de tunes, il allait s’occuper de mon cas. Il me regarda en souriant : « C’est bon ? On y retourne ? »
Et merde, le mec allait me coller toute la journée. J’avais rien demandé, AU SECOURS. Ça y est j’ai trouvé la faille : il est relou. Il partit devant. Je ne pus m’empêcher de constater que son jean mettait particulièrement en valeur ses fesses.
Mes petites suggestions comme d'habitude :
- tu changes de narration en utilisant le "pensais-je", il serait peut être mieux de garder le même style partout en mettant plutôt "je me demandais d'où il pouvait bien sortir ..." ou un truc du genre :)
- Et il manque un "e" à bourgE
Je vais garder le récit à la première personne, même si je comprends tout à fait ta remarque. Si tu poursuis la lecture, tu verras que j'ai tendance à alterner les points de vue et j'aime bien faire cela.
J'espère que tu vas continuer la lecture car tes retours sont vraiment pertinents, merci !
Après c'est normal car tu es attachée à tes personnages et tu les connais sur le bout des doigts. Mais comme dans la vie de tous les jours il y a des gens qui nous font bonne impression et d'autres moins bonne et ensuite une fois qu'on les connait ça peut changer :)
Antoine a l'air d'avoir connu des choses difficiles (du harcèlement scolaire ?), d'avoir été mis de côté, et j'ai tendance à avoir plus d'admiration pour ceux qui ne réponde pas à la méchanceté par la méchanceté. Mais c'est sûr qu'à 18 ans ce n'est pas évident et je suis certaine qu'au fur et à mesure qu'il gagnera en maturité et en confiance en lui il sera également moins dur avec les autres :)
Personnellement je pense que ce qui compte c'est que tu arrives super bien à créer des personnages différents et complexes. Aucun de tes personnage n'est "gentil" ou "méchant". On sent leur part d'ombre et de lumière, c'est très riche ! Tes lecteurs aimeront certainement certains personnages et peut-être qu'ils en détesteront d'autres. Le danger c'est quand un personnage laisse indifférent à mon avis :)
Merci pour cette avalanche de compliments en tout cas, je suis toute émue !
Bref un début d'histoire très réussi, et bien écrit pour ne rien gâcher ! Bravo !