Aparté [NOUVELLE VERSION]

Dès qu’Harald et Adela s’éloignèrent, Soren baissa les yeux vers Altaïs. Des ecchymoses marbraient son visage endormi. Il éprouva un pincement au cœur à l’idée que son cousin ne serait pas moins tourmenté lorsqu’il émergerait du sommeil magique dans lequel Soren l’avait plongé. Et dire qu’il devrait également faire face à l’annonce de l’emprisonnement d’Alexander… Au fond de lui, Soren remerciait pourtant le Protecteur ; en détournant l’attention d’Harald vers lui, Alexander avait épargné Altaïs.

Un frisson remonta le long de son dos lorsqu’il se remémora la cellule où ils avaient retrouvé son cousin, au sommet de cette tour protégée par un sort si puissant qu’il avait effacé son existence. Combien de temps Altaïs avait-il passé dans cette geôle obscure, à la merci de l’homme qu’il avait tué ?

Une vague de dégoût l’envahit à l’égard de lui-même. S’il avait été moins lâche, peut-être aurait-il pu changer les choses.

Soren souleva son cousin dans ses bras, grimaçant lorsque ses muscles le tiraillèrent – Altaïs était léger pourtant, peut-être même trop. Il le ramènerait dans ses appartements, resterait à ses côtés jusqu’à ce qu’il se réveille, puis il irait voir Harald pour lui demander de libérer Alexander.

— Tu as menti.

Il réprima un léger sursaut en accrochant le regard de son père, qui l’observait depuis le sommet de l’escalier. La peur s’insinua aussitôt dans sa poitrine. Lors de son retour au palais avec Altaïs, Soren n’avait pu échapper à Elaran, qui avait compris que le jeune homme avait aidé son cousin à quitter la ville. Il se souvenait encore du coup qui avait éclaté sa lèvre et de celui qui avait bleui son œil, de la menace qui avait sifflé dans ses oreilles.

Depuis, Soren se faisait aussi discret qu’une ombre.

Elaran avait rarement levé la main sur lui lorsqu’il était plus jeune, contrairement à Altaïs. Il s’était plus le plus souvent heurté à son désintérêt alors qu’il avait longtemps voulu susciter la fierté de son père. Aujourd’hui, il aurait été prêt à tout pour être de nouveau confronté à cette indifférence.

— Je ne voyais pas l’intérêt de faire un drame pour si peu, répliqua-t-il. Si mentir peut nous éviter à tous de perdre du temps…

— Tu continues de mentir, le coupa Elaran d’une voix sèche. Comme lorsque tu as aidé Altaïs à fuir Issarta. Depuis quand cherches-tu à le protéger ?

Soren fut tenté de courber l’échine face à son père – il l’aurait sans doute fait quelques jours plus tôt, quelques heures même. Mais il ne pouvait pas abandonner Altaïs une nouvelle fois, pas après ce qu’il avait découvert.

— Depuis toujours, répliqua-t-il.

Elaran haussa un sourcil.

— La situation te convenait pourtant très bien lorsque vous étiez enfants.

Soren en avait conscience ; plus jeune, il avait fermé les yeux sur la souffrance d’Altaïs parce que cela lui avait offert une liberté dont il s’était égoïstement emparé.

— Nous aurions pu être frères si tu ne nous en avais pas empêchés, souffla-t-il.

Un tic méprisant creusa la joue d’Elaran.

— Il ne sera jamais ton frère ; seulement un paria dans cette famille.

— Pourquoi ?

L’exclamation de Soren résonna dans le hall désert. Le regard d’Elaran se durcit davantage.

— Parce qu’il menace tout ce que nous avons bâti pendant des décennies. Ce sont des personnes comme lui qui ont failli détruire la royauté par le passé.

Elaran tourna les talons pour mettre un terme à la conversation.

— Et si tu te trompais ? le rappela Soren.

Son père ne prit pas la peine de lui répondre, disparaissant vers les étages supérieurs du palais. Pendant de longues secondes, Soren ne bougea pas, malgré le poids de son cousin qui tirait douloureusement sur ses bras. La tour où ils avaient retrouvé Altaïs avait sans doute été dissimulée par un puissant sort d’oubli, les souvenirs du jeune homme avaient été scellés…

Ce n’était peut-être qu’un hasard, mais les doutes s’étaient insinués dans son esprit et il ne pouvait plus les repousser.

— Je suis désolé, s’étrangla-t-il.

Il ne savait plus quoi faire face à ce père qui le terrifiait. Ce père monstrueux, cet homme dont il était le fils. Son impuissance et sa lâcheté le rongeaient, mais il ne voulait plus fermer les yeux sur ce qu’avait vécu Altaïs, dans ce palais comme ailleurs.