Appât

Il rentrait après une longue journée de travail qui ne s’était pas spécialement bien passée. Son stupide apprenti lui avait apporté son repas de midi froid et insuffisamment salé, et il avait bien failli renverser sa bouteille d’encre sur des documents importants. Il l’avait bien sûr sévèrement corrigé mais ce jeune garçon semblait ne jamais rien retenir. Sans compter les nombreux retards de paiements dont faisaient preuve de plus en plus de ses clients et les hausses de prix de ses fournisseurs. Encore une fois, une sombre rage dormait dans sa poitrine.

Il ruminait encore quand il aperçu une petite fille au loin, assise sur un banc, visiblement en train de pleurer dans ses mains. Il ne croisait d’habitude personne sur ce chemin. Il avait prévu de l’ignorer et la dépassa, quand il changea d’avis.

— Hé fillette ! Oui c’est à toi que je parle. Tu t’es perdue ?

Elle baissa ses mains, laissant apparaître un visage délicat et bouleversé entre ses épais cheveux blonds, puis hocha la tête.

— Où sont tes parents ? Tu habites où ?

— Ils m’ont demandé de chercher des buglosse ce matin… Mais j’ai eu beau guetter toutes les fleurs bleues, je n’ai pas réussi à en trouver une seule et maintenant je ne retrouve plus le chemin du village des quatre chemins, répondit-elle avec un air implorant.

— C’est assez loin d’ici, tu as dû marcher toute la journée…

— Monsieur, pouvez-vous m’aider ? Au moins m’indiquer la direction ? Je vous en prie.

— Mmh… Oui je peux faire un petit détour pour t’accompagner un peu… fit-il en se grattant la barbe naissante de son imposant menton. Mais d’abord, j’aimerais te montrer quelque chose chez moi. Ma maison n’est pas loin. Qu’en dis-tu ?

— Oh merci Monsieur ! s’exclama-t-elle dans un lumineux sourire. Que voulez-vous me montrer ?

— C’est un secret ma petite. Quelque chose que je ne montre pas à grand monde, seulement aux petites filles les plus sages comme toi.

— Comme cela me fait plaisir ! Pour vous remercier, moi aussi je vais vous confier un secret.

— Vraiment ? Dis-moi, je t’écoute.

— Baissez-vous, je vais vous le chuchoter à l’oreille.

Il mit un genou à terre et se pencha vers le gracieux visage de la fillette. Elle posa doucement ses mains sur son épaule, s’approcha et commença à ouvrir la bouche. Sauf qu’au lieu de former un mot, elle continua à s’élargir démesurément, laissant apparaître plusieurs rangées de dents pointues et un gouffre sans fond.

Ce ne fut que le lendemain matin qu’un pauvre fermier trouva le corps décapité de l’homme, une jolie buglosse posée sur le torse.