Mes trois doigts prennent doucement ma tasse de thé placé sur la table de la cafétéria. Pendant que mes trois gros yeux lisent les dernières actualités de ma tablette, je commence à tapoter délicatement l’un de mes pieds sur le sol blanc. Concentré encore dans ma bulle habituelle, je ne vois pas vraiment mes compagnons habituels se placer autour de notre table préférée. Dans mon travail, comme dans mes temps-libres, j’ai toujours beaucoup de difficulté à me concentrer sur des détails, préférant toujours noter les précisions les plus importantes de mes intérêts ou de mon emploi. Très bref dans les discussions, il faut souvent plus qu’une seule personne pour me sortir de cette fixation que je peux avoir. Certains prétendent que ce trait de caractère vient surtout de mon espèce, les Hidriens, un petit peuple d’amphibien, humanoïde, assez timide et intraverti en général.
Lire un article sur le Belgrum National d’Oscar Hemingway, est assez passionnant, surtout quand il parle de région très peu connu pour nous. Journaliste et correspondant à l’étranger, ces articles nous font au moins toujours découvrir des curiosités, des mentalités et des modes de vie qu’on croit inexistants depuis des siècles. Courageux de visiter des régions aussi mystérieux, le danger est toujours possible à cause des instabilités régionales ou encore d’incompréhension culturel.
L’un de mes doigts fait descendre tout doucement l’article, pendant que je remarque la présence du Superviseur de la Surveillance des radars et Lieutenant-Général, Gaugarin Grumlek, un Oumarus, dévorant rapidement son grand repas de la journée. Comme moi, Gaugarin préfère toujours s’occuper des priorités avant de se lancer dans les grands débats de notre pause. Cependant, cela ne fait pas parti des traditions de nos trois autres compagnons qui nous accompagnent habituellement. Ceux-ci sont bien plus vivaces pour chaque minute de leurs pauses.
M’occupant de la maintenance électrique, nos trois autres compagnons s’occupent tous d’un domaine différent. Mark, un petit humain avec des cheveux roux avec un léger surpoids, est à l’ordre de Gaugarin, souvent destiné à être officier aux radars ou dans l’écriture des différents rapports. Quant à Brian, un autre humain un peu plus baraqué que Mark, s’occupe surtout du pilotage des navires militaires. Finalement Tamya, une Ayati-Bleue, consacre son temps à conduire les nombreux vaisseaux de l’extérieur vers des centres de ravitaillement ou des centres d’habitations. La malheureuse a finalement l’horaire le plus chargé, surtout par les récents évènements de Constantinox.
« On a un nouveau record, les gars. » Dit Tamya en s’installant avec nos deux amis sur les sièges voisins de Gaugarin et de moi. « Aujourd’hui, ce n’est pas le Spatioport qui a eu une panne. C’est mon foutu vaisseau pour conduire les navires des touristes. Il en a une qui m’a engueulée, pendant que j’avais les deux mains dans l’engin pour redémarrer mes moteurs. J’avais envie de lui dire de fermer sa putain de gueule. »
Mark et Brian commencent à rire, pendant que Gaugarin est trop concentré à manger pour laisser un seul gloussement. Mark, l’officier au radar, se tourne vers moi. « Tu as eu des problèmes, toi? » Des problèmes? Non, mais oui je retrouve certaines continuités des accidents des semaines dernières. Les haut-officiers de Constantinox détestent totalement ces pannes qui sont dans les dossiers de l’inexplicable. Ces anomalies sont dérangeantes et nous font parfois perdre notre temps, comme ce matin avec Tamya. Malgré tout ça, ces pannes ne semblent pas dangereuses. Même souvent, le courant revient tout seul.
« Toujours des petits problèmes dans le centre d’habitation, mais cela revient souvent tout seul. On est juste incapable d’identifier d’où vient actuellement la coupure. »
Brian, toujours avec une personnalité plus extravertie du groupe, commence à taper du poing sur la table devant ces multiples problèmes. « Ce putain de Spatioport part en couille depuis le mois dernier. Peut-être qu’on ne peut pas supporter autant de visiteurs en même temps. » Cette théorie peut se tenir, elle reste cependant loin des réalités, car ce n’est pas la première fois que nous vivons avec le maximum de citoyens, de militaires et de visiteurs dans le Spatioport.
À la mort de notre Ancien Gouverneur, on avait reçu la capacité maximale de passagers dans le Spatioport. Cependant, peut-être que Mark touche un point sensible. C’est la première fois de toute son Histoire que Constantinox reçoit autant de gens. La mort de Léon Thibault a attroupé une tonne de personnalités connues, mais aussi de nombreux anonymes, venant des planètes des systèmes solaires voisins comme Jemendra et Vellerya. Devant cette masse de population qui se déplace pour témoigner des dernières poussières d’une longue dynastie d’héroïsme, on a de la difficulté à gérer l’ensemble de ces visiteurs. Actuellement, vu qu’il n’y a plus de places sur Constantinox, on les envoie surtout sur nos deux lunes et leurs habitations.
Gaugarin s’arrête de manger, en essuyant ses grosses babines par l’une de ses manches avant de répondre. « Je ne crois pas. » Réplique-t-il avec sa voix grave en laissant une petite pause pour digérer la dernière banane au miel mangé. « J’ai parlé à quelques superviseurs de la Sécurité dans d’autres Spatioports. Quelques pannes similaires et aussi nombreuses ont été signalées dans des stations équivalentes. À mon avis, c’est l’usure de nos machines, on a tous achetés les matériaux pratiquement à la même place. »
Nous sommes interrompus pour la suite de cette discussion par la voix de l’Amiral Josper dans l’intercom qui demande Gaugarin à son bureau. Lançant quelques grognements de frustration, il se lève pour nous menacer de ne pas toucher à son somptueux repas. Malheureusement, on ne va pas avoir de réponse pourquoi ce problème s’invite uniquement dans quelques Spatioports et non dans la totalité de ceux-ci. Nous tenant silencieux pendant quelques secondes, je vois Brian pensif, cherchant peut-être un autre sujet à discuter. La sociabilité semble être un élément très fort chez les humains, parfois pour remplir des vides non-nécessaires.
« Alors, c’était quelle genre de migrants illégaux qui ont décidé de venir aujourd’hui? » Mark et Tamya lancent un petit soupire d’exaspération devant les polémiques les plus répandues et reprises par Brian.
Mark, un peu découragé, décide de lui répondre. « À chaque fois, c’est comme ça. Tu veux toujours parler des méchants étrangers qui viennent envahir ton Constantinox adoré. Tu n’as pas d’autres activités que voir des menaces partout? » Tamya, dans son gestuel, soutient les dires de Mark.
« Oh… excusez-moi de froisser tes bons sentiments. Mais parfois, il faut être capable de se tenir debout devant les vrais problèmes de la société. Si on accepte toutes les religions et toutes marginalités de l’espace connu, notre culture risque de disparaître. »
D’une voix revendicatrice, comme à son habitude, les sujets fâcheux deviennent rapidement un débat de sourds. La voix féminine de Tamya fait taire rapidement les provocations de Brian. « Je suis d’accord avec Mark, est-ce qu’on peut changer de sujets? » Fermant ses bras autour d’elle, Tamya a toujours été l’antipode du pilote militaire sur les opinions politiques.
D’un sourire plutôt narquois, Brian sait facilement comment frustrer Tamya et Mark. « Alors, est-ce qu’on peut parler du Baleuma que Mark a vu dans l’espace? » Encore une montée de frustration pour mes deux voisins, qui supportent mal les balivernes du pilote militaire. Très vindicatif dans ses idées politiques, il sait aussi être moqueur. Les grands et immenses animaux spatiaux sont maintenant très rares dans les zones civilisées. Souvent chassés, on les retrouve maintenant dans des systèmes solaires très peu visités.
« Ce n’est pas un Baleuma que j’ai cru voir. » Réponds rapidement Mark. Il nous a déjà expliqué largement l’apparence de ce qu’il a pensé voir dans l’inconnu de l’espace. C’était très loin de la description de l’animal en question. Ce grand mammifère spatial bleu marin se promène toujours en laissant des résonances, qui rendent curieux tous les chercheurs de l’exobiologie. « C’était une espèce de longue ombre qui, par sa noirceur, cachait toute une longueur des étoiles visibles. »
Tamya, toujours très proche de la défense des animaux, laisse tombée son écœurement sur une cause qui tient ses deux cœurs. « C’est l’un des pires crimes de toute la galaxie d’avoir pratiquement exterminé cette espèce. » Sensible envers ces créatures, elle m’a déjà fait part dans nos temps-libres que ces immenses êtres de vies possédaient peut-être des latents psychiques.
Irrévérencieux, Brian se lance déjà dans une réponse rude. « Bon, madame-nature-et-vie revient. On me dit de fermer ma gueule lorsqu’on parle de nos vies, mais pour parler d’immenses créatures débiles qui se promènent dans l’espace, on peut donner son avis? »
Avant de lancer les prochaines piques, le bruit sourd des pas de Gaugarin nous signale son retour. Il revient doucement vers son siège après. Je remarque qu’il a reçu une tablette de données de la part de l’Amiral. Cette arrivée n’empêche pas Tamya et Brian de se lancer dans un débat continu pour les prochaines minutes. Gaugarin retourne doucement vers son plat, en écoutant silencieusement les interventions des deux personnalités diablement opposés.
« Comment avez-vous fait pour arriver à un tel débat? » Demande Gaugarin, prenant une pointe de Tuizza pour l’ingurgiter d’une seule bouchée. Je me permets donc de lui faire un petit résumé des discussions depuis son départ,
« Au début, Brian a voulu parler d’immigrations, mais ce sujet a été refusé. Ensuite, il a tenté de relancer, ironiquement ou pas, sur la question de ce que Mark a vu la semaine dernière dans la salle de contrôle, pour dériver doucement sur le sujet du Baleuma et de la chasse. »
Dans une rare communication de Gaugarin, intrigué, demande ce que Mark a vu dans la salle de contrôle. « Je ne sais pas exactement, mais je crois que c’est à cause du manque de sommeil. Cela n’a jamais été en soit un animal spatial que j’ai vu, c’est une sorte d’ombre gigantesque qui cachait les étoiles. » Gaugarin, mâchant encore une banane au miel, s’arrête de se concentrer sur sa nourriture pour aller sur sa tablette.
À la sortie de l’Oumarus de la discussion, Tamya et Brian se relancent encore sur le sujet de la chasse spatiale. Ce nouvel intérêt de Gaugarin est curieux, surtout par le fait qu’il abandonne sa priorité numéro Un : la nourriture pour chercher des informations sur la tablette. D’une voix discrète et calme, pendant qu’un débat se déchaîne entre nos deux compagnons, j’entends ce que Gaugarin dit vaguement.
« Curieux, cela ressemble à la forme qu’un éclaireur a signalé dans son rapport, ce matin. »
Hidriens, nouvelle forme d’extra-terrestre intéressante.
C’est un chapitre assez court, mais bon il en fait quand même.
Je retrouve à nouveau l’importance de Léon dans ce chapitre. J’en suis encore à me demander comment il a fait preuve d’héroïsme… à suivre.
Et la fin est pleine d’intrigues. Je suis curieuse de savoir quelle est l’ombre qui cachait les étoiles. Cela avait l’air de troubler l’Oumarus !
Bonne continuation !