La table de la cuisine ne m’empêche pas mon oreille d’écouter de l’actualité qui passe en boucle dans le salon. Ce matin, comme tous les autres matins, le bonheur est là. Il s’affiche par chacune des colorations des murs, par chacune des structures qui avaient été dessinées par ma main. J’ai réalisé l’un de mes plus grands rêves par cette maison. C’est la concrétisation idéale et parfaite d’une grande famille, nous permettant de cocher chaque point d’une liste importante à suivre dans cette vie rempli d’embûches.
Comme à chaque matin, je me rase la barbe, j’égalise mes cheveux et je me brosse les dents. Comme à chaque matin, j’embrasse le front de Mila et d’Ante avant de préparer leurs petites collations pour l’école. Comme à chaque matin, je m’assis à cette table, posant mon attention sur les dernières actualités d’un univers connu ou de mondes inconnus. Comme à chaque matin, j’ouvre les discussions.
« Tu as entendu Alyse? C’est génial comme nouvelle. Cela change des pannes de courant qu’on retrouve dans des Spatioports de planète qu’on ne connaît même pas. Je me suis toujours dis que les médias devraient vraiment afficher les bonnes nouvelles au lieu des mauvaises nouvelles. La disparition des enfants? Les bourdes diplomatiques? Les coupures budgétaires? Les guerres? Les accidents tragiques? Tout ça apporte-t-il vraiment quelque chose d’essentiel dans notre société? Hormis que les gens tombent en dépression et vivent dans la peur. C’est inacceptable que des êtres vivent avec une telle peur, un tel sentiment de désespoir. Comment on peut vivre une telle aventure sans être capable de sourire sur une seule chose?
Ouais, Alyse. Oscar Hemingway est enfin rentré chez lui à Belgrum. Ce journaliste est assez captivant, surtout quand on voit tous les risques qu’il entreprend pour nous apporter une nouvelle compréhension à la vie sociétaire. En plus, je crois qu’on a tous lus ses romans et ses nouvelles littéraires. S’il veut laisser tomber le journalisme, il peut bien devenir un auteur à succès, j’en suis assuré.
Je te connais, Alyse. Je sais très bien ton roman préféré d’Hemingway, tu me l’as déjà dit à l’Université. La mer et le vieil homme, je me souviens parfaitement des descriptions que tu m’as données, c’était quelque chose qui t’a vraiment marqué. Entre amour, courage et respect, ressortir fort devant toutes les tragédies et les malchances.
Je partageais ton opinion à cette époque. C’est une histoire touchante et tellement particulière, elle risque d’être une référence pour les prochains siècles. Je pense avoir cependant changé d’idées depuis les années, je pense avoir mieux réfléchi à ce que je recherche vraiment dans cette vie. Hemingway, comme plusieurs auteurs, ont servi de référence à la construction de cette maison. Tu m’as convié de le dessiner, tu m’as dit que cette image allait nous renforcer dans cet aspect créatif de pouvoir ressentir ce que tous auteurs ou tous artistes pouvaient ressentir lors de la création de son œuvre.
J’ai changé d’avis, Alyse. Mon écrit favori d’Hemingway, ce n’est pas ce livre. Je l’adore, comprends-moi, mais cela ne fait pas parti de mes œuvres favoris. Parce que maintenant devant tous ces merveilleux évènements, je pense que sa nouvelle Paradis Perdu, c’est son meilleur manuscrit. Tu ne connais pas? En plus, tu trouves le titre assez triste?
Je suis vraiment désolé, Alyse. Je comprends l’aspect du bonheur et du sourire. J’aimerais te transporter cette énergie. Peut-être que je me trompe aussi, peut-être que seul le titre m’importe actuellement…
Paradis perdu…
Je ne te fais pas de reproche, Alyse.
Mais, c’est toi qui voulais trois enfants. Tu voulais faire un petit trio de rebelles indisciplinés pour jouer des mauvais tours à ta mère. Tu as rêvé qu’Ante soit le grand frère rêvé du nouveau-né. Tu as rêvé que Mila partage ses jouets avec son petit frère. Tu as même pensé à son nom.
Il devrait porter le nom de ton défunt grand-père… Malheureusement, j’ai même oublié même le visage de cet homme…
Pourquoi trois enfants? C’était si important pour toi? Je sais que j’ai dessiné une troisième chambre d’enfants dans cette maison…
Mais aujourd’hui et maintenant…
Ni toi et ni cet enfant ne sont là. Je sais que tu n’es plus là. Je sais aussi qu’aucun sanctuaire ou enfer t’a accueilli, parce que rien de cela n’existe. Je sais juste qu’on vivait un paradis ensemble et qu’on l’a perdu…
Tu me manques, Alyse. Tu me manques tellement. »
Enlevant d’une main la petite larme qui coule sur ma joue, je retrouve mon sourire en voyant Mila débarquée avec son sac d’école rouge. Toujours bien peignée comme sa mère, je m’approche de mon enfant pour lui donner un petit bisou sur sa tête. D’un petit ton moralisateur, je l’avertis de faire attention devant ses professeurs les plus sévères. Ne pas répondre au petit Rezanerd énervant, je lui fais répété cette phrase plusieurs fois avant de la laisser partir. Elle doit s’en souvenir, parce que je n’ai pas encore une fois d’aller parler directement à la directrice ou à un responsable stupide de cette école.
À son départ, j’hurle à Ante de se presser un peu. Arrivant proche de l’adolescence, je calcule sa lenteur pour se rendre à sa fameuse école. Regardant ma montre, je lui siffle une ou deux gentillesses désobligeantes pour le faire sortir de son trou. Je dois encore travailler sur mes dessins. La Ville en demande toujours plus. Les mesures, les formes et les structures qui se concrétisent, cette fierté qui doit m’abriter pour donner vies aux rêves de Meod.
Voyant Ante arrivé, je le pousse un peu à l’extérieur afin qu’il court vers son école pour ensuite m’asseoir à ma place habituelle et sourire en face d’un siège vide.
Comme prévu après le brave petit-déjeuner, je commence à travailler directement dans mon petit bureau. À reprendre des mesures, à dessiner des limites aux murs et à la grandeur d’une idée, isolé, je me permets d’écouter toujours un peu de musique. Je participe quand même à un projet assez important de la Ville, voulant commencer à exploiter les terrains d’arbres qui ne servent malheureusement à rien. Ce projet se veut multiple, entre immeuble d’habitations, bâtiments municipaux et même une petite bibliothèque. Bien sûr, les écologistes sont en colère. Des arbres vont être arrachés, cela va fuir les animaux d’une zone verte pour laisser encore plus de places à l’industrialisation.
Cette rage est nécessaire, elle contribue encore à l’idée de cette liberté qui nous pousse à entreprendre des vraies actions contre les injustices. Je suis un peu naturaliste dans mes temps-libres, j’ai adoré dans le passé me promener avec Alyse à travers des chemins, à découvrir quelque chose d’unique par les feuilles et les tanières des différents animaux. Parfois avec un sac à dos, on pouvait partir des mois à découvrir ces beautés. Toute forêt est généreuse, son savoir nous permet de mieux comprendre notre place à travers un univers aussi obscur.
Chaque forêt est aussi unique. Elle possède ses propres traits et surtout sa propre histoire. Quand un arbre tombe à cause d’une tempête, elle laisse une trace et tout anthropologue amateur de la nature doit découvrir ce mystère. Il doit ainsi se poser cette question : Pourquoi cet arbre est tombé et comment?
Cette unicité nous permet aussi de comprendre nos propres perceptions à cette vie si variée et si grande à protégée. À chacun de mes projets, j’aime regarder l’œuvre d’art de cette vie se décorait pas ses mouvements, par ses bruits et par ses visions, mais cette forêt…
Cette forêt visée par la Ville...
Elle n’est pas comme les autres. Qu’elle soit unique ou pas, chaque boisé a des traits particuliers, alors que cette forêt n’en possède aucune. Je perçois peut-être mal cette réalité fracassante, je le déguise peut-être avec mes fantasmes les plus macabres, mais quelque chose de mauvais se cache là-bas. Indescriptible, sans frontière et foncièrement noir, elle est mauvaise dans tous ses horizons. Elle apporte ce vide répétitif. Ses herbes sont crochues par le climat. Ses arbres cachent elle-même un soleil ou les étoiles pour nous isoler de toute réalité dans son centre. Son silence est constant, comme si les chasseurs avaient génocidé tous les insectes et les animaux. Rien n’existe dans cette herbe.
Il faut détruire cette forêt, la réécrire avant que des portes s’ouvrent. Personne ne le perçoit ainsi, hormis ma sœur et moi. Ivana l’a ressentie dans ses tripes, elle comprend ce sentiment aussi obscur qui accompagne le destin de cette forêt. Lorsque je lui ai fais visiter cette forêt, elle n’a pas rentrée dans l’enceinte inconnue des grands arbres, elle s’est stoppée devant et elle a uniquement dit :
« Il faut raser cette place, il faut tout brûler, il faut que rien ressorte de là. »
Cette perception la bouscule, pour même l’obséder, me disant que les fondations de cette forêt peuvent créer des objets familiers, mais complètement abjectes à la vie. Elle m’a même fait la demande de ne pas aller travailler là-bas.
Malgré le dégout que nous possédons envers ce lieu, il est crucial. Bien plus de tout mon travail ou de l’objectif de la Ville, elle devient la vérité à chercher à tout prix. Une vérité. Sordide ou pas, elle restera vraie. D’immenses tours vont toujours tourner dans ce monde dessiné par nos fantasmes ou par nos envies dans ce conformisme social, cependant certains lieux sont maudits par autre chose que par le mysticisme ou que par les superstitions.
Dans notre sang, on perçoit toujours cet assombrissement incompréhensible et monstrueux. Ivana a toujours eu peur que je termine comme notre frère Zoran depuis la mort d’Alyse. Dans un asile depuis son adolescence, il se voit incapable de sortir de la mer de cette morosité qui l’accompagne.
Dessinant un nouveau monde à travers cette obscurité, Zoran n’a pas pu arrêter les abîmes d’envahir sa vie. Contrairement à lui, je garde sourire et connivence en rencontrant mon responsable. Ce faux-semblant fait parti de notre vie depuis que les Vedriev sont. Mes deux enfants, Ante et Mila, ne connaissent pas encore cette ombre qui nous accompagne. À chaque jour et à chaque nuit, ils se plongent au sarcasme de la vie scolaire. Ils ne ressentent pas ce que ma sœur et ce que mon frère ressentent à chaque fois que le soleil se cache. Gardant toujours des bons contacts avec mes collègues, le sourire est une arme efficace pour enlever tout soupçon d’idées noires.
À chacune de mes journées, se ressemblant, à chacune de mes nuits, se morfondant, à chacun des matins, se parlant, je me retrouve dans un but assez précis par cette forêt. Une obsession qui m’abrite, qui déguise mes envies et mes couleurs depuis sa rencontre. Est-ce que je joue vraiment à un jeu dangereux? On ne fait pas tous des cauchemars? Est-ce que cela cache réellement un secret si profond? Peut-être que la succession de cette vie se réalise uniquement à notre acceptation de ressentir une fois dans sa vie la part d’ombre qui doit se libérer.
Repensant à tous ces thèmes, je me sens décidé d’aller voir mon frère durant une journée de repos. Ma main va prendre congés, et mes yeux vont travailler. Souvent, je reçois des messages du médecin en chef, me parlant que tout va bien dans la vie de mon frère. Il pourrait même sortir dehors, si on l’aide à trouver un emploi, mais Ivana et moi, on s’y refuse. Il ne va jamais être capable de vivre dans cette société, car il refuse d’en faire parti. Depuis des années, une seule chose l’intéresse. Un seul élément s’ouvre à lui et il a une seule manière de le former. Ce sont ces tableaux minutieux et décadents. Non il ne dessine pas des immeubles ou des maisons, il dessine des traits ou des thèses dépassant la logique du connu. Illogique pour les règles de la physique, incomplet par sa chronologie, il se sait fou uniquement par ses œuvres.
Avisant l’asile avant de cette éventuelle rencontre, je sais que cette journée va être autant importante pour lui que pour moi. Nous sommes liés dans cette aventure, nous allons toujours être liés. Tel un Roi à sa mort, le sang reprend ses droits.
Cette journée va être unique pour ma sœur aussi, même si elle ne fait pas partie de cette rencontre. Loin de la société, l’asile se cache dans une partie où les êtres veulent oublier ces cas si étranges, mais tellement intriguant. Si on prenait le temps de les lire, on pourrait en soit mieux comprendre pourquoi ils ont besoin d’une telle habitation. J’envie le courage exceptionnel des infirmières et des psychologues à essayer de comprendre et de les aider à traverser cette vie. Plusieurs peuvent s’en sortir, ils peuvent revenir sur un chemin acceptable pour la société, mais jamais, mon frère ne pourrait être prêt à sortir dans ce monde.
À cet asile, les longs couloirs blancs me font marcher quelques mètres avant de trouver une employée visiblement occupée à manger à l’accueil. Accompagné d’un couteau et d’une fourchette, elle coupe délicatement ses pates dans son plat en plastique. Elle me sourit en me voyant. Je lui articule quelques mots, un rendez-vous pour cette journée exceptionnelle. Mon frère, assez tranquille, lui semble anonyme. Elle doit allée chercher dans les dossiers des usagers, tournant dos de ma personne pour aller visiter ces fameux documents.
Il est dans le jardin intérieur, me prévient-elle en revenant vers moi. J’aurai dut le deviner. Mon frère est toujours aussi prévisible et il doit s’inspirer en regardant les paysages boisés que la forêt peut lui permettre de voir. Même si la nature morte n’est pas de sa composition, il est comme Ivana et moi, il doit se sentir libre pour créer.
Avec cette information, je remercie le plus chaleureusement possible l’infirmière à l’accueil pour me diriger vers le fameux jardin. Par ce départ, je laisse un dernier regard sur la jeune femme, regardant aux alentours de celle-ci, cherchant peut-être quelque chose qui est tombé au sol. C’est important de retrouver les choses qu’on égare, même les objets les plus minimes peuvent être d’une grande ressource.
Derrière les cris des chambres sécurisés ou encore les passants souvent absents mentalement, je ne peux pas m’empêcher de sourire. Non pour ridiculiser leur situation, parce que dans cette folie trouvée, des êtres sont toujours présents, vivant dans un univers peut-être particulier, mais non illogique. Cette place leur sert de refuge pour essayer refaçonner ce monde pour vivre de nouveau.
Il ne faut pas leur en vouloir de partir dans cet univers qui leur appartient, on a tous besoin parfois de fuir ce réalisme industriel en créant une autre réalité plus désirable. Pendant d’innombrables matins, je parle quand même à une femme décédée que j’ai aimée d’une force indescriptible. Changeant ma perception négative d’un monde sans lumière, par quelque chose de plus logique et sensée. Les dessins de mes créations avaient du sens avec elle, un sens que je ne peux pas retrouver en la voyant partir.
Les lignes sont pareilles, les mesures sont au millimètre proche des mêmes dimensions pratiquées dans le passé et la fondation est toujours la même, mais avec Alyse, une certaine magie puisait dans les traits de mon crayon. Elle me forçait à toujours me réinventer, à place de suivre les mêmes modèles acquises à l’Université. À une autre époque, j’aurai donné raison à Ivana. Aux funérailles d’Alyse, pendant que je ne me suis même pas présenté à ceux-ci, l’isolement a toujours été une solution très efficace pour éviter d’accepter cette réalité. J’aurai pu être le Pollackien qui essaie de pousser son crâne contre un mur pour essayer d’en terminer, mais j’ai découvert un chemin plus sinistre, plus vivant pour réécrire mon monde.
Pour vivre dans l’abime, il faut le consommer dans son entièreté, sans avoir un seul regret ou sans une once de modération. Il faut savoir détester au plus profond de ses pulsions tout ce que les êtres peuvent construire. Il faut le détester pour mieux comprendre le système. C’est avec la haine qu’on insurge le progrès. C’est avec la haine de nos actions du passé qu’on change et que parfois qu’on devient meilleur. Non. Je ne déteste pas un groupe en particulier ou encore une minorité religieuse, je déteste l’entièreté de cet univers, voulant trouver un sens et une idéologie à leurs vies.
Cette mentalité n’est pas faite pour tous, elle se frappe dans le mur de la folie ou de l’indifférence. Elle ne doit pas être affichée au grand public par un jugement excessif, un désabusement de ces répétitions inefficaces d’un art aussi léger que notre carrière ou que nos ambitions.
Isolé de ce monde, Zoran est dans ce jardin intérieur qui casse avec le style blanc et hospitalier. Assis avec un petit crayon noir dans ses mains, je vois sur ces doigts beurrés des différents couleurs à cause de ses précédents dessins. Concentré sur la réalisation de ces chefs d’œuvres, il ne me voit pas arrivé. Il ne me voit pas mon sourire au loin. Sa concentration est trop indispensable, il doit réaliser un but en particulier avant de me regarder. Au fond de moi-même, je sais qu’il a déjà remarqué ma présence.
Toujours dépeigné, mais avec des cheveux assez courts, ses grands yeux se tournent vers moi après une petite seconde. Ne souriant pas, je reconnais au moins notre lien qui se redessine. Je reconnais son bonheur de me retrouver après toutes ces mois, que dis-je, ces années. Avant qu’on s’adresse la parole, je regarde ces autres œuvres, toujours assez particuliers, toujours aussi abstraits, mais dessinant passé, présent et futur. Il n’est pas un Vedriev pour rien.
« Tu dois l’accepter, Cane. »
Sa voix neutre et sobre ne me fait pas sortir de ma fixation de ses œuvres. Chacune décrivant quelque chose d’assez particulier et parfois trop complexe pour toute personne, n’ayant pas un œil artistique atypique. Ce premier œuvre, aussi abstrait, soit-il, montre un sombre nuage noir entouré une sorte de pyramide. Cette pyramide n’est pas comme la construction des Ztaciens. Le sommet du bâtiment est coupé de son triangle habituel. Une boule lumineuse blanche, entourée d’un mécanisme métallique, se distingue à sa finalité.
« Je le sais, Zoran. »
Le deuxième œuvre n’est qu’un soleil blanc, une étoile blanche, s’illuminant devant un regard observateur. Je ne crois pas que c’est destiné à nous. Elle sert à un autre être, à un autre chemin pouvant l’amener à s’éclaircir des rares ténèbres qui tentent de s’inviter chez lui.
« Si tu ne l’acceptes pas, cette possibilité va disparaitre. Tu n’as jamais été fait pour ce monde, que cela soit avec Alyse, ou que cela soit sans Alyse. Finissant son dernier œuvre, il se tourne doucement vers moi. Cette forêt. Les réponses se retrouvent là-bas. Tu essaies de le fuir ou de le détruire, mais tu ne vois pas ce qu’il se passe dans ses multiples chemins proposés.
Même Ivana ne le voit pas. Vous voyez uniquement les molécules de l’angoisse, alors qu’à travers les branches, vous ne voyez pas l’essentiel de son message. Une lune rouge devenant un œil. Des réorganisations organiques de tous les êtres. Les ombres. Tu ne les entends pas, Cane. Il faut les entendre. »
Je commence à le regarder plus intensivement. « Si je fais ça, tu sais exactement comment cette Histoire va se terminer. Tu es prêt à l’accepter? » Se levant pour me faire face, sa voix toujours aussi neutre revient.
« Je l’accepte. » Ces yeux me fixant, je perçois le sérieux de sa démarche. « Cela va être dans exactement trois jours. Tu vas avoir l’appel et tu vas devoir faire semblant d’être bouleversé pour éviter les soupçons. Car, tu dois réapprendre à dessiner avec notre Sang.
Ivana va pleurée. Elle va être dévastée. Accepte sa demande. Accepte que tes enfants habitent chez elle pour essayer de la réconforter un peu. Concentre-toi sur cette forêt, concentre-toi à retrouver le trait qui te manque. Tu dois matérialiser cette porte. »
Je soupire légèrement, mais soulagé. Il comprend très bien les aspects de ce choix. Je me tourne de lui pour me diriger vers son dernier œuvre. La droite et la gauche sont encore de couleurs brumeuses, pendant qu’une large zone au centre, se catégorise par un blanc unique. Dessinant parfaitement les ombres, à travers ce blanc, une noirceur se camoufle à l’intérieur de celui-ci, cherchant à sortir par ce portail. Sur le couloir, faisant face à ce blanc rectangulaire, une silhouette se retrouve en face, semblant tenir un petit objet sur son épaule.
« Tu crois que je pourrais réellement voir ça? » Demande-je avec curiosité.
D’une voix monotone et calme, il me donne une seule réponse. : « Tu vas peut-être les voir, mais cela ne va pas être toi. » Respirant après cette phrase, je lui réplique immédiatement mon incompréhension par un : « Je ne comprends pas, Zoran. »
« Moi non plus, Cane. » Dit-il encore avec son calme traditionnel. « Il va avoir une fille, Cane. Elle dessine aussi comme nous. Tu vas devoir la retrouver, un jour. » Je lui fais un petit signe de tête avec qu’une larme coule de ma joue. Ce moment va être la dernière fois que je vois mon frère de ma vie. Ce moment va être la transition entre le chemin de ma sœur et le chemin de Zoran.
Ce moment, où on s’est échangé uniquement quelques phrases. Ce moment, où on a fait un mutuellement un choix pour notre sang. Ce moment va nous concrétiser dans un chemin définitif pour chacun d’entre-nous. Je ne doute pas des raisons des autres ombres. Je crois même que ceux-ci sont obligés de suivre cette logique, mais moi, je peux me vanter le luxe de l’avoir choisi. Enserrant mes bras autour de Zoran, je lui offre deux cadeaux plutôt précieux pour un adieu mérité.
« Je t’aime Zoran… »
Le quittant dans son enceinte protégée, les prochaines journées vont être importantes. Elles vont concrétisées une partie de nos chemins. Regardant l’infirmière, manger ses pates avec sa fourchette, je la salue une dernière fois avant de partir définitivement de l’asile.
Se camoufler à travers la population, aimer son œuvre et se fondre dans des émotions communes. Je me suis déjà préparé mentalement pour cette éventualité. Je sais comment répliquer aux psychologues, je sais aussi comment gérer les responsables de la Ville et je sais comment agir devant ma sœur. Malgré sa tendresse, elle connaît notre sang. Elle connaît nos faux-semblants et notre façon de s’enfuir, cependant, le choc risque d’être plus énorme pour elle. Son plus grand défaut est de nous aimer, lorsqu’on n’est pas fait pour être aimer.
Trois jours plus tard, elle me téléphone dévastée. L’asile a envoyé la police chez elle, pendant que j’étais au travail. Notre frère s’est suicidé durant la nuit. Zoran nous a quittés dans le pire du doute sans laisser aucun indice de cette détresse. Se plantant un couteau dans la gorge durant la nuit, les médecins l’ont juste retrouvé le lendemain matin.
Mais comment un couteau peut s’être trouvé chez des patients potentiellement suicidaires? C’est une vraie question à poser, une vraie question que le Directeur de l’Asile va avoir du mal à expliquer. À cette tragédie, ils ont licencié une infirmière. Elle doit avoir égarée son couteau pour couper les pates quelques jours auparavant.
Devant tous, mes larmes semblent vraies. Pleurant ce deuil par l’inconnu et par le pourquoi, plongeant encore le domaine de la santé dans la petite crise du mois. Peut-être que le gouvernement fédéral de Belgrum va intervenir pour apporter une injonction nécessaire contre un système défaillant. Les larmes de ma sœur sont vraies, elles se déversent contre un monde qui nous a toujours écarté, elles se déversent contre le méconnu de la situation. Elle regrette de ne pas avoir visité mon frère plus souvent. Elle s’effondre durant les funérailles, sa femme essaie de la soutenir, mais elle est déjà détruite. Elle doit vivre avec cet évènement pour le reste de sa vie. Regrettant cette vision déformée de la réalité, Ivana a besoin de réconfort.
Devant l’Église Pollackienne, devant les vœux de paix dans le sanctuaire, je ne peux pas m’empêcher de sourire devant le cercueil de mon frère. Disparu, il nous a maintenant tous donnés un but.
Au ministère de la Santé, sa sécurité doit être revue.
À ma sœur, son sourire doit être retrouvé.
Pour moi, il me réapprend à dessiner.
Certaines personnes ont besoin de repos pour soigner leurs deuils, d’autres ont besoin d’isolation et pour d’autres encore, il faut retourner au boulot. De cette façon, ils ne cassent pas leurs habitudes, ni leurs sensations d’être entièrement noyés dans le chagrin. Devant mon superviseur, je lui ai sorti cette excuse. Rempli de compassion et d’amour, il m’a proposé plusieurs journées de congés pour faire mon deuil. Il est peut-être le temps de se souvenir des meilleurs moments de ma vie avec mon frère, me répète-t-il. Nos quatre-cent coups… Par exemple, lorsqu’on était sorti en douce pour faire les petits malfrats dans notre quartier ou encore quand on a sauvé un vuaz errant.
Cependant, j’incite sur le sujet. Je veux continuer de travailler. C’est très important pour moi. Parce que malgré ce deuil extrêmement difficile, mon frère et moi, on avait le même talent. Dessiner. Je dois honorer ce que mon frère était par la continuité de ces œuvres. J’ai répondu à mon responsable de cette façon, le bouleversant par cette sincérité et par cette humanité. Même, j’ai pu lui demander d’être directement en poste dans la cabine du projet, avoisinant la forêt obscure où toutes ces réponses vont pouvoir être retrouvées.
Devant ce chemin qui se dessine, devant la forêt de l’obscurité qui s’entoure et surtout devant l’inconnu d’un univers caché, il est le temps de matérialiser ce savoir qui nous appartient. Pendant que les larmes d’Ivana dessinent l’incongru de l’incompréhension, je dessine les contours. Je remplis les formes d’une logique qu’elle refuse. C’est grâce à la peine et à la tristesse, que les améliorations se bâtissent. Cette forêt doit m’offrir la possibilité de construire des ponts et surtout de découvrir un monde parallèle qu’on cherche à camoufler. Ma sœur a besoin de mes enfants pour retrouver son humanité, alors que, moi, j’ai besoin de cette forêt pour la perdre.
Malheureusement, Zoran avait raison. Il est difficile de pouvoir réapprendre de dessiner, avec les idées proscrites à l’Université. M’aidant en dormant dans la cabine pour la préparation aux côtés de la forêt, les limites sont indéfinissables, comme si tout mon passé m’a arrêté en pleine synergie. Il est facile de faire des bâtiments classiques, sans originalité et surtout d’une répétition plutôt triste au réel potentiel de notre créativité. Il faut savoir casser cette contrainte, se reconstruire sur des nouvelles bases afin de mieux comprendre ce qui nous entoure.
S’il faut toujours penser à chacun des détails pour se conformer à chaque réalité de la société, ici dans cette forêt où l’abyssale obscurité vient envahir notre environnement, tout est différent. Suffocant et fondant dans les creux de nos pensées les plus sombres, mes perceptions se retrouvent à cette réalité macabre. À place de dessiner les fondations du précis de chaque toit des immeubles destinées à la ville, je me retrouve dans l’abstrait et dans la figularité. Une nouvelle composition se retrouve dans les formats des nouvelles fondations d’un monde subjuguant avec les ténèbres. Impossible de dessiner complètement ce qui m’entoure d’un premier essai, mais au fil des jours, ma méticulosité se retrouve dans des ombres étranges.
Dans un premier œuvre où mon sourire se retrouve, la lune rouge devient l’œil de l’inconnu, nous visionnant comme un festin se nourrissant de nos traumatismes et de notre noirceur. Nous sommes des ombres invisibles devant un concret, se cachant à travers un œil pour mieux transcrire le chemin à suivre.
À cette première œuvre indésirable pour les artistes de la bonté, où les frontières sont encore impossibles à démarquer, où nous sommes aussi trop limités à comprendre les cauchemars qui nous tiennent à l’écart. Nous voulons le cacher à tout prix pour s’illusionner dans un bien complètement mécanisé par nos propres idéologies.
Ce monde obscur, rejeté par tous, ne doit pas être toujours contenu. Elle doit sortir, c’est pour cette raison que cela devient de plus en plus obsessif. Il faut savoir le consommer pleinement sans avoir un seul regret et sans une once modération. Les alignements de mes réussites se dessinent après ce premier aboutissement. Je commence à définir doucement ce que je dois voir en réalité. Les cris stridents, les singularités cassées, l’organique se cassant dans l’illogisme d’une précision inclassable ou des fantômes d’un présent cachant leur véritable objectif.
Je me retrouve dans ce monde, je me retrouve parfaitement où mon sang doit construire dans l’avenir. Elle s’accompagne entre des fines lignes d’un autre univers, voulant rappeler son existence à un monde qui veut faire disparaître la cruauté. À chaque essai, cela commence à revenir pour mieux se dévoiler dans cette forêt. Une seule journée va me suffire pour retrouver la structure de cette continuité.
Une seule ouverture est possible. La logique de ce schéma incomplet se mets en marche. Commençant à pimenter le noir de ma toile par des petites étoiles blanches, les lignes invisibles se précisent pour cacher une partie de la logique de l’univers. Un grand ombre indéfini cache les autres étoiles. Ce spectre s’agrandissant veut peut-être effacer toutes les étoiles pour mieux les redessiner en une idée plus logique pour lui.
Concentré sur l’œuvre le plus important de ma vie, mon écoute tournée vers le silence absolu de cette forêt est coupé encore par un monde extérieur. Début d’une musique classique ou problème dans la lecture du logiciel d’écoute, le musicien semble frapper les notes d’un piandron, sans de logique, appuyant sur l’intensité de plusieurs notes, accidentellement une à coté de l’autre. Cette illogique musicale me coupe de ma concentration, me laissant un large soupire de voir encore des jeunes passés leur nuit dans un lieu qu’ils ne comprennent pas. J’ai déjà appelé la police plusieurs fois pour ce tapage nocturne, mais jamais ils n’ont pu servir efficacement.
Attendant que les adolescents quittent le lieu, je commence à être intriguer lorsque la musique commence à se trouver un sens. Cela ne ressemble pas réellement à ce que les jeunes écoutent habituellement.
Ni chant, ni accompagnement, seules quelques notes sont jouées d’une main tremblante. Touchant faiblement le clavier de l’instrument, ayant un sens rythmique, mais pas avec une vitesse exceptionnelle. Les accords sont toujours dans la même synchronie musicale, mais ils changent parfois dans son intensité. On dirait une douceur voulue pour tester l’instrument, pour effleurer doucement le piandron afin de comprendre le vieil artefact musical, n’ayant pas bougé depuis des décennies. Une minute d’un rythme répétitif, mais indolent, me laisse perplexe, et surtout très curieux.
Je sors de la cabine de la Ville pour regarder d’où vient la musique. Dès que ma tête sort, le rythme s’accélère, comme si les mains endiablés avaient trouvé la raison de leurs existences. Même on dirait que trois mains jouent sur le piandron, vu la vitesse et l’intensité de la musique. Le rythme du début reste par une main vacante, mais les deux autres sont complètement folles, chacun des suites de notes sont d’une violence incomparable. Cette mélancolie musicale s’intègre à une nouvelle vision incompréhensible de ce monde. Au milieu de la bouette et des arbustes, à quelques mètres de moi, une porte de maison semble avoir trouvé sa place.
Cet accès étrange me fait avancer vers elle, comme si l’œuvre musical était lié à celui-ci. À chacun de mes pas, à chacun de mes avancées, j’entends mes souliers frappés dans la boue. Ce paroxysme musical est destiné à moi, comme cette porte fermée. À quelques centimètres de cette ouverture vers un autre monde et de cette musique, je dirige ma main vers le poignet, respirant encore de cette intensité cinglante. Puis, la musique s’arrête brutalement.
Ma main fait de même, pendant que la porte reste toujours à cette place saugrenue. Puis, après quelques secondes, le rythme reprend au même désir qu’il a été laissé abruptement. J’enserre le poignet de ma main pour ouvrir la porte. Fermant les yeux, je passe la frontière de ce portail, pendant que toute l’atmosphère change complètement. J’ouvre les yeux en cassant cette mystérieuse frontière mystique.
L’air est différent, le sol est en béton et les lumières dans le ciel sont rares par la civilisation autour. Les bruits industriels retentissement, la musique s’adoucit à mon entré dans ce monde.
Tout l’environnement est devenu mécanisé. Au sommet d’un immeuble à habitation, pendant une nuit quelconque, nous sommes tous ensemble. En face de moi, une femme, avec une coupe de cheveux rasé sur le coté, a ouvert une porte similaire pendant qu’un homme regarde vers le bas pour voir si la musique pouvait venir d’une boite de nuit voisine. Deux autres inconnus sont aussi là, un homme d’une musculature impressionnante et une autre femme dans la mi-vingtaine avec des vêtements verts. Devant ce nouveau spectacle, je regarde vers le haut pour voir une grande planète. Nous sommes sur une lune, suivant toujours cette planète, maintenant obscurci, qui doit être sur toutes les cartes de la galaxie. Je commence à sourire, pendant que la femme à l’opposée de moi nous dévoile les premiers mots logiques de notre destin.
« Je comprends… »
Ça m’a touché le dialogue sur Alyse. Surtout à la fin lorsque j’ai compris qu’elle n’était plus en vie. Je pense que tu voulais nous faire comprendre à quel point sa disparition a affecté Cane et si c’est le cas, c’est nettement réussi.
La vie quotidienne de Cane avec ses enfants est bien présentée. On peut facilement imaginer la scène que tu nous présentes.
Par rapport à la forêt, il était clair que Cane ne l’aimait pas, je n’ai pas pu imager la raison pour laquelle il détestait la forêt. Il n’y a rien de mal là-dedans, c’est juste que c’est ce que j’ai ressenti en lisant. Tout de même, ça reste mystérieux.
Pour la fin, je n’ai pas vraiment compris où tu nous emmenais, les personnages décrivent son flou à mon avis et le contexte aussi. Je ne sais pas si tu voulais faire une intrigue, et si c’est le cas je n’ai pas compris le sujet.
Bonne continuation <3
À bientôt!