- A ce niveau, ce n’est même plus sommaire le confort…Je comprends pourquoi c’est dur le GR20, en fait, tu es cassé le matin quand tu te réveilles à cause des lits.
Rafael se tourna vers Morgan d’un air agacé :
- Sérieusement le parisien, tu pourrais pas la fermer de temps en temps ? T’es lourd à te plaindre tout le temps !
Lena, sentant que son ami allait finir par exploser à cause des remarques incessantes de Morgan, prit ce dernier à part pour lui demander ce qu’il souhaitait manger.
- Pour aujourd’hui, j’avais prévu des raviolis car le repas ici est assez cher et je pense que tu serais resté sur ta faim. J’ai également du fromage corse et plusieurs paquets de canistrellis.
- C’est quoi ça ?
- Des biscuits corses. J’ai pris plusieurs goûts : amande et fleur d’oranger, farine de châtaignes et citron. Ça ira ?
- Bah…de toute façon, il n’y a pas vraiment le choix non ?
Morgan suivit ensuite Lena et Rafael et ils s’installèrent sur la petite terrasse du refuge en attendant que leur repas soit chaud. Ils grignotèrent des cacahuètes salées puis Lena proposa aux deux hommes un morceau de fromage.
Rafael accepta avec enthousiasme tandis que Morgan prit un morceau du bout des doigts :
- Putain mais ça pue le chèvre ce truc !
- Normal c’est du fromage de chèvre crétin ! Après, je ne vois pas de quoi tu te plains, dans ton ton métro à Paris, ça sent le bouc !
Lena lança un regard furieux à Rafael qui n’avait pas pu s’empêcher de remettre Morgan à sa place et les deux corses échangèrent quelques mots dans leur langue natale. Naturellement, le parisien n’apprécia pas du tout :
- Mais arrêtez de parler en patois comme ça tout le temps, je pige rien moi !
- Ce n’est pas du patois, c’est du corse !
- C’est le même de toute façon.
- Oh toi !
Rafael, qui s’était assis à l’opposé de Morgan, s’était levé et il s’apprêtait à aller coller son poing dans la figure de cet emmerdeur de pinzutu quand Lena le retient par le bras.
- C’est bon Raf. Va voir si on peut manger.
Lorsqu’il fut parti, la jeune femme soupira en regardant Morgan :
- T’en loupe pas une toi…
- Mais c’est vous qui… oh et puis merde. Je ne dis plus rien, j’en ai marre de me justifier tout le temps. Et lui, là… bordel, il a pas encore compris que je ne marcherai pas sur ses plates-bandes ?
- De quoi tu parles ?
Morgan éclata de rire :
- Ah non Lena, non ! Me dit pas que…
Mais le jeune homme n’eut pas le temps de continuer car Rafael revint avec une casserole fumante et trois assiettes en plastique.
Pendant le repas, personne ne parla. Lena regardait les randonneurs entrer et sortir du refuge, tandis que les deux hommes avaient leur tête baissée sur leur assiette.
La jeune femme finit par briser le silence en demandant à son ami s’il souhaitait qu’elle achète quelques barres de céréales supplémentaires et Rafael acquiesça. Morgan se leva en même temps que Lena à qui il demanda où se trouvaient les sanitaires.
Il se dépêcha ensuite de s’y rendre afin d’éviter de se retrouver à nouveau seul avec Rafael.
Le bloc sanitaire comportait deux douches et deux toilettes.
Le parisien entra dans la première et après avoir satisfait à un besoin naturel, il se dit que c’était sans doute la première et la dernière fois qu’il faisait ce genre de truc.
Les vacances à la dure ce n’était définitivement pas pour lui. Même lorsqu’il était parti quelques jours dans un camping dans un coin paumé en Corrèze il avait eu plus de confort.
Il interpella un randonneur qui sortait de la douche et il lui demanda si l’eau était chaude :
- Chaude ? C’est un refuge mon gars ici. Te laver dans la rivière ou sous la douche c’est exactement la même chose. Avec un peu de chance tu auras deux minutes d’eau juste tiède. Mais…c’est exceptionnel.
Morgan se renfrogna : soit tout le monde se fichait de sa gueule, soit il était vraiment tombé dans un pays de fous !
Comme il n’avait pas envie de grelotter pendant la nuit, il décida qu’il prendrait sa douche le lendemain matin et il se mit à regretter la salle de bain qu’il avait à l’hôtel.
Il retrouva Lena et Rafael qui discutaient joyeusement avec un groupe de randonneurs et il hésita un instant à les rejoindre. Mais la jaune femme lui fit un signe et le parisien se dit qu’il paraitrait vraiment grossier s’il esquivait tout le monde.
Il écouta sa guide échanger avec deux hommes d’une quarantaine d’années :
- C’est vraiment une expérience inoubliable dans la vie d’un randonneur. Nous sommes venus pour réaliser un défi personnel mais aussi pour faire de belles rencontres. En tout cas c’est bien mieux maintenant que les nuitées doivent être réservées à l’avance. J’ai un ami qui avait fait le GR il y a quelques années et là…C’était presque la course chaque jour. Et quel stress aussi !
- Oui, le système a été changé, c’est plus pratique en effet.
- Et les prix ont sacrément augmentés. Mon budget est au moins vingt-cinq pourcent supérieur à celui de mon ami. Pour les mêmes choses et parfois des quantités plus restreintes.
- Le problème c’est que les propriétaires de certains refuges ont beaucoup de difficultés à s’approvisionner. Ils doivent faire appel à des hélicoptères dont le tarif est très élevé et donc, ils le répercutent sur les prix des repas et des produits de leur épicerie.
- Oui mais, j’ai fait mon petit calcul mademoiselle. Dites-moi si je me trompe mais je pense que je suis quand même dans le vrai. Voilà : la nuit coûte onze euros par personne. Six euros si vous souhaitez planter votre tente sur un emplacement et dix euros si vous souhaitez louer une tente sur place.
- Avec une moyenne de 100 personnes sur 100 jours par saison ça donne un revenu situé entre 60 000 € et 100 000 € par refuge et par an uniquement sur les bivouacs ...
- Sans compter que la plupart des refuges, je suppose, appartiennent au parc national et qu'ils ont certainement bénéficié de subventions de l'Europe. Donc, vous ne trouvez pas qu’il y aurait moyen de faire un petit effort, sur la capacité des sanitaires par exemple ? Deux douches et deux toilettes…Ici ça va ce n’est pas encore la pleine saison mais dans un mois ? C’est mon seul reproche que je peux faire sur le GR. Le manque de confort, vu les tarifs pratiqués, je pense qu’on peut faire mieux.
- Il y a des améliorations possibles je suis d’accord.
- Attention, je ne dis pas qu’il faut transformer les refuges en hôtels cinq étoile avec thalasso et salle de fitness mais…
Rafael tourna légèrement la tête vers Morgan et avec un petit sourire moqueur intervint :
- Oh, ça ne serait pas pour déplaire à certains je pense…
- Oui mais ça dénaturerait tellement le GR20
- Nous sommes bien d’accord. Dommage que certains ne le comprennent pas.
Le corse se tourna en souriant vers Lena qui, elle, était à présent totalement crispée. Elle n’approuvait pas l’attitude de son ami qui, dès qu’il le pouvait, lançait pique sur pique au sujet de Morgan.
Comme l’après-midi touchait à sa fin, la jeune femme proposa à Morgan de la suivre afin d’installer les sacs de couchage pour la nuit et de faire un choix pour son petit déjeuner du lendemain matin.
Le parisien accepta mais il ne quitta pas la table assez rapidement et il entendit la dernière remarque de Rafael :
- Dire qu’il y en a qui viennent sur le GR en pensant que ce sera une partie de plaisir et qu’il leur suffit de paraître pour réussir. Dommage qu’il n’y ait pas que de vraies randonneurs et qu’on doive supporter à longueur d’année ce genre de…
Morgan n’entendit pas la suite car Lena le traîna sans ménagement à l’intérieur du refuge.
- Il cherche à te provoquer Morgan. N’entre pas dans son jeu ! Je ne sais pas ce qu’il y a entre vous deux mais moi je ne vais pas pouvoir tenir seize jours avec vous !
- Je te l’ai dit Lena, il a peur que je ne te mette le grappin dessus.
- Hein ?
- Ça se voit à des kilomètres bon sang ! Rafael…en a marre que tu ne sois qu’une amie pour lui. Il veut plus. Et moi, manifestement il me considère comme un concurrent. Sauf que, dans deux semaines je rentre à Paris et vous n’entendrez plus jamais parler de moi. Alors un conseil, rassure-le à ce sujet parce que moi, la prochaine fois qu’il ouvre la bouche, je lui en colle une.
Interloquée, Lena regarda le parisien sortir son sac de couchage et le déposer sur un matelas contre un mur.
La jeune femme se demanda si Morgan était sérieux où s’il essayait de la provoquer. Si la première option était la bonne, Lena songea qu’elle allait au-devant de nouveaux ennuis : elle était amie avec Rafael depuis des années mais son caractère emporté et ses crises de colère fréquentes étaient suffisantes pour l’empêcher d’éprouver plus que de l’amitié pour lui.
La corse plaça alors son sac de couchage de l’autre côté de la pièce afin d’être la plus éloignée possible de Morgan et ainsi ne pas donner une nouvelle raison à Rafael de s’emporter contre le parisien.