Lena avait déjà frappé à la porte de Morgan à plusieurs reprises mais le parisien ne se montrait pas. Elle l’avait pourtant prévenu de l’heure matinale du départ et elle ne voulait absolument pas prendre du retard sur l’horaire qu’elle avait soigneusement établi.
Enfin, la porte s’ouvrit et Morgan fixa la jeune femme le regard sombre. Sans un mot, il sortit de la chambre avec ses sacs et il suivit Lena dans le hall d’entrée de l’hôtel.
Les bagages dont il n’avait pas besoin pour la randonnée allaient être transférés jusqu’au studio, situé dans une résidence de luxe, qu’il occuperait quelques jours après avoir terminé le GR20.
Lena s’occupa des formalités à ce sujet puis elle sortit de l’hôtel devant lequel attendait déjà Rafael.
Le parisien observa un instant les deux corses : ils étaient si différents de lui…
Eux passaient leur temps dans les montagnes, lui dans les salons des plus belles villas et appartements de Paris.
Lui ne s’inquiétait jamais de ses fins de mois, eux, même si manifestement les affaires marchaient bien, ils devaient sans doute avoir des périodes creuses et peut-être même avoir du mal à payer leurs factures.
- Tu es bien silencieux ce matin…Tu peux encore renoncer si tu ne le sens pas.
Morgan se tourna vers Rafael tandis qu’ils marchaient vers le point de départ du Gr20 :
- Non, ça va je n’ai pas renoncé. C’est juste que…j’ai pas trop l’habitude de me lever si tôt.
- Tu vas être perturbé en rentrant à Paris non ?
- Crevé ça oui. Pas grave, je me prendrais une dizaine de jours de vacances.
- Y en a qui ont de la chance…
- Je pourrais aussi glander toute l’année grâce à la fortune de mes parents mais tu sais, je bosse dur et je ne suis pas un fainéant. Ça m’arrive de rentrer après vingt heures à la maison, de participer à des réunions le weekend, de finir des rapports à une heure du matin donc, oui de temps en temps, ça m’arrive de prendre des congés. J’ai dix mecs qui n’attendent qu’une chose, que je fasse une erreur, pour prendre ma place. Parce que ma famille est riche, parce que nous avons des ancêtres issus de la noblesse, je dois prouver deux fois plus que les autres que mon job, je l’ai eu grâce à mes capacités intellectuelles et non grâce à la fortune de mon père.
- Ah mais je n’ai pas dit que tu étais un fainéant ou quoi que ce soit !
- Tu ne me connais pas donc garde tes réflexions pour toi ok ? Dans quinze jours, je rentre chez moi, on ne risque plus de se croiser donc j’ai juste envie de finir cette putain de randonnée et puis c’est tout.
Sentant que les choses risquaient de dégénérer, Lena s’approcha des deux hommes et elle présenta une carte à Morgan :
- Tu n’as jamais utilisé ce type de carte je suppose ?
- Non évidemment.
- Voilà ce que nous allons faire aujourd’hui. Normalement, le temps nécessaire est de 6h30 mais comme nous sommes parti tôt, nous pouvons marcher un peu plus lentement et faire plus de pauses que prévu si tu sens que tu n’arrives pas à suivre le rythme. Il n’y a aucune honte à le dire, je préfère que tu arrives entier à la fin de la dernière étape et sans casse que d’être obligée de t’arrêter après trois étapes parce que tu seras complètement cuit.
- Quelle sollicitude…
- Tu m’as contactée dans un but précis, mon objectif c’est que tu y parviennes Morgan. Ortu Di U Piobbu se situe à 1520 mètres d’altitude et nous sommes ici à 275 mètres. Le dénivelé positif est assez costaud pour quelqu’un qui n’a jamais fait de rando. Ce que nous allons faire, c’est marcher en file indienne. Raf sera le premier, toi tu le suis et moi je serai derrière pour te donner quelques conseils si nécessaire.
- Et mater mon cul encore une fois.
- Morgan, arrête t’es lourd sérieux.
Arrivés au point de départ du GR20, Lena regarda sa montre puis elle prit un petit carnet où elle nota l’heure de départ.
Le soleil était déjà bien haut dans le ciel et la jeune femme songea qu’ils termineraient ce premier jour lorsque les températures seraient les plus chaudes. Avec une certaine appréhension, elle s’engagea sur le sentier muletier qui marquait le début de la randonnée du jour. Dans un premier temps ce n’était pas difficile et elle craignait que Morgan ne veuille aller trop vite.
Mais le parisien marchait d’un bon pas sur le sentier serpentant dans la végétation dense, ne faisant même pas attention aux lézards qui sortaient de leur cachette par dizaines.
Après quelques lacets et une demi-heure de marche, le groupe arriva à la fontaine d’Ortiventi, l’nique point d’eau situé sur le parcours de la première étape du GR. Lena remplit deux gourdes et incita Morgan à boire un peu avant de repartir.
Lorsqu’ils atteignirent la Bocca di Ravalente à un peu plus de six cent mètres d’altitude, la corse jeta un coup d’œil discret au parisien. Il n’avait plus prononcé un seul mot depuis le départ de Calenzana et jusqu’à présent, le sentier propre et sinueux n’avait pas semblait lui poser la moindre difficulté.
Il n’avait pas l’air d’être essoufflé mais son visage fermé trahissait une certaine anxiété.
Tout en admirant la vue sur la baie de Calvi, Morgan songeait à ce qui l’attendait plus tard. Il n’avait franchement pas envie de perdre la face et il était certain que Rafael n’attendait qu’une seule chose, se moquer de lui.
Au promontoire d'Arghjova, Lena décréta une nouvelle pause. A nouveau, elle observa le parisien qui semblait toujours bien tenir le rythme. Elle craignait cependant la suite du parcours et la montée très raide dans la forêt pour rejoindre la Bocca a u Saltu.
Mais une nouvelle fois, Morgan se contenta de suivre Rafael sans prononcer un seul mot.
Tandis qu’elle le laissait reprendre son souffle avant d’entamer la montée vers la Bocca a u Bazzicchellu, Lena expliqua au parisien qu’il allait devoir monter main au sol, sur des passages raides ou une main courante avait également été installée.
La jeune femme était soulagée que Morgan suive ses conseils à la lettre et qu’il s’alimente correctement.
Elle se disait que finalement tout allait bien se passer lorsque le jeune homme hurla en apercevant une vache en liberté tandis qu’ils se dirigeaient lentement vers le refuge d'Ortu di u Piobbu.
- Non mais c’est quoi ce pays ?
- Morgan, Morgan on se calme. Arrêt de crier tu vas lui faire peur.
Le parisien, sans lâcher la bête du regard et en se mettant à marcher à reculons s’adressa à sa guide d’un ton sec :
- J’ai pas envie de me faire encorner merde quoi !
- Justement, arrête de crier. Elles n’attaquent que si elles se sentent en danger. Du moment que tu ne l’approche pas…
- Oh parce que tu crois que j’ai envie de voir cette sale bête de près ? Putain tu n’avais pas un autre chemin que celui-là ?
Rafael observait la scène de loin avec un petit sourire moqueur sur le visage. Le bovin finit par s’en aller non sans avoir tourné la tête vers les randonneurs.
Le corse s’approcha alors de Morgan et lui dit :
- Elles sont chez elles ici, c’est toi l’étranger, la menace. Le pacage libre est une tradition ancestrale. Ce n’est pas la première que nous croiserons alors s’il te plait, la prochaine fois, arrête de faire l’enfant…
Le jeune homme reprit alors sa marche suivi par Lena tandis que Morgan resta sur place.
- Tu attends quoi, qu’il n’y ait plus de menhirs à Filitosa ?
La voix mi impatiente mi moqueuse de Rafael sortit le parisien de sa torpeur :
- De quoi tu parles encore ?
- Oh rien, c’est juste une expression.
- Et ?
- Je me demandais si tu allais finir par bouger et marcher vers le refuge parce que j’ai pas toute la journée et que j’aimerai bien me reposer.
Et fait pas cette tête-là, tu ne verras plus de vache. En tout cas aujourd’hui.
Morgan avança lentement vers Rafael en murmurant :
- Sombre crétin !
Il fallut encore trois quart d’heure de marche avant d’arriver à destination et quand ils posèrent leurs sacs, Lena s’approcha du parisien :
- Et bien, félicitations. Une demi-heure de moins que le temps estimé.
- Donc tu es soulagée, je ne suis pas un boulet finalement.
- Je n’ai jamais dit ça Morgan ! Allons déposer nos sacs à l’intérieur puis, tu me diras ce que tu veux manger.
Quand Morgan entra dans le refuge et qu’il aperçut les lits où ils allaient dormir il s’arrêta un instant : Lena ne mentait pas quand elle disait que le confort était sommaire. Elle avait juste oublié d’évoquer l’aspect de la promiscuité.
En observant les lattes de bois sur lesquelles étaient posés plusieurs matelas, le jeune homme soupira : elle allait vraiment être longue cette fichue randonnée !