Avis de tempête

Notes de l’auteur : A l'origine, ce chapitre était une partie du précédent,. Bonne lecture !

Surpris ou déçu, il ne savait pas très bien. L’homme impassible demeura silencieux. Le faux enchanteur fit quelques mouvements avec sa baguette magique, puis la pointa en direction de son unique spectateur. Il ne semblait pas décidé à lâcher son rôle. Et puis, il ouvrit la bouche. Il débita d’un ton solennel des mots qui avaient une vague consonance latine, mais le petit garçon comprenait bien que tout ce jargon n’avait ni queue ni tête. Il finit par éclater de rire, ce qui était sans doute le but recherché.

« C’est bon, je suis démasqué ! » cria l’homme en ôtant son chapeau et sa perruque, comme s’il rendait les armes, vaincu. 

L’enfant alla se jeter dans les bras de son père, car c’est bien de Léonard qu’il s’agissait. Celui-ci le serra très fort contre lui. Une effusion sentimentale totalement puérile qui lui fit un bien fou après une journée totalement folle elle aussi. Il aurait tant aimé pouvoir tout lui révéler. Et dans ce moment qui n’appartenait qu’à eux, il était tenté de le faire. Un de ces moments intimes où tout paraît possible.

« Alors qu’est-ce qui m’a trahi, champion ?  demanda-t-il en ébouriffant avec tendresse la tignasse de son fils.

- D’abord, il va falloir que tu trouves une vraie incantation. Et puis, le chapeau et la baguette, c’est trop cliché. En vrai, Merlin possédait un masque et un bâton de magie… »

Oups, se dit notre héros, il était en train de tout déballer à son père !

« Tu as lu encore tout ça dans tes livres de légendes ! Bon, je prends note.

- Ton costume, ça veut dire que …

- Tu as devant toi le nouveau Merlin de la troupe des conteurs de Brocéliande !

- J’en étais sûr, s’écria le garçon très fier de son père. 

- En attendant fiston, nous sommes attendus pour le « goûter » du soir ! » lança Léonard d’un ton sarcastique.

- Tu comptes y aller habillé comme ça ? » interrogea Merlin un brin inquiet.

Certes, on n’était pas à Versailles, mais une certaine étiquette régnait à Bréchéliant.  Des horaires à respecter, et une tenue correcte exigée. Si Léonard débarquait avec son déguisement dans la salle à manger, il allait s’attirer les foudres de l’ancêtre. Quant à Sapristi, il prendrait un malin plaisir à lui arracher sa fausse barbe. Sans oublier sa mère, qui y verrait une provocation, et s’emporterait sans doute encore ! Autrefois, pourtant, cela l’aurait faite rire. 

Léonard sourit. « D’habitude, ce sont les adultes qui font ce genre de reproches à leur progéniture ! Tu grandis trop vite ! »

Merlin eut beau lui lancer un regard suppliant, son père ne céda pas. Il devrait travailler davantage ses talents d’acteur. Il se souvint d’une fille dans sa classe, qui avait l’art d’amadouer le maître. Il regretta de ne pas l’avoir davantage observée. L’enfant suivit donc Léonard, mais de mauvaise grâce, car il sentait le désastre proche. L’entreprise de « rabibochage » entre ses parents prenait des airs de Titanic. Le garçon avait beau marcher lentement pour retarder l’instant fatidique, ils finirent par pénétrer dans l’imposante salle à manger. Deux Merlin,  côte à côte, père et fils. L’un faux, l’autre, véritable héritier !

Marie manqua d’avaler de travers en les apercevant. Elle se garda de tout commentaire, se contentant de lever les yeux au ciel et de soupirer. Décidément, elle copiait sur Awena quand il était question d’exprimer son mécontentement. Pourtant, elle ne prononça aucun propos acerbe. L’ancêtre encore une fois brillait par son absence. Sapristi observait la famille Petitbond du coin de la pupille et Merlin ne savait comment interpréter la lueur qu’il y voyait grandir. Enfin Lilwenn arriva avec une soupière, remplie d’un potage conconcté avec les légumes du jardin.

Une fois les assiettes remplies, elle se posta au bout de la table, visiblement prête à faire une déclaration officielle.

« N’attendez pas Madame Awena, elle ne mangera pas avec vous ce soir. »

Ce n’était pas très gentil, mais Merlin se sentit soulagé par cette nouvelle. Et puis sur un ton de tragédienne grecque, la cuisinière ajouta : « Madame est dérangée. »

Ces trois mots qui auraient dû susciter une certaine compassion pour la vieille parente n’eurent pas du tout l’effet escompté. Léonard tout en portant à sa bouche une cuillère du potage vert très odorant, ne put s’empêcher de commenter.

« Depuis le temps que je le dis ! Vous voyez même Lilwenn est de mon avis ! »

La cuisinière mit un certain temps à réagir, puis s’empourpra. Elle déclara très gênée.

« Madame a des problèmes de digestion. » Elle répéta de « digestion ». Sapristi visiblement furieux s’approchait dangereusement de Léonard. Merlin l’intercepta et le posa sur ses genoux avec une autorité dont il ne se serait jamais cru capable. Le félin se débattit un peu, mais finit par céder. Il devait brosser l’héritier dans le sens du poil. Ce dernier d’ailleurs lui caressait le haut de la tête juste entre les deux oreilles. Et il devait l’avouer, c’était là son talon d’Achille. Depuis qu’il était devenu chat, cela le rendait tout miel.

« Bref, mémé a la gastro !" s’écria Léonard, en vidant avec entrain son plat.

Merlin sentit le corps de Sapristi se crisper. Le chat ressemblait à un éclair prêt à décharger sa puissance sur son père. Il poussa un miaulement qui se passait de traduction, et montra sa collection d’incisives aussi pointues que des poignards. Merlin les voyait déjà s’enfoncer dans la chair de Léonard. Il redoubla de douceur auprès de l’animal tout en lui soufflant à l’oreille.

« Ne lui faites pas de mal, votre majesté, c’est mon papa. »

Mais un petit garçon pouvait-il interdire à un roi de faire de ce qu’il voulait ?

Contre toute attente, ce fut la mère de Merlin qui s’attaqua à Léonard, avec des mots certes, mais des mots aussi blessants qu’une lame.

« Tu ferais mieux de retourner jouer les guignols dans la forêt, plutôt que de te moquer d’une parente âgée et malade. Sans la générosité d’Awena, où serais-tu ?

- Je m’en passais très bien jusqu’ici de sa générosité, et toi aussi d’ailleurs. Seulement voilà madame s’est embourgeoisée. La vie de manoir, lui plait. Adieu food truck !

- Je fais une pause, rétorqua-t-elle piquée au vif.

- Une pause, une pause…mais tu n’as même pas commencé.

- Je ne me lance pas dans des projets sans lendemain, moi. Je ne suis pas une saltimbanque. »

C’était une joute cruelle, qui donnait la nausée au garçon et lui faisait monter les larmes aux yeux. Chaque phrase aiguisée effaçait un beau moment de tendresse. « Saltimbanque », ce mot qui sonnait à présent comme un reproche, laissa Léonard sans voix. C’est parce qu’il était un « saltimbanque », que Marie était tombée amoureuse de lui. Cet amour se conjuguait-il désormais au passé ?

« Assez ! » hurla Lilwenn.

Elle ajouta d’un ton plus calme.

 « Pas devant le petit. Madame Awena est vraiment mal. Le jardinier est aussi malade, même symptômes.»

L’ancêtre avait-elle été empoisonnée par l’espion redouté ? La cuisinière était-elle de mèche ? Merlin repoussa son plat discrètement. En tout cas, il lui était reconnaissant d’avoir mis fin à cette éprouvante scène de ménage. Quant au jardinier, cela l’éliminait de la liste des suspects, pensa Merlin, à moins qu’il ne joue la comédie pour être mis hors de cause.

« Est-ce que ça voudrait dire que… »

 Sapristi n’acheva pas son miaulement. Il quitta les genoux du garçon et fonça hors de la pièce comme si un danger imminent l’obligeait à fuir. Pourquoi l’état de santé de Tugdual le bouleversait-il autant ? Merlin sentit aussitôt une boule se former dans sa gorge. Il avait du mal à avaler. Un poids vint se poser au niveau de son estomac. Pourtant, il n’avait quasiment rien mangé. Le silence était revenu, mais la tension entre ses parents demeurait intacte.  Il sursauta, quand la sonnerie rigolote du portable de son père retentit. Ces notes joyeuses sonnaient si faux dans l’océan d’amertume qui baignait la pièce. Elles constituaient un douloureux décalage. Son père décrocha et salua son interlocuteur par un jovial « Bonsoir, j’attendais ton appel ! ». Sans un mot, il quitta le repas laissant le garçonnet et sa mère en tête à tête.  Merlin  avait à présent du mal à respirer, il se sentait oppressé. Sur l’écran du téléphone de son père, il avait eu le temps de lire le nom du correspondant : « Morgane ! »

Vous devez être connecté pour laisser un commentaire.
Baladine
Posté le 21/03/2022
Bonjour Laure,
Ohh Morgane qui appelle Léonard, oh la vilaine ! Très belle tension entre les parents vécue du point de vue de l'enfant. L'effet sonnerie rigolote est très réussi.
Je vais lire la suite !
A très vite
Claire
Laure Imésio
Posté le 11/04/2022
Bonjour Claire,
Merci pour de prendre le temps d'échanger et de livrer tes impressions sur le vif...c'est une précieuse boussole pour continuer l'écriture. A bientôt.
Hortense
Posté le 10/03/2022
Bonjour Laure,
Ce nouveau découpage fonctionne très bien. Il y a de l’émotion, de la tension, du suspense et, comme toujours, beaucoup d’humour.
Ne change rien !
À très bientôt.
Laure Imésio
Posté le 12/03/2022
Bonsoir Hortense,
Merci beaucoup, tes conseils me sont vraiment très précieux. J'hésite souvent sur la longueur de mes chapitres en essayant de tenir en compte l'unité d'action, les lecteurs et aussi le support numérique. C'est très enrichissant de pouvoir échanger. Merci encore pour ta bienveillance.
sifriane
Posté le 03/03/2022
Coucou,

La relation entre Merlin et son père est touchante.
En revanche celle de ses parents commencent à devenir louche dans le contexte. Et si quelqu'un tentait de les faire déguerpir du domaine ? Mystère.
Très bon suspense à la fin, les ennuis arrivent.
Je sors un peu du cadre de l'histoire, mais je me demande une chose depuis quelques temps, sur la filiation entre Marie et Awena. Est-elle la petite fille d'Awena la vraie, ou de Guenièvre, si celle-ci a bien pris la place d'Awena. Désolée, je me pose trop de questions.

A bientôt :)
Laure Imésio
Posté le 12/03/2022
Bonsoir Sifriane,
Merci de poursuivre ta lecture, d'autant plus que tu es en pleine écriture ! Dans mes projets, Marie est bien la petite fille d''Awena. J'hésite encore sur le sort que je lui réserve. Guenièvre n'a pris que son apparence aux yeux du monde grâce au sortilège de Merlin. Il s'est arrangé pour faire disparaître l'authentique. Peut-être pas définitivement. A bientôt. :)
Romanticgirl
Posté le 25/02/2022
Bonjour Laure,
Juste quelques mots pour te dire que je préfère ce nouveau découpage, les chapitres sont plus courts et plus percutants. Je ne sais toujours pas qui est Morgane. J'attends la suite.
A bientôt !
Laure Imésio
Posté le 27/02/2022
Bonjour Romanticgirl,
C'est très gentil d'avoir pris la peine de revenir sur ce chapitre et de m'aider à trancher dans le découpage. A très bientôt.
Vous lisez