Axel journaliste

Une nouvelle habitude naquit. Les Nouvelles lidennoises étaient publiées tous les matins à neuf heures. Axel récupérait son travail dans la journée et le rapportait le soir même. Le lundi, il en profitait pour déposer son loyer à l’agence. La gérante le voyait arriver et l’accueillait toujours d’un grand sourire. Il allait parfois se promener l’après-midi. Il fréquentait toujours le même parc, dans lequel il avait retrouvé les Langlois. Mars s’installait devint avril. Les feuilles apparaissaient sur les arbres, les tulipes pointaient le bout de leur nez. La fontaine fut remise en eau. Les femmes sortaient leurs ombrelles. Un après-midi, il croisa M. Langlois au détour d’une allée. Le petit chien qu’il promenait se précipita vers Axel, qui l’avait apprivoisé, mais son propriétaire le ramena au pied d’un coup sec sur la laisse, sans répondre au salut d’Axel. Le courrier du soir lui apporta une courte lettre qui prétendait que son père aurait été honteux de sa conduite et qu’il ne serait plus accueilli chez eux. Le toupet de l’homme le laissa sans voix. Il brûla la lettre dans le fourneau. La cuisinière se refusa au moindre commentaire.

Son travail dura tout le printemps. La traduction était rarement passionnante, mais elle lui donnait accès aux nouvelles du pays. Les Oficiella Meddelanden étaient écrites d’un ton pompeux et soumis à l’impératrice qui avait toujours fait soupirer sa famille. Il en faisait un soutien discret et constant et critiquait en sous-main les nationalistes. Madame de Malaterre était très satisfaite.

– Vous vous débrouillez bien, Ingasson, déclara la secrétaire en écho. Nous avons reçu une lettre d’une Mme Gertrudsdottir qui se félicite de pouvoir avoir des nouvelles de son pays, et elle n’est pas la seule.

– Merci, madame.

– Mme de Malaterre veut vous confier une nouvelle mission.

Sans donner plus de précisions, elle l’introduisit dans le bureau de la directrice.

– Ah, vous tombez bien, vous. J’ai besoin de quelqu’un pour couvrir la campagne de Mme de Manze. Violette a déclaré que votre prédécesseuse au poste ne lui convenait pas. Elle donne une réunion cet après-midi. Vous m’en ferez un compte rendu, et nous verrons comment vous vous en sortez. Aurélie, faites-lui une carte.

Sans plus d’explications, elle le congédia.

Toujours efficace, Aurélie sortit un formulaire dès leur retour à son bureau.

– Remplissez-moi ça.

Il nota Dautrieux comme nom, puis s’appliqua à répondre aux questions d’état civil.

– Je ferai passer votre demande en prioritaire. Vous passerez ici dans deux heures, avant de partir pour la réunion. Quatre heures, rue des bouchères.

– C’est entendu.

Deux heures plus tard, une commise lui remit sa carte officielle. Il partit pour le lieu de réunion.

– J’ai été envoyé par les Nouvelles Lidennoises, se présenta-t-il à l’entrée, montrant sa carte.

– Entrez. Madame de Manze voudrait vous parler. Couloir de gauche, troisième porte.

Le théâtre dans lequel se tenait la réunion n’était pas très grand, mais était situé en plein dans les quartiers les plus aisés. Axel aperçut une mer de chapeaux à plumes parmi le public. Il prit le couloir indiqué par le garde et se retrouva dans les coulisses. Il toqua à la porte indiquée. Une petite bonne vint lui ouvrir.

– Axel Dautrieux, pour les Nouvelles Lidennoises.

– Le journaliste, madame.

– Ah ! Vous tombez à pic.

Violette de Manze se tenait devant sa coiffeuse et rectifiait ses bijoux. Ses yeux bleus rencontrèrent ceux d’Axel dans la glace. Ses boucles châtain clair coulaient autour de son visage fin, retenues au sommet de son crâne par un chignon compliqué, dans lequel elle avait planté un peigne doré. Des taches de rousseur parsemaient ses pommettes et son petit nez pointu sur sa peau presque translucide. Quelques rides encadraient ses yeux. Elle portait une robe très couvrante, d’un bleu sombre, décorée de broderies et de dentelles. Lorsqu’elle se leva, il réalisa qu’elle était bien plus petite que lui. Il serra la main aux doigts couverts de bagues qu’elle lui tendait.

– Enchantée de faire votre connaissance, Mondamoiseau. Sophie m’a un peu parlé de vous. Elle a dit qu’elle vous estimait parfaitement capable de ce travail. J’espère que je pourrais en dire de même.

Elle épingla un chapeau minuscule sur son chignon.

– Julie vous donnera le texte du discours, de sorte que vous n’aurez qu’à noter les réactions des spectateurs. Si votre récit me convient, vous aurez le droit de m’accompagner en campagne.

– Merci, madame.

Un homme entra dans la pièce. Son mari, supposa Axel.

– Tu es prête, chérie ? Nous t’attendons.

– J’arrive.

Elle s’en fut sans un regard pour sa bonne ou le journaliste.

– Le discours, Mondamoiseau. Mondamoiseau devrait se rendre dans la salle avant le début de la réunion.

Il s’empressa d’obéir, emportant le texte qu’elle lui confiait.

La salle était presque comble. Il resta au fond de la salle, observant le public. Beaucoup de dames couvertes de bijoux, parfois accompagnées d’un homme. Quelques figures plus populaires, surtout des domestiques, dans leur meilleure tenue. Toutes attendaient impatiemment la venue de l’oratrice.

Lorsqu’elle entra sur scène, elle fut saluée par des applaudissements chaleureux. Mme Langlois n’avait pas tort. Son discours reposait sur la préservation des valeurs qui avaient fait l’Empire et lui donnaient sa force. Elle soulignait la vaillance de l’impératrice dans un monde hostile et conclut sur la nécessité de rendre gloire aux dieux, ce qui déclencha des exclamations enthousiastes. Rien de bien neuf, et pourtant… Elle avait une manière de s’exprimer remarquable et une présence sur scène extraordinaire. Une toute petite femme, pourtant si pleine d’énergie. Lorsqu’elle évoquait les réussites de l’Empire, on imaginait aussitôt les bateaux chargés de fruits exotiques venus des colonies, l’emprise de Lidennes sur la carte, les armées occupant des territoires lointains et les millions de citoyennes vivant en paix. Elle reçut un tonnerre d’applaudissements. Elle répondit aux questions des spectatrices avec panache, faisant preuve d’une solide culture. Axel resta dans la salle jusqu’à ce qu’elle soit vide, puis il se faufila dans les coulisses.

– Madame ne reçoit personne, affirma la petite bonne à la porte.

Il dut s’en retourner bredouille.

La réunion tourbillonnait dans son esprit sur le chemin du retour. Les mots de l’oratrice se mêlaient à l’article qu’il commençait déjà à composer. Comment rendre cette énergie formidable ? L’emportement des cœurs ? Il s’enferma chez lui et écrivit son article d’un jet, porté par les émotions ressenties sur le moment. Il ressortit ensuite le texte du discours. À plusieurs endroits, elle avait dévié du texte établi, remplaçant au pied levé un mot par un autre qui sonnerait mieux. Il plaqua sur le texte les émotions constatées des spectatrices et étudia longuement le résultat. Il paraissait évident, une fois l’excitation retombée, qu’elles avaient été prévues dès la rédaction. Il lui semblait qu’il fallait une bonne dose de confiance en soi pour savoir, avant même de connaître son public, comment celui-ci réagirait-il.

Il se rendit compte de l’heure et se précipita au journal porter ses écrits. Aurélie les accueillit avec un petit pincement de lèvres réprobateur.

– Nous n’attendions plus que vous. Vous avez vos brèves aussi ?

– Tout est là.

Elle compulsa la liasse de feuille. Son expression s’adoucit.

– Merci. Ce sera publié demain. Passez à huit heures et demie, vous aurez votre exemplaire tout chaud sorti des presses.

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