Visites au journal

Il se présenta aux Nouvelles Lidennoises sous son nouveau nom, armé d’un dossier épais. Il prétexta avoir une série d’articles à présenter à la rédactrice en chef. La secrétaire le dévisagea, puis lui fit signe de la suivre. Au temps pour Madeleine, songea-t-il.

Elle le conduisit au bureau de Mme de Malaterre et l’y introduisit. Sophie de Malaterre surprit Axel. Elle ne correspondait en rien à la femme qu’il s’était imaginé. Elle était presque maigre, très blonde, les yeux bleu clair, vêtue d’un gilet et d’une jupe-culotte.

– Que voulez-vous ? Je suis très occupée.

Il lui tendit une enveloppe.

– J’ai pensé, madame, que ceci pourrait vous intéresser.

Elle décacheta le pli et commença à lire. Elle s’interrompit cependant bien vite.

– Est-ce une blague ? C’est un article que j’ai publié la semaine dernière ! Je n’aime pas que l’on vole le travail des autres !

– Regardez la date du cachet de la poste, madame, suggéra Axel.

Elle retourna l’enveloppe et resta un instant silencieuse.

– Pouvez-vous m’expliquer ?

– J’ai écrit ces articles. Je les ai signés et je me les suis envoyés avant de les confier à Mlle Langlois, qui les a fait passer pour sien. (Il lui tendit le brouillon en suédois que Madeleine avait aperçu, lorsqu’elle était venue pour la première fois.) Tenez, comparez l’écriture.

Elle étudia longuement sa graphie. Enfin, elle reposa les deux feuilles et l’étudia du regard.

– Vous êtes suédois ? lui demanda-t-elle dans cette langue.

– Ja. Mais mon père était lidennois, répondit-il, revenant à la langue commune.

– Je vois. Ça explique votre absence d’accent. (Un silence.) Vos articles se sont très bien vendus. Mlle Langlois vous a-t-elle donné le paiement que je lui en avais fait ?

– Non. Elle me paie mon loyer.

– Je vois, répéta-t-elle. Et maintenant que vous vous êtes séparés, vous n’avez plus un sou…

Il garda le silence. Elle sourit.

– C’était assez facile à deviner. (Elle reprit l’enveloppe.) J’imagine qu’Inga est le nom de votre mère ?

– Oui.

– Très bien. Je vous mets à l’essai, Ingasson. Vous me terminerez votre série sur votre pays, puisqu’il vous manque deux articles, et je vous paierai une avance si vous me les rendez dans trois jours.

Il accepta volontiers.

Il resta enfermé dans son appartement les trois jours suivants. Il reprit les lettres de sa sœur, à l’affût de nouveaux sujets. Il ressortit Le voyage de Niels Holgasson pour s’inspirer des descriptions. La cuisinière d’à-côté lui fournissait une quantité de petits plats délicieux. Lorsqu’il ne pouvait plus voir son écriture en peinture, il se réfugiait dans les communs et l’observait préparer les repas.

Trois jours plus tard, il fournissait ses deux articles à Mme de Malaterre.

– Excellent, jugea-t-elle à leur lecture. Vous avez un talent certain.

Elle les déposa sur une pile sur son bureau.

– Merci, madame.

– J’ai un boulot pour vous. Voudriez-vous traduire pour moi l’Officiella Meddelanden ? Je vous désignerai les articles à retravailler afin qu’ils correspondent à notre ligne éditoriale. Vous seriez payé à la ligne, comme les autres.

– Volontiers.

– C’est entendu. Aurélie !

La secrétaire fit son apparition.

– Trouvez-moi l’Officiella Meddelanden.

Elle revint en portant le journal.

– Voici, madame.

Mme de Malaterre ouvrit le journal et parcourut rapidement les colonnes, en cochant certaines.

– Si vous pouviez me faire une série de brèves sur ces sujets, à me rendre ce soir, pour que je puisse juger de votre style. Aurélie vous expliquera. (La secrétaire lui jeta un regard qu’il fut incapable de lire.) Aurélie, vous en profiterez pour lui donner deux fois la somme que vous donniez à Mlle Langlois.

– Bien, madame.

Ils sortirent tous les deux. Elle l’emmena dans son bureau.

– Pas plus de trois lignes par brèves. Nous n’avons qu’une colonne à vous offrir. Continuez à soutenir toujours la politique impériale quelle qu’elle soit, et pas de nationalisme régional.

Il hocha la tête. Elle ouvrit un tiroir, sortit un portefeuille et lui tendit un paquet de billets.

– Signez le reçu, s’il vous plaît.

Il s’exécuta. Elle secoua la feuille pour faire sécher l’encre.

– Merci. Vous pouvez disposer.

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