À l’heure dite, Axel se trouvait dans la rédaction. Il n’y avait jamais été aussi tôt. Quelques journalistes traînaient devant leur machine à écrire et ne lui prêtèrent aucune attention. L’ambiance était plus calme que ce à quoi il s’attendait.
– L’impression débute à sept heures, on ne peut plus rien changer ensuite, ça ne sert pas à grand-chose de rester ici, expliqua Aurélie lorsqu’il lui posa la question.
Il se passe rarement des choses capitales aussi tôt. L’avantage d’une publication matinale, c’est qu’on a toute la journée pour approfondir les évènements du jour, alors que les journaux du soir doivent se contenter des premières nouvelles, et qu’on est chez Mme Toulemonde à l’heure du petit-déjeuner. Tenez, l’exemplaire de la rédaction.
« Départ de l’impératrice pour Fribourg : que peut-on attendre de la rencontre avec Maximilien ? » s’étalait en première page. Son article était à la troisième.
« Réunion de la candidate conservatrice », par A. Dautrieux, sur deux colonnes. Il ne put s’empêcher de le lire. Les mots sonnaient exactement comme il les avait voulus. Il voyait renaître les sentiments qui avaient traversé la foule et la manière de se tenir en scène de Mme de Manze. L’article lui plairait.
On apporta le courrier. Aurélie tria les lettres et les prospectus et les apporta à sa directrice. Quelque temps après, elle revint avec les Officiella Meddelanden qu’elle confia à Axel.
– Puisque vous êtes là, trouvez-vous une machine libre et tapez-moi vos brèves, cela sera toujours ça de fait.
Il laissa les Nouvelles et partit à la recherche d’une place libre. Il s’installa en face d’une jeune femme brune qui ne lui accorda pas un regard, trop occupée sur son propre travail.
Le fonctionnement de la machine le laissa démuni. Il fallait visiblement mettre une feuille de papier quelque part, puis taper son texte sur un clavier dont la disposition lui paraissait complètement aléatoire. Et comment faisait-on quand on avait atteint le bout de la ligne ?
Il renonça. Un tiroir lui livra un encrier et une plume. Il déplia les Meddelanden.
– Besoin d’aide ?
Il manqua sauter au plafond. La jeune femme d’en face avait cessé d’écrire et l’observait.
– Excusez-moi, fit-elle. Je ne voulais pas vous prendre par surprise. Je vous voyais avoir des difficultés avec la machine.
– Je n’ai aucune idée de comment ça marche, avoua Axel.
– C’est très simple. Attendez.
Elle se leva et le rejoignit. L’explication fut très rapide. Une fois qu’on avait pris l’habitude, cela devait se faire tout seul. Il la remercia abondamment.
– Il n’y a pas de quoi. Vous êtes nouveau ici ?
– Pas vraiment, mais d’habitude, je travaille de chez moi.
– Oh, c’est vrai. On vous voit passer de temps en temps. (Elle lui tendit la main.) Je m’appelle Louise Bretonne.
– Axel Dautrieux.
Un silence.
– Bon, eh bien, je vais retourner au travail, fit Louise. Bon courage.
Elle alla se rasseoir. Le bruit de sa machine reprit avec régularité. Il admira un instant sa dextérité. Ne se trompait-elle donc jamais de touche ?
Il était un peu plus de dix heures lorsque Mme de Manze fit son arrivée dans un grand froufrou. Elle fut introduite chez la directrice. Aurélie vint chercher Axel quelque temps plus tard, sous le regard étonné des autres.
– J’ai beaucoup aimé votre article, déclara l’oratrice une fois qu’ils se retrouvèrent tous dans le bureau.
– Merci, madame.
– Je pense que vous avez toutes les caractéristiques pour être mon chargé de campagne.
Il sentit son cœur accélérer et risqua un coup d’œil à la directrice. Mme de Malaterre affichait un petit sourire.
– Ce serait un plaisir, madame.
– Qu’en pensez-vous, Sophie ?
– Je ne peux que me réjouir que vous ayez trouvé quelqu’un qui vous convienne.
– C’est entendu, alors, fit Mme de Manze.
Elle lui donna rendez-vous sur le quai de la gare deux jours plus tard pour une visite en province et le laissa retourner à sa place. Louise montra plus d’intérêt que lors de sa première arrivée.
– Que voulait-elle ?
– C’est moi qui ai écrit à son sujet, répondit-il simplement.
– Vraiment ? Comment est-elle ?
Elle posa les coudes de chaque côté de sa machine et cala son menton dans ses mains jointes au-dessus.
– Très bien. Un peu distante.
– Ce n’est pas étonnant. C’est la belle-sœur de la patronne, mais elle nous considère comme ses laquais. Geneviève, la précédente au poste, s’est fait traiter comme une vieille chaussette.
Elle s’interrompit en voyant paraître l’oratrice et la secrétaire, qui se saluèrent avec force politesse et se séparèrent. Elle ne lui prêta pas attention. Il se remit à taper ses brèves, puisqu’il n’en était pas libéré.
À midi, on vit revenir les reporters partis à l’aventure, tandis que les employées de bureau rangeaient leurs affaires.
– Vous êtes libre ce midi ? Demanda Axel à sa camarade en la voyant se lever.
– Euh, oui. Mais je dois être de retour dans une heure.
– Je vous invite. Pour vous remercier pour votre aide.
– Ce n’est pas la peine, voyons. C’est tout naturel.
– Cela me ferait plaisir, insista-t-il.
Elle hésita. Il attendit qu’elle réponde.
– Bon, si vous le voulez, mais vous n’êtes pas obligés.
– Très bien. Vous avez une idée de là où vous voudriez aller ?
– Il y a un restaurant où nous allons souvent entre collègues pas très loin d’ici.
– Vous me guiderez.
Ils sortirent ensemble.