Klaus

Zéphyr se réveilla le premier, il sortit de sa tente. L’air était sec et frigorifiant au petit matin. La neige crissa sous ses pieds. Leurs compagnons rayés faisaient leur toilette commune. Erin, elle aussi sortit de sa tente, les cheveux en bataille, emmitouflée dans une grande cape violette en laine d’orimal joufflu.

— Bonjour, Zéphyr ! Bien dormi ?

— Bonjour, Erin ! À part les ronflements d’Ergad… ça va, je suis bien assez reposé. Et toi ?

— Margod a ronflé aussi, soupira-t-elle.

Zéphyr rit du nez en voyant sa mine déconfite.

— Allons donc réveiller tout ce petit monde, ne perdons pas trop de temps. Puisque nous sommes sur les terres glacées de Groënleenne, nous allons tenter de voir le vieux Klaus aujourd’hui.

 Erin se glissa à l’intérieur de sa tente, tandis que Zéphyr entra dans la sienne pour réveiller le ronfleur et ses acolytes. Sliman dormait en boule à gauche de l’entrée tandis qu’Ergad et Tewenn sommeillaient dos contre dos, à sa droite. Zéphyr posa une main sur l’épaule de Sliman, celui-ci se retourna en s’étirant tel un gros chat et lui sourit. Il semblait de bonne humeur. Zéphyr alla ensuite tapoter la main de Tewenn, pour le charger de sortir son ami des bras de Morphée. Puis il réveilla Morgan. Une fois tout le monde debout, ils déjeunèrent avec les derniers petits gâteaux de la sorcière.

— Qu’est-ce qu’ils sont délicieux ! Elle cuisine vraiment à merveille cette Baba ! s’exclama Elysandre en s’empiffrant comme une enfant affamée.

— Tu sais la magie y est pour beaucoup, ricana Sliman. Mais, il faut tout de même une grande maîtrise pour en faire de cette qualité. D’ailleurs, ses recettes ressemblent beaucoup à celles que mon oncle et ma tante m’ont transmises. Mais nous, on utilise nos mains pour les faire.

— Tu vis toujours chez eux ? C’est bien ça ?

— Oui…

Le silence s’installa. Sliman semblait tout à coup un peu plus morose. La jeune fille n’osa pas continuer à le questionner. Elle termina son dernier biscuit sans rien dire et but une grande gorgée à la gourde que Zéphyr lui tendit avec un sourire compatissant.

Ils démontèrent ensuite les dômes, roulant en petites boules les toiles qui les composaient. Tewenn dispersa les pierres pour ne pas laisser de traces trop visibles du campement. Elysandre restait réservée, elle avait bien tenté de faire la conversation au petit-déjeuner, mais l’acclimatation à ce nouveau monde était encore difficile. À son réveil, elle pensait juste avoir rêvé de tout ça. Elle avait eu un choc en réalisant que tout était bien réel.

— D’après mes notes, nous devons continuer plus en direction du nord pour atteindre l’atelier du vieux Klaus, les informa Margod.

Zéphyr aida d’une main Elysandre à monter derrière lui sur Bélil. Ils emboîtèrent le pas à Margod et Erin chevauchant avec allure les zèbres multicolores Mélina et Anil. Ces deux zèbres formaient un couple uni et complice. Carambole surmonté de Sliman et Morgan trottait aux côtés de Zéphyr et Elysandre. Ergad et Tewenn fermaient la marche comme souvent depuis leur départ. Ils avaient laissé derrière eux le mont Osmana. Au bout de deux heures de trot dans la neige, ils firent une pause, le soleil commençait à être haut dans le ciel. Ils étaient arrivés au bas d’une grande colline. D’après Margod, l’atelier du vieux sage se trouvait de l’autre côté de celle-ci. Ils repartirent au bout d’une bonne demi-heure, au pas. L’air était de plus en plus vif au fur et à mesure qu’ils prenaient de l’altitude, chacun avait revêtu sa cape en laine d’orimal. Elysandre s’était glissée sous celle de Zéphyr. Morgan portait une cape prêtée par Ergad. Le passage devenait de plus en plus difficile à travers les conifères millénaires et entremêlés.

La pente devenant trop escarpée, tous avaient mis pied à terre. Tewenn et Ergad fermaient la marche un peu en arrière. Margod cria « Attention ! Tewenn ! » Il s’arrêta, leva le nez pour voir ce qu’elle voulait lui dire et s’affala dans la même seconde, emporté par une branche morte tombée des arbres le surplombant. La surprise l’avait déséquilibré. Un pas de plus et il l’aurait prise sur la tête. Dans sa chute, il se brisa le poignet droit. Il hurla de douleur. Ergad l’aida à se relever après avoir ôté la branche de leur passage. Ils s’assirent sur un rocher plat. Erin revint sur ses pas, afin d’examiner le poignet de Tewenn. Elle lui donna à boire un élixir de sa composition, contre la douleur, puis elle se releva à la recherche d’un morceau de bois qui servirait d’attelle. Tewenn gémissait de douleur en se retenant de lâcher quelques larmes. Il voulait rester digne devant Ergad et les autres, en espérant que le calmant agirait vite. Erin remit le poignet en place en deux mouvements rapides qui arrachèrent des hurlements stridents au jeune nergaléen.

— Pardon, je suis désolée, mais c’était indispensable… Si les os n’étaient pas remis en place tout de suite, les tissus autour allaient continuer de se détériorer et surtout risquaient de commencer à se réparer avec le poignet de travers… et là, il aurait fallu recasser le tout pour le rétablir dans la bonne position. Tu sais bien que nous cicatrisons très vite…

— Oui, oui…, souffla le blessé.

La guérisseuse confectionna une pâte avec de l’argile verte et un liquide ambré. Elle déposa un carré d’étoffe magique sur l’ensemble pour maintenir le cataplasme. Erin sortit ensuite une petite bande du même tissu pour maintenir l’attelle en place. L’étoffe se rétracta aussitôt tout autour du poignet. Tewenn observa son poignet en espérant qu’il pourrait tout de même continuer à exercer son pouvoir pour faire léviter les pierres. Il ne pouvait plus bouger la main, l’attelle lui empêchait tout mouvement de rotation.

— D’ici demain soir, je pourrai t’enlever l’attelle, le rassura Erin.

 Ils repartirent dans la foulée, il ne fallait pas perdre plus de temps. Morgan observait, passionné, la faune sauvage qu’ils croisaient. Ici, un lynx guettant une proie dans les fourrés. Là, un renard des neiges sautant dans la poudreuse pour attraper un petit rongeur pour son repas. Plus loin, il aperçut une petite troupe de souris qui couraient avec des noix et des glands dans leur gueule. Un écureuil leur courait après en couinant. Il éclata de rire devant ce spectacle.

— Ce sont des souris voleuses, Morgan. Vous n’en avez pas chez vous ?

— Ah non ! J’ai jamais vu ça, rigola-t-il.

Parvenus enfin en haut de la colline, le spectacle était à couper le souffle. Un étang gelé s’étendait à cinq cents mètres du pied de la colline. La forêt de conifères continuait de s’étendre sur leur droite. Au bord de l’eau, on pouvait voir une grande bâtisse aux murs rouges, aux fenêtres blanches à petits carreaux. Le toit à double pente recouvert de neige se détachait à peine du reste du paysage. Des ânes blancs et des rennes paissaient dans un enclos accolé à la maison. Le fameux atelier du vieux Klaus était là devant eux.

Ils descendirent avec précaution, le versant était plus abrupt de ce côté-ci. Ils étaient descendus de leurs montures pour ne pas tomber en passant par-dessus leurs têtes. Une heure plus tard, arrivés au bas de la pente, ils remontèrent en selle et parcoururent les dernières centaines de mètres à dos de zèbres.

Zéphyr fit tinter la petite cloche accrochée à la porte du grand chalet rouge. Le vieux Klaus ouvrit la porte quelques secondes après, un lutin du bois de Loch sur ses talons. L’Ancien était vêtu d’un vieux pantalon marron et d’une grosse veste rouge. De ses cheveux blancs bouclés tout ébouriffés dépassaient deux grandes oreilles bleu clair et pointues. Sa longue barbe blanche lui arrivait à la ceinture, il l’avait tressée. Il aperçut la petite troupe de Nergaléens, accompagnés de zèbres Ensi et plus surprenant encore de jeunes humains. Il plissa les yeux et sourit néanmoins.

— Bonjour, mes amis ! Que venez-vous faire si loin de vos chaumières ?

— Bonjour, Klaus ! Je suis Zéphyr, mes amis et moi sommes en mission pour Hywel. En parcourant les pages du grimoire d’Ancelor d’Inegard, j’ai appris que vous étiez un de nos Anciens. Peut-être pourrez-vous nous aider à comprendre l’énigme de notre chère nymphe.

— Ho ! Ho ! Ho ! C’est bien possible ! Entrez donc ! Nous serons mieux au chaud pour discuter. Je sens qu’une tempête ne va pas tarder. Et vous m’expliquerez pourquoi vous êtes accompagnés de ces deux jeunes humains. Puis s’adressant aux zèbres, le vieux Klaus leur proposa de se joindre à ses animaux dans l’abri attenant à sa maison, où il les accompagna.

Pendant ce temps, le lutin du bois de Loch tint la porte aux Nergaléens et aux humains. Ils se déchaussèrent dans l’entrée et posèrent leurs bottes devant l’âtre sur les conseils du vieux Klaus qui était entré à son tour. L’intérieur était illuminé de centaines de photophores multicolores, de nombreux lutins du bois de Loch s’affairaient autour d’une grande table. Ils fabriquaient et réparaient des jouets. L’Ancien les fit entrer dans la cuisine. Elle était spacieuse, mais encombrée de tout un tas de bric-à-brac n’ayant rien à faire dans une cuisine. On apercevait à peine la nappe sous les tas de livres de compte et de courriers de toutes les couleurs. Trois lutins s’activèrent pour rendre la table accessible en quelques minutes. Ils entassèrent le tout dans un coin en riant. Le vieux Klaus les remercia en leur offrant à chacun un bâton de sucre d’orge rouge et blanc. Ils disparurent à toute vitesse avec leur précieux butin.

— Installons-nous ici, je vais vous servir du lait d’ânesse chaud. Je ne connais rien de meilleur pour se réchauffer, dit-il avec bonhomie.

Une fois tous attablés, une bonne tasse de lait à la cannelle fumant devant eux, Zéphyr prit la parole. Il expliqua à Klaus les attentes d’Hywel et la présence d’Elysandre parmi eux. Puis, il parla de la tentative d’enlèvement de Morgan. L’Ancien écouta avec attention, sans rien dire. Les jumeaux aussi écoutèrent avec calme, ils entendaient pour la première fois la raison du voyage de leurs nouveaux amis. À la fin du récit du Nergaléen, le vieux Klaus prit la parole.

— Tout cela fait écho à de vieux souvenirs que ma mémoire défaillante m’empêche de retrouver avec précision. Il me semble que cela à un rapport avec la nymphe Koliana, mais je ne saurais vous en dire plus. Vous devriez allez voir Urielle l’ancienne, peut-être acceptera-t-elle de vous aiguiller, mais elle est d’humeur changeante ces temps-ci à ce qu’on m’a rapporté…

— Très bien, mais pourriez-vous nous indiquer où la trouver ? Je n’ai pas réussi à dénicher l’information lors de notre passage à la grande bibliothèque d’Hector, demanda Zéphyr.

— Oui bien sûr, elle habite par-delà la forêt ailée. Il va d’abord vous falloir passer l’étang des Longs Sanglots, juste derrière mon atelier. Je vous conseille de le contourner plutôt que de le traverser, même si cela va vous prendre beaucoup plus de temps. Les eaux ne sont pas sûres. Et surtout, n’écoutez pas vos oreilles, passez votre chemin en restant concentrés sur votre quête. De l’autre côté de l’étang, vous allez vous retrouver dans le royaume de Marla, la princesse des grands papillons bleus. Si vous lui plaisez, elle vous autorisera à traverser la forêt Ailée. Vous prendrez alors la direction du levant. Urielle vit en lisière de cette forêt dans une grotte sous-marine. En ce qui concerne Kaëlig, méfiez-vous d’elle, elle est très forte et très têtue. Il y a de grandes chances pour qu’elle retente d’enlever Morgan.

Le vieux Klaus, voyant l’heure, leur proposa de déjeuner avec lui avant de repartir. Ils acceptèrent avec plaisir.

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