Bananes flambées

La pluie s’est enfin arrêtée. Zoé arrive au café Jaune à l’heure. Olympe est debout devant l’entrée et l’attend pour entrer. Il n’y a plus personne à la terrasse, tout est détrempé et il fait presque froid, le trottoir est jonché de feuilles mortes glissantes qui s’entassent au pied des tables et chaises désertées. C’est triste et sale, il fait sombre, les seules sources de lumière viennent des fenêtres et de la porte d’entrée, qui projettent des rayons épars sur les pavés  luisants.

 

Zoé suit Olympe à l’intérieur du café où une foule joyeuse fête le début de la soirée. Les deux filles se faufilent en direction de la dernière table libre située au fond de la salle. Soudain Olympe s’arrête net, le visage pâle comme la mort. Zoé qui est derrière elle a juste le temps de stopper son élan avant de la heurter. Elles se trouvent devant une table où cinq jeunes hommes habillés en costume sont assis et échangent avec animation en dégustant des bières. Il reste une chaise inoccupée.

 

Brusquement, Olympe pousse délibérément Zoé au milieu du groupe des jeunes gens vers la chaise libre et Zoé, déséquilibrée, tombe maladroitement sur le siège. Aussitôt cinq paires d’yeux interloqués se figent sur l’intruse. Zoé, terriblement confuse, se met à rougir sous l’affront. L’un des jeunes hommes regarde autour de Zoé et aperçoit Olympe toujours aussi blanche et crispée.

 

  • C’est toi Olympe ? tu as poussée mademoiselle pour qu’elle tombe sur la chaise ? Tu es complètement malade ! Elle aurait pu se faire mal !
  • Oui, renchérit Zoé qui a enfin retrouvé ses esprits et la parole. Elle se tourne vers Olympe. Qu’est-ce qui t’a pris ? pourquoi as-tu fait ça ? Elle se relève. Je vous prie de m’excuser, poursuit-elle à l’adresse des jeunes gens, je suis vraiment désolée pour cet incident, c’était sans intention de ma part.
  • Ne soyez pas navrée, Olympe est parfois complètement dingue.
  • Vous êtes une amie d’Olympe ? reprend un autre jeune homme.
  • Pas tout à fait, répond Zoé.
  • Ne partez pas tout de suite, vous prendrez bien quelque chose pour vous remettre ?
  • Non je ne crois pas, je crois que je vais rentrer chez moi directement.
  • Zoé, intervient enfin Olympe, excuse-moi, je ne me suis pas contrôlée, j’étais en colère contre lui. Elle montre du doigt l’un des jeunes hommes. Viens, on va tout de même boire quelque chose avant que tu ne partes.
  • Certainement pas, je n’en ai pas du tout envie, répond Zoé d’un ton glacial.
  • Je t’en prie. Je vais tout t’expliquer. La voix d’Olympe devient hystérique.
  • Non merci j’en ai assez vu, au revoir.
  • Ce sont tous des hypocrites, poursuit Olympe, tu crois qu’ils sont tes amis mais ils te méprisent car tu ne fais pas partie de leur monde, tu n’es qu’un jouet entre leurs mains, tu ne comptes pas, tu es là juste pour les amuser. Quand ils ne veulent plus de toi ils te laissent tomber du jour au lendemain.
  • Salut Olympe, j’en ai assez entendu. Au revoir et bonne soirée tout de même dit-elle aux jeunes hommes qui ont désormais un sourire moqueur aux lèvres.

 

Zoé commence à se faufiler en sens inverse vers la sortie quand elle est bousculée par l’arrière par Olympe, hors d’elle, qui sort du café en gesticulant et en insultant toutes les personnes qui se trouvent sur son passage. Zoé s’est arrêtée et sent que quelqu’un lui a pris le coude, elle se retourne et voit le jeune homme à l’origine du coup de folie d’Olympe, qui l’invite à le suivre.

 

  • Venez donc un moment avec nous, Olympe vous a joué un mauvais tour, vous avez le droit de vous détendre un peu !
  • Non merci ça ne me tente pas du tout, de plus je comprends que c’est une source d’amusement pour vous, et je n’ai pas envie qu’on se moque de moi.
  • Je vous en prie, ne restez pas là, venez au moins quelques minutes, on va s’expliquer.
  • Je n’ai pas besoin d’explication, tout cela ne me regarde pas.
  • Laissez-moi au moins me présenter, je m’appelle Auguste et voici Paul, Arthur, Archibald et Alfred, poursuite-il en désignant ses compagnons du doigt. Et vous êtes Zoé, ai-je bien compris ?
  • Oui, c’est bien ça.

 

Auguste est si convaincant avec son discours enjôleur et ses yeux doux que Zoé finit par céder et vient s’asseoir à la table où elle commande une eau gazeuse pour se rafraîchir. Les jeunes gens se présentent tour à tour, ils sont tous consultants dans une grande société située dans une rue adjacente, et viennent prendre un verre ensemble après le travail le soir, avant de rentrer chez eux.

 

  • Un peu comme Zebediah doit le faire, se dit Zoé, qui ne peut s’empêcher de penser qu’ils sont tous vêtus à l’identique et que leur tenue ressemble plus à un uniforme qu’à un choix personnel.
  • Olympe est mon ex petite amie, explique Auguste, j’ai été obligé de rompre tellement elle est infernale et insupportable. C’est triste, c’est une pauvre fille, j’ai l’impression que ce type d’aventure lui arrive souvent. Elle n’a pas encaissé la rupture et depuis elle me harcèle. Ce soir était la dernière démonstration, je ne sais pas quoi faire pour m’en débarrasser, d’autant que cela fait plus de deux mois que c’est terminé, elle s’accroche inutilement. Je crois qu’elle veut se venger de moi, mais elle est pitoyable.
  • Comment la connaissez-vous ? demande Arthur avec curiosité à Zoé.
  • En fait nous ne sommes pas de vraies amies, nous nous sommes rencontrées par hasard à Paris, et Olympe a insisté pour qu’on se voit ce soir. Nous étions à l’école ensemble, nous habitions le même quartier, en province. Chacune de nous est montée à Paris pour trouver un job, mais sans jamais nous concerter.
  • C’est une amie d’enfance alors, précise Arthur.
  • Elle n’a jamais été mon amie, nous nous sommes perdues de vue dès que possible. Et vous, où avez-vous fait sa connaissance ? demande Zoé
  • Dans une soirée, explique Auguste. Ce jour-là, elle était particulièrement étonnante. Quand elle veut, elle peut être une fille brillante, pertinente. Et puis c’est vrai qu’elle a un look original avec ses vêtements de créateur, et qu’elle sort de l’ordinaire, on la remarque forcément tout de suite. Mais quel caractère, au bout d’un moment, on craque, c’est trop dur de supporter ses sautes d’humeur.

 

Zoé sirote son eau gazeuse et se rend compte qu’elle mourrait de soif. Soudain, les jeunes gens se déchaînent.

 

  • Et vous Zoé, que faites-vous ?
  • Vous habitez Paris ?
  • Vous travaillez où ?

 

Les questions pleuvent, Zoé se met à rire, toute la pression est retombée. Elle se surprend à raconter à ces cinq parfaits inconnus son aventure et le lancement de l’initiative qui se rapproche. Les garçons sont à la fois admiratifs et dubitatifs, ils n’évoluent pas dans les mêmes sphères et ne sont pas réceptifs aux difficultés rencontrées par Zoé, notamment financières. Mais ils saluent son courage et son engagement, et puis l’idée est peut être bonne. Zoé réalise que ces jeunes hommes, bien vêtus et bien élevés, ne sont pas très intrépides, ils préfèrent œuvrer dans une structure sécurisée qui les paie bien. Ils sont prêts à travailler un grand nombre d’heures pourvu qu’il n’y ait pas de risque que leur vie bascule du jour au lendemain dans l’inconnu. Et puis ils se ressemblent tous, on dirait des clones. Certes ils sont sympathiques, courtois, enjoués, ils plaisantent et c’est agréable de passer un moment avec eux. Mais Zoé n’est pas dupe, elle n’est pas convaincue de leur sincérité, elle sent en eux des chasseurs qui s’épient mutuellement, des hypocrites qui ne pensent pas ce qu’ils disent, qui ne disent pas ce qu’ils pensent, qui ne sont pas non plus ce qu’ils paraissent.

 

Plus elle y songe, plus Zoé ressent un certain malaise en leur présence, ils ne sont pas du même monde. Cela ne lui arrive jamais avec Zebediah, il doit être fait d’une autre matière, il est généreux. Ces jeunes gens là sont arrogants et méprisants, tout leur réussit alors forcément ils ont une haute opinion d’eux mêmes et de leurs capacités. Olympe voulait entrer dans leur cercle pour étinceler mais ils n’ont pas tardé à rejeter cette pauvre petite fille de province négligeable.

 

  • Je vais rentrer maintenant, dit Zoé à ses interlocuteurs, réalisant qu’elle n’a plus envie de poursuivre la conversation. Il est tard et je suis fatiguée. Je vous laisse finir votre soirée tranquilles, c’était sympa de faire votre connaissance. Hum, se dit-elle intérieurement, moi aussi je sais être hypocrite, ce qui la fait sourire inconsciemment. Elle se lève, ramasse son sac à main et enfile son manteau.
  • D’accord Zoé, rentrez bien. C’était sympa de faire connaissance.
  • Au revoir à tous.
  • Au revoir Zoé, à très bientôt.
  • Oh, on ne se reverra probablement jamais, mais c’était un bon moment !

 

Auguste se lève pour raccompagner Zoé à la porte du café. Il est intrigué par cette fille qui  ne ressemble pas aux jeunes filles qu’il fréquente habituellement. Zoé est naturelle, simple, et aussi très jolie, finalement elle est peu ordinaire. Mais c’est sa vitalité et son énergie qui sont le plus palpables et qui ont enchanté Auguste. Il se dit qu’il aimerait la revoir, et surtout dans son environnement, avec ses petites mamies, son chat et ses bonnes recettes de cuisine.

 

  • Tenez Zoé, voici ma carte, il y a mon numéro de téléphone, si vous avez envie de m’appeler.
  • Merci Auguste, je n’y manquerai pas, si toutefois j’ai quelque chose à vous dire ! Zoé rit et Auguste est totalement sous le charme.
  • Zut, se dit-il, ce n’est pas le moment de me laisser attendrir par une petite provinciale de rien du tout ! j’ai déjà eu assez de mal à me débarrasser d’Olympe. Et malgré lui, Auguste se penche vers Zoé et l’embrasse sur les deux joues de manière appuyée.
  • Au revoir, cette fois je me sauve.

 

Zoé sort sur le trottoir et ouvre son parapluie, il pleut à nouveau et la chaussée est inondée. Elle s’éloigne du café en direction du métro en marchant avec précaution pour ne pas glisser sur les pavés mouillés. Soudain, de l’ombre d’une porte cochère, surgit Olympe qui la guettait cachée à l’abri des regards, et qui se précipite sur elle. Zoé fait un grand bond de côté sous l’effet de la surprise.

 

  • Olympe, mais que fais-tu encore là ?
  • Zoé, je t’attendais, pourquoi as-tu mis autant de temps à sortir du café ? qu’est-ce que tu faisais ?
  • Tes amis m’ont invitée à leur table, ils ne voulaient pas me laisser partir sans avoir parlé avec moi.
  • De moi ?
  • Oui et d’autres choses.
  • Mais ils ne t’ont pas dit toute la vérité !
  • Je sais qu’Auguste était ton petit ami.
  • Il t’a raconté qu’il m’a larguée du jour au lendemain, sans explication, comme un objet qu’on jette à la poubelle quand il a cessé de vous plaire ou de vous servir ?
  • Oui j’ai compris ça. Apparemment il te trouvait collante et il ne supportait plus ton caractère. Mais ça c’est le cas d’un peu tout le monde, et ce n’est pas nouveau. Alors pourquoi me donner rendez-vous dans ce café où tu sais qu’il vient avec ses collègues ? Tu voulais te faire du mal ? eh bien c’est réussi, et tu m’en as fait à moi aussi. Soirée nulle, gâchée avec des inconnus, je ne te dis pas merci.
  • Je suis désolée, je me suis laissée emporter par ma colère.
  • Oui et tu t’es servie de moi, ça je ne peux pas l’accepter. 
  • Qu’est-ce que je peux faire pour me faire pardonner ?

 

Zoé regarde Olympe, elle est trempée d’être restée sous la pluie dans la rue. Ses cheveux mouillés sont collés sur son visage et ses beaux vêtements de styliste n’ont plus de forme, ses chaussures élégantes sont gorgées d’eau et son sac à main pend lamentablement à son poignet.

 

  • Tu es une sacrée garce, et personne ne peut te supporter. Ce soir tu m’as fait honte. Je ne sais même pas si ce n’est pas une maladie chez toi. Pourquoi ne te contentes-tu pas d’avoir du talent en couture ?
  • Tu ne supporterais pas d’être traitée comme il m’a traitée ! et puis qu’est-ce que tu en sais, toi qui n’es même pas amoureuse, de ce que je peux ressentir et du mal qu’il m’a fait ?
  • Oui c’est vrai, je ne peux pas comprendre. Maintenant Olympe, j’ai envie de rentrer chez moi après cette soirée pourrie, alors laisse-moi partir, on se reverra plus tard. Je suis fatiguée, bonsoir.
  • Attends Zoé, Olympe fouille dans son sac et en sort un petit paquet enveloppé dans du papier de soie. C’est pour toi, je te l’avais promis. Olympe s’approche et se penche vers Zoé, dégoulinante d’eau, l’embrasse sur la joue et s’éloigne sous la pluie.
  • Merci Olympe, bonsoir, dit tristement Zoé en regardant la jeune femme s’en aller. Quel gâchis cette soirée conclut-elle en prenant le chemin inverse vers la station de métro.

 

Quelques instants plus tard, bien au sec dans la rame, elle ouvre le paquet où elle découvre la plus adorable des petites bourses en peau, couleur abricot, fermée par un fin cordon tressé de fils de coton et de soie multicolores.

 

  • C’est trop mignon, Zoé ne peut s’empêcher de sourire devant ce joli cadeau. Olympe a du bon en elle, mais il faudrait gommer tout le mauvais pour en faire une personne vraiment fréquentable.

 

Zoé range le porte-monnaie dans son sac et s’appuie contre le fond du siège. Devant ses yeux défilent comme dans un film tous les événements de la journée, le garage, Louis, Léontine et ses sandwiches, Hassan et son sac de vêtements, Eugénie et Mousse, Zebediah, Olympe et Auguste, tandis qu’elle regarde sans les voir les affiches aux murs des stations de métro. Dans le flou qui s’installe dans sa tête, elle finit par éprouver une sorte de vertige et a la sensation d’être comme dans un bateau en mer secoué par les vagues.

 

  • Il faut que je jette mon ancre quelque part, je pars trop à la dérive, je ne maîtrise plus rien, se dit-elle en éprouvant malgré tout une satisfaction intense à la pensée de sa vie si riche et si bien remplie.

 

*

 

Le lendemain, c’est samedi. Zoé prépare sur son pc la maquette des affichettes qui seront distribuées sur le marché.

 

Louis et Zoé se sont enfin convaincus qu’il est nécessaire de décider de la date de lancement du Faitout Magique.

 

  • A force d’attendre on ne sait quoi pour démarrer, on ne commence jamais se lamentaient-ils tous.

 

Aussi Louis a-t-il convié chez Eugénie ce soir le premier cercle de l’aventure : Zoé, Eugénie, Léontine, Hassan et Zebediah. Ils seront rejoints par tous les membres, Sarah, Rose, et même peut être Gustave et Honoré qui veulent participer.  Le rendez-vous précédemment prévu chez Léontine a été déplacé.

 

  • Sommes-nous d’accord Zoé tous les deux sur ce que nous allons proposer à la réunion (car il vaut mieux venir avec une proposition !), avance Louis qui prend le leadership sur le sujet. Voici ce que j’envisage, si ça te convient : on démarrerait samedi prochain la distribution des tracts sur le marché et on lancerait le Faitout Magique le lendemain. Cela nous laisserait la semaine prochaine pour finaliser le garage, y mettre les provisions et régler les derniers ajustements du site, et également faire les ultimes compléments. Qu’en penses-tu ?
  • Louis, j’ai tout à coup la boule au ventre, mais oui je suis d’accord sur ce planning.
  • Puisque nous sommes sur la même longueur d’onde, tout va bien.

 

Zoé est très excitée. Elle sait aussi que Louis emmène dès aujourd’hui Hassan pour régulariser sa situation, il ne faut pas tarder, il y a urgence. Personne ne sait ce qui va pouvoir être négocié, tous espèrent que la solution sera favorable au jeune homme.

 

Elle envoie la maquette à Louis par messagerie pour sa validation, il manque juste la date à compléter lorsque celle-ci sera arrêtée, puis à commander l’impression. Zoé a déjà repéré un site sur internet qui réalise des reproductions pour un coût raisonnable.

 

Elle monte chez Zebediah pour lui parler de la télévision et du vélo. Zebediah ouvre la porte dès qu’elle a frappé un coup, il était presque certain qu’elle viendrait le voir de bonne heure. Il est prêt, en vieux jean et vieilles espadrilles déteintes.

 

  • Salut Zoé.
  • Salut Zebediah. J’ai deux services à te demander, un simple et un plus compliqué …
  • Le simple c’est quoi ? le compliqué je sais, Louis m’en a parlé, c’est le vélo.
  • Oui c’est exactement ça. Le problème simple, c’est notre télévision. On la regarde très peu mais là, elle ne fonctionne plus du tout, si tu peux juste jeter un coup d’œil.
  • D’accord, je prends mes outils, Louis a récupéré le vélo hier, il est dans la cour.

 

Zebediah suit Zoé chez elle. Manon s’est cachée sous le lit pour dormir, fuyant toute intrusion dans l’appartement pendant son sommeil.

 

  • Je t’offre un café ? Pendant que tu répareras le vélo je préparerai quelque chose pour le déjeuner, si ça te dit, tu peux passer en remontant.
  • Merci pour le café. D’abord je regarde la télévision, puis je m’occuperai du vélo, et bien sûr, c’est d’accord pour le déjeuner !

 

Après quelques manipulations autour de l’écran de télévision, Zebediah demande à Zoé si elle a un câble Ethernet.

 

  • Attends je cherche, je crois bien que oui. Elle ouvre portes de placards et tiroirs et finit par dénicher sous une pile de journaux un câble enroulé. Est-ce que ce serait ça ?
  • Oui, passe-le-moi.

 

En deux secondes, Zebediah effectue le branchement, clique sur la télécommande et la télévision se met en marche aussitôt.

 

  • Tu es un sorcier, dit Zoé en lui tendant la tasse de café bien chaude.
  • Non, il n’y a rien de sorcier, répond Zebediah en buvant le breuvage parfumé. Bon, je file m’occuper du vélo, merci pour le café. A tout à l’heure Zoé.
  • Merci pour la réparation, à tout à l’heure, répond Zoé.

 

Zebediah récupère son sac d’outils et descend dans la cour. Depuis la fenêtre, Zoé l’observe tandis qu’il renverse le vélo et l’examine sous toutes ses coutures. Quelques instants plus tard, elle le voit quitter la cour et s’éloigner en courant dans la rue. Elle ouvre le réfrigérateur à la recherche d’une idée pour le déjeuner.

 

  • Des blancs de poulet aux tomates, avec oignons, ail et quelques poivrons, un petit piment, c’est simple et rapide, et c’est bon. Elle sort les différents ingrédients sur le minuscule plan de travail et fait chauffer de l’huile d’olive dans la poêle, tandis qu’elle lave, émince et découpe les morceaux de volaille et les légumes.

 

Pendant que la préparation cuit et embaume la cuisine d’une odeur délicieuse, elle se penche à nouveau à la fenêtre et voit que Zebediah est revenu avec un sac de papier. Il a retiré les roues, et il passe le vélo au jet d’eau. Zoé sourit de le voir si pragmatique. Quelques secondes plus tard, elle ne sourit plus du tout, elle vient de voir Olympe se faufiler derrière la grille de l’immeuble et faire de grands gestes pour attirer l’attention de Zebediah. Celui-ci se redresse et s’approche du portail. 

 

  • Je savais bien qu’elle me trouverait tôt ou tard. Après ce qui s’est passé hier soir, elle exagère de venir si vite me relancer. Et pas de chance, je n’ai pas eu le temps de raconter à Zebediah qu’elle est folle et qu’il ne doit surtout pas lui ouvrir.

 

Zebediah a ouvert la grille et Olympe a pénétré dans la cour. Elle commence à parler avec lui alors qu’il se remet à arranger le vélo. Zoé recule doucement dans l’ombre de la fenêtre car Zebediah lève la tête et désigne du doigt l’appartement de Zoé. 

 

Avec un gros soupir, Zoé attrape quelques pommes et poires qu’elle épluche pour faire une compote tiède, avec beaucoup de cannelle et des raisins secs détrempés. Des noix et des noisettes viendront compléter ce dessert improvisé. Zoé attend presqu’à l’agonie le moment imminent où il lui faudra à nouveau être en tête à tête avec Olympe.

 

Une demi-heure plus tard, on frappe à la porte, tout est prêt pour le déjeuner. Zoé va ouvrir, la mort dans l’âme, se demandant ce qu’Olympe a bien pu soutirer comme informations à Zebediah pendant tout ce temps. Zebediah entre en premier dans l’appartement, suivi d’Olympe la tigresse. Zoé joue l’hypocrisie pour une fois, et simule la surprise :

 

  • Olympe, mais que fais-tu là ?
  • Je passais dans la rue et j’ai reconnu ton ami, Zebediah qui réparait un vélo. Alors je suis venue te dire bonjour, et te demander à nouveau pardon pour hier soir, maintenant que ma colère est retombée, et peut être aussi la tienne.
  • Je me demande si elle est sincère, songe Zoé, en regardant Zebediah poser son sac d’outils et se laver les mains dans l’évier. Je n’en crois pas un mot, mais je dois peut-être être plus généreuse.

 

Tandis qu’elle lève les yeux vers Zebediah, elle aperçoit son sourire et il lui adresse un clin d’œil. Olympe qui lui tourne le dos ne peut pas voir leur échange. Soulagée, Zoé comprend que Zebediah est son complice et qu’il ne l’a pas trahie. Elle sourit à son tour.

 

  • C’est oublié, dit-elle à Olympe, c’était une mauvaise circonstance, je ne veux plus y penser.
  • Merci. Ca sent très bon, dit Olympe, tu as préparé le déjeuner ?
  • Oui.
  • Tu m’invites ? j’ai une faim de loup rien qu’à humer ces odeurs de bonne nourriture et je me sentais si seule à la maison aujourd’hui, j’ai eu besoin de me balader. Je ne mange jamais rien qui sente aussi bon ! Olympe s’approche de la poêle et regarde la préparation qui mijote doucement.

 

Zoé hoche la tête devant l’air désespéré de Zebediah. En même temps, elle sait que Lucia sera furieuse d’apprendre qu’Olympe en quelques minutes a réussi à s’introduire chez elle et se faire offrir à déjeuner, surtout après la dispute de la veille.

 

  • D’accord, je rajoute une assiette. Zoé n’a toujours pas su trancher sur les bonnes ou mauvaises dispositions d’Olympe, et son bon cœur est incapable de résister à la détresse, ou pseudo-détresse de celle-ci. 
  • Oh ! tu as un chat ! Olympe regarde amusée Manon qui vient d’arriver par le couloir et qui entre dans la pièce principale. Manon regarde autour d’elle, constate qu’il n’y a rien ni personne qui l’intéresse, baille et s’en retourne dans le couloir sans plus de cérémonie après sa brève incursion.
  • Oui, c’est Manon, elle n’est pas toujours aimable.

 

Quelques instants plus tard, ils sont tous les trois assis sur le sofa autour de la petite table et se régalent du poulet rouge, que Zoé a accompagné de pain frais maison et de vin léger. La conversation est très générale, et tourne autour de la nourriture et du temps, sans allusion à quoi que ce soit de personnel. Après le dessert, Zoé sert les cafés.

 

  • Alors ce vélo, il était réparable ? demande-t-elle enfin.
  • Oui, il fonctionne. J’ai redressé quelques parties tordues, je l’ai lavé et j’ai changé les pneus et chambres à air, et les patins des freins, j’ai resserré deux ou trois trucs, et je pense qu’il est prêt. J’ai aussi mis une selle neuve. Tu as vu, il y a un panier devant.
  • Super ! quel travail tout de même ! Tu en as eu pour combien ?
  • Ne t’inquiète pas, c’est une toute petite somme, pas de souci.
  • Ah non je ne veux pas que tu paies, c’est pour nous ! Zoé s’arrête net lorsqu’elle voit le regard de Zebediah, c’est vrai, il ne faut pas en dire trop devant Olympe, et surtout ne pas se disputer.
  • C’est pourquoi ce vélo ? demande aussitôt Olympe.
  • Pour faire nos courses, répond Zebediah du tac au tac.
  • D’accord. Je comprends, vous êtes un peu loin de tout ici, pour vous déplacer ce sera plus pratique.
  • Absolument, nous nous prêterons ce vélo les uns les autres pour nos achats de provisions diverses, aux marchés et autres supermarchés.

 

Zoé admire la répartie de Zebediah, et se dit qu’il doit avoir l’habitude de donner le change avec ses clients lorsqu’il travaille, et finalement elle réalise qu’il y a beaucoup d’hypocrisie dans les relations qu’on peut avoir avec les autres, et qu’on ne sait jamais tout à fait qui ils sont vraiment ni ce qu’ils pensent réellement. Même Zebediah qui paraît si lisse et si franc est capable de mentir, ou de déguiser la vérité, cela en dit long sur l'honnêteté et la droiture.

 

  • Je vais en avoir des choses à raconter à Mamina la prochaine fois que je l’appellerai se dit-elle. Je suis en plein apprentissage des comportements humains.

 

Ils terminent leurs cafés quand on frappe à nouveau à la porte.

 

  • Ce doit être Louis qui est revenu, dit Zoé, il va nous donner des nouvelles. Elle se lève pour aller ouvrir la porte, et revient avec Louis en effet.

 

Lorsque ce dernier pénètre dans la petite pièce, comme à son habitude il semble prendre toute la place avec son physique imposant. Olympe se lève et le salue avec une certaine timidité, plutôt étonnante chez elle.

 

  • Bonjour à tous, dit Louis
  • Bonjour Louis, répond Zebediah en serrant la main de Louis.
  • Bonjour, je suis Olympe, une amie de Zoé.
  • Bonjour.

 

Louis connaît bien sûr la réputation d’Olympe et ne dira rien tant que cette dernière sera là.

 

  • Louis, avez-vous déjeuné ? il reste plein de poulet rouge, je vous sers une assiette.
  • Je veux bien, ça sent si bon chez toi Zoé !

 

Louis s’assoit sur le sofa et Zoé lui apporte une assiette remplie de la préparation de poulet aux tomates encore chaude.

 

Olympe réalise qu’elle est peut être de trop dans cette assemblée, elle se sent mal à l’aise en présence de Louis qui lui fait comprendre par son attitude distante qu’il est temps qu’elle s’en aille. Aussi souhaite-t-elle une bonne fin d’après-midi à tous et se dirige-t-elle vers la porte d’entrée.

 

  • Zebediah, tu peux me raccompagner à la grille s’il te plait ? demande-t-elle ? Elle embrasse Zoé avant de partir et la remercie pour le déjeuner. On se refera bientôt un dîner à Paris, mais ailleurs souligne-t-elle, pas au café Jaune.
  • Ca va de soi, répond Zoé, je n’y mettrai plus les pieds.
  • Je me suis régalée, répond Olympe en esquivant le sujet, tu es une bonne cuisinière. Qu’as-tu pensé de la petite bourse ?
  • Elle est très mignonne, tu es douée !
  • Contente que ça te plaise, salut Zoé, tu viens Zebediah ?

 

Zoé ne sait pas dire pourquoi, mais elle est agacée par l’attitude d’Olympe qui en fait trop pour accaparer Zebediah. Olympe et Zebediah descendent dans la cour, Zoé se retrouve seule avec Louis. Aussitôt qu’Olympe est sortie, Manon accourt, queue toute droite en l’air et saute sur les genoux de Louis. Celui-ci a bien du mal à manger avec le chat qui s’installe et le piétine, l’assiette en équilibre sur la petite table et Zoé qui le dévore des yeux, à l’affût de nouvelles d’Hassan.

 

  • Nous sommes allés à la préfecture, pour enclencher le processus d’obtention de papiers, titre de séjour, carte de résident, etc. Eugénie accepte de loger Hassan, il a donc une adresse, ce qui va permettre d’optimiser les délais. Et puis le fait que je sois allé avec lui, cela a donné une bonne impression sur sa volonté d’intégration.
  • C’est plutôt bien parti, alors ?
  • Oui, il a passé une visite médicale, il est en assez bonne santé, mais en dénutrition. Il faut le remonter, mais là je n’ai pas de doute, Eugénie va s’en occuper. Elle l’a pris sous son aile, et là je crois qu’il est déjà attablé devant une nourriture roborative !
  • C’est magnifique, cela me console des mauvais moments passés avec Olympe.
  • Dès qu’il aura les autorisations, il pourra avoir des cours de français. Et puis il est limite d’être majeur, il va avoir dix-huit ans, donc ça va s’arranger pour son âge. Ils ont compris que toute sa famille a péri sous les bombardements et qu’il s’est enfui pour ne pas mourir lui aussi, donc c’est plutôt bien parti pour son accueil finalement.
  • Et il faisait quoi là bas ? il était étudiant ?
  • Oui, je crois, en mathématiques, tu imagines !
  • C’aurait pu être un gâchis terrible, quelle chance qu’on ait pu le convaincre de nous suivre, ça l’a sauvé !
  • Et toi Zoé, comment s’est passée ton entrevue avec Olympe ?

 

Zoé raconte à Louis la soirée désagréable, et Louis est révolté. Zoé s’approche de la fenêtre et regarde dans la cour. Olympe a disparu, Zebediah gesticule avec Hassan qui essaie de grimper sur le vélo. Tous les deux rient. Le cœur de Zoé s’allège enfin après toute la pression de la journée.

 

  • C’est bientôt l’heure de notre rendez-vous chez Eugénie !
  • Nous allons enfin dévoiler la date de démarrage ! Louis je vous ai envoyé les modèles de flyers pour distribuer sur le marché.
  • Je les regarderai ce soir. Tu es toujours d’accord sur notre proposition de planning ?
  • Oui, je suis toujours d’accord.
  • C’est parfait alors. On descend ensemble ?
  • Je fais un petit brin de vaisselle et je vous rejoins.

 

Manon saute par terre au moment où Louis se lève et s’en va. Zoé lave et range les assiettes, les plats et les casseroles. Manon réclame vainement quelques croquettes et finit par se rouler en une boule boudeuse sur le sofa rouge qu’elle griffe un peu par dépit. Indifférente aux caprices du chat, avant de descendre, Zoé jette un coup d’œil par la fenêtre et aperçoit une joyeuse assemblée dans la cour : Louis est au centre, entouré de Zebediah, Lucia, Léontine et Eugénie, et Hassan sur le vélo fait des tours de cour.

 

  • Eh bien voilà tout mon petit monde réuni se dit Zoé, quelle belle famille si l’on peut dire ! c’est ma famille de Paris, celle que je me suis choisie. Avant de descendre, je vais passer un petit coup de fil à Mamina, il n’est pas trop tard. Elle prend son téléphone et compose le numéro.
  • Allô ? dit Mamina qui a décroché bien vite.
  • Allô Mamina, c’est Zoé. Tu vas bien ? Tu sais que j’aime bien t’appeler quand il m’arrive des événements importants.
  • Je vais bien ma chérie, le froid n’est pas propice pour mon pauvre dos, mais j’ai pris une petite tisane tout à l’heure pour soulager mes douleurs. Et puis mon cœur est bien fatigué, mais ce n’est pas nouveau non plus.
  • Eh bien ce n’est pas la grande forme, dis-moi ?
  • Non, tu sais ce n’est pas toujours gai ici, une de mes bonnes amies a été hospitalisée, et puis trois jours après, elle est morte. Ca m’a fichu un coup. Je ne m’en remets pas.
  • Ah Mamina, comme je suis triste pour toi ... est-ce que c’était Victorine ?
  • Oui, c’est avec elle que je m’entendais le mieux. A mon âge, ce sont des choses qui arrivent tous les jours hélas, on perd toutes ses amies les unes après les autres, et on se retrouve toute seule jusqu’à ce que ce soit notre tour.
  • Mamina, je suis désolée, tu broies du noir aujourd’hui. Mais je suis contente de t’avoir appelée, j’espère te remonter un peu le moral, je voulais te donner de mes nouvelles.
  • Dis-moi ma chérie ? Est-ce au sujet de ton gentil voisin ?
  • Non, c’est au sujet de mon travail, on a rendez-vous ce soir pour décider de notre jour de démarrage, ce sera probablement dimanche, pas celui-là mais le prochain. Tu te rends compte ? je n’en reviens toujours pas, on y est arrivés !
  • Et comment as-tu appelé ton site finalement ?
  • Le Faitout Magique, j’ai laissé tomber toutes les allusions aux grands-mères.
  • C’est très correct ! Tu as fait au mieux selon ton goût. Vous êtes prêts alors ?
  • Mais oui. Tu sais j’ai reçu ta grosse enveloppe avec les recettes. J’ai commencé à les intégrer dans le site. Mais j’ai une autre idée, j’ai envie de filmer la préparation de certaines recettes simples, et de les mettre en ligne. Ce serait sympa pour les enfants, tu vois par exemple ils pourraient faire un quatre quart, des crêpes, de la quiche sans pâte, avec leur maman ou avec leur papa, en suivant la recette sur l’écran.
  • C’est en effet une très bonne idée ! Tes amis vont bien ? Lucia ? Louis ? Eugénie ?
  • Mais oui, ils sont en forme. Nous avons un nouvel ami, Hassan, c’est le jeune migrant dont je t’avais parlé qui nous a rejoint depuis hier. Il vivait dans la rue, et maintenant il habite chez Eugénie.
  • Ca alors ! quelle aventure ! Je me souviens, tu regrettais de ne pas lui avoir parlé. Il est en bonne santé ? il n’était pas blessé ? il a dû en voir des choses innommables !
  • C’est certain, il revient de loin. Eugénie s’occupe de bien le nourrir, il est un peu trop maigre, mais il n’est pas blessé. Je t’en dirai plus la prochaine fois, Louis l’accompagne pour toutes les démarches administratives. Pour l’instant c’est difficile de communiquer, il connaît peu de mots en français, et un peu d’anglais, mais je suis bien certaine qu’il va apprendre très vite.
  • Je vois que tu es toujours très occupée, ça me fait plaisir que tu aies une vie si active et que tu sois entourée de toutes ces bonnes personnes.
  • Il n’y a pas que des bonnes personnes, il y a aussi Olympe qui me joue des vilains tours.
  • Ah cette Olympe, figure toi que l’une de ses sœurs s’est mariée. Enfin ! je suppose qu’elle doit être jalouse comme un pou !
  • Sûrement, mais elle ne m’en a pas parlé.
  • Ce n’est pas un mariage merveilleux, mais bon ça permettra à cette pauvre fille de s’éloigner de sa famille, tout comme Olympe qui est allée à Paris.
  • Olympe ne peut pas supporter la réussite des autres, que ce soit sa sœur, moi ou n’importe qui. 
  • Elle doit être bien malheureuse pour être si méchante.
  • Je le crois aussi. Elle finit toujours par m’avoir car j’ai pitié d’elle au fond, je me rends compte qu’elle est un peu déséquilibrée, sans que je sache vraiment pourquoi.
  • Peut-être que rencontrer un gentil garçon arrangerait ses affaires … Elle a besoin qu’on l’aime et qu’on s’intéresse à elle, ce qui n’a pas dû lui arriver souvent !
  • Mamina, arrête de jouer ton Emma !
  • C’est vrai que c’était une apprentie marieuse ! Ma chérie, je ne veux pas te retarder pour ton rendez-vous !
  • C’est vrai Mamina, il faut que j’y aille, c’est l’heure !
  • Ma chérie, merci de m’avoir appelée, tu m’as fait très plaisir. Je t’embrasse.
  • Moi aussi Mamina, porte-toi bien.
  • Au revoir.

 

Zoé entend le déclic quand Mamina raccroche et met fin à l’appel à son tour. Elle est contrariée que sa grand-mère soit triste du départ de son amie, et qu’elle déprime toute seule dans sa maison.

 

  • Mais que puis-je faire, je suis loin d’elle. Je la rappellerai demain et je demanderai à l’une ou l’autre de mes sœurs de se bouger et d’aller la voir plus souvent.

 

Zoé enfile son manteau, prend son téléphone et ses clés et quitte l’appartement en toute hâte, dévalant l’escalier pour rejoindre au plus vite sa bande d’amis dans la cour. Lorsqu’elle arrive, Hassan s’est arrêté de faire du vélo, il est au centre de l’attention du groupe. Louis essaie de traduire les échanges, et tous font des gestes pour essayer de communiquer. La plus volubile avec le langage du corps le plus éloquent, c’est naturellement Lucia qui mélange français, italien et anglais.

 

  • Voici Zoé, nous sommes tous là pour notre rendez-vous !
  • Allons chez vous, Eugénie, nous avons besoin d’un thé chaud, il fait frais maintenant ici et on doit nous attendre là-haut. Ils se dirigent vers l’immeuble d’Eugénie et montent l’escalier les uns derrière les autres, Eugénie ouvrant la marche. Sur le palier les attendent Sarah, Rose, Gustave et Honoré, venus tout exprès pour la soirée.
  • Entrez, entrez, dit Eugénie en poussant la porte, tous pénètrent à sa suite dans l’appartement et s’avancent vers la cuisine. Hassan monte le vélo qu’il laisse en sécurité dans le couloir.

 

Eugénie prépare une grosse théière brûlante, et sort un cake aux raisins et un pain d’épices aux fruits confits, qu’elle découpe en larges tranches généreuses. Assis autour de la table, les joyeux convives discutent et se régalent jusqu’au moment où Louis impose le silence et prend la parole.

 

  • Mesdames, messieurs, dit-il, nous sommes là pour vous annoncer la date de démarrage de notre initiative, Le Faitout Magique.
  • Enfin !
  • Nous sommes impatients de savoir !
  • Nous attendions depuis si longtemps, c’est presque miraculeux !
  • Je vous propose distribution de flyers samedi prochain au marché et dans les boîtes aux lettres samedi, dimanche, et tous les jours de la semaine, ouverture du site à partir du dimanche pour les inscriptions et les commandes, et démarrage opérationnel le dimanche suivant, annonce Louis solennellement.
  • Oui, s’écrient tous en même temps les invités en applaudissant avec enthousiasme, y compris Hassan qui ne comprend pas l’enjeu mais veut participer à la fête.
  • Trinquons à notre affaire, dit Eugénie qui sort de son buffet une kyrielle de petits verres à liqueur et une bouteille verte. Ma liqueur d’herbes, vous allez voir comme c’est parfumé, c’est un vrai nectar. Eugénie verse un peu de liquide coloré dans les petits verres et tous les choquent légèrement pour entériner la date enfin décidée. 
  • C’est bon, dit Zoé en dégustant l’eau de vie délicieuse. Ca monte un peu à la tête qui tourne déjà bien.

 

Hassan regarde ses nouveaux amis goûter la boisson alcoolisée, il n’en prend pas par méfiance. Il perçoit que la gaieté a augmenté dans la pièce, et savoure le thé chaud, les vêtements confortables, le bon temps qu’il passe avec tous ces gens qui étaient encore des inconnus hier et qui l’accueillent au sein de leur communauté. Enfin il se sent arrivé quelque part, après toutes les épreuves subies, il est chez lui ici, on lui manifeste de l’amour, de l’amitié, il n’est plus transparent comme au pied du feu rouge ou dans le squat. Il a recommencé à exister en tant qu’Hassan, en tant qu’être humain. Au fond de sa poche il serre une petite boucle d’oreille en or, c’est tout ce qui lui reste de sa mère, et qu’il garde caché précieusement. Pour ces gens qui l’ont accueilli, il se sent prêt à tout donner pour les remercier, il veut aider, il veut faire partie de l’aventure même s’il ne comprend pas complètement de quoi il s’agit. Alors il se lève et tous se taisent. Il prend sa tasse de thé, la soulève, se penche en avant en une sorte de révérence et dit, déclenchant un tonnerre d’applaudissements :

 

  • Merci, merci, amis ! friends … I want to help you ! [1]

 

Depuis qu’il se sent protégé et un peu plus à l’aise au milieu des gens qui l’ont recueilli, Hassan peu à peu reprend confiance et se libère, il commence même à communiquer en anglais, ce qui élargit le champ des personnes avec qui il peut échanger.

 

La soirée se poursuit chez Eugénie qui a préparé une blanquette de veau et des tartes tatin aux coings pour le dîner. Tous l’aident à faire la vaisselle et à ranger la cuisine après le repas, avant de regagner chacun son chez soi.

 

Lucia, Zoé et Zebediah remontent lentement l’escalier avant de se séparer devant la porte de l’appartement des filles.

 

  • Quelle bonne soirée, c’est l’aboutissement de tout notre travail, dit Zoé. Et dire qu’on va démarrer pour de vrai !
  • Oui la véritable aventure va commencer, c’est excitant, poursuit Zebediah.
  • Magnifique, oui, en attendant, a letto tutti [2], conclut Lucia en ouvrant la porte.
  • Vous n’iriez pas vous balader dans Paris demain s’il fait beau ? propose Zebediah, c’est dimanche !
  • Pourquoi pas ? répondent les deux filles en rentrant, avant de refermer la porte doucement derrière elles.

 

Zebediah a le temps d’entendre Manon miauler et réclamer son repas avant de grimper jusqu’au dernier étage d’un pas léger et élastique.

 

 

 

 

 

[1] Amis, je veux vous aider.

[2] Au lit tout le monde

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