Basile Malès, encore

Par Schwin

Il fallait que je parle de Malès.

Dès le début, il me fit forte impression.

Basile Malès ne s'habillait qu'en noir et ne buvait que de l'eau ou du café (noir, bien sûr). Il n'en avait pas toujours été ainsi. Souffrant d’insomnies chroniques, il avait pris, pendant un temps, l'habitude de se verser un verre de vin le soir pour l'aider à s'endormir... mais un jour où, plus maussade qu'à l'ordinaire, il s'était servi un verre de plus, une étrange chaleur lui avait chatouillé l'estomac, le bout des doigts, la pointe des oreilles, puis ce drôle d'organe entre ses poumons encrassés. Des pensées plus incongrues les unes que les autres lui avaient traversé l'esprit. Il s'était soudain rappelé de douloureux souvenirs qui lui avaient presque fait mouiller les yeux (il avait du moins ressenti comme une sorte de picotement sous les paupières). Il s'était alors redressé brusquement en cognant la table, faisant chuter le verre qui s'était brisé en mille morceaux sur les carreaux. Il avait longuement fixé la tache rouge sombre léchant ses semelles, puis s'était passé une main sur son front humide, se demandant avec effroi ce qui avait bien pu lui arriver, à l'instant même... Lui, Malès, ruminant le passé, avait ressenti une émotion des plus désagréable, et s'était presque laissé aller au sentimentalisme !

Depuis ce jour, il s'était juré de ne plus boire une seule goutte d'alcool. On ne remâchait pas le passé, comme avec ses mégots ; non, on allait de l’avant, toujours. Il le fallait.

Malès menait une vie d'ascète. Enfin, presque. Son seul vice, c'était le tabac. Plus il sentait fort, jusqu'à piquer le nez, plus il semblait l'apprécier. Il tirait comme un forcené sur sa cigarette, qui semblait presque une extension de lui-même, vissée à son bec, ou comme un sixième doigt, lorsqu'il faisait tomber la cendre d'un mouvement sec de l'index. Les jours de fête, il s’offrait un cigare qu’il dégustait des heures durant, jusqu’à ressentir un léger tournis presque enivrant. C’était tout.

Il ne fréquentait personne et n'aimait personne. D'ailleurs, il ne s'aimait pas non plus.

Malès vivait dans un appartement sans charme, en plein centre ville. C’était un choix curieux, pour un homme qui n’aimait pas la compagnie. Mais si Malès n’aimait pas les autres, il aimait observer la vie des autres ; et, de lui-même, il admettait que ce vilain petit passe-temps frôlait le voyeurisme malsain. À six heures, le matin, le ronronnement des moteurs, l’agitation d’une ville qui s’éveille le faisaient émerger d’un sommeil sans rêves. Il allumait sa lampe de chevet et, toujours au lit, se grillait sa première cigarette de la journée. La deuxième, il la prenait en attendant que son café se fasse : la troisième, en attendant que sa quatrième tasse de café refroidisse…

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