La chambre

Par Schwin

Ma première impression, en découvrant la chambre, fut celle d’un désordre indescriptible. Le lit disparaissait sous une montagne de vêtements, et le bureau, sous une montagne de papiers. On aurait dit ma chambre, Juste (lové sur le lit) en moins…

Bon. Un peu de méthode... Devais-je jeter un coup d’œil aux papiers, ou ne devais-je rester qu’un enquêteur « de surface », sans trop de flair ? Je l’ignorais. Je passai négligemment la main sur le mur ; quelque chose, aussitôt, me frappa, sans que je ne sache d’abord trop quoi... Je regardai mes doigts : ils étaient recouverts d’une très fine pellicule de poussière, preuve, en effet, que le ménage n’avait pas été fait depuis un certain temps. Mais encore… ?

Je m’approchai du lit – un lit ancien, un lit bateau. Là aussi, la poussière recouvrait les montants en bois. Cependant… malgré les vêtements qui le recouvraient, le lit avait été fait, et les draps sentaient la lessive, un parfum de lavande, presque trop fort.

Il y avait du désordre, certes. Mais c’était un beau désordre, un désordre propre. Les vêtements, bien que froissés, roulés en boule ou traînant sur le sol, semblaient lavés, peut-être même étaient-ils neufs.

Je retournai au rez-de-chaussée, pour trouver mes deux compagnons d’infortune l’air las, presque abattu, mais pour des raisons tout à fait différentes… Victoire, que le désordre dérangeait particulièrement, avait remonté le col de son horrible chemiser à fleurs comme pour se protéger le nez d’un air vicié ; Dale, quant à lui, contemplait le tapis oriental défraîchi, perdu dans ses réflexions.

«Je n’ai pas d’autre piste. Je pensais connaître mon cousin mais… Les années passant… Non, non, je n’aurais peut-être pas dû… Aurais-je donc fait tout ce long voyage pour rien… ? » marmonna-t-il dans sa barbe.

—Peut-être pas. Il y a quelque chose, là-haut, qui me chiffonne.

Dale se redressa tout à coup.

—Ah ! Quoi donc ?

- Difficile à dire, mais… venez, suivez-moi. Il semblerait que vous ayez le nez plus fin que moi, vous comprendrez sûrement ce qui cloche…

- En effet, malheureusement, grommela Victoire en faisant la grimace.

Cependant, un rebond d’enthousiasme sembla éclairer le visage de mes deux coéquipiers. Ils me suivirent à l’étage.

Nous demeurâmes tous les trois devant l’entrée de la chambre, silencieux, en une sorte de recueillement des plus solennels. Dale, enfin, se décida et franchit la porte ; il se planta là, au milieu de la pièce, seule sa tête demeurant étrangement mobile comme il inspectait le « désordre ordonné ». Après un moment, il se tourna vers Victoire et moi et déclara :

—Oui, vous avez raison, il y a quelque chose d’étrange. Il y a du désordre, je reconnais bien là mon cousin, mais tout semble étonnamment propre. Tenez, prenez cette écharpe, elle sent le neuf. Je suis prêt à parier qu’elle n’a jamais été portée ! Le lit a été fait, les draps ont été changés (il porta le tissu à son nez)… et ils sentent encore la lessive ! Ces papiers, sur le bureau, ils sont froissés, tachés de café, mais regardez, regardez comme ils sont bien... entassés ! Oui, c’est curieux, mais... j’ai bel et bien l’impression que Ian a tenté, dernièrement, de mettre de l’ordre dans ses affaires !

—Mais pourquoi ?

—Un suicide ? fit Victoire d’une voix hésitante.

Le silence tomba, brutal.

—Non… non, je ne crois pas…, répondit finalement Dale, hésitant. Ian n’était pas la joie de vivre incarnée, c’est bien vrai… Mais je ne crois pas qu’il se soit suicidé. Pas de manière préméditée. Non, non, il aurait agi sous l’impulsion du moment…

- Votre cousin a cherché à… mettre de l’ordre dans ses affaires, dites-vous… Pourquoi, alors ?

- Peut-être s’est-il enfin rendu compte que sa vie crasse ne le menait nulle part, répliqua Victoire. À son âge, on n’a pas idée de prendre aussi peu soin de soi et de son chez-soi. Votre cousin est peut-être en train de devenir un adulte à peu près éduqué et responsable, voilà tout ! Bien sûr, ces quelques maigres efforts sont loin d’être suffisants, mais… c’est toujours mieux que rien… Après tout, ce jeune homme part de très loin...

Dale ne sembla pas s’offusquer de l’indélicate déclaration de Victoire.

- Peut-être, oui, peut-être…

Il se mit à tourner en rond dans la chambre, les mains croisés dans le dos.

- Peut-être, peut-être, oui..., répéta-t-il. Victoire, je crois que vous tenez là quelque chose.

Victoire sursauta et, aussitôt, lâcha l’écharpe neuve qu’elle avait entre les doigts.

- Non, je veux dire… Je crois que vous avez raison, quelque part. Vous êtes sur la bonne piste. Ian a voulu mettre de l’ordre dans sa vie. Devenir un peu plus responsable. Mais pour quelle raison ?

- On ne peut pas dire qu’il ait réussi.

- Non. Mais c’est un début – un début qui manque de méthode, sans doute, mais un début quand même.

Dale reprit sa « ronde » dans la chambre étroite, zig-ziguant entre les piles de vêtements (propres et semi-pliés), l’air particulièrement concentré.

- Voyons… Un lit fait, des draps propres, des vêtements neufs… Ian s’est montré curieusement consciencieux, presque… coquet, ces derniers temps. Cela ne lui ressemble pas du tout. Comme si… comme s’il ne faisait pas tous ces efforts pour lui mais…

Dale s’arrêta tout à coup.

- Mais oui, bien sûr, je crois comprendre !

- Comprendre quoi ?, rétorqua Victoire, agacée.

- Ces efforts, il ne les fait pas pour lui…. Mais pour quelqu’un d’autre ! Quelqu’un qu’il veut impressionner. Qu’il veut séduire, peut-être. Oui, Oui… Je crois… Je crois que mon cousin était amoureux.

Silence. Dale se tint la tête en l’air, sourire béat, le regard fier, un peu comme s’il avait découvert la douzième planète du système solaire.

 

- Amoureux ? Eh bien, oui, cela arrive…, dit Victoire d’un ton sec.

- Pas à mon cousin, répondit Dale.

- Votre cousin a pu changer, depuis le temps.

- Non. Je ne crois pas. Ian a toujours été un garçon… étrange. Avec des habitudes, des manières de faire, de penser bien à lui.

- Comment cela ?, dit Victoire. Rassurez-moi, il ne faisait pas du mal à de petits ani...

- Non ! Non ! Bien sûr que non !, s’indigna Dale. Qu’allez-vous inventer là ? Non, encore une fois, je le répète : je suis persuadé que Ian n’a pas fait tous ces efforts pour lui, mais pour quelqu’un d’autre. Quelqu’un qu’il aime.

- Une femme ?

- ... ou un homme, peut-être, dis-je enfin.

 

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