Bon, ben, ça se passe pas si mal, en fait. Quoique...

« Je ne sais pas ce que tu en penses, Jax, mais je trouve ces deux-là beaucoup plus détendus ces derniers jours.
— Mais tout à fait, Kim. Quelque chose dans la nourriture, peut-être ? 
— Certainement ! » 

En face de Jax et Kim, qui avaient l’air de beaucoup s’amuser, Sebastian et moi regardions avec concentration le contenu de nos assiettes. Pour une fois, la tente cantine n’était pas pleine à craquer à l’heure du déjeuner car un frêle rayon de soleil éclairait le parc. L’équipe avait tout misé sur les sandwiches pour profiter de l’extérieur. Nous étions donc quasiment les seuls attablés sous la toile. Heureusement, vues les allusions d’une finesse contestable dont nous abreuvaient nos amis. De mon côté, je leur opposais ma plus belle « poker face » mais Sebastian oscillait entre le fou-rire et la consternation.

« J’aurais bien proposé à Victoria de se joindre à nous, continua Kim avec toujours autant de légèreté, mais elle me semble un petit peu contrariée. Tu as une idée de la raison de sa mauvaise humeur, Jax ?
— Mais pas du tout, Kim. Je ne vois pas ce qui pourrait l’ennuyer. Tu en penses quoi, Seb ?
— Rien. Tu n’as qu’à demander à Victoria. »

Ah. Le ton de Sebastian indiquait que le fou-rire n’était plus en option. Je picorai un morceau de viande du bout de ma fourchette. Je refusai de m’en mêler. Cela n’aurait fait qu’ajouter de l’eau à leur moulin. Je partais du principe que, tant que je ne disais rien, on ne pouvait rien retenir contre moi. Comme avec les flics. A force de s’énerver par-contre, Sebastian allait finir par lâcher quelque chose. J’appuyai ma jambe contre la sienne dans l’espoir de détourner son attention. Et puis, je décidai qu’il était temps de renverser la vapeur.

« Au fait, Jax, tu es prêt pour la conférence de presse au moins ?
— Quelle conférence de presse ? »

Il continuait à envoyer des œillades complices à Kim qui, elle, avait noté mon ton doucereux et me jeta un regard suspicieux.  

« La conférence de presse que les studios ont organisé pour montrer les avancées du tournage. Demain. Tu n’as pas eu le mail ? »

Dans la même seconde, Jax faillit s’étrangler en buvant son soda, Sebastian leva les sourcils très haut pendant que Kim fronçait les siens.

« Demain ? crachota Jax. Mais ça sort d’où ?
— Je ne sais pas. On a eu le mail, il y a quoi, une semaine ? Ce serait pas passé dans tes spams par hasard ?
— La vache ! Il faut que j’aille vérifier ça ! »

Il se leva précipitamment, manqua de faire tomber sa chaise au passage et se précipita vers la sortie. Notre éclat de rire collectif l’arrêta net dans sa course. Il revint vers la table, un air à la fois piteux et soulagé sur la figure.

« T’es une tueuse, Esmé, marmonna-t-il.
— La plus démoniaque. 
— Et sinon, intervint Kim, vous couchez ensemble tous les deux ou pas ? »

Cette fois, ce fut Sebastian qui avala de travers. Je profitai des quelques instants à lui taper dans le dos pour préparer ma réponse pendant que Jax et Kim étaient redevenus hilares.

« Bon. Très bien, déclarai-je. L’heure des révélations est venue. »

Sebastian, encore incapable de parler, me regarda avec des yeux ronds. Je continuai ma tirade avec emphase.

« Oui, j’avoue, il y a quelque chose entre nous. Cependant, rien n’est possible car Sebastian en aime une autre. »

J’enfouie mon visage dans ma serviette, les épaules faussement secouées de sanglots. Je sentais les regards égarés de mes compagnons posés sur moi. Sebastian tenta un « Euh… Esmé ? » mais je ne le laissai pas aller plus loin. D’un coup, je me levai en agitant ma serviette.

« Oui ! Depuis qu’il a vu lady Carnavon, il se meurt d’amour pour elle ! Ses jupes en tweed, son thé et sa discussion fascinante l’ont conquis. Comment puis-je lutter ?! »

Sebastian passa de l’étouffement aux hurlements de rire alors qu’il essayait à la fois de me faire asseoir et de me faire taire. Jax et Kim aussi se bidonnaient. Les rares témoins de notre cirque avaient l’air de nous prendre pour des débiles. Je retombai à moitié sur les genoux de Sebastian qui me repoussa avec ostentation.

« Cesse tes horribles entreprises de séduction, sorcière ! Mon cœur est pris ! A jamais ! »

Lorsque nous nous calmâmes un peu, ma tirade avait au moins eu le bénéfice de faire oublier à Kim sa question indiscrète. Elle était trop occupée à réécrire « L’amant de Lady Chatterley » avec Sebastian dans le rôle du garde-chasse et Lady Carnavon en héroïne. C’en était limite gênant. Jax et elle finirent par nous abandonner. Ils quittèrent la tente bras-dessus, bras-dessous.

« Je ne sais pas trop quoi penser de leur nouvelle amitié à ces deux-là, dit Sebastian.
— Tu crois qu’ils couchent ensembles ? » demandai-je en roulant des yeux.

Il eut un petit rire.

« N’empêche, on a eu chaud. »

Je haussai les épaules.

« Il faut le prendre à la rigolade, c’est le mieux. »

Je jetai un regard autour de nous pour m’assurer de notre relative tranquillité.

« Tu as pu rafistoler les morceaux avec Victoria ? »

Sebastian fit la moue.

« Bof. Je me suis excusé. Platement. Je lui ai raconté un bobard sur ma rupture récente qui me perturbait. Elle a eu l’air de me croire.
— Vu comme elle continue à te coller au train, j’en ai l’impression, oui. 
— Jalouse ? »

Le petit sourire de Sebastian m’indiquait que l’idée lui plaisait bien. Je relevai le menton avec bravade.

« Pff. Je te mets au défi d’essayer avec elle. Après ce qu’on a fait cette nuit, elle sera jamais à la hauteur. »

Le sourire de Sebastian se fit plus carnassier. Je sentis sa main sur ma cuisse, sous la table.

« Tu penses qu’on est au top de nos possibilités ? » murmura-t-il.

Mes joues commencèrent à chauffer. Mes joues et mon ventre pour être précise. La main de Sebastian allait et venait lentement sur ma jambe.

« Parce que moi, continua-t-il, j’ai encore des idées que je n’ai pas testé. »

J’attrapai sa main et la repoussai vers ses genoux, tout en lui faisant les gros yeux.

« C’est fini, oui ? On est en public, affreux ! 
— Attends qu’on soit en privé. »

Je dus me faire violence pour ne pas lui rouler une pelle, là, tout de suite. Il ne perdait rien pour attendre.

« Hello tous les deux. Je n’interromps pas quelque chose ? »

Je ne tombai pas de ma chaise mais pas loin. Randall Halström se tenait debout derrière nous, les épaules un peu voutées comme à son habitude. Il souriait avec gentillesse.

« Pas du tout, Randall. Tu veux t’asseoir avec nous ? » proposa Sebastian.

Le réalisateur contourna la grande table pour se poser en face de nous avec son assiette fumante. Il commença à manger paisiblement. Comme il nous était difficile de continuer notre conversation avec lui au milieu, il fallut improviser.

« Alors, comment avance le Film ? » lançai-je au hasard.

Randall leva au ciel un regard rêveur.

« Hé bien, j’avoue que je me demande parfois si j’ai bien fait de me lancer dans une aussi grosse production. C’est un boulot énorme. Mais aussi très gratifiant. Grâce aux acteurs. »

Il dirigea un de ses sourires distraits vers Sebastian.

« Bref, ça avance. Je pense que nous pourrons presque nous en tirer avec les honneurs lorsque les interviews démarreront. »

Pour célébrer le milieu du tournage, les studios avaient prévu d’organiser une sorte de mini-reportage, avec des journalistes triés sur le volet. Chaque acteur, ainsi que d’autres membres de l’équipe devaient se plier à des entretiens plus ou moins formels pour recueillir leurs impressions et d’éventuelles anecdotes croustillantes mais pas trop. J’avais déjà prévu de jouer les femmes invisibles pendant les quelques jours où les reporters traineraient parmi nous.

« Au fait, Esmé, tu as continué à travailler sur ton scénario ?
— Oui ! Et j’ai réfléchi à ce que tu m’as dit l’autre jour. J’ai réécrit pas mal de truc en gardant l’idée de la série. Tu avais raison ! Ça fonctionne !
— C’est vraiment bien. Je suis ravi d’avoir pu t’aider.
— Tu as été génial ! »

A mes côtés, Sebastian était étrangement calme. Il jouait avec sa fourchette, l’air de ne pas écouter notre conversation. Randall poursuivit :

« J’y ai repensé de mon côté. Une amie de fac de ma femme travaille chez NetStream. Je pourrais peut-être vous mettre en contact ? »

NetStream était la nouvelle plate-forme de streaming qui montait, montait… Elle misait beaucoup sur des contenus originaux, en plus de séries vintage qui intéressaient moins les géants du secteur.

« C’est très gentil, vraiment. Mais je ne suis pas sûre. Le projet est loin d’être abouti… et c’est un sacré service.
— Pas de problème. N’hésite pas si tu changes d’avis. »

La conversation roula ensuite sur des sujets anodins. Nous abandonnâmes Randall avant la fin de son déjeuner, car Sebastian devait se préparer pour la reprise du tournage de l’après-midi. Sur le chemin de la loge de la maquilleuse, il était toujours très silencieux.

« Ça va ? demandai-je.
— Oui, oui.
— Parce que ça n’a pas l’air. »

Et ça commençait à m’agacer un peu.

« Randall a lu tes écrits ? »

Ah. Je commençai à situer le problème.

« Oui, il m’a donné son avis de professionnel. Il écrit, lui aussi. 
— Je vois. 
— Tu es sûr ? »

Il haussa une épaule sans me regarder.

« Je suppose que tu vas trouver ça puéril mais je suis un peu jaloux que tu partages ce genre de choses avec lui. Et pas avec moi.
— Ça n’a rien à voir avec toi. C’est plus simple avec Randall. Plus… détaché. »

Alors que le mot « détaché » passait mes lèvres, j’eus l’envie soudaine de me mordre la langue, voire de l’avaler. Je priai pour que Sebastian ne relève pas mon choix de vocabulaire malheureux. Il parut hésiter un instant puis il se détendit.

« Tu as raison, je n’y connais pas grand-chose en écriture de toute façon. »

Je lui donnai un coup d’épaule affectueux.

« Tu as plein d’autres talents. »

Il me fit un clin d’œil et fit mine de se rapprocher de moi d’un air conquérant.

« Attends ce soir, tu pourras les tester par toi-même. »

J’éclatai de rire en le repoussant des deux mains. Sebastian continua sa route pour se faire maquiller, pendant que je partais à la recherche de Jenny, la régisseuse, pour avoir plus de détails sur le programme de la fin de la journée. Un peu plus loin, j’aperçus Victoria qui faisait mine d’être plongée dans un extrait du script.

Je me demandai fugacement si elle nous avait vus nous taquiner Sebastian et moi mais comme Jenny apparut dans mon champ de vision, j’oubliai cette pensée aussitôt pour la rattraper.

 

***

               

« Mais il ne t’a pas dit ce qu’il voulait ?
— Non. Juste qu’il avait besoin de toi. Peut-être qu’il veut un peu de tranquillité pour répéter ? Ça a été compliqué ce matin. On a fait une douzaine de prises pour la même scène mais Randall n’était pas convaincu. Et puis la pluie a interrompu le tournage. Bref, c’était pas la joie. »

Deux jours s’étaient écoulés depuis notre petite discussion avec Jax et Kim à la cantine. La météo brièvement agréable avait tourné au vinaigre en fin de matinée, provoquant un retard de plus pour le tournage. Jenny leva les yeux au ciel. Elle n’en était pas à sa première expérience mais LE Film mettait une pression d’enfer à tout le monde.

« Va le voir, s’il te plait, poursuivit-elle. Il faut qu’on puisse passer aux prises en intérieur après le déjeuner sans que ça fasse un drame.
— Pas de problème, je gère. Ne t’en fais pas. »

Les scènes en extérieur s’étaient tourné tout au fond du parc. Si j’en croyais Jenny, Sebastian m’attendait dans la caravane installée là-bas pour le confort des acteurs entre deux prises. Il me paraissait curieux qu’il me fasse galoper sous la pluie sans motif sérieux. J’arrivais sur le site très mouillée, très dubitative et limite un peu ronchon de me faire saucer sans savoir pourquoi. Evidemment, l’endroit était désert. Toute l’équipe s’était retranchée vers le château. Au sec. Je montai en vitesse les quelques marches du mobile home et ouvrit la porte sans prendre la peine de frapper. La lumière était éteinte et, même s’il régnait une agréable tiédeur dans la caravane, celle-ci semblait vide. Tout en tâtonnant pour trouver l’interrupteur, je m’avançai à l’intérieur. La porte se referma derrière moi et je sentis un bras s’enrouler autour de mon cou, un autre autour de ma taille et un souffle chaud sur ma nuque.

« Tu en as mis un temps, » dit Sebastian.

Je me laissai aller contre sa poitrine. Je comprenais mieux le côté mystérieux de l’affaire.

« Dites donc, patron, je ne suis pas sûre que me faire convoquer par une tierce personne dans le but de m’extorquer des faveurs sexuelles soit indiqué dans mon contrat de travail. »

Les lèvres de Sebastian glissèrent dans le creux de mon épaule pendant qu’il se battait avec mon blouson.

« T’extorquer ? En effet, c’est grave, murmura-t-il. J’espère que tu as un avocat.
— J’y pense. »

Je me débarrassai de mon manteau et me dévissai la tête pour lui tendre mes lèvres. Sebastian profita de l’invitation tout en plaquant mon dos contre lui. Ses mains passèrent sous mon pull et tirèrent sur mon tee-shirt pour accéder à ma peau nue. Je soupirai d’aise contre sa bouche. Lorsque j’essayai de me retourner pour lui arracher ses vêtements, il m’en empêcha et continua à m’embrasser. Lentement, profondément. Je le sentis durcir contre mes fesses. Au bout d’un moment, il recula vers la banquette tout en continuant de me tenir serrée contre lui. Je me débattis plus vigoureusement, me retournait et le fit basculer sur le canapé avant de me mettre à califourchon sur ses cuisses. C’est alors que je réalisai qu’il portait le costume de lin de Derek. Je saisis le col de la veste.

« Je suppose que si je déchire quelque chose, ça va être ma fête ?
— Je ne suis pas contre mais il va falloir que tu trouves une bonne excuse pour la costumière. 
— Tu aurais pu faire un effort et te déshabiller avant que j’arrive. »

Il eut un sourire gourmand.

« J’aime bien quand tu m’arraches mes fringues sauvagement. »

Je grommelai un peu pour la forme en attaquant le déboutonnage de sa chemise. Avec précaution.

« Ce ne sont pas les tiennes, justement. »

Je lui tirai la langue, avant de lui lécher les lèvres. Et de les lui mordiller. Cette foutue chemise allait rester boutonnée. Sebastian m’enleva pull et tee-shirt en même temps et m’embrassa à nouveau à pleine bouche. Alors que j’allais attaquer sa ceinture, je crus voir un mouvement du coin de l’œil, du côté de la fenêtre. Je sursautai. Sans m’expliquer, je me dressai sur mes genoux pour regarder par la vitre qui surplombait le canapé.

« Ça va ? me demanda Sebastian qui se retrouvait avec mes seins quasiment sur son visage.
— Je ne sais pas. J’ai cru voir quelque chose bouger dehors. »

Comme il commençait à déposer de petits baisers légers sur ma poitrine et que je ne voyais rien de suspect, je me détendis un peu. Puis de plus en plus. Je capitulai complètement lorsqu’il me bascula sous lui sur le canapé et classai l'incident.

Erreur. Grosse erreur.

Vous devez être connecté pour laisser un commentaire.
Trisanna
Posté le 10/11/2021
Bonsoir !

Je sais que mon commentaire ne va servir à rien, mais voilà, je suis du même avis qu'AnonymeErrant. J'ai hâte de lire la suite.

Bien à toi,
Trisanna.
Aliceetlescrayons
Posté le 10/11/2021
J'espère que la suite sera à la hauteur.
Merci mille fois pour cette avalanche de commentaires adorables <3
A bientôt
Alice
Trisanna
Posté le 10/11/2021
Je reviendrai vite polluer tes commentaires ne t'inquiètes pas !
AnonymeErrant
Posté le 29/09/2021
Hello !

Ouh là, cette fin, ça sent le sapin ! Photo ou vidéo, au choix, mais ça va voler en éclats dans pas longtemps et quelque chose me dit que Vicky la greluche n’y est pas pour rien. Je juge toujours Seb comme étant le plus raisonnable des deux, donc, on va voir on ça nous mène. Y’en a bien qui ont fait des millions sur ce genre de pub mais pour l’heure, Esmé n’a pas l’air prête à assumer. Pas (encore) le bon état d'esprit ^^'

Jax et Kim se voient décerner la palme de la subtilité xD
Aliceetlescrayons
Posté le 10/11/2021
Coucou,
Jax et Kim, la légèreté en action :D
Je ne vois pas dut out ce qui te pousse à soupçonner cette gar... Victoria :D
Non, Esmé n'est pas prête à assumer... Vraiment pas :/ Espérons que Sebastian arrive à sauver les meubles <3
A bientôt ^^
Alice
Vous lisez