Chère maman, c’est ta fille. Ton fils. Ton enfant. Je ne t’écris pas pour me justifier ou pour plaider ma cause, ou pour m’excuser (m’excuser de quoi ?). J’aimerais de nouveau t’expliquer, en espérant que cette fois, tu aies envie de comprendre. La dernière fois que je t’en ai parlé (la seule fois, en fait), tu n’avais certainement pas envie de comprendre. Je ne t’en ai pas voulu pour ça. Mais je t’en veux encore de n’avoir rien dit, depuis tout ce temps. De n’avoir rien exprimé, rien laissé transparaître. Je t’en veux pour ta distance, tes regards pleins de reproches et de déception, comme si tu en avais le droit.
Tu t’en souviens, de cette fois ? Le lendemain, tu étais si occupée, au jardin, à passer des coups de fil, à cuisiner, à partir je ne sais où, à tout faire pour m’éviter ; le midi, tu as couvert de plats la table, comme pour m’empêcher d’y remettre le sujet qui me brûlait les lèvres et le cœur. Le soir… le soir, tu n’es simplement pas revenue. J’ai mangé seul, l’appétit coupé, je n’ai presque pas dormi cette nuit-là. J’étais trop énervée, écœuré par ta réaction, déçue. Est-ce que je t’en ai trop demandé ? As-tu pensé que je « lâcherais l’affaire » après quelques jours ? Quelques semaines ? Quelques mois ?
Je n’ai pas changé, tu sais. Je suis toujours moi. À vrai dire, je n’ai jamais autant été moi-même. Ce qui a changé, c’est ton regard. Je voulais que tu me voies différemment, non pas car je suis différent, mais parce que tu ne regardais pas au bon endroit. Tu n’avais pas le bon filtre. J’ai toujours senti un décalage entre le moi que tu voyais, que tu croyais connaître, et le moi que j’étais. J’ai toujours porté ce malaise au fond de moi, en cachette, et si je t’en ai parlé, c’est que je n’en pouvais plus de porter ce fardeau seul. Tu aurais pu le faire disparaître en quelques mots, il aurait suffi d’un sourire ou d’un câlin. Mais ton regard est resté figé, comme si tu préférais me voir en photo qu’en chair et en os.
Pourquoi fallait-il que tu rendes les choses si difficiles ? Justine et Quentin l’ont accepté avec le sourire. Papa a eu du mal, ça n’a pas été toujours facile, mais il a fait des efforts, et il a fini par l’accepter. Il n’y a qu’avec toi que j’ai la gorge et l’estomac noués, que je ne peux plus parler de moi, de ma vie, de rien du tout. J’espérais un peu d’amour au lieu de tes silences, qui m’ont peu à peu contaminée, pour ne laisser que du vide. J’attendais de la compréhension de ta part, toi qui m’as vu grandir, qui devrais me connaître mieux que quiconque… Et pourtant, en ta présence, je n’ai jamais cessé de jouer la comédie, de me glisser dans la peau de ton fils fictif, fantasmé, normal. Mais je le sais maintenant, c’est un fils qui n’a jamais existé.
Je t’écris pour t’expliquer, non pas qui je suis car tu refuses de l’accepter ; je t’écris pour t’expliquer que tu ne peux plus être ma mère tant que je resterai seulement ton fils à tes yeux. Tant que tu ne voudras pas parler de « l’éléphant qui cache l’arc-en-ciel », il ne pourra rien y avoir d’autre entre nous que des silences. Aussi longtemps qu’il le faudra. Je ne peux pas, je ne peux plus faire autrement.
Cela fait plus d’un an que je t’ai ouvert mon coeur et que tu m’as fermé le tien. Je ne veux plus n’avoir qu’un parent, j’aimerais juste pouvoir te faire rire et te voir sourire comme avant.
S’il te plaît, maman, reviens.
Ton enfant qui t’aime malgré tout,
Noémie ou Bastien
Pour moi aussi, comme les camarades au-dessous, le sujet est très clair : on est sur un enfant qui change de sexe. Je l'ai saisi assez vite, pas de soucis pour la clarté, et puis ensuite le jeu sur les pronoms est très bien trouvée. La lettre est touchante, avec tous ces petits moments du quotidien dans lesquels cette mère a étouffé son enfant dans l'ignorance. Le silence peut être terrible - plus terrible encore qu'une dispute.
Ah, et très belle trouvaille pour le titre, bien joué !
Merci beaucoup pour les encouragements <3 j'ai pas mal hésité sur le titre, notamment entre "la" et "ma" mère ^_^ Et tu vises très juste en parlant du silence, puisque c'est le thème qui m'a inspiré ce texte en premier lieu :D
Contrairement à ce que tu sembles redouter, je trouve cette lettre très claire quant à ce qu'elle veut signifier. Bon, j'ai l'habitude de repérer les accords, donc pour moi c'était évident dès la première ligne, mais je pense que pour des personnes moins habituées, les mentions claires de "ton fils fictif" permettent de comprendre ,et au pire des cas, la signature de la lettre me semble exprimer très bien le sujet de la discorde.
Je pense que tu peux être rassuré.e !
Plein de bisous !
J’ai rédigé ce commentaire au fur et à mesure de ma lecture, pour ne rien oublier et te retranscrire le plus fidèlement possible ce que j’en ai pensé.
« tu as couvert de plats la table, comme pour m’empêcher d’y remettre le sujet qui me brûlait les lèvres et le cœur. » : c’est phrase est terrible et superbe. Sur le moment j’ai pensé que la mère tentait maladroitement de faire plaisir à son enfant, en ayant préparé plein de bonnes chose, et aussi que ce gavage avait pour but (conscient ou non) de le faire taire, comme pour lui dire : « tu n’auras quand même pas l’impudence de parler la bouche pleine de plats j’ai préparés spécialement pour toi, surtout pour me dire ce que je n’’ai pas envie d’entendre).
C’était avant de lire la suite ... et de me dire qu’en fait cette mère semble davantage disposée à « étouffer » son enfant par son silence qu’avec ses plats préférés.
L’alternance d’accords féminins/masculin est très ingénieuse, et touchante. On comprend assez rapidement la nature du mal-être de cet enfant.
« tu ne peux plus être ma mère tant que je resterai seulement ton fils. »
C’est puissant, ce doit être violent pour une mère de lire cela, mais peut-être est-ce l’électrochoc nécessaire pour lui faire prendre conscience de la souffrance qu’elle cause à son enfant.
Juste là, je viens de lire d’autres commentaires ainsi que les réponses que tu y as apportées. Il m’est déjà arrivé d’écrire à des proches des choses très intimes, parfois des pensées, en tout cas des paroles que je n’aurais jamais pu exprimer de vive voix. Ces lettres ne sont pas toutes arrivées à destinations (euphémisme pour dire que je ne les ai pas toutes remises ou postées) mais en tout cas, j’aurais pu écrire ce genre de lettres si j’avais été dans la situation de Noémie/Bastien.
Belle continuation !
Bon et bien moi je savais tout de suite de quoi tu parlais, après tout,les premiers mots de l'histoire ne le cachent pas du tout :)
Par contre, je suis restée assez éloignée du personnage, malgré l'utilisation de la première personne. Je ne saurais pas dire exactement pourquoi... manque d'émotions exprimées par iel peut-être ?
Contrairement aux autres commentaires, j'ai été complètement surpris par la chute. Mais je pense que tu as un certains nombre de lecteurs et lectrices déjà sensibilisés qui l'ont vu venir.
J'ai beaucoup aimé la manière dont la lettre était écrite, les tournures un peu théâtrales.
Au final, texte très triste. Un mère qui délaisse son enfant c'est quand même très déchirant. Je ne peux pas m'empêcher d'espérer que la lettre de Noémie / Bastien aura de l'effet. Même si les personnages sont fictifs.
Bref, un plaisir d'avoir découvert ta plume,
A très bientôt !
Et merci pour tous tes retours <3
Bref. On se calme et on reprend.
Dès les premières phrases, la thématique LGBT+ point le bout de son nez. J'ai tout de suite pensé à une narrateurice trans, en me disant que si ça se trouve, on se situait ailleurs sur le spectre LGBT+. Au final, plus j'avançais dans ma lecture, plus la piste transidentité me paraissait évidente.
Au final, je n'ai pas été cueillie par la chute et la confirmation de mon interprétation. Mais je trouve que c'est une très bonne chose. Déjà, parce que le but de cette lettre (très joli titre, d'ailleurs !) est de fissurer la transphobie de la mère, de la faire revenir auprès de son enfant quel que soit son genre. Et puis, parce qu'une chute aurait rendu l'ensemble assez peu plausible, voire sensationnaliste, en enfermant les lecteurices dans une position type "oooh, c'était donc ça, comme c'est émoustillant !" plutôt contre-indiquée.
Pour expliquer ses émotions et son parcours, la narratrice ne prend pas de chemins de traverse. Au contraire, ses mots vont droit au but, et il se dégage une sensation d'honnêteté, d'efficacité voire d'urgence.
En revanche, j'ai eu l'impression que le registre de langue assez soutenu contre-balançait cette sensation d'efficacité. La narratrice emploie aussi et surtout des formes assez littéraires, presque trop pour une lettre aussi sensible et personnelle adressée à une membre de sa famille. Au final, par endroits, je me suis dis que l'adéquation de tout cela rendait la lettre assez peu plausible, dans le sens où je n'ai pas vraiment cru qu'elle puisse exister dans la vraie vie.
(Si cette nouvelle découle de ton vécu, je m'excuse platement de cette interprétation ! Faute de mieux, mon commentaire porte avant tout sur le "littéraire", alors que l'humain devrait primer quoiqu'il en soit).
A bientôt !
Merci pour ton commentaire, il me confirme une tendance qui va me donner matière à réécriture ! Je suis d'accord avec toi sur la fin cela dit, je ne prévoyais pas de "chute" et je ne compte pas en mettre une en réécrivant, ce n'est pas vraiment le but du texte. Quelque chose d'artificiel comme un "poisson d'avril" ou un "commentaire de prof de français" ou que sais-je détruirait complètement l'intention ^^
PS : au vu des commentaires j'aurais pu m'en douter haha <3 il va falloir que j'aille chercher autre part pour des retours méchants sur ce texte >:)
J'aime beaucoup le titre, super bien trouvé. J'aime bien aussi le sujet choisi et je trouve le texte bien écrit, plein de jolies phrases. Je pense que j'ai suivi le chemin que tu voulais pour tes lecteurices : j'ai tiqué sur les accords successifs au féminin et au masculin d'abord, puis j'ai compris que c'était là le coeur du sujet. Ce qui est dommage, c'est que j'en étais sûre bien avant la fin et donc que la signature n'a pas eu un effet de révélation sur moi. Je m'attendais presque à un autre rebondissement. Autrement, même si j'aime beaucoup l'idée d'écrire à un parent, je n'ai pas vraiment pu croire que c'était une vraie lettre qui allait vraiment être envoyée - plutôt le genre de texte qu'on écrit pour soi, pour se décharger, en l'adressant à son parent sans le lui envoyer réellement. Et je ne sais pas si c'est l'effet que tu voulais donner ou non. Ce qui donne cette impression, c'est le caractère assez littéraire de la lettre, le côté "récit" aussi (rappel de ce que la mère a fait et pas fait) : finalement, lea narrateurice s'adresse davantage au lecteur pour lui soumettre son énigme qu'à la mère, en tout cas je l'ai perçu comme ça. C'est un choix qui se défend, mais ça m'a empêchée d'entrer pleinement dans l'émotion, je dirais.
En tout cas, ne te fais pas de souci sur la compréhension, j'ai trouvé ça très clair !
Et merci beaucoup pour le commentaire détaillé, c'est la deuxième fois qu'on me dit que la lettre est un peu trop "mise en scène/théâtrale/littéraire" pour être vraiment crédible, mais je n'ai toujours pas réussi à trancher si ça me gêne ou pas.
Pour ce qui est de la "fin prévisible", elle n'est effectivement pas surprenante du tout pour qui a su voir les indices, mais je cherche justement un retour d'une personne pas suffisamment sensibilisée aux questions de genre pour voir si la fin est bien déconcertante pour ce public-là... Mais le lectorat de PA est trop fort pour ça ! <3