C'était une bien étrange troupe qui s'engageait en direction du chemin des chats. En tête, le dragon Brume, tenu en laisse par la princesse Marie-Jeanne. Puis un immense mammouth chargé de soixante kilos de steaks hachés et de soixante kilos de viande crue (en la personne du chauffeur de mammouth). Et enfin, fermant la marche, le chevalier Jean-Marc, armé de sa guisarme sans grelots, surveillant les alentours avec concentration. Il ne manquerait plus que le mammouth attire l'attention d'une quelconque bête féroce !
Ils arrivaient au chemin des chats. Il y avait là Chocolat, une grosse bête blanche poilue qui se laissait câliner tant qu'on voulait ; Furax, un matou écaille-de-tortue privé de pattes ; Flocon, blanc tigré de noir aux yeux d'un bleu vif ; Clothilde, grise avec de grandes oreilles toutes douces ; Opéra, noir et blanc et potelé ; Vieille-Branche, un chat brun qui refusait de se séparer de son doudou noir ; Boubou, un vieux félin crème au poil bouclé ; et tant d'autres, tant d'autres... Le mammouth s'était arrêté. Devant tant de mignonnitude, il ne pouvait plus mettre une patte devant l'autre. Furax se frottait à sa trompe, les yeux brillants et plein de cœurs à paillettes.
« Allez ! On se bouge ! »
Le livreur de steaks donna un grand coup de pied dans le derrière de son mammouth, sans succès. Furax bondit sur le livreur, le manqua deux fois mais réussit finalement à se jeter sur lui. Chocolat le rejoignit, et finalement, ce fut sous une montagne de chats que disparut l'infortuné conducteur de mammouth.
« Houston, nous avons un problème ! »
Heureusement, ils n'étaient plus très loin de la maison. Jean-Marc et Marie-Jeanne entreprirent de décharger le mammouth et de porter, cinq par cinq, les soixante kilos de steak haché jusqu'au Burger Princess. Mais pour les autres soixante kilos qui constituaient le livreur, c'était un peu plus compliqué. Notamment parce qu'ils ne pouvaient pas légalement le découper en petits morceaux.
« Ne vous en faites pas, je viens à la rescousse ! »
Ils se retournèrent. Le monsieur fé, alerté par le papillon voyageur, s'était matérialisé sur le chemin, un encensoir à la main. Il le secoua, et une douce odeur d'herbe à chat envahit l'atmosphère.
« Miaaaaaaaaaooooooooooooouuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuu-uuuuuuuuuuu !! »
Les matous se précipitèrent sur le fé - sauf Furax, qui était enrhumé et ne sentait pas l'herbe à chat. Il préféra retrouver le mammouth et se blottir de nouveau contre lui.
« Merci, m'sieur fé ! À la prochaine ! »
Et ils se dirigèrent vers le Burger Princess, laissant l'être féerique aux prises avec les félins drogués.
Il était une heure du matin. Le chevalier Jean-Marc envoya la princesse au lit, parce que « Votre Altesse, y a collège demain ! » Le livreur essaya de se faire facturer au tarif de nuit, mais Jean-Marc refusa tout net et exigea une réduction. Après tout, le livreur n'avait effectué que la moitié de la livraison, le reste, c'était lui et Marie-Jeanne ! En plus, la princesse avait perdu sa robe dans l'affaire, et il entendait bien que l'entreprise verse des dommages et intérêts. Après quatre menaces de procès et trois tentatives d'invoquer un démon, ils en arrivèrent à la conclusion que ce genre de choses pouvait arriver et Jean-Marc paya le prix convenu. Puis le livreur repartit avec son mammouth et le chat Furax, qui s'était attaché à la grosse bête poilue (je parle du mammouth).
Le lendemain, la princesse somnola un peu en cours d'histoire-géo, mais de toute façon ça parlait de sa propre famille et elle connaissait déjà ces histoires sur le bout des doigts. Le Burger Princess ouvrit à l'heure, les clients eurent droit à leurs hamburgers comme d'habitude, et on donna les invendus à Brume. Le mercredi après-midi, Marie-Jeanne alla faire du shopping pour remplacer sa robe perdue, elle en trouva une magnifique, verte et or, symbolisant - selon elle - la victoire de la royauté sur la forêt sauvage.
Et la légende raconte que le fé aux papillons est toujours coincé sous une montagne de chats.