Callum la confiance

Cette amitié aurait pu rester telle quelle. Pendant des années d’une loyauté féroce, Malo et Callum grandirent, collés l’un à l’autre.

Il y a fort à parier qu’eux-mêmes ignoraient pourquoi ils aimaient tant être ensemble. Erin et Glenn avaient au moins eu raison sur un point : ils ne se ressemblaient pas. Mais alors, pas du tout.

 

Le soir où la reine Siobhan quitta ce monde, en ne laissant derrière elle qu’un époux mélancolique et un fils esseulé, une autre famille que la sienne se retenait de fêter trop fort son propre bonheur. Glenn et Erin remerciaient secrètement le Ciel de les avoir laissés en paix.

Contrairement au roi Morholt, Glenn savait parfaitement que le Sort ne recevait d’ordre de personne quand il s’agissait de jouer des vilains tours. Lui et sa femme avaient essayé pendant tant d’années d’avoir un enfant que le jour où ils y parvinrent, ils se méfiaient encore.

Ils y avaient cru la première fois. Glenn s’en rappelait bien : un soir qu’il revenait du travail, après avoir aidé un paysan à mettre bas sa jument, la belle Erin s’approcha de lui pour lui murmurer la nouvelle. Sous le coup de l’émotion, le palefrenier fit choir les dix pièces que le paysan lui avait donné en paiement. Il mit des semaines à mettre la main dessus, en allant chercher sous le lit, dans les rainures du parquet. Mais pour chaque nouvelle pièce qu’il trouvait, Glenn avait une pensée pour le ventre de sa femme qui s’arrondissait de jour en jour, et sur lequel il pourrait bientôt aller poser son oreille et écouter le remue-ménage de la vie qui s’installait.

Et puis, tout s’était effondré. La sage-femme, penchée sur le lit d’Erin, avait hoché tristement la tête sans oser regarder Glenn dans les yeux.

La deuxième fois, ils y croyaient encore. Les fois suivantes aussi. Et puis le rêve de devenir parent un jour s’évanouit en même temps qu’ils prenaient tous les deux de l’âge.

Jusqu’à la cinquième grossesse d’Erin. La dernière tentative. Il n’y en aurait plus d’autre, avait dit la sage-femme, ou bien Erin en mourrait.

Par respect pour le roi, ils gardèrent un visage triste et recueilli pendant les funérailles de la reine Siobhan. Mais dans le secret de leur cœur, un feu plus ardent encore que le brasier qui emportait les cendres de la reine brûlait. L’espoir revenait.

Ils attendirent une semaine avant de nommer le petit garçon. Ils craignaient encore tellement de le perdre qu’Erin refusa de le tenir contre elle les premiers jours. Mais quand Angard le médecin leur assura que l’enfant était en pleine santé et qu’il avait besoin d’eux, ils se jetèrent sur lui et ne le lâchèrent plus.

 

Ils l’appelèrent Callum, et jusqu’au bout, ils remercièrent le Ciel de leur avoir offert un jour d’être parents.

 

Callum respirait la vie, la danse, la tempête. On ne le voyait jamais immobile ; et, bien souvent, lorsqu’on le voyait, il était déjà trop tard : l’assiette était déjà renversée, le sol, crotté, la chemise, déchirée ou tachée. On pouvait alors seulement se boucher les oreilles quand Erin ou le Maître queux déboulait tout feu tout flammes pour le remettre à sa place. Evidemment, ils arrivaient eux aussi toujours trop tard. 

Callum ne supportait pas de rester enfermé trop longtemps. Il aimait le bruit, la rumeur d’une foule, la compagnie de ses pairs et des plus âgés. Il aimait le jeu et les farces qu’on ne peut espérer réussir qu’en grand groupe, comme celles qui impliquent de libérer les chèvres sur la place du marché le jour de la messe, par exemple.

Callum était un farceur, mais il n’était ni méchant ni lâche, et il se rendait lui-même chez ceux à qui il avait causé du tort pour s’excuser. Il leur proposait toujours de se rendre justice comme bon leur semblerait, les yeux baissés, avec un air si désolé que personne n’avait le cœur à le punir. On admettait alors que le rire avait un prix et que pour tant de légèreté on était prêt à le payer en ayant l’air un peu ridicule.

Mais par-dessus tout, on reconnaissait à Callum un don rare, une qualité extraordinaire qui faisait de lui un ami extraordinaire : il ne s’exprimait jamais en sous-entendus. On aurait pu croire que c’était à cause d’un genre qu’il aimait se donner (c’était d’ailleurs ce que se disait ceux qui ne l’appréciaient pas, mais ils étaient peu nombreux et leur avis n’a guère d’importance) mais il s’agissait plutôt d’une sincérité gardée des premières années de l’enfance, de cette époque où l’on ignore tout du mensonge et des barrières infranchissables qui cloisonnent les êtres en eux-mêmes. Par une sorte de magie, et peut-être parce que Glenn et Erin avaient été de très bons parents, les enseignements malhonnêtes du monde avaient glissé sur lui sans le pervertir.

En toutes circonstances, avant que vous ayez parlé ou vous soyez comporté d’une quelconque manière, Callum vous faisait confiance. Aveuglément confiance.

 

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Corneille
Posté le 06/07/2023
Un petit commentaire pour ces cinq premiers chapitres...
Moi qui ne souhaitais que jeter un coup d'œil, je me suis retrouvée à dévorer l'histoire du Royaume Sans-nom ; et maintenant je déplore l'absence de suite.

C'est remarquablement bien écrit : fluide, poétique, additif aussi.
Une question comme ça : savais-tu que Malo signifiait «otage» et «lumière» en breton, et «mauvais» en espagnol ? On ne connait pas encore tout à fait le personnage mais peut-être que cela pourrait prendre son sens.

Chapitre 2 : "la herse château" -> la herse du château
Sinon, au chapitre 4, tu dis « Callum ne se trouvait plus aux archives», puis tu parle du passage secret qui mène de la salle du conseil aux susnommées archives... sans mentionner avant que Callum s'y est rendu (c'est un peu flou ).

Bonne chance pour la suite ! ( qu'elle arrive vite, s'il-te-plait ! )
( finalement, ce n'était pas un si petit commentaire. )
Kamo Azmar
Posté le 06/07/2023
Bonjour, merci beaucoup pour ton retour ! Je n'ai posté que les cinq premiers chapitres à cause du système des commentaires. J'en ai quelques autres en réserve mais cela reste un premier jet et il contient beaucoup d'incohérences, en plus de ne pas (du tout) être achevé. D'ailleurs, tu l'as relevé, dans la première version de ce chapitre, Callum passe des archives à la salle du trône, mais ça a été changé depuis qu'il est devenu fils de palefrenier. Le genre de bagatelle qui perd un lecteur... Je m'en vais remédier à ça de suite !
Pour ce qui est du nom de Malo, non, je l'ignorais. Avec de telles significations, il est aisé de trouver des liens avec ce qu'il va devenir !
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