Ce que cache un trône

Pendant sept ans, le prince ne côtoya que des adultes. Pendant ces sept années entières, il ne connut rien de l’amitié.

 

A cette époque, bien sûr, il se doutait que d’autres enfants existaient, ailleurs, quelque part sous les toits d’ardoise qu’il voyait depuis la fenêtre de sa chambre. Mais il n’avait alors aucune envie de les rencontrer. Il ignorait que parmi eux, un petit garçon en particulier deviendrait quelqu’un de très important.

Ce petit garçon s’appelait Callum. Il était du même âge que le prince. Et c’était, pour lui, une journée spéciale.

-Fils, lui avait dit son père ce matin-là avant de partir, te voilà grand maintenant. Te voilà suffisamment grand pour que je te montre du métier.

Et il l’avait emmené.

Le père de Callum travaillait aux écuries du château. Il était palefrenier. On avait coutume de dire qu’il aimait les chevaux plus que les hommes, et il avait coutume de répondre qu’au moins, un canasson, ça ne causait pas sans qu’on lui demande son avis.

Cela faisait très longtemps que le Roi ne montait plus. Mais Glenn -c’était son nom- continuait de bien s’occuper de ses pensionnaires, et tous les jours, il en sortait deux pour aller trotter sur les chemins.

Glenn présenta son fils à toutes les bêtes du Roi, en les appelant par leur nom. Callum fut même autorisé à leur donner une petite caresse sur le museau. Les écuries comptaient moins d’une trentaine de chevaux, et ils eurent bientôt terminé leur petit tour.

-Pour finir, voici Bouc, dit Glenn en s’arrêtant devant un pommelé courtaud.

-Il ne ressemble pas beaucoup à un bouc, fit remarquer Callum.

Son père désigna la patte avant du petit pommelé.

-C’est parce qu’il est né avec un sabot fendu, comme celui d’un bouc.

Callum fut satisfait de l’explication. Ils en restèrent là et Glenn put commencer sa journée.

Au début, Callum s’intéressa de très près à tous ses faits et gestes. Il posa beaucoup de question. Les chevaux s’entendaient-ils bien ? Ne s’ennuyaient-ils pas trop ? Désiraient-ils, parfois, goûter autre chose que du foin ou de l’herbe ? Callum se rendit très vite compte que son père n’en savait rien. Vraiment : rien de rien. Il se contentait de nourrir les chevaux, de les brosser et de laver leur enclos. Alors, pour y répondre tout seul et pour s’amuser un peu, Callum décida de jouer au cheval. Pendant que son père sortait Bouc pour l’emmener changer son fer, il se glissa dans son enclot, se mit à quatre pattes et fit semblant de manger du foin. Il espérait, ainsi, en comprendre un peu plus sur les états d’âme de l’animal.

-Viens regarder comment j’enlève le fer ! appela le palefrenier.

Pour toute réponse, un « Hiiiiii !!! » monta des ballots de foin. Comme son poulain de fils tenait très bien son rôle, Glenn cessa de faire attention à lui.

 

A l’heure à laquelle Glenn attaquait le sabot fendu de Bouc, Callum ne se trouvait plus dans les écuries.

Le plus étrange, c’est qu’il n’était pas repassé par la porte.

 

En fait, le petit Callum se trouvait à l’autre bout du château, et dans une position plutôt inconfortable : il était blotti contre un immense plateau de chêne,

Il n’y avait pas beaucoup d’espace, derrière le trône du roi. Juste assez pour échapper aux yeux des hommes qui parlaient de l’autre côté.

Les nœuds de bois, dans la pénombre, faisait comme des têtes de chevaux et des visages quand on les regardait du coin de l’œil. Pour se rassurer, Callum imaginait des histoires. Mais dès qu’il se mettait trop en face, les chevaux redevenaient des nœuds sans intérêt et sans secours, et il se demandait quelle serait sa punition. Il ne doutait pas d’être découvert et il avait peur. Son père lui avait fait promettre de ne pas trop s’approcher du roi Morholt.

-Sortez.

Les hommes saluèrent le roi. Callum ne les vit pas, mais il les imagina se diriger, le front baissé, vers la grande porte aux lourds battants qui se trouvait si loin de lui. Il entendit leurs robes à longue traîne glisser sur le sol, puis les portes se refermer dans un claquement sourd qui résonna jusqu’aux petites fenêtres à vitraux sous les poutres.

Un silence terrible s’installa dans la salle du trône. Le roi Morholt allait se lever, quitter son siège et le contourner, se pencher au-dessus du petit corps ramassé derrière. Les yeux écarquillés de terreur, les poumons près d’éclater, Callum se prépara à voir sa haute silhouette masquer le jour entre le dossier de chêne et le mur.

Les secondes passèrent, mais rien ne se produisit.

Le roi était toujours assis, immobile, sur son énorme souche.

-Viens là.

Il sembla à Callum que la foudre venait de frapper, pour la deuxième fois, le gigantesque chêne de mille ans d’âge. Son père lui avait raconté comment, par temps de guerre, les dieux avaient fait subitement mourir le vieil arbre. Comment, pour se souvenir de cet avertissement, le roi de ce temps avait décidé d’en faire un apanage du pouvoir, pour que toujours les chefs qui lui succéderaient aient la sagesse de préférer la paix aux conquêtes. Est-ce que Morholt saurait s’en souvenir, lorsqu’il lui faudrait punir un enfant un peu trop curieux ?

-Qu’est-ce que je vais faire de toi ?

Callum ne répondit pas. La terreur le rendait muet. Il s’extirpa de l’ombre… Et se figea.

A quelques pas de lui, face au trône, un autre enfant le regardait.

 

Depuis le début, le roi ne s’adressait pas Callum. Il parlait à son fils.

Callum réfléchit très vite. Le roi lui tournait toujours le dos. Mais le prince, lui, avait une expression de surprise butée sur le visage. Il allait le dénoncer.

Callum remarqua alors quelque chose, quelque chose qui lui fit se dire que tout n’était peut-être pas perdu : dans les yeux du prince, un petit éclat de lumière dansait. Il vacillait d’un côté et de l’autre, en hésitant, s’agitait en se levant vers le roi, puis papillonnait quelques secondes et coulait sur Callum, avant de remonter à nouveau.

Il n’y avait plus qu’une seule chose à faire.

Tout doucement Callum se mit à bouger la tête de droite à gauche en gardant ses yeux plantés dans ceux du prince. De toutes ses forces, il essaya de faire basculer l’éclat de lumière du bon côté. De son côté. De toutes ses forces, sans prononcer un mot, il lui demanda de le couvrir.

  

Le roi avait parlé. Il se leva. Toujours sans voir Callum, il s’éloigna et quitta la grand-salle.

Les yeux gris du prince le jaugeaient sans ciller, et Callum eu une étrange impression. Il lui sembla qu’on aurait pu frapper le petit prince à mort, il n’aurait même pas crié.

-Merci.

Le prince dodelina de la tête, l’air de dire ce n’est rien, puis tourna les talons.

Peut-être que si Callum avait repensé aux paroles de son père au sujet du roi Morholt, peut-être n’aurait-il jamais fait ce qu’il fit. Peut-être qu’il serait resté bien sagement immobile et silencieux à côté du trône, puis serait parti retrouver son père avant qu’on ne remarque son absence, et alors, le prince serait resté une figure lointaine et froide. Peut-être que mon histoire n’aurait jamais eu lieu d’être. Toujours est-il qu’à ce moment précis, dans le sillon de tristesse de Morholt, Callum ne vit pas un prince. Il ne vit qu’un enfant très courageux qui venait de l’aider sans rien attendre en échange.

-Tu veux savoir par où je suis arrivé ?

Callum désigna le pan de mur contre lequel il s’était tenu.

Derrière l’immense trône où siégeait chaque jour le roi, une minuscule trappe dissimulée par un trompe-l’œil se détachait sur la pierre.

-Tu as un couteau ? demanda Callum

En ce temps- là, on ne craignait pas que les enfants se blessent avec une lame. On préférait qu’ils sachent se défendre, juste au cas-où. Le prince fouilla sous sa chemise et tira un petit poignard. En faisant très attention, Callum l’appliqua à la jointure entre la porte et le mur et tourna. Cela abîma un peu le bois.

Ils poussèrent la trappe.

-Le bois est gonflé d’eau, dit Callum en rendant le couteau. C’est parce qu’il a plu hier.

L’intérieur du conduit était exactement comme il l’avait laissé : humide, glacé, obscur. Un enfant pouvait y tenir debout, mais un adulte aurait dû s’y déplacer cassé en deux, et il n’était pas assez large pour plus d’une personne. Ce n’était pas l’endroit le plus réconfortant du monde, mais ici, à l’abri des murs couverts de moisissures, Callum se sentait mille fois plus en sécurité.

-Je suis tombé dessus par hasard, expliqua-t-il. L’autre bout mène aux écuries.

Ils avancèrent ensemble à tâtons dans le noir. Par endroit, la lumière filtrait entre les pierres mal scellées.

-Tu crois qu’on devrait en parler ? demanda Callum.

Une horrible pensée venait de lui traverser l’esprit. Comme le prince ne répondait pas, il continua.

-La trappe. Je crois que nous sommes les seuls au courant.

-Et alors ?

-Alors, si je voulais tuer le roi, c’est par là que je passerais.

Il y eut encore un silence. Un long silence. Callum l’ignorait, mais, plus encore que pour lui, ce passage secret avait aux yeux du petit Malo des allures de refuge.

- Personne ne sait que ce passage existe, tu l’as dit toi-même, dit le prince. On n’en parle pas. A personne. D’accord ?

Callum haussa les épaules, et, effectivement, ils n’en reparlèrent jamais.

 

Ce que Callum ignorait, mais qu’il finit par comprendre au fil du temps même s’il ne se l’admit jamais, c’est que Malo, en le protégeant de la colère du roi, n’avait pas agi de façon désintéressée.

Il n’avait pas reconnu en Callum un enfant vulnérable que son cœur lui enjoignait de protéger, loin de là. Il avait reconnu en lui une menace.

 

Comme tous les autres, Malo ne regardait jamais le roi dans les yeux. C’était une règle qu’il avait appris à maîtriser, comme ne pas interrompre un adulte ou manger à table avec sa serviette sur les genoux.

En ce jour-là, donc, Malo baissait la tête en attendant que le roi termine de le punir par son silence. C’était la punition préférée de Morholt : garder son fils dans la salle du trône juste suffisamment longtemps pour qu’on s’imagine des remontrances dignes de ce noms. En vérité, le roi se taisait pendant toute la durée de leur entrevue, et ponctuait parfois son discours muet de petites formules toutes faites : "tu me fais honte", "il serait temps de grandir"... Malo en était venu à penser que même ses mauvais comportements ne méritaient pas qu’on réfléchisse pour lui faire la morale.

Quelques heures plus tôt, le maître d’armes en chef du château l’avait traîné jusqu’au trône en affirmant à sa Majesté que, décidément, il ne fallait pas y compter : le prince ne serait jamais une foudre de guerre. Malo ne pouvait pas vraiment lui donner tort : à presque dix ans, il ne savait toujours pas tenir une épée correctement, et encore moins tendre un arc.

Quand Malo avait eu six ans, le maître d’armes s’était donné pour mission d’en faire un homme, un vrai. Le royaume sans nom n’en avait pas connu de bataille depuis fort longtemps, certes, mais on ne savait jamais… Et puis, le prince était né grassouillet, certes. Il avait été un bambin joufflu et mollasson, mais rien ne le destinait à le rester. Un corps, ça se travaillait, ça se sculptait. Ce n’était pas une fatalité. Le maître d’arme pensait d’ailleurs que ce genre de petits empotés faisaient les meilleurs guerriers si on y mettait assez de cœur.

C’est ce qu’il avait répété au roi Morholt pour le convaincre de lui donner l’éducation militaire de son fils. Le roi avait cédé. Mais Malo restait toujours aussi démuni avec une arme entre les mains.

Il avait très souvent l’impression que ses bras et ses jambes lui étaient aussi utiles que s’ils avaient été faits de pâtes en sucre. Ils bougeaient lentement, comme embourbés dans de la mélasse, et le prince ne savait jamais trop quoi en faire.

Pourtant, même si personne ne prenait la peine de le lui rappeler, Malo n’était pas un parfait imbécile. Il pouvait apprendre vite, et facilement. En secret de ses percepteurs qui le trouvaient aussi lent d’esprit, il avait appris seul les anciennes écritures. Il maîtrisait bien l’algèbre, et, si on s’était un peu moins acharné à un faire un guerrier, on se serait rendu compte qu’il promettait de devenir un excellent stratège.

Ce n’était donc pas que Malo ne comprenait pas ce qu’on attendait de lui, ou qu’il s’en fichait. Simplement, ses jambes et ses bras refusaient de lui obéir.

Mais cela, il se gardait bien de l’expliquer au maître d’armes, ou au roi, ou à n’importe qui. Comme toujours, il préférait attendre que l’orage passe, et qu’on pense qu’en plus d’être stupide, le prince du Royaume Sans Nom manquait cruellement de caractère.

 

Le roi avait bu. Il lui arrivait souvent de commencer la journée sans être tout à fait sobre. C’était bien connu, l’alcool était le seul remède qu’on n’eût jamais trouvé à la mélancolie. Mais le vin déliait la langue de Morholt de la plus mauvaise des façons : elle la rendait pâteuse, méchante, venimeuse. Le roi la mâchonnait sans y penser et puis soudain, elle se mettait à bouger étrangement, et sa bouche s’articulait toute seule, elle se mettait à former des mots, des phrases qu’il ne pensait même pas, enfin, il lui arrivait d’y penser, parfois, les jours les plus noirs et les plus tristes, mais il tenait à ce qu’elles restent dans le secret de son esprit, parce que, voyez-vous, ce ne sont pas des choses qu’un roi peut dire.

Ce ne sont pas des choses qu’un père peut dire.

En entendant ce choses-là, Malo fut piqué d’une drôle de curiosité. Il se demanda si son père avait une tête d’homme, comme tout le monde au château semblait le supposer. Il se demanda si ce n’était pas plutôt la tête d’un monstre, d’un gros monstre très laid avec de longues dents, qui surmontait cette montagne noire assise sur le trône. Cette idée aurait dû lui faire peur, c’est vrai, mais, en même temps qu’il sentait cette curiosité poindre en lui, Malo se rendit compte qu’il en avait assez d’avoir peur. Si le monstre voulait le dévorer pour avoir osé le regarder, alors tant pis. Il trouvait même que c’était plutôt une bonne fin.

Malo commença à lever les yeux. C’était plus difficile qu’il ne le pensait. Il observa d’abord les pieds du roi, campés sur les dalles grises dans de grosses bottes en cuir de daim. Elles avaient des boucles en argent larges comme des poings. Cela faisait longtemps qu’elles n’avaient pas été astiquées et elles ne brillaient plus.

Malo remonta un peu. La main du roi reposait sur l’accoudoir en chêne. L’accoudoir était patiné par toutes les mains de roi qui y avaient reposées. Celle de Morholt était calleuse, avec de gros ongles sales et un peu poilue sur le dessus. Elle ne ressemblait pas à la main d’un roi.

En haut de cette main, il y avait le bras de Morholt, et en haut de ce bras, une épaule massive et ronde. Et cette épaule devait être attachée à un torse, sur lequel tenait un cou, et sur ce cou… Le roi était si grand, si énorme, et Malo n’en finissait plus de plier la nuque. Il commençait à se demander si, véritablement, le cou de Morholt soutenait une tête, ou si le corps du roi continuait indéfiniment par-delà les poutres, les combles, le toit et enfin le ciel, quand un détail attira son attention.

Derrière le petit doigt de la main gauche du roi se tenait un enfant.

Au premier instant où le prince Malo vit Callum, il pensa qu’il tenait là le moyen de détourner le roi de son fils déshonorant.

Il pensa aussi que livrer un enfant à la colère ne Morholt n’était pas très digne, mais cet autre discours était tenu par une voix si lointaine, si faible dans le fond de son esprit, qu’il se dit qu’elle devait sûrement exagérer un peu.

L’enfant s’était figé. Il s’était rendu compte qu’il aurait mieux fait de rester caché. Il avait l’air de son âge, peut-être un an de plus ou un an de moins, et des yeux immenses qui lui mangeaient le visage. Il savait qu’un seul mot du prince le trahirait. Un seul mot, pensait aussi Malo, un seul mot, et Morholt tournerait la tête, et il se fâcherait, il se fâcherait pour de bon, pour une fois. Peut-être même qu’il trouverait Malo malin d’avoir remarqué l’intrus, qu’il le féliciterait…

Mais le garçon se mit à bouger. Doucement, très doucement, il hocha la tête de droite à gauche. Il gardait ses yeux immenses plantés dans ceux du prince. Non, disait ses yeux, et sa tête, et tout le reste de son petit corps tremblant qui jurait contre le gris sale du mur, dans l’ombre du trône de Morholt, non, couvre-moi… Et Malo, peut-être parce que c’était sa plus grande peur, la pire chose qu’il craignait de voir se réaliser, y décela un autre message. Couvre-moi, lut-il, et en échange, je ne dirai à personne ce que j’ai vu dans la salle du trône, je ne dirai à personne ce que j’ai entendu le roi dire à son fils.

Je ne dirai à personne que le roi aurait préféré son fils mort pourvu que sa femme soit encore là.

 

A la fin, je crois bien que ni l’un ni l’autre ne savaient plus très bien ce qui devait rester secret : les heures volées par Callum sous le nez de son père, les mots de Morholt, ou ce passage interdit, ignoré de tous, entre les écuries et le trône du roi.

Toujours est-il que ce fut là le premier contact qu’ils eurent. Au moment-même où leur long regard fut échangé dans le dos de Morholt, ils scellèrent, sans le savoir, un pacte étrange. Un pacte qui devait leur dicter, pour toutes les années à venir, une danse infernale de secret, de jalousie et d’amour que personne ne leur avait apprise et ne leur apprit jamais.

Cette amitié, la plupart des habitants du château y restèrent indifférents. Pour qui ne connaissait pas les deux garçons, elle n’avait rien d’exceptionnelle : l’héritier pouvait bien fréquenter qui il voulait. De toute façon, on faisait bien peu de cas de ce qu’il devenait.

Mais Callum, lui, concentrait sur lui deux regards confiants et inquiets à la fois, des regards qui attendaient de le voir grandir avec autant d’impatience que d’émerveillement.

Ses parents avaient toujours trouvé le prince sombre et trop taiseux pour un enfant. Ce n’est pas normal, un petit aussi chagrin que ça, répétait le père Glenn à sa femme. Ils craignaient tous les deux que la venue de Malo dans leur vie n’entache le bonheur qu’ils s’étaient tant refusé d’espérer.

Un soir, Glenn appela Callum pour lui parler. C’était après le dîner, et Callum aurait dû déjà dormir depuis longtemps, mais il avait perçu, de cette façon qu’ont les enfants à vivre bien plus fort les joies et les peines des autres, l’angoisse de ses parents. Il descendit à petits pas de souris les escaliers et s’assit en face de son père. Callum ne se tenait jamais correctement à table. Il ne tenait pas en place, gigotait dans tous les sens jusqu’à ce qu’Erin lui tape le bras ou se fâche. Mais cette fois-ci, il s’assit bien droit, au fond du siège, les mains sur les genoux. A côté d’eux, Erin remuait les braises dans l’âtre en faisant semblant de ne pas écouter, mais ils savaient tous les trois que c’était une discussion importante.

Comme Glenn affichait une mine soucieuse, ne sachant trop comment aborder le problème, Callum croisa les mains sur la table comme son père le faisait quand il cherchait ses mots.

-Dis-moi ce qui te pèse si lourd sur le cœur, papa.

Alors, Glenn lui expliqua. Quand il eut terminé, Callum attendit un peu pour être sûr que son père n’ait rien à ajouter, puis il prit la parole. Lui qui d’ordinaire ne pouvait pas se taire plus d’une minute posa une question.

Une seule et unique question au vieux Glenn qui l’observait gravement.

-Je n’ai pas bien compris, papa. Je ne dois plus voir Malo parce qu’il a l’air de se sentir seul ?

Le vieux Glenn ne répondit rien. Lentement, il hocha la tête et ordonna à son fils d’aller se coucher. Quand Callum eut quitté la pièce et plongé dans un sommeil profond, délivré du silence de ses parents, il se tourna vers sa femme.

-Notre fils devient un grand garçon. Tu sais comment je l’ai compris ? Il vient de m’en rappeler une belle, à moi qui me targue de toujours me souvenir de tout : le malheur peut être contagieux, mais ce n’est pas une raison pour ne pas apporter un peu de joie aux gens malheureux.

Erin sourit. Elle n’en pensait pas moins.

 

Depuis ce jour, ils considérèrent avec beaucoup moins d’inquiétude l’amitié de leur fils avec le prince. Glenn et Erin, et tous ceux qui les voyaient souvent filer sans jamais dire où, prirent l’habitude de l’appeler la Drôle d’Entente, ce qui était juste une façon amusante de dire qu’on ne s’y serait pas attendu.

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