– Maman ? Pourquoi y'a plus que PQ ?
Je sortis des toilettes avec une moue perplexe. Il ne restait plus qu'un misérable rouleau au bout de sa vie, là où la veille s'empilaient des montagnes de paquets même pas ouverts. A moins que quelqu'un ait avalé une boîte de laxatif par erreur pendant la nuit, je ne voyais pas d'explication à cette subite disparition.
Ma mère, très occupée à téléphoner dans la cuisine, me fit signe de me taire alors que je venais lui poser cette grave question. Probablement avait-elle un problème encore plus important à régler.
– ... je l'ai toujours dit, le séchage naturel sur étendage, c'est le mieux pour le linge. Comment tu veux faire, sinon ? ... ah, Martine elle a testé au sèche-cheveu ? Mais c'est du n'importe quoi ça !
– Maman ? insistai-je timidement.
– Tu veux bien me laisser tranquille, Cassandre ? Je suis au téléphone là !
Bon, visiblement les aventures du sèche-cheveu de Martine étaient plus intéressantes que mes problèmes de PQ.
J'adoptai un repli stratégique en attendant que la conférence téléphonique prenne fin. Mais, connaissant ma grande bavarde de mère, ça pouvait prendre un certain temps. Depuis le début du confinement, elle ne pouvait plus sortir comme elle l'entendait, alors elle passait encore plus de temps que d'habitude au téléphone pour compenser.
En sortant de la cuisine, je tombais presque littéralement sur mon frère, j'ai nommé Hippolyte le ptérodactyle. Très difficile à prononcer sans trébucher, je vous l'accorde, mais il trouvait que ça sonnait bien.
– Pourquoi y'a presque plus de PQ ? me demanda-t-il en agitant frénétiquement les bras, les coudes repliés.
Il avait l'air d'un oisillon incapable de tenir en place, mais pas encore assez grand pour voler. C'était presque attendrissant.
– J'en sais rien, je voulais demander à maman mais...
– MAIS OUI GISÈLE, C'EST BIEN CE QUE JE DIS, JAMAIS D'EAU DANS LA MOUSSE AU CHOCOLAT ! RIEN QUE DES ŒUFS FRAIS ET DU CHOCOLAT ! C'EST TOUT !
Raisonnables, nous nous repliâmes loin des beuglements de ma mère qui s'énervait après les incompétences culinaires de sa copine Gisèle. Ma chambre, la pièce la plus géographiquement éloignée de la cuisine, nous parut un bunker appréciable. Mais même à travers la porte close, on entendait malheureusement très bien.
– Tu sais, moi j'ai testé les pâtes au pesto et à la sauce tomate une fois... oui, tout mélangé... eh ben ils n'ont pas apprécié... bon, Cassie a essayé de faire bonne figure – dès que c'est des pâtes elle est pas difficile – par contre Hippolyte m'a fait un de ces scandales !
– Je m'en rappelle, de ces pâtes, grimaça mon frère. Dégeulasse.
– Pas de gros mots !
Il me tira la langue de façon très mature. Il aurait bien ponctué le tout d'une sortie de scène en toute dignité, mais entre ma mère et moi, je crois qu'il avait déjà préétabli quel était le plus grand péril. Alors, histoire de se venger, il entreprit une danse du Ptérodactyle endiablée, sautillant en agitant ses bras – pardon, ses ailes – tout en émettant des cris désarticulés qui manquaient de finesse. Lui-même reconnaissait qu'il avait encore besoin d'entraînement avant d'être au point.
Depuis quelques jours en effet, mon pauvre frère confiné qui n'avait rien à faire de sa peau avait été contraint par la force des choses d'ouvrir son manuel de SVT. Il y avait découvert de fascinantes créatures préhistoriques répondant au doux nom de « Ptérodactyles ». Séduit autant par le charme de leur apparence, et peut-être aussi des réminiscences de l'Âge de Glace 3, il s'était trouvé une étrange affinité avec ces bêtes disparues, qui l'avaient conduit à la conclusion très logique qu'il était l'un d'entre eux. Rien que son nom à la consonnance approximativement proche en était la preuve. Enfin, c'est ce qu'il maintenait avec fermeté.
– Il ne me manque plus que de vraies ailes, expliquait-il tout en bondissant à pieds joints à travers ma chambre.
J'adressais en pensée mes condoléances au voisin du dessous qui devait se demander pourquoi un hippopotame se baladait sur son plafond. Mais je me rappelais que ledit voisin du dessous était aussi l'individu infect qui faisait des fritures de poisson presque tous les soirs, la fenêtre ouverte et embaumait ma chambre par la même occasion. Je rattrapai au vol mes condoléances pour les éliminer à coup de marteau.
– Et avec quoi tu comptes les faire, tes ailes, gros malin ? le raillai-je.
– Avec du PQ ! s'exclama-t-il comme si c'était une évidence. C'est pour ça que je demandais où il était passé...
Heu... Ah ?
Que répondre à cela ?
– CASSANDRE, C'EST TOI QUI FAIT CE RAFFUT ?
Et la porte de ma chambre s'ouvrit avec fracas sur ma mère furibonde. J'étais tranquillement assise en tailleur sur mon lit, mais Hippolyte était pris en flagrant délit.
– TOI, TU SORS D'ICI ! NON MAIS ÇA VA PAS D'EMMERDER TA SŒUR ET LES VOISINS COMME ÇA ?! VA ÉTUDIER PLUTÔT, ÇA TE FERA PAS DE MAL !
Penaud, il déguerpit promptement. Les poings sur les hanches, ma mère secoua la tête avec lassitude.
– Une catastrophe, ce gamin... bon, tu voulais me demander quoi ?
-Pourquoi le PQ avait disparu, mais je pense que j'ai compris pourquoi...
– Je l'ai planqué tout en haut de l'étagère de la véranda. Si tu en veux, va en chercher avec l'échelle, mais pas plus d'un rouleau à la fois, ok ? Et ne dis surtout pas à ton frère où il est...
Nous échangeâmes un regard entendu. La survie de nos stocks de PQ dépendait de notre silence et de notre habileté.
Aujourd'hui 3 avril, Blanquer a fait son annonce concernant la disposition des épreuves qu'auraient dû passer les troisièmes, premières et terminales. Et entre les braillements d'Hippolyte qui, en tant que sixième, n'en avait rien à foutre et s'entraîne consciencieusement à imiter le cri d'un ptérodactyle de sixième qui n'en avait rien à foutre, je compris vaguement ce qui nous attendait, nous, les premières, alias les sacrifiés du nouveau bac.
Le groupe de la classe se fit à fourmiller de notifications scandalisées. Comment, on retirait l'écrit de français ? Comment, on serait noté en contrôle continu ? Alors que l'intégralité de la classe avait une moyenne à peine supérieure à 10 ? Non mais ils comptaient sur l'examen pour se rattraper... Quel scandale... Il n'y avait que moi qui ne me plaignait pas, parce que ma moyenne de français planait gentiment autour des 17. Par contre, en maths et en enseignement scientifique, c'était une autre histoire. Sans parler de l'oral de français qui était maintenu.
Histoire de me défouler sur le sujet, j'appelais Lyana. Non, pas vrai, je n'étais pas du tout atteinte des mêmes tendances téléphonimaniaques de ma mère, quoi qu'en dise le « Appel en cours depuis 2h17 » qui s'affichait sur mon écran.
Comme chaque fois que nous nous appelions, nous avions des tonnes de choses inutiles à nous raconter, et encore plus en ces durs temps de confinement. Nous échangeâmes des nouvelles de nos animaux respectifs : elle, son chien, son chat et son lapin, et de mon côté, mon frère et ma mère. Elle se plaignit des tonnes de devoirs que ses profs lui infligeaient, alors que les miens étaient relativement cools. Sauf cette fichue prof de SES qui nous aimait trop pour nous laisser en paix, nous bombardant de QCM et d'exercices notés.
Nous évoquâmes ensemble le « bon vieux temps », l'époque pré-confinement qui nous paraissait si lointaine. Ah, le doux temps où on se levait à six heures du matin pour prendre le tram... courir les rues balayées de la brise glaciale... se poser sur une chaise pour écouter un mec parler pendant une heure et être remplacé par un autre mec qui parle pendant une heure... descendre à la cantine pour choisir entre pâtes et frites afin de survivre à l'après-midi... où encore d'autres gens venaient nous parler... et finalement rentrer chez soi en affrontant la nuit tombante. Pour recommencer le lendemain.
Bon, soyons clairs, je ne regrettais pas du tout ce temps-là.
Par contre, j'en connaissais d'autres à qui ça pesait. Cf. mon frère.
Et puis, après deux heures et demie d'appel, les sujets s'épuisèrent peu à peu, et finalement nous nous retrouvâmes toutes les deux silencieuses, chacune vaquant à ses occupations en écoutant l'autre respirer à l'autre bout du fil. A un moment, nous rigolâmes de cette situation, qui pour nous commençait à être habituelle. Elle entreprit un rangement de son bureau, si j'en croyais les claquements répétés de classeurs déplacés qui emplissaient mon casque. De mon côté, j'ouvris mon dernier dossier Word pour écrire la suite d'une histoire un peu barge, avec un titre russe que les gens jugeaient imprononçables. Le crépitement de mes doigts sur le clavier ne lui plut pas vraiment. Après avoir poussé à trois heures d'appel, nous nous décidâmes à raccrocher.
Je terminais indolemment mon après-midi en regardant des épisodes de Kaamelott – comment ça, le film va être retardé à cause du confinement ? Fichu coronavirus !
C'est donc avec une vigueur nouvelle que j'allais applaudir à la fenêtre à 20h. Les gens de l'immeuble d'en face étaient assez enthousiastes aux applaudissements, certains se munissant de casseroles ou de porte-voix pour mettre l'ambiance. C'était assez sympa, sauf quand ça rameutait les connards du quartier Mistral, ceux qui se baladent en moto pétaradante avec la casquette à l'envers, et qui paradaient dans la rue comme si c'était eux qu'on acclamait. Ça énervait ma mère, que mon père tentait de persuader que non, leur lancer des marmites à la figure n'était pas la solution. Moi, j'essayais de ne pas trop y faire attention, et je faisais coucou au garçon de l'immeuble d'en face, un étage au-dessus du mien, qui agitait les bras dans ma direction. A cause de l'obscurité de la soirée, je ne voyais pas trop son visage, mais j'estimais qu'il devait avoir mon âge. C'était sympa, ces applaudissements, ça permettait de connaître un peu la tête de ses voisins qu'on ne croiserait pas autrement... surtout en période de confinement.
– Si tu veux, je pourrais te faire des ailes en PQ à toi aussi, comme ça tu pourras essayer de voler vers sa fenêtre, me dit Hippolyte alors que nous fermions les volets.
Je trouvais ça juste adorable. Trop con mais adorable.
Comment dire...j'ai hurler de rire du début à la fin !!!XD XD XD
Je ne vais pas faire le panel des meilleures phrases parce que ça ferait le chapitre entier sinon mais c'est absolument génial!!
Entre le ptérodactyle-de-6eme-qu'en-a-rien-à-foutre, les réserves de PQ, la maman qui fait les tutos "mousse au choco" j'en peux plus! XD
Juste " la suite d'une histoire un peu barge, avec un titre russe que les gens jugeaient imprononçables." serait-ce PSych- merde je me souvient plus du reste... ^^'
Et dégoutée pour Kaamelott aussi T-T
Faire la liste de tout ce qui m'a plu serait aussi trop long donc juste: Bravissimo!!!
A la prochaine!
Bisous^^
Oui exactement c'est ça XDD répète après moi, lentement : Psy-chose-vitch.
AHHHH CA SAOULE POUR KAAMELOTT HEIN ?!
Merci encore !!! Et dans le prochain aussi j'aurai du lourd, du très très lourd.
C'est vraiment mérité! J'ai presque autant ris que devant Kaamelott "L'oud II"(comprendra qui pourra) XD
Alors: Psy-chose-vitch. C'est bon madame? XD Faut vraiment que j'aille le lire.
OUIIII!!!! C'EST SUR COMME NOUVELLE?????? PUTAIN ON EN A GROS!
hum, hum...Bref, hâte de voir ce lourd, ce très très lourd. (la réf XD)Mais la patience est un plat qui se mange sans sauce.
Ahh merci ! ça c'est un compliment qui s'apprécie !
Oui, bravo ! 10/10 ! Et sinon je confirme mdr va le lire. Non je ne pousse pas à la consommation. Pas vrai. XP
Oué il paraît que les enregistrements de la bande-son ont été retardés, du coup ça fout toute la post-prod en l'air T_T
J'étais pas sûre que tu l'aurais celle-ci mdr.
Oui, Perceval détient la vérité universelle. La patience est donc un plat de coquillettes.
Y a pas de mal à faire sa pub, t'inquiètes! *planque les affiches "v'nez m'lire" sous sa chaise*
Oh merde je savais pas... T-T Go tout revoir pour oublier...
XD j'en ai plus que ce qu'on peut croire! (y a une pote qui est en train de me faire ma culture internet et mème en parallèle)
Absolument!! Et sloubi double.
Mdr tkt on le fait tous de toute façon ;)
Bonne mentalité ! Mais actuellement je suis en train de relire Kiwi ex machina donc ça attendra un peu XD
ça c'est une bonne pote ! X)
Quand on remporte un tour à sloubi, soit on annule le tour, soit on passe, soit on change de sens, soit on recalcule les points, soit on compte, soit on divise par six, soit on jette les bouts de bois de quinze pouces, soit on se couche soit on joue sans atout. Et après y'a les appels ; plus un, plus deux, attrape-oiseau, régourdon, ou chante Sloubi.
Oui en effet XD En cours on se refait des extraits entiers du Donjon de Naheulbeuk ("-je suis nyctalope -J'savais bien que tu étais une...")
CUL DE CHOUETTE!!!
Awii Naheulbeuk X) j'ai vu une parodie avec les paroles des audios sur des images sur seigneur des anneaux, c'était épique et ça rendait hyper bien X)
Et le jeu du Sirop aussi c'est bien !!
Ouiii Naheulbeuk c'est la base !!! Je connais les épisodes par cœur !
Oui je les ai vu c'était presque aussi épique que les résumés foireux XD (puisqu'on en est à notre culture internet !)
Ahhhh les résumés foireux ils sont géniaux aussi !!!
Bon écoute, maintenant que le sujet est lançé XD Sinon moi pour tuer je confinement je me suis mise à regarder des mini-séries sur youtube : en tête de liste, Bref et Skam France.
Oh j'irai voir !! Je connais un peu bref c'est hilarant !
Déjà j'ai ri à cette phrase, bon pas qu'à celle là mais j'ai voulu la noter elle
''Je rattrapai au vol mes condoléances pour les éliminer à coup de marteau..''
Moi mon voisin adore passer l'aspi à partir de 21h en déplaçant tous ses meubles.. Sachant qu'il est au chômage partiel c'est RELOU.
Tiens, les discussions téléphonique ça me rappelle un truc mouhahah.
Le petit frère est trop mignon, ta dernière phrase résume bien le truc.
Et la maman, tellement drôle... XD C'est tellement ça.
Ahah oui moi aussi j'ai un voisin du dessous maniaque du ménage XD à croire qu'on a tous la même vie mdr
Mais quand même, le bruit de l'aspi au-dessus et les odeurs de poisson frit en dessous, certain soirs c'est... pesant... XD
Mdr je vois pas de quoi tu parles 😇
J'adore écrire sur le petit frère, il fait partie des rares éléments inventés dans cette histoire du coup je m'éclate XD contente si tu l'aimes bien !
Ah, et la maman... là c'est du 100% authentique. XD
Merci de ton passage !
Nouvelle thèse sur la disparition des dinosaures : pénurie de PQ.. adieu petit ptérodactyle ! Sans blague, j'espère qu'il les fera ses ailes et qu'il s'envolera loin le petit Hippolyte.
Ça le lit bien. Bravo.
Ahah ben ouais c'est une théorie à creuser ça !
Oui, j'espère aussi... dès qu'il aura trouvé le PQ il pourra réaliser son rêve X)
Merci pour ton passage ;)