Une barre.
Ah non, deux.
Trois... Oui !
Et de nouveau une barre.
Je fixe mon téléphone. Les barres réseau n'arrêtent pas d'aller et venir.
— Raaaaaah, mais fonctionne ! je crie en agitant mon portable en l'air.
Nathanaël m'observe depuis son tapis d'éveil, se demandant probablement pourquoi sa mère secoue un truc en plastique tout en criant comme une folle. Ou peut-être est-il simplement en train de se demander quand est-ce qu'arrivera le prochain biberon.
Quatre barres !
Sans hésiter, je lance Whatsapp et trépigne alors d'impatience lorsque les mots « appel en cours » et la photo de ma meilleure amie et moi s'affichent sur l'écran. Puis finalement, l'appel est en cours.
— Rose ! Je suis siiii contente de te parler !! s'exclame Clémentine, que je ne vois pas encore.
Et pour cause, elle a encore laissé traîner ses épais cheveux sur la caméra.
— Clèm, tes cheveux.
— Quoi mes cheveux ?
— Pousse les, nouille. Ils sont sur ta caméra.
J'entends Clémentine se redresser en marmonnant, et son visage apparaît enfin. Elle est avachie sur son lit, je peux apercevoir ses draps verts et son pyjama en pilou.
— Encore au lit ? je lui demande, d'un ton las.
Mon amie baille à s'en décrocher la mâchoire.
— C'est que je n'aurais pas dû jouer à la console jusqu'à trois heures du matin...
— Clèm, il est treize heures.
— QUOI ?
Elle bondit hors du lit en attrapant son téléphone, ce qui me donne l'étrange impression de regarder une vidéo filmée dans des montagnes russes. Mais cette fois-ci avec des cheveux blonds en premier plan.
— Je te laisse, faut que je m'habille !
— Mais...
Trop tard, elle a interrompu l'appel.
Je m'affale sur la canapé en soupirant. Elle a toujours été comme ça, je ne devrais même pas m'en étonner. Elle rappellera plus tard.... Après s'être lavée, habillée, et après avoir nourri les poules et tous les autres animaux que je n'ose même pas approcher. Quelle idée d'habiter dans une ferme au milieu de nulle part !
En attendant, je joue quelques temps avec Nathanaël. Mon fils tente de fracasser ses cubes en bois sur le parquet alors que je l'observe, toute attendrie.
— Tu donnes un cube à maman, mon chéri ?
Pour toute réponse, il regroupe ses jouets vers lui dans un geste qui se veut sûrement protecteur.
— Maman ne peut pas jouer avec toi ?
Il éclate de rire en tapant deux cubes l'un contre l'autre.
Je ne sais pas comment le prendre... Dans un énième soupir, je lui montre sa petite poupée de chiffon, que j'anime comme une marionnette. Rien à faire, il n'y prête absolument pas attention.
Alors nous restons face-à-face sur le parquet du salon, lui jouant avec ses cubes et moi, mon menton dans les mains, à le regarder. Je jette des coups d'œil furtifs à mon téléphone, attendant que Clémentine me rappelle. Elle a peut-être oublié...
C'est la sonnerie bien trop forte de mon téléphone qui me fait sursauter. Je me rue dessus et décroche en quelques millisecondes.
— Deux heures pour te préparer ?! interpellé-je aussitôt Clémentine, sans attendre que la vidéo se lance.
J'entends des bruits de casseroles et de cuisson, puis je vois le granit du plan de travail de mon amie.
— Ta caméra...
— Oups !
Elle redresse son téléphone, ce qui me donne une vaste vue sur sa cuisine, et sur les cheveux de Clémentine, de dos.
— Tu t'es mise à la cuisine ?
Elle se retourne et m'adresse un grand sourire.
— Un risotto aux champignons !
— Clèm, tu détestes les champignons.
— Eh bien, c'est pour ça que je n'en ai pas mis, explique t-elle en préparant le riz.
J'hésite à la qualifier de génie ou de cas désespéré.
— Tu sais où est ma cuillère en bois ?, demande t-elle soudainement.
— Le pot au-dessus du four, à côté du basilic.
Elle attrape ladite cuillère et remue l'eau dans sa casserole.
— Et sinon, comment elle va la petite famille ?
— Elle n'est pas encore morte.
— C'est super ça ! Par contre toi tu as une petite voix. Tu dors la nuit ?
— J'aimerais...
Elle se retourne encore et s'approche de son téléphone pour me regarder avec pitié.
— S'il n'y avait pas le confinement, je t'aurais bien proposé de prendre Nat quelques temps mais là...
— Aux vacances, peut-être, marmonné-je en surveillant mon fils s'appliquant toujours à faire souffrir le parquet.
Clémentine semble interloquée par ma dernière phrase.
— Rose, on sera encore en confinement aux prochaines vacances, me dit-elle lentement. Trop lentement.
Que vient-elle de dire, au juste ? Je dois avoir les oreilles bouchées... Pourtant je les ai nettoyées hier ! En plus je n'ai presque plus de cotons-tiges. Il va falloir que j'en rachète.
— Rose ! Tu m'écoutes ?
Finalement il semblerait que mes oreilles ne soient pas bouchées. Mais je vais quand même racheter des cotons-tiges.
— Tu disais ?
Elle me regarde en se mordant la lèvre inférieure.
— Le dé-confinement est prévu pour le 11 mai... Ils l'ont annoncé avant-hier, je crois.
— Je vais devoir rester enfermée encore des semaines chez moi ? Sans pouvoir prendre de vacances de ma famille ?
— Au moins tu n'as pas à te soucier de ton boulot... Tu es encore en congé maternité...
— Ben il commence à me manquer mon boulot, je gémis en me prenant la tête dans les mains.
Je reste un moment ainsi, tandis que Clémentine me regarde, sa cuillère en bois dans la main. En jetant un coup d'œil au-dessus de ma main, j'aperçois une lueur rouge derrière elle. Qui vient de sa plaque de cuisson.
— Ton risotto, il....
— Et merde ! crie t-elle en se saisissant d'un torchon, qu'elle agite frénétiquement.
— Tu ne devrais pas mettre de l'eau plutôt ?
— Hein, quoi ? Ah, si.
Au bout d'un moment, elle finit par éteindre sa plaque de cuisson, et jette à la poubelle le riz brûlé. Je l'observe faire en souriant. Cette situation est typique d'elle ; d'aussi loin que je me souvienne, elle loupait absolument tous ses plats. Sauf les pâtes, et les plats Picard.
— Qu'est ce qu'elle a fait comme connerie elle ? lâche soudain Yoann par-dessus mon épaule.
Je sursaute et me tord le cou pour le voir. Il m'adresse un grand sourire, et cale un peu mieux Nathanaël, calmement blotti dans ses bras.
Je ne pourrai pas prendre de vacances.
Je lui rends son sourire, et prends Nathanaël dans mes bras. Clémentine, elle, se retourne de nouveau vers son téléphone, et nous éclatons alors de rire en voyant ses lunettes toutes embuées.
— J'avais pas faim de toute façon, dit-elle en s'asseyant en face de la caméra, vexée.
— Tout va bien de ton côté ? demande Yoann.
— Nickel. L'avantage d'habiter à quinze kilomètres du seul village paumé dans la campagne, c'est que je ne suis jamais contrôlée lorsque je me ballade.
— Attends, tu sors ? L'interromps-je, médusée.
Elle sors alors que moi je suis bloquée dans cette maison depuis des semaines ?
— Disons que ce ne sont pas les vaches qui vont me demander mon attestation.
Nous continuons de parler pendant plus d'une heure, et Nathanaël semble tout content de voir sa marraine.
— Tu sais quoi mon grand ? Quand tu viendras voir marraine je t'emmènerai en forêt pour aller cueillir des champignons, lance Clémentine quand Nathanaël commence à fatiguer.
Mon fils babille allègrement à cette annonce, et ne ronchonne presque pas lorsque Yoann le reprends pour le changer. Je les accompagne du regard avec un petit sourire, puis reporte mon attention sur mon amie.
— Tu as encore oublié que tu détestais les champignons ?
— Sûrement.
Puis le silence. Je vérifie que Clémentine n'est pas morte devant son portable ; d'habitude elle est très bavarde...
— Hého ?
Elle se masse les tempes en grommelant.
— Tout va bien Clèm ?
— J'ai une chanson dans la tête.
Oh non. Pas ça.
— Je peux la chanter pour...
— Non, surtout ferme-la.
— Mais je...
De nouveau le silence. Clémentine me regarde fixement.
— Bon ben... Je te dis bye ? je tente, peu sûre de moi.
Elle va le faire.
— Mon petit oiseau, a pris sa volée...
Elle l'a fait cette cruche.
J'appuie à toute vitesse sur mon téléphone pour mettre fin à l'appel. Mais elle serait capable de m'envoyer les paroles par SMS...
Le problème avec cette chanson, c'est qu'elle reste. Le pire, c'est que Nathanaël ne s'endort qu'avec celle-là. Et le pire du pire, c'est que les vacances à la campagne sont annulées. Mon seul repos, mon seul espoir de survie.
J'appuie mon menton sur le rebord de la table et m'attelle à fixer le bocal du poisson rouge.
Parfois, j'aimerais être un poisson rouge. Ne penser à rien, ça doit être tellement relaxant...
J'ai adoré retrouvé la petite famille.. La meilleure amie est à mourir de rire !!! Je la comprends, jeune j'ai réussi à faire flamber des spaghettis. Mouhaha
L'appel est drôle, les échanges etc.
Et oui nous sommes tous coincés jusqu'au 11... voir plus XD
Je me suis énormément amusée à écrire les interactions avec Clémentine, on sent d'ailleurs que je me suis bien lâchée ! xD
Merci à toi !
Oui... J'ai hâte de pouvoir vraiment sortir de chez moi pour ma part. :') Même les supermarchés me manquent !
Un chapitre au top, j'ai adoré découvrir la meilleure amie à côté de la plaque!!!
Très bien écrit, j'ai adoré la galère Whatsapp (le vécu XD), le risotto aux champi sans champi qui a la clairvoyance de mettre fin à ses jours seuls, le petit avec ses cubes...
Et pour couronner le tout la réf à Kaamelott! Par contre là je te maudis Aaskia. Je l'ai dans la tête.
...
...
Grumph.
Pour l'anecdote, le personnage de Clémentine c'est moi xD
Houla, tu m'a tuée avec le risotto qui se suicide xDD Je ris depuis tout à l'heure, j'en peux plus ! :'D
OUI BAH LA CHANSON C'EST PAS MA FAUTE (je l'écoutais en boucle quand j'écrivais ce chapitre mais chuut) Avec la catastrophe du film Kaamelott (j'ai vu que vous en avez parlé avec Miroir xD), fallait bien que je trouve quelque chose pour remonter les moral des troupes :')
Allez, fais moi un p'tit sourire :))
Clémentine c'est toi?! XD J'étais pas prête! Faudra que tu me donnes ta recette de risotto neurasthénique!
MAIS JE L'AI TOUJOURS DANS LA TETE!!!
Mais punaise oui cette cata T-T. *soupir*
Merci pour cette tentative, fallait pas... A la volettte, a la v...Graaah...
*sourire douloureux* :-P
Bises!
(ben ouais désolée mais moi aussi je l'ai dans la tête mtn)