Avant que l’examen de magie ne commence, la princesse suivit son maître d’armes sans hésiter. Ils atteignirent le bas de la falaise. La bordure ensablée s’entremêlait avec une grâce limpide aux aqueux embruns de l’océan. Soudain, une brise iodée caressa le visage de l'homme. Il s’arrêta et contempla la vaste étendue maritime. D’un geste assuré, il traça un cercle dans le sable avec son épée. À peine eut-elle achevé son tracé, qu’un vent capricieux s’éleva, portant avec lui, une myriade d’étincelles dorées.
La princesse recula d’un pas, fascinée. Le sable frémissait sous l’effet d’un sortilège ancien. Une lumière ondoyante s’infiltrait entre chaque grain. Puis le cercle pulsa, irradié d’une clarté surnaturelle. Elle sentit la magie vibrer dans l’air.
— Ici commence ton épreuve. Déclara-t-il d’une voix grave. « Ôte les tourments de ton âme.
Elle hocha la tête, mais son esprit était fragile, emprisonné dans l’étau du doute. Ses doigts frémissants, effleurèrent la gemme de son collier. Un éclat scintillant, tel le fragment d’une étoile arraché au firmament, pulsa. Sa lumière, chaude et vibrante, lui intima la promesse d’une harmonie qui bientôt guiderait ses pas.
Elle ferma les yeux. L’écho des vagues se transforma en murmure ancestral. L’air frémit et se chargea d’énergie. Les effluves de son pouvoir divin, s’élevèrent en spirales mouvantes autour d’elle. Dans l’ombre de son esprit, se dessina l’infini. Un kaléidoscope de flux énergétiques se tissa. Les vies des Neuf Royaumes se transformèrent en ballet cosmique et résonnèrent avec sa propre existence. Elle inspira, profondément, douloureusement. Dans un ultime élan, elle projeta sa magie vers le cercle. Une lueur azurée jaillit et éclata en mille scintillements. Son pouvoir ondula, hésita et s’immobilisa.
- Le stress… Difficile d’être calme en pareille circonstance. Toute cette effusion de cris et d’aura me met mal à l’aise ! Elle se laissa choir contre un rocher.
Il s’agenouilla lentement, à hauteur de la jeune fille. Son regard, voilé par la tristesse, s’abîma dans le silence. Il n’était qu’un professeur, un simple guide envoyé par son Isis pour enseigner à la princesse, les fondements du pouvoir. Mais le pouvoir seul, n’était rien sans la maîtrise. Que serait la future Isis des Neuf Royaume, sans la force d’une guerrière ?
- Que disait ta mère déjà ? Te souviens-tu ? Il posa sa main sur l’épaule de la jeune fille.
Il sentit un soupir se perdre au creux de sa gorge. Un sentiment d’inquiétude serpenta le long de ses membres. Il aurait voulu croire en sa réussite, en la force intérieure de la jeune fille, mais l’épreuve qui s’annonçait, n’avait rien d’indulgente. Il la regarda, frêle dans l’immensité de ce défi et se surprit à la plaindre. À plaindre son combat solitaire, et à craindre ce qui adviendrait s’il échouait à faire d’elle une combattante.
- Oublie tous sentiments. Ferme ton esprit et ton cœur. Ne ressens rien, deviens la main qui les guidera sur le chemin de la lumière. C’est difficile… Elle se releva, laissant chaque fibre de son corps s’effacer dans le calme.
- Ta mère y arrive très bien pourtant… Il recula face à la vague d’énergie qu’elle dégagea subitement.
- Maman est un monstre… Toutes ces années passées à combattre ont eu raison de son esprit. Devenir hermétique à tous sentiments lui permet de plonger dans les ténèbres avec facilité ! Je ne suis pas comme elle ! Ma part d’humanité est bien plus importante que la sienne et les sentiments que je ressens contrôlent mon corps plus aisément qu’elle. Je suis humaine à l’origine alors qu’elle est née d’un corps divin. Elle s’adossa contre un piquet de tente, fermant ses yeux pour mieux contrôler son pouvoir.
- Ta mère sait se montrer bien plus humaine que nous Asgardiens. Elle a juste appris à ne pas laisser ses sentiments acter ses actions.
- Elle à subit l’entraînement des Katastrep ! Moi pas ! Là est toute la différence.
- Peut être ! Mais toi, tu suis ton propre chemin. Tu peux t’entraîner toute ta vie, jamais tu n’atteindras la même puissance qu’elle ! Mais tu peux essayer de t’en approcher et cela commence par écouter et entendre les leçons qu’elle t’inculque ! Tu ne comprends pas encore tout ce qui fait de toi un Isis, mais aujourd’hui, est le premier pas vers la compréhension de ce que tu es ! Ne laisse pas tes sentiments te dicter ce que tu dois faire.
Il joignit ses mains à ceux de Jade. Les tremblements qui parcouraient la jeune fille se calmèrent.
Mais cette pression est insupportable ! Je regrette ma vie en tant qu’enfant humain, c’était si simple. Les battements de son âme se firent forts et chaotiques.
- Ne regrette rien ! Bientôt tu comprendras que le sacrifice qui t’a mené au monde, est la plus belle chose qui soit ! Tu es notre future Isis, et ma loyauté t’est acquise, n’en doute jamais. Je crois bien qu’il est temps pour toi de nous montrer les fruits de tes entraînements ! Bonne chance princesse.
Elle s’élança vers les portes d’entrée du plateau, sa veste blanche aux liserés doré scintillante sous la lumière. Son maître d’armes la regarda s’enfoncer le long de la falaise aux crêtes acérées. Et tandis qu’elle abandonnait le tumulte de sa sensibilité pour laisser place à une lucidité cristalline, elle s’engagea dans l’étroit corridor de terre, se guidant aux sons des cris de la foule.
Lostris se leva de son trône. S’avançant vers la balustrade, regarda l’entrée du plateau, et tenta d’insuffler de la force à son enfant. Les cris de colère de la foule résonnaient en écho et les trépignements d’impatience de Odin achevèrent son calme.
- Tu ne peux intervenir, seule elle est, seule elle doit combattre ! La voix autoritaire du roi d’Asgard s’éleva.
- Elle a peur ! Quoi de plus normal pour une enfant qui est une entité divine depuis à peine deux ans maintenant !
- Si tu avais laissé les professeurs faire leur travail, l’enfant n’aurait pas ce comportement.
Lostris souffla d’agacement. « Dis-moi Odin, pour quelles raisons souhaites-tu ardemment qu’elle devienne une combattante ? Lorsqu’elle prendra la régence du royaume, la guerre sera terminée. Agrippant le parapet, elle tourna sa tête et plongea son regard dans celui du vieux monarque.
— Ta guerre sera certes terminée, mais quand est-il du conseil des dieux ? Ne vont-ils pas à leur tour tenter des actions belliqueuses contre nous ?
— De quoi as-tu peur ? Les dieux n’ont aucune raison de nous attaquer, ils seront bien trop occupés à ramasser les pots cassés qu’à vouloir nous faire la guerre ! Puis la barrière protège le royaume, vous n’avez donc rien à craindre.
— Elle n’est aucunement réceptive à ce qu’elle est ! Qui nous dit qu’elle consolidera la barrière et qu’elle continuera à protéger les neuf royaumes ?
— Ce n’est qu’une enfant ! Le temps où elle se plongera corps et âme dans sa véritable nature viendra bien assez tôt ! Les cris de la foule cessèrent subitement. Étonnée par l’arrêt brutal des sons aigus qui lui brisaient les tympans, elle se retourna et levant les yeux vers l’écran magique, chercha ce qui provoquait le silence.
La princesse foula l’épais tapis sablonneux de l’entrée. Debout face à elle, ayant pris position dans un cercle d’une parfaite symétrie, les Asgardiens l’attendaient. Un rapide coup d’œil lui donna les premières informations.
Un : Analyse du terrain.
L’entrée du plateau, vaste carré de sable aux proportions gigantesques se dressait. Quelques piliers dont certains partiellement détruit, étaient disposés de façon à représenter un rectangle. Les arceaux de métal enfoncé dans la roche, rouillés depuis bien longtemps, luisaient encore du sang des malheureuses victimes de la barbarie des jeux, qu’organisaient Asgard auparavant. De lourdes tentures aux coloris dorées et rouge pendaient mollement sur les remparts. Elle croisa le regard de sa mère, assise dans la loge royale, Odin derrière elle, la fixant de son œil encore valide et Hélios debout à côté de sa mère, lui envoyait mentalement tout son soutien.
Deux : Se servir de l’environnement et utiliser tout ce qui se présente.
Son esprit tournait à plein régime. Tentant d’élaborer un plan, les piliers qui s’élevaient vers le ciel allaient lui permettre d’user de sa magie sans toucher la foule. Encore fallait-il qu’elle en ait le temps. Les deux Géants qui s’avançaient vers elle lui firent perdre ses moyens
Trois : Ne pas craindre de détruire, tout se reconstruit, la magie le permet.
Détruire et reconstruire ! La vie pouvait-elle être reconstruite ? Les géants, qui de leur pas faisaient trembler le sol, lui firent peur. Elle commença à hésiter et d’un geste, utilisa la poussière et la lumière pour créer un sort d’illusion lui permettant de se soustraire à leur vu. Les cris de la foule mécontente résonnèrent. Les tremblements reprirent et malgré les conseils de sa mère qui tournoyaient dans sa tête.
Quatre : Foncer et laisser la peur sombrer dans l’oubli.
Foncer. Le dernier conseil de sa mère la laissait dubitative. Comment avancer face à ses hommes venus de contrées lointains sans laisser la peur la saisir ? Sa mère le faisait très bien, elle était une habituée des combats. Ses ennemis étaient bien plus dangereux que ces quelques soldats, et pourtant elle n’arrivait pas à se faire à l’idée de devoir se battre contre des êtres vivants ! Plaquée contre le mur, elle regardait les deux Géants s’avancer vers elle. Son corps était figé, les larmes lui montèrent aux yeux et son cœur se remit à tambouriner violemment dans sa poitrine. Son esprit en alerte malgré l’effroi qui la saisissait peinait à trouver une solution. Elle s’élança vers les arbres se tenant au loin.
Les deux Géants qui s’avançaient il y a peu vers la sortie de la forêt pour stopper la progression de la jeune fille, gisaient face contre terre. Parcourus de spasmes, leurs corps se soulevaient de quelques centimètres du sol avant de retomber lourdement, projetant des vagues de poussières. Entre les arbres, la silhouette imperceptible pour les non magiques de la princesse, s’avançait vers le lac central. Les soldats en alerte au bord de l’eau, se positionnèrent de sorte qu’aucune attaque ne puisse les atteindre. Les Asgardiens avaient déployé une barrière magique qui luisait faiblement, parasitée par les particules sablonneuses.
Debout derrière un arbre au tronc gigantesque, Jade laissa les deux Lupus s’avancer vers elle. Les canidés, aussi grand que des chevaux, leur pelage noir et les yeux jaunes, claquèrent leur mâchoire dans de violents grognements. Ils s’élancèrent à toute vitesse. S’arrêtant à quelques mètres d’elle, les babines retroussées, leur attention se fixa sur elle dans une attitude tendue. Les paroles de sa mère lui revinrent en mémoire.
Les animaux n’attaquent pas le divin. Leur instinct les pousse à se comporter comme si nous étions les dominants. Se sachant à l’abri d’une attaque, elle s’avança vers eux.
D’un claquement de doigts, elle fit apparaître des quartiers de viande qu’elle leur lança. Les lupus attirés par l’odeur, se jetèrent sur leur pitance. S’asseyant à leurs côtés, elle leur susurra une incantation avant de laisser ses mains parcourir l’épais pelage de leur robe noirâtre. La douceur sous ses doigts l’apaisa. La chaleur dégagée par la bête, l’enveloppa dans un cocon, alors qu’elle posait sa tête sur les flancs de l’animal. Se laissant bercer par les odeurs forestières qui l’enivraient, elle laissa sa magie accaparer le terrain, Les hurlements de colère de la foule s’estompèrent de son esprit, et comme si elle s’enfermait dans son propre monde intérieur, elle occulta totalement la réalité. Elle se mit à incanter.
— Eh le Vanne ! Ta bête, qu’est-ce qu’elle lui a fait ? L’Asgardiens surpris par la tournure des événements, venait de renforcer sa barrière.
— Des animaux faillibles pour un peuple faillible. Pourquoi donc son altesse est-elle allée vous chercher ? L’elfe du nom de Eno, en retrait, banda son arc.
— C’est quoi ton problème l’elfe ? Retourne faire la danseuse dans tes bois ! Le grognement du Vanne irrita les trois Elfes.
— Les Elfes et les Vannes, deux peuples inutiles et enclins à la guerre si facilement. Pas étonnant que seule la reddition vous soit connue !
— Toi l’Asgardien n’oublie pas que bientôt nous aurons notre vengeance sur ton peuple. Bientôt viendra le temps où tu payeras pour ce que tes ancêtres ont fait aux miens. Il pointa son arc vers l’homme qui dégainant son épée vint menacer l’homme forestier.
— Vous n’avez plus le contrôle de nos peuples, d’ailleurs pourquoi notre Isis vous laisse la protection du royaume ? C’est une grossière erreur ! On ne peut pas vous faire confiance !
— Retourne donc dans tes grottes puantes le Vanne ! Asgard est et restera dans les bonnes grâces de son Altesse !
Debout dans la loge royale, Lostris et Hélios regardait la troupe de soldat prête à s’entre-tuer. L’atmosphère se chargeait d’énergie négative. Imperceptibles à l’œil nu, des particules de noirceur virevoltaient, assombrissant la bulle de magie dans laquelle ils étaient enfermés. Prise d’un mauvais pressentiment, elle se focalisa sur son enfant qui couché contre les bêtes carnassières semblait dormir.
— Que se passe-t-il et que fait-elle ? Demanda-t-il, la peur au ventre pour son Isis.
— Je l’ignore. On dirait que ses actions ont pour but de laisser les soldats se retourner les uns contre les autres. Regarde bien. Elle leva le doigt vers le centre de l’arène. « Tu vois les particules qui flottent autour d’eux ? Elle se sert de leurs barrières de protection pour les enfermer.
— Chercherait-elle à user de magie noire ? Odin s’avança vers la balustrade.
— Elle est bien trop instable pour l’apprentissage de la magie noire ! En la voyant immobile contre les loups, Lostris analysa l’énergie qui tourbillonnait sur le terrain. Elle tendit son doigt vers l’un des soldats. « Les ondes énergétiques qui se dégagent sont de lumière. Seul l’intérieure de la bulle devient noirceur.
— Quelle surprise, elle retourne donc leur différence et leur haine contre eux ! Répliqua Odin.
— Quelque chose m’interpelle ! Pourquoi laisser les barrières se pervertir. Ça n’a pas de sens ! Les sortilèges qu’elle connaît ne nécessitent pas une telle préparation ! Lostris se pencha par-dessus le parapet de pierre. Ses yeux se focalisèrent sur l’intérieur de la bulle.
— L’air vient de changer. Elle vibre. Hélios agrippa le bras de Lostris.
— Les vibrations se sont intensifiées du côté des soldats. Elles semblent rester stables en dehors.
Tout se passa très vite. Les particules de magie, provoquées par la colère qui grognait entre les soldats, furent absorbées par le sol. Le ciel s’assombrit soudainement. Des nuages, dont la noirceur accentuée par les pointes lumineuses d’éclairs, tourbillonnaient dangereusement, rendant l’atmosphère lourde. La tête levée vers l’étrange phénomène, Lostris fut parcourue d’un intense spasme. S’agrippant au parapet, elle se laissa retomber sur le trône de pierre. Reprenant son souffle, le visage déformé par l’incompréhension, elle comprit subitement la cause de son mal-être.
Sur le terrain, les arbres se mirent à briller subitement dans d’intenses crépitements. De larges bandes d’énergie, d’un jaune doré à la vue transparente se projetèrent l’une contre l’autre, enfermant définitivement les soldats dans une seconde barrière infranchissable.
Jade se redressa. Caressant la tête du Lupus, elle leva son bras droit et avec le plus grand des calmes, entama le sortilège. La magie affluant autour d’elle cessa de briller, avant de s’insinuer dans le sol, traçant des arabesques de lumière.
- Hélios dresse une barrière autour du public. Ordonna Lostris d’une voix tranchante.
Sans hésiter, Hélios leva les bras et commença à incanter. Alors qu’un halo lumineux s’exfiltrait de son corps, il se détourna brusquement et, dans un geste incrédule, renversa le plateau qu’une servante portait. « Mais pourquoi ?
Le visage de Lostris était figé dans une expression de gravité sévère. La compréhension des actes de son enfant, se jouait dans son esprit. Dans un accès de désespoir, sa main s’incrusta si méchamment dans la pierre du balcon, qu’elle éclata en mille éclats. Elle se tourna vers Odin et Hélios et d’une voix limpide et calme, toutefois emplis d’une légère peur, leur répondit.
- Elle vient de les condamner. Si nous demeurons inactifs, c’est toute l’île qui subira un sort funeste ! À l’exception de nous seuls. Faites évacuer les spectateurs, Hélios incante ! Lui cria-t-elle. « Odin, je ne saurais te conseiller de quitter les lieux.
Un murmure inquiet s’éleva de la tribune royale. Les servantes et l’unité d’élite du roi, sans attendre d’ordre de leur monarque, fuir précipitamment. Renversant plateaux, glissant sur le sol imbibé de fruits écrasés et de vin, tapissant les sièges richement sculptés de liquide et de mets. Certaines tentures de soie, furent arrachées dans la grande précipitation. Les cris alertèrent les premiers rangs.
Odin, dont l’esprit s’amusait de la situation, y vu là, un moyen de reprendre le pouvoir sur les deux divinités. Nullement inquiet, il s’avança et se saisit du bras de Lostris.
- Lostris quelle est donc cette magie ? Il la força à regarder l’expression étonnée des premiers rangs qui avait assisté à la scène.
Le regard perdu dans l’angoisse, elle déclara : Elle a volé l’un de mes sorts ! Elle porta les mains à sa tête. « Ça va exploser, c’est bien trop puissant pour elle !
À cet instant précis, un bruit sourd se fit entendre. La chaleur d’un sortilège de lumière engloba chaque vie présente. Un souffle se leva, suivi d’une explosion qui balaya tout sur son passage. Une tempête d’une blancheur aveuglante engloutie l’île.
A suivre.