Ce qui est trompeur

Par Luvi

La foule défilait indéfiniment. La princesse avait beau connaître la plupart des peuples du royaume, tous ces visages se mêlaient en une fresque bigarrée, et s’unissaient sous un destin commun. Les énergies qui s’entremêlaient sous cette chaude journée, annonçaient une duperie, qui n’avait guère de sens aux yeux de cet amas de corps. Tel un océan de fourmis éperdues, la foule s’impatientait. Emprisonnée dans un labyrinthe d’ivoire scintillant, les cris qu’elle lançait, clameur d’un peuple en liesse dont le brouhaha atteignant les cieux, la mettait mal à l’aise. Les braillements s’élançaient avec ardeur vers les cieux. Ils résonnaient comme un écho infini, une dissonance étrange. Les Asgardiens et autres peuples, animés d’une ferveur palpable, se bousculaient, avides de se frayer un passage au cœur du chaos. Tous convergeaient vers l’unique passage qui menait vers l’entrée sacrée. Les majestueux remparts de l’île céleste de Algron, suspendue dans un rêve éthéré.

Désormais désertée de ses chaînes d’antan, l’île céleste de Algron, ancien lieu de gloire d’Asgard, était dorénavant un site solennel ou le silence racontait les vestiges de la souffrance passée. Ses citadelles en ruines, autrefois imprégnées de la brutalité des conflits et des cris des âmes torturées, se dressaient. Spectres figés dans le temps, vestiges mortifères d’un ancien temps, ce lieu suintait encore des nombreuses batailles et traîtrise de la royauté Asgardienne. Les svartalfar, les elfes noirs, avaient ici même, contemplés la chute de leur roi, mort des mains de Isianna, première Isis des Neuf Royaume. Bien avant que sa folie n’anéantisse leur peuple et leur monde. Bien avant que leur planète ne devienne stérile, ou seul subsistait une poussière muette et des vents capricieux, incapables de porter la moindre trace de vie.

C’est dans ce lieu d’infamie, que jadis, les Isis de l’univers et le roi d’Asgard, avaient déployé la puissance du bracelet afin d’asservir Isianna. Une tragédie qui avait ouvert la voie à des millénaires de domination, de conflits et de souffrances.

Le bracelet, relique ancienne imprégnée d’une magie redoutable, avait scellé le destin de toutes les Isis du royaume. Enchainée par leur propre magie, devenu outil pour les ambitions des Asgardiens. Une arme vivante façonnée pour maintenir la suprématie d’Asgard et tenir les dieux en respect.

De ce passé lointain, Algron s’était transformé. Les temps ou ce théâtre de violence et de tourment résonnaient comme un cauchemar pour les peuples, était résolu. L’île était dorénavant un lieu d’examen. Devenu sanctuaire, son histoire continuait de murmurer à chaque Isis en foulant le sol, l’amère vérité sur sa lignée. L’asservissement d’une puissance divine pour la gloire d’un peuple humanoïde.

Seule dans le campement, le dégoût la frappa. Pour elle, première d’une toute nouvelle lignée d’Isis, ces complaintes se mourraient en silence. Seules les litanies de la foule, chantaient à ses oreilles. Toutes ces personnes, venues pour assister à un combat qui n’en serait pas, tous ces regards, bientôt braqués sur elle, la rendaient nerveuse. Le stress qui montait, lui faisait perdre le contrôle de son pouvoir divin. Des gerbes d’étincelles jaillissaient au moindre de ses mouvements, et les vagues de lumières intempestives, avaient réduit le mobilier sommaire de la tente en cendre.

Elle regarda ses mains. Les tremblements les parcourant s’intensifiaient, à mesure que les minutes lui semblant des heures passaient. Son esprit en doute lui ordonnait de fuir, de rentrer au palais, et de se cacher sous ses couvertures, en attendant demain. Mais comment pouvait-elle assumer son futur rôle d’Isis des neuf royaumes, si un simple examen de magie sous le regard du royaume la laissait dans un tel état ?

Le regret de son ancienne vie l’envahit, la déstabilisant profondément. Cette époque où elle n’était qu’une simple enfant humaine lui semblait désormais si lointaine. Elle se remémora ce temps révolu où la douceur de vire n’était pas alourdie par les responsabilités écrasantes liées à son rang et à son essence divine.

L’innocence de son enfance s’était brutalement envolée, le jour du réveil de Lostris. Elle se souvenait encore avec une précision troublante des sensations qui l’avait saisi. Son sang s’était mis à bouillir et une onde inexplicable avait parcouru son corps, laissant sur son esprit, des images indélébiles. Puis dans un éclat éblouissant d’étincelle, sa mère avait disparu. Ce fut alors une créature surgie des profondeurs d’une grotte qui se matérialisa, accompagnée de tremblement de terre d’une violence inouïe. La femme qui lui était apparue, un ange déchu dont la divinité n’était qu’un faible rayonnement obscurci par une noirceur oppressante, l’avait terrifiée.

À cet instant précis, elle avait entrevu toute la puissance d’un être consumé par la douleur, qui avait sacrifié jusqu’à sa propre magie, pour offrir une chance de vivre au royaume et peut-être même un futur empli de paix.

Une fois la peur dissipée, une excitation naissante avait fait place. Une vie royale de princesse, combinée à une existence divine entant qu’Isis, se dessinait. Elle avait naïvement cru, qu’elle s’épargnerait ainsi la dureté d’une vie humaine. Elle s’était imaginé un monde de confort, de luxe et de plaisir sans effort.

L’illusion fut brisée, lorsque Lostris lui dévoila, en omettant certaines vérités, ce que son destin impliquait réellement. Sa naissance était bien plus qu’un renouveau. Il était la rédemption que Lostris attendait tant.

Depuis deux ans maintenant, elle avait troqué son existence humaine contre celle d’une divinité en devenir. Levée aux premières lueurs du jour, elle accomplissait les ablutions rituelles avant de suivre des cours d’histoire sur les Méros et le royaume. Ses journées étaient remplies d’un apprentissage rigoureux de la magie et d’autres disciplines qui ne lui laissaient pas une seule minute pour goûter à la liberté d’autrefois. Mais aujourd’hui, cela allait changer. Même si l’idée de devoir un jour combattre en usant de magie, lui inspirait encore de la crainte, la perspective de retrouver une vie plus simple, alimentait sa détermination à rendre fier sa mère.

Lostris, éreintée par une trop grande charge de travail, arquait son regard éteint sur la mer humanoïde qui s‘étendait sur les remparts. La chaleur d’automne, accentuée par celle des corps agglutinés devant les écrans magiques, transformait les remparts en sauna. Les piaillements de la foule impatiente, résonnaient, et les bruissements des tissus colorés, lui faisait penser à un pantone désorganisé. Chaque section des gradins, représentait une peuplade, qu’elle discernait sans mal par leur vêtement. Les Asgardiens, les Elfes, les Vannes, les Géants.

Venu de contrées lointaines pour certains, de monde si proche qu’elle pouvait tendre sa divine main pour en caresser les terres, les peuples des neuf royaumes se tenaient tous là, sauf les Midgardiens, pour qui le voyage interstellaire n’était pas encore accessible. Mais peu lui importait la présence d’humain de la terre, puisque leur croyance envers l’Isis des neuf royaumes était aussi inexistante que celle que Odin avait pour elle.

Son arrivée sur l’île avait fait grand bruit. Les yeux levés vers l’éclatant ciel sans nuage, dont le bleu cristallin annonçait un temps parfait, quelques chanceux avaient pu apercevoir la brève distorsion lumineuse. Le ciel s’était subitement mis à tournoyer, ouvrant une brèche sur l’immensité spatiale régnant au-dessus d’eux. Dans de silencieux éclairs, dont chaque frappe laissait s’évaporer des gerbes d’étincelles dorées, les peuples avaient vu leur Isis apparaître dans un nuage pailleté de lumière.

Elle se dirigea d’un pas désinvolte, vers la loge royale sous les hurlements de joie. N’en déplaise à Odin, qui de son seul œil encore valide, la toisait d’un mécontentement lisible par tous. Elle lui intima en soufflant d’exaspération, de séparer son séant du trône qui l’attendait.

Assise à la première loge, Hélios à ses côtés, elle fixait dorénavant son regard sur les lourdes portes qui fermait l’accès au terrain. Le medjaï lui susurra à l’oreille l’incident, qui s’était déroulé entre Freya et sa fille. Lostris, un discret sourire sur les lèvres, analysait les paroles du jeune homme, préparant mentalement le moyen de faire payer la famille royale pour cette nouvelle ingérence dans ses affaires privées.

- Devons-nous récupérer cet artefact ? Il se redressa et vida sa coupe de vin, impassible, tournant le dos à l’épais regard du roi.

Du fond de son fauteuil, elle retient un bâillement. Puis elle lui accorda l’ébauche d’un sourire. Un sourire froid et cruel. De ceux dont elle affublait ses ennemis lorsque sa main se parait de son artefact pour venir sans un bruit anéantir leurs âmes.

- J’ignore où il se trouve, et si moi-même je ne ressens pas son énergie magique, ce ne sont pas ces humanoïdes qui vont la ressentir. Ils ne peuvent plus rien contre moi sans le bracelet, alors laissons-les se débattre dans ce plan voué à l’échec. Ses doigts se refermèrent sur une prise imaginaire, qu’elle imagina être l’âme de Odin.

- Tu n’as jamais parlé de ce bracelet, qu’est-ce donc ? Osa-t-il lui demander.

- Un artefact voué à la destruction, si je n’ai rien dit pour le moment, c’est que le temps des explications n’est pas encore arrivé.

- Mais la princesse connaît dorénavant son existence !

- Elle connaissait son existence bien avant que Freya tente de la manipuler. Elle n’est pas stupide et à mener ses propres recherches ! Lostris lui prit la main.

- Soit sans crainte mon enfant, rien ne peut être fait contre ton Isis. Ce fut la dernière parole qu’elle lui adressa, avant que les trompettes ne crachent leur musique annonçant le début des combats.

Les lourdes portes de métal donnant sur un immense plateau végétal s’ouvrirent. Dix soldats dans des armures rutilantes se présentèrent devant la loge royale. Les meilleurs soldats du royaume, fier et imbu de leur notoriété, le sourire mesquin sur les lèvres, et la force de cent soldats pour certains déclinèrent leur identité.

Trois Asgardiens dans leur plastron rouge sang, leurs capes argentées retombant mollement sur les épaules. Deux Géants, dont les casques polis pour l’occasion, enfermait leur tête dans une sorte d’étaux. Deux Vannes, accompagnés de leur lupus, dont la grandeur les faisait passer pour des monstres sanguinaires et trois Elfes, dont la magie puissante et les armures bariolées des couleurs printanières, ressemblaient à des acteurs de comédies. Tous attendaient dorénavant les ordres, afin de tester la future Isis des neuf royaumes.

Lostris les avait choisis elle-même, rejetant les choix du roi d’Asgard. Elle leur offrait par la même occasion, l’immense honneur de rejoindre l’armée divine qu’elle constituait depuis son éveil. Leur but était simple, usé de tous les stratagèmes, pour pousser la jeune princesse dans ses retranchements. Sa formation de magie blanche s’achèverait, si elle ressortait victorieuse des combats.

Les rayons du soleil explosaient sur les pierres grisâtres des remparts. Les mains abandonnées sur ses jambes, Jade, debout contre le mur d’enceinte du campement, attendait. Elle contemplait les humains à son service s’affairer autour d’elle. Elle se hissa sur ses pieds et leva la tête. Les cris de la foule avaient doublé d’ardeur et l’énergie divine de sa mère avait empli l’île furtivement. Depuis ses tremblements avaient cessé, et le calme avait repris le contrôle de son esprit. Elle se laissa choir au sol, et entreprit de maintenir son énergie en équilibre lorsqu’une servante se présente à elle.

- Votre mère est arrivée princesse. La jeune servante tenait un plateau sur lequel une jarre en céramique blanche était posée. Elle lui tendit un gobelet.

- Je sais, j’ai ressenti sa présence. C’est quoi, c’est horrible ? L’âcreté de la mixture lui piqua les yeux.

- Un breuvage que votre mère à apporter hier ! C’est une boisson divine. Les éléments qui la constituent sont choisis et entremêlé avec soin pour euh… Je suis désolé princesse, je ne me souviens plus de la suite…

- Épargne-toi tout souvenir. Encore un truc destiné à apporter tous les nutriments pour nos corps ! Pourquoi tous les mets divins ont-ils aussi mauvais goût ? Elle poussa un soupir.

- Je ne sais pas princesse…

Avec sa peau brunâtre, brûlé par le soleil, et ses prunelles d’un gris intense, la servante jaugeait d’une bonne incapacité à la réflexion et de mémoire. Des cicatrices sur ses jambes que dévoilaient une simple robe de lin brune et ses manières peu distinguées, présumaient de son ancien statut d’esclave.

La princesse reposa le gobelet avec une moue de dégoût. Un moment de silence gêné s’installa, que seule tintement léger du plateau brisa, lorsque la jarre fut replacée avec précaution.

- Et toi ? Tu l’as goûté ? Demanda-t-elle enfin, d’un ton doucereux.

La servante baissa les yeux, fixant un point invisible au sol. Sa voix hésitante lui répondit doucement.

- Non, princesse. Ces boissons divines sont… Réservées à votre rang. Je n’en ai pas le droit.

Un éclat de cynisme anima le visage de la princesse, alors qu’elle haussait les épaules.

- Encore un mets « divin » pour nourrir nos âmes et renforcer notre corps ! Pendant que vous, simples créatures humanoïdes, subsistez avec du pain et de l’eau. Quel contraste ! Mais peut-être n’est-ce pas une si mauvaise chose finalement, vu le goût. Le pain est bien meilleur.

La servante, toujours silencieuse, releva enfin les yeux. Une lueur timide brillait dans son regard gris. Elle voulait ajouter quelque chose, mais n’osa pas briser le mur de formalité entre elles.

- Qu'importe ma mère a encore dû préparer cette visite pour me sermonner, comme d'habitude. "Tu dois être à la hauteur de ta destinée, Jade. Ne fais pas honte à ton rang. Rappelle-toi que les attentes sur toi sont immenses.", reprit la princesse d'une voix lasse.

Elle soupira. Se levant lentement, elle croisa les bras et observa la vie autour d’elle.

- Et moi, que dois-je attendre en retour ? Du breuvage,des mets infects et des discours pompeux…

- Boire et ne pas faire d’histoire jeune princesse. Le maître d’armes dont l’aura limpide emplit le campement se présenta à elle. Il la regardait de ses yeux perçants. Vêtu d’une tunique de cuir renforcé, ornementé de gravures discrète, une ceinture à pochette pendant à sa taille. Son armure d’apparat, qu’il portait pour rendre hommage à son élève, se terminait par un manteau léger en étoffe sombre. À sa ceinture, une épée aux finitions impeccables reposant dans son fourreau et une dague soigneusement glissée dans son dos. Il s’avance et prit place sur un curulis à la banquette d’un blanc lumineux.

- Tu devrais écouter. Ta mère à de grande attente pour toi, tout comme ceux qui veillent sur ce camp. La discipline princesse, est une arme aussi tranchante qu’une lame bien aiguisée.

La princesse, encore agacée par le goût amer du breuvage, arqua un sourcil en guise de défi.

- Dois-je également me soumettre à tes sermons ? Ce breuvage répugnant est censé me préparer à quoi exactement ? Dois-je combattre ou vomir sur mes ennemis ?

Un sourire discret, ourla les lèvres du maître d’armes. Il lui répondit avec une pointe d’humour.

- Peut-être. Repondit-il avec une légère pointe d'humour. Il est là pour aiguiser ta volonté, tout comme tes entraînements aiguisent ton corps et ton esprit. Les plus grands affrontements ne se déroulent pas toujours sur les champs de bataille princesse.

La princesse détourna les yeux, piquée par cette réponse, qui à sa manière, avait touché un point sensible.

—    J’ai cru entendre que ton énergie divine a fait des caprices ?

A suivre.

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