Ce qui apporte la tristesse

Par Luvi

- Alors nous en sommes là ? Thor, fils de Odin, premier prince du royaume d’Asgard, général en chef des armées Asgardienne, se tenait fièrement dans son armure d’apparat sur le balcon de la grande salle attenant les jardins. De haute stature, sa longue chevelure blond cendrée s’éparpillait sur sa cape d’un rouge irisée, drapement mollement un plastron de fin métal. L’inquiétude se lisant sur son visage, il se tourna vers son père dont l’unique œil se focalisait sur les lumières de la fête. « Si rien n’est fait ils nous enlèveront notre puissance royale ? Comment peuvent-ils décider ainsi de qui gouvernera alors qu’elle…

- Non mon fils ! La voix autoritaire du roi trahissait la colère qui grondait dans le palais. Portant une coupe à sa bouche, il laissa le vin descendre dans sa gorge, la vidant d’un trait. Le goût âpre et légèrement sucré réveilla ses papilles, apportant un peu de légèreté à son esprit, assailli par mille questions. « C’est toute notre suprématie dont nous serons privés ! Ces vieux grabataires n’ont pas conscience de la réalité qui accable le royaume depuis son retour. Ils ont dans leur esprit, l’idée qu’elle retournera à la servitude qui a fait notre gloire depuis des siècles, d’un claquement de doigts !

La fête en l’honneur de la princesse battait son plein en l’absence de la principale intéressée. Les soldats dont l’alcool enivrait les sens, riaient, entourés des dignitaires royaux venus de tous les royaumes. Chacun attendait l’heure cruciales, espérant avec espoir, que les divinités fassent leurs entrées. De leur côté, père et fils entretenait un débat sur la convocation du Haut conseil.

- Mais la vérité est tout autre père ! Elle agit comme bon lui semble, et rien ne l’atteint ! Même lorsque les évènements nous donnent raison, nous ployons le genou ! Intervient le prince « Son arrivée soudaine sur le champ de bataille lors de la prise de Vanaheim est un exemple parmi tant d’autres ! Il assena son poing sur la table emplit de victuaille avant de se saisir d’un godet. « Si elle n’était pas intervenue, ces paysans auraient payé leur tribut de force, et la famine ne se serait pas installée sur les grandes steppes rocheuses de Nidavellir. Le fer ne se mange pas ! Il secoua la tête et picora une grappe de raisin. « Mais cela ne lui était guère intéressant ! La paix ne s’obtient pas à coups de traité commerciaux !

Une réponse venue du fond de la pièce surprit les deux hommes. « Nous étions les bienfaiteurs des mondes. Ceux qui tendaient la main aux affamés, qui drapaient de dignité ceux que le destin avait dénudés. Odin leva la tête, le prince sursauta.

Trois conseillers en robe grise d’où pendait un sautoir de métal et d’or fin sortirent de l’ombre. Thor s’écarta pour laisser passer les invités. Le plus grand, le visage masqué, déposa un rouleau ancien sur la table. Il tira son capuchon en arrière.

L’homme avait le visage calme et le crâne rasé. Ses yeux, enfoncés dans leurs orbites lui donnaient un air austère, mais nul ne s’en inquiétait vraiment en le croisant. Après tout, il n’était qu’un conseiller, un érudit, un homme de réflexion.  « Mon prince, moi roi.

Il ne s’inclina pas, mais darda son regard éteint sur le roi. Il se saisit fermement du dossier d’une chaise. Il la tira vers lui avec lenteur. Sans quitter des yeux le roi d’Asgard, il veilla à faire traîner les pieds du meuble contre le sol, amplifiant volontairement le crissement strident. « Nous étions le rempart contre l’injustice, les gardiens d’un équilibre fragile, les porteurs d’une promesse sacrée. Et pourtant, que nous reste-t-il ? Quelle monnaie pouvons-nous encore offrir pour une simple miche de pain ? Rien. Rien, sinon le poids du silence et l’amertume du renoncement. Il s’installa avec aisance.

Sa voix, calme, surpris Odin, qui s’attendait à un grondement menaçant. Elle était apaisante, presque réconfortante. Une contradiction totale avec la tension qui s’insinuait dans l’esprit du roi. Son regard n’était que façade. Il cachait une silencieuse menace qui attendait de s’exprimer. L’homme, malgré son apparence marquée, ne dégageait rien d’inhumain. Aucune aura mystique, aucun pouvoir n’émanait de lui. Ses prouesses magiques parlaient pour lui, sans artifices.

—    Asgard, notre patrie, notre bastion, n’est plus qu’un royaume de richesse factice. L’or entassé dans nos coffres, dérobé aux mains qui en auraient le réel besoin, ne nous appartient pas. Il ne nous nourrit pas. Il est un fardeau, un tribut qui faisait notre gloire mais qui n’est plus. Nous ne sommes plus souverains mais les échos d’un passé glorieux qu’un seul être cherche à effacer. Et que faire pour remédier à cela ?

Odin écoutait chaque mot avec attention. Le poids des paroles du conseiller pesait plus lourdement sur sa conscience. Chaque phrase, chaque inflexion de voix, lui rappelait l’erreur terrible qu’il avait commise jadis. Marier Lostris, au prince d’Alfheim, et autoriser son départ du sanctuaire. Les répercussions avaient été terribles après la fuite de la divinité. Asgard avait perdu sa seule arme contre le Conseil des dieux. Et aujourd’hui, alors même que leur Isis était revenue, les conséquences de cette erreur se faisaient encore ressentir.

L’autorité indiscutable du Haut-Conseil ne pouvait être remise en question, ses ordres étant absolus, incontestable. Jamais elle n’avait été mise en doute, ses ordres n’ayant jamais été défiés, même par la royauté. Depuis deux ans, Lostris se jouait de cette assemblée. Elle défiait leurs lois en prenant le soin de laisser les traces de son passage. Elle dansait avec l’insubordination, se riant d’eux sans masquer ses actes. Dans les couloirs silencieux du palais, elle déplaçait les pièces d’un échiquier dont elle seule connaissait les règles, sans se soucier des conséquences. Le Haut-Conseil ne pardonnait pas.

Odin coupa la parole du conseiller à la langue trop pendu. Les menaces à demi voilées qui se glissaient dans son discours étaient devenues trop évidentes, trop insidieuses pour être ignorées.

- Elle devient dangereuse, autant pour nous que pour elle-même ! Sa popularité est en nette augmentation depuis son retour et rien ne semble la stopper. La paix qu’elle instaure partout dans le royaume n’est qu’une subtile manipulation ! Un jour viendra où elle réclamera paiement de ses actions ! Il assena violemment sa coupe que la table. De son seul œil valide, il invectiva le conseiller. « Nous exigeons un retour à l’ordre d’Asgard, et ce, sans concession. Nous ne reculerons pas devant l’inéluctable !

- Elle n’achète pas la paix, elle l’impose ! Alors quel paiement pourrait-elle réclamer aux peuples des neuf royaumes ? Demanda Thor, dont l’aura vacillait sous la tension des conseillers.

- Une armée divine ! Des malheureux, qui par l’orgueil qu’elle créera dans leur cœur par ses choix, les enverront toucher la mort loin de leur patrie ! Nous ne sommes que des pions qu’elle place sur l’échiquier de sa vendetta contre les Méros ! Même son propre enfant ! C’est une pièce maîtresse, j’en conviens, mais jouer la vie du royaume entre les mains d’une enfant qui n’a aucune idée de ce qu’est un Isis, les rends encore plus dangereuse pour nous ! Preuve en est de l’examen de magie ! Le côté humain de son ancienne vie est trop présent, et même si sa mère met tout en œuvre pour que cela disparaisse, nous assistons une nouvelle fois à une faiblesse de ce pouvoir divin! Les contrôler devient vital pour notre survie !

Le conseiller, ajusta les plis de sa tunique, comme s’il ne portait aucun poids sur ses frêles épaules. Dans une expression sereine, il répondit au roi. « Se laissera-t-elle manipuler, ou nous fera-t-elle croire que nous la manipulons ? Ses doigts caressaient lentement la surface lisse de la table. « Nous n’attendrons rien d’elle. Car elle n’est pas humaine. Sa voix se fit aussi douce qu’un murmure.

Odin reposa son énième verre avec lenteur. Son regard se posa sur son interlocuteur avec colère. « Souviens-toi conseiller, nous avons cédé, jadis. Asgard, la royauté, le Haut-Conseil, nous sommes inclinés devant la bienveillance feinte de ce Katastrep. Nous avons laissé ses promesses faites d’or et de lumière nous aveugler. Le divin n’aime pas, ne chérit pas. Il ne connaît ni remords, ni attachement. Il ne fait que disposer ses pions sur son immense plateau de jeu. Et nous ? Nous sommes ses pièces qu’il déplace, qu’il sacrifie pour prolonger un jeu sans fin. Le silence du conseiller pesa d’avantages que ses paroles.

- Pourtant. Repris Thor, « Malgré les évènements du passé, elle a conforté ton rôle de roi ! Pour quelle raison a-t-elle permis que tu conserves le trône ? Rien dans ses décisions, n’accapare ton pouvoir royal, comme si elle laissait volontairement les dirigeants à leur juste place ! Il sursauta, les trois conseillers avaient disparu sans laisser de trace.

—    Car le hasard lui est inconnu ! La voix de Freya ranima l’apathie du Roi. « Ce que cachent ses obscures raisons ne doit pas nous détourner de notre but ! La grandeur d’Asgard ! La libération des mondes sous notre joug, n’est que la première étape d’un plan dont nous ignorons tout ! J’ignore quel est son véritable objectif, mais il se trouve ici dans les neuf royaumes ! Enlaçant tendrement son fils, elle lui fit signe de s’éclipser.

Le roi se leva et se saisissant du bras de Freya lui baisa la joue. Les lumières vives ressemblant à de petites lucioles colorées flottant dans l’air, rehaussaient sa beauté. Sa robe de lin au drapage violine, irradiait sous les lumières magiques. Il l’invita à s’asseoir sur les moelleux coussins qui ornaient l’une des banquettes.

Odin s’appuya contre le dossier de la banquette, son regard perdu dans les flammes vacillantes du brasero. Il versa du vin dans une coupe d’argent grossièrement décorée, avant de la tendre à Freya. « Qu’a donné l’entretien avec l’enfant ?

Freya prit la coupe sans un mot, ses doigts glissant sur le métal froid. Elle l’effleura avant de la laisser retomber sur la banquette. Elle regarda son époux, son expression fermée.

- Cette gamine est grandement différente de sa mère ! Là ou Lostris se confondait en pleurs, je n’ai ressenti que de la colère de la part de Jade. Lâcha-t-elle.

Une lueur de préoccupation traversa son regard. Elle croisa les bras, le dos droit. « Elle est perturbée par sa nouvelle vie et ne contrôle son pouvoir que par intermittence. Son côté humain est bien trop présent et représente un risque… Et une emprise dangereuse.

- Elle est aussi faible que sa mère au même âge ! Trancha Odin

- Détrompe-toi mon roi ! Souffla-t-elle. « La force des sentiments est une énergie que nous devons craindre ! Si dans le futur, et elle y arrivera, elle acquiert une maîtrise totale de son pouvoir, alors rien ne pourra la contrer ! Freya se leva subitement.

Elle avança dans la lumière tamisée, sa main effleurant distraitement le bord de la table. « De plus, sa mère veille et la protège. Elle réussit là ou moi j’ai échoué ! Si nous avions réagi autrement avec Lostris…

Odin l’observa un instant. Sans un mot, il se leva à son tour. Il s’approcha de sa reine, et, releva son visage du bout des doigts. Il vint avec délicatesse, essuyer les quelques larmes qui traçaient des sillons humides sur le visage de sa reine.

- Nous avons commis des erreurs, j’en conviens ! Freya, je me souviens d’un temps ou la tristesse avait remplacé ta joie. Les larmes coulaient sur ton visage et ta présence s’effaçait. La grande reine n’était plus que l’ombre d’elle-même. Murmura-t-il. « Alors pourquoi un tel changement ? Ton enfant t’est revenu. Le temps a certes fait son œuvre et les douleurs de ton cœur ne sont plus… Alors pourquoi ? Son regard s’attarda sur Freya. Il attendait et appréhendait sa réaction.

Elle tremblait légèrement, ses doigts crispés sur le tissu fin de sa robe. Son souffle se fit court, comme si chaque mot qu’elle prononçait, lui arrachait un fragment d’elle-même. Elle se repoussa brusquement Odin. « Cette chose n’est pas mon enfant ! Je ne la reconnais plus !

Sa voix résonna dans la salle, plus tranchante qu’elle ne l’aurait voulu. Elle leva les mains, comme pour saisir l’invisible, puis les laissa retomber avec impuissance. « Ne le vois-tu pas, Odin ? La Lumière ne brille plus. Un voile de noirceur a obscurci tout son être…

Elle redressa son torse, plantant son regard courroucé dans celui du Roi. Odin resta impassible devant la douleur de sa reine.

- La petite princesse que nous avons connue n’est plus. Reprit-elle, sa voix se parant d’une légère tristesse. « Cette femme, cette divinité… Elle n’est pas nôtre.

Freya baissa la tête un instant. Son visage devint sombre. Ses traits se durcirent.

—    Je me souviens d’un temps où la candeur résonnait en elle… Mais aujourd’hui, je ne vois plus que violence et haine dans son cœur. Elle ferma les yeux, ses épaules s’affaissant. « En a-t-elle encore un, au moins ? Avons-nous une seule chance de revoir la petite fille qu’elle était ? Celle qui aimait la beauté de tout ?

Odin inspire profondément, mais l’air lui parut trop lourd. Un silence pesant s’installe.

- Je ne vois dorénavant qu’un monstre, incapable de pitié. Le seul amour qu’elle dégage, est celui pour son enfant. Il semble que même les monstres peuvent aimer leurs enfants.

Freya recula lentement, les mots de son roi l’effrayèrent. Elle se tourna vars les tentures, vers l’extérieur qu’elle ne voyait pas. Elle porta une main à son cœur, pour étouffer un battement douloureux.

 

  • Il ne reste de notre fille, qu’un être prêt à nous sacrifier pour des actions qui dépasse notre condition… Un être qui ne recherche dorénavant que la mort, quitte à tous nous entraîner dans sa chute. Conclus Odin.

Freya serra les mâchoires. Elle s’efforçait de se tenir droite, mais la tension dans son corps la trahissait.

—    Est-ce donc cela, d’être gouverné par une entité divine ? Elle s’approcha lentement de Odin, réduisant l’espace entre eux. Elle ne le toucha pas. « La peur, la colère et la haine d’un être brisé ? Est-ce donc cela que tu veux pour le royaume ?

Son regard s’accrocha à celui de Odin. Venimeux et vengeur. « Ce que tu veux pour elle ?

C’est une prière dont elle doutait désormais, qu’elle adressa à son roi. Tremblante d’une rage qu’elle contenait. Se laissant aller à une froide détermination. Elle s’immobilisa, ses doigts tremblants à peine visibles contre le tissu de sa robe.

—    Les mondes extérieurs sont des endroits bien trop dangereux pour un être comme elle… Elle était notre lumière. La lumière salvatrice qui devait guider nos pas et accorder la paix à nos cœurs croyants. Elle se détourna brusquement et éructa. « Elle était en sécurité dans le sanctuaire, mais il a fallu que tu décides d’un autre avenir pour elle ! Sa voix se brisa sur l’accusation. « Je souhaite que tu répares cette erreur Odin. Que notre lumière nous revienne…

Son regard se perdit sur les lampions qui flottaient au gré de la brise. Les embruns parfumés apportaient les flagrances florales du jardin en contrebas. Dans une vision troublée par les larmes d’une mère en peine, les coloris enchanteurs de la flore qui s’était endormie au coucher du soleil, luisaient faiblement sous les lueurs de la fête.

La grande fontaine qui trônait au centre de la place centrale, représentation d’une antique walkyrie, servait de siège de fortune à la masse populaire. Les dirigeants des autres mondes, se partageant les sièges de velours pourpre d’une estrade construit à la hâte pour l’évènement, discutaient joyeusement. La cacophonie qui s’élevait, masquant la musique de l’orchestre, résonnait jusqu’au plus bas du village entourant le palais.

A suivre.

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