Le dernier pallier du sanctuaire, s’ouvrait sur la voie lactée, bercée par les embruns venteux de l’aurore. Ses colonnades vertigineuses de marbre blanc, enroulé des filaments d’or le plus fin, soutenaient une coupole d’or massive destinée à la circulation de l’énergie créatrice. Au centre de la pièce, où seule une légère étendue d’herbe se ployait sous les vents, un pupitre de pierre, dont l’érosion naturelle avait depuis bien longtemps effacé toutes traces de luxure. Un seul grimoire, posé et offert aux déchaînements des éléments, luisait faiblement. Le grimoire blanc, offert par le conseil des dieux à Lostris. Recueil des plus hauts sorts de lumière, alimenté par les sortilèges écrits de mains des Isis blancs depuis des millénaires. Ce livre dont l’âge avancé remontait à la nuit des temps, dormait paisiblement sous les nuits étoilées depuis cinq mille ans, se gorgeant de l’énergie pure des neuf royaumes.
Elle recula. Le sentiment de terreur qui la submergea lui fit prendre conscience que la situation qui gangrenait l’existence de sa mère était loin d’être un conte de fées. Les arcanes divines, politiques, certes un jeu pour les puissantes créatures de l’univers, devenaient pour elle, un labyrinthe complexe où chaque décision portait les graines de la stabilité de l’énergie créatrice. Pour elle, les dieux, les Isis, manipuler les fils du cosmos était un passe-temps, une danse dans l’ordre et le chaos. Mais pour les créatures humanoïdes, magiques ou non, prises dans ces intrigues célestes, leurs vies devenaient une lutte désespérée pour échapper à l’ombre de ces forces qui les dépassaient.
Elle fixa le regard brûlant de colère de sa mère. Surnaturelle, rouge intense, flamme invisible qui y dansait devenait d’une lourdeur oppressante. L’humanité qui guidait ses pas, devenait une force menaçante pour son futur règne. Il la maintenant distante et captive d’une idéologie illusoire, incapable de coexister avec l’ordre cosmique. La guerre, les guerres qui se maintenaient en place depuis des millénaires, était réelle. Pourtant, au fond de son esprit, une question surgissait. Sa naissance, décidée magiquement par Lostris il y a cinq mille ans, était une pièce stratégique sur un vaste échiquier. Mue par l’effroyable destin d’assurer leur continuité, sa vie était à la fois un espoir et un fardeau. La magie ancienne qui l’avait façonné, murmurait encore à son oreille. Un rappel constant de son devoir inéluctable. Pourtant, sa mère, guidée par cette même humanité, œuvrait non plus pour trouver les bras du sommeil éternel, mais pour lui offrir un futur de paix et de voyage. Car telle était sa conviction : l’existence ne devait pas être une chaîne, mais une exploration des merveilles de l’univers. Sa mère défiait les anciens dogmes, les envies belliqueuses des dieux, Asgard, et le clan des ombres, dans l’espoir qu’elle, future Isis des Neuf Royaumes, puisse tracer son chemin, libéré des entraves qui avaient été les siens. Elle souhaitait lui offrir un sentier ou les étoiles ne seraient plus des frontières, mais des promesses d’horizons sans fin. Et pour cela, ses combats étaient plus qu’une simple révolte. Ils représentaient une quête acharnée. Elle avait commencé par briser les chaînes qui liaient son enfant à un destin imposé. Maintenant, elle affrontait les puissances du royaume, ceux d’un univers différent, prêtes à tout risquer pour lui dessiner un avenir où liberté et découverte seraient les seules maîtresses de sa vie.
Mais la princesse n’était pas dupe. Sous ces belligérances, se cachait encore le mal qui jadis avait guidé les pas de sa mère vers l’inconnu. L’Isis blanc souhaitait la mort, et rien ne l’arrêterait. Pas même son existence.
Odin fixait de son seul œil valide, le royaume qui s’étendait. L’époustouflante vue sur la cité Asgardienne en contrebas, offrait à quiconque foulant le couloir d’or aux arabesques sertis des plus beaux joyaux du royaume, la vision d’un monde en paix. Parées des couleurs de l’automne, les fenêtres à voûtes ouvertes sur les jardins baignés de lumières, apportaient une féerie, rythmée par les sons enchanteurs d’une nature en plein éveil.
Au loin, le sanctuaire, vaste château de pierre recouvert d’une verdure se teintant des couleurs mordorées de l’automne, flottant au-dessus des flots éternels. Les cascades scintillantes se déversant de la montagne divine achevaient la vision de la cité céleste.
L’hiver prendrait bientôt sa place recouvrant le monde de son manteau blanc. Le froid glacial s’insinuerait dans les rues d’Asgard, poussant chacun à s’enfermer attendant que les jours se réchauffent. La vie cesserait d’apporter ses bienfaits, remplacer par le silence qui régnerait bientôt en maître sur le peuple qui fut il y a peu, le plus puissant des neuf royaumes. Pour l’instant, le soleil automnal réchauffait doucement ce début de matinée.
Marchant sur le dallage doré, son armure cliquetant et son sceptre en main, il redoutait l’entrevue avec les conseillers. Son esprit en alerte, il ne cessait de laisser les deux dernières années, vagabonder dans son esprit. Deux longues années ou la destinée s’acharnaient à faire de lui un monarque faible dont le pouvoir filait entre ses doigts. Deux longues années où, lentement et sans pouvoir s’en détourner, sa royauté lui échappait. Deux longues années et un seul constat que les conseillers lui reprochaient.
La porte se dessinait devant lui. Une scène de guerre, gravée d’or le plus fin, emplissait l’espace. Jotunheim, les démons de glace, leur défaite, la découverte de son fils adoptif, et la gloire qui l’avait couronné une nouvelle fois ! La vie était si simple en ce temps. Personne ne résistait à sa puissance. Aucun peuple ne se soulevait. Les caisses du royaume débordaient d’or et les esclaves affluaient par milliers. La voix du soldat gardant l’entrée le sortit de ses pensées. Le Haut conseil attendait sa présence. Il poussa les lourds battants et entra.
Le vestibule plongé dans la pénombre, ouvrait un passage vers une vaste salle centrale. Les regards froids des bustes de pierre alignés de chaque côté des murs, représentation des anciens conseillers ayant fait la gloire du royaume, accompagnait ses pas. Une lumière vive se dégageait du fond de la pièce, attirant les visiteurs tel des papillons volant trop près d’une flamme. L’air glacial entre les murs de pierre le fit frissonner. Sa dernière visite en tête, lui rappela les menaces des hauts conseillers qui seraient mises à exécution s’il échouait. Odin s’avança vers la lumière, vers la salle du haut conseil, seul endroit du palais ou aucune fioriture n’alourdissait la pierre grise et austère de ce lieu ou les plus grandes décisions du royaume rythmaient la vie de millions de gens à travers l’univers.
L’estrade circulaire surmontée d’un plafond vertigineux sculpté à même la pierre était plongée dans la pénombre que des torches aux murs peinaient à repousser.
Les murs lisses suintaient l’humidité, et la chaleur des braséros aux pieds de l’estrade déversait une odeur d’encens. Un cercle de lumière naturelle venu de l’ouverture au plafond, illuminait le centre de la pièce. Les conseillers, assis sur les gradins de pierre, attendaient, les yeux rivés sur le roi qui se présenta à eux. Odin s’avança. Leurs voix s’élevèrent.
Tu n’es qu’un roi sans pouvoir.
Où est donc passé le règne glorieux d’Asgard ?
La guerre est terminée, mais que nous a-t-elle apportée ?
Combien de temps encore allons-nous devoir supporter
la liberté des autres mondes ?
Pourquoi rejettent-ils notre domination ?
Elle leur a offert la possibilité d’une destinée propre à eux-mêmes.
Quand prendras-tu les dispositions nécessaires pour la stopper ?
Alfheim réclame que Asgard rende les richesses volées depuis des siècles !
Nous ne pouvons pas reprendre notre influence sur eux, elle l’interdit !
Depuis quand cette femme se permet-elle de nous donner des ordres ?
La haine contre notre peuple grandit de jour en jour !
Odin, roi d’Asgard que comptes-tu faire ?
Oui dis-nous faible roi !
Les voix cessèrent de s’élever de part et d’autre de la salle et le silence prit place.
— Il n’y a qu’une solution pour que Asgard reprenne sa place ! Nous devons retrouver le bracelet !
Il a disparu depuis des siècles !
— Il se trouve pourtant dans les neuf royaumes !
Quelle certitude ? Ne l’a-t-elle pas soustrait de notre possession ?
— Le clan des ombres souhaite la même chose que nous ! Prendre le contrôle de l’Isis des neuf royaumes !
Ce peuple la terrorise, ce n’est pas un secret !
— Oui, donc la possibilité que l’artefact n’a pas quitté les neuf royaumes est grande !
Mais où ? Midgard ?
— Elle n’aurait pas pu s’y rendre, ne contrôlant pas son pouvoir cela lui était impossible. Sur une autre planète de notre royaume.
Comment comptes-tu mener des recherches alors que les autres mondes
souhaitent la guerre contre nous ?
— Des espions le font ! Ils parcourent les mondes actuellement. Mais les recherches sont vaines !
Et la jeune fille ?
Oui la jeune fille, sait-elle ?
— La princesse ?
Elle n’est pas princesse d’Asgard et encore moins notre future Isis, nous ne le permettons pas !
— Le choix ne vous est pas permis conseillers ! Elle ne l’acceptera pas !
Depuis quand t’abaisses-tu devant elle ?
— Quand elle vous aura rendu visite vous aussi vous ploierez le genou !
Nous sommes le haut conseil et c’est par notre existence que Asgard
rayonne depuis sa création.
Qui à sauver le royaume lorsqu’elle à fuie ?
Crois-tu vraiment qu’une femme aussi faible qu’elle nous impressionne ?
— La faiblesse lui est dorénavant inconnue. Prenez garde à vos actions car elle n’hésitera pas à anéantir ce qui se dresse face à elle.
Retrouve le bracelet !
Au solstice d’été, si tes actions restent vaines, nous te forceront à abdiquer et placeront quelqu’un de plus malléable sur le trône.
Maintenant va Roi d’Asgard !
Fais ce qui doit être fait !
Retrouve le bracelet !
Retrouve notre puissance !
Les torches s’éteignirent alors que les voix cessèrent de s’élever. Les conseillers repartant dans les ténèbres du Haut conseil.
A suivre