Ce qui est sacrée

Par Luvi

Le sanctuaire de l’Isis, vaste château de pierre, dominait de toute sa hauteur, le royaume d’Asgard. Imposant, énigmatique, venu du tréfonds des âges, s’élevait comme un monolithe mystique au milieu d’un océan sans fin. Ses murailles de pierre brute, constellées de runes lumineuses, semblaient respirer sous les caresses des rayons solaires et lunaires. Sa forme conique, élancée, couronnée d’une coupole d’or, perçait les cieux. Son aura majestueuse avait défié le temps.

Les flots éternels des contrées Asgardienne, l’étreignaient d’une danse perpétuelle. Miroir d’un éclat argenté dans un subtil brouillard, qui enroulait ses volutes scintillantes autour de ses fondations. Frontière surnaturelle entre le refuge béni des Isis et le domaine royal. En contrebas, les murailles orientales du palais d’or et de lumière, fief du roi Odin, se dressaient telles des sentinelles vigilantes. Elles ne semblaient pas pâlir devant la magnificence du bâtiment divin. Sa présence, rappelait les heures de gloire de la dynastie royale, en dominait non seulement par sa taille, mais par l’écho de son histoire sacrée.

L’accès du sanctuaire était jalousement gardé par les légions Einherjar. Elles se maintenaient depuis deux ans au service de l’Isis des neuf royaumes. Les soldats d’élite, gardes de la Salle des Trésors de Odin et en particulier de l’accès par voie terrestre vers le domaine céleste, soldats entraînés par le souverain d'Asgard en personne, obéissaient dorénavant aux ordres de Lostris.

C’est en son intérieur, haut de trois niveaux qui se succédaient, que s’organisait la vie de l’Isis des Neuf Royaumes. Le second palier, vaste salle sphérique, amenait ses visiteurs vers ses chambres luxueuses, ou les tissus les plus délicats et les parfums les plus spiritueux, offraient un cocon de douceur, veillant sur les sommeils divins. Un grand couloir circulaire, entourait la grande bibliothèque divine. Alourdi par les portraits des Isis s’étant succédé. Jalousés par les bibliothécaires du royaume de Alfheim, les plus anciens et les plus rares recueils historiques et magiques, s’amassaient lourdement sur les étagères. Les trésors littéraires, joyaux de ce lieu sacré, offraient un accès de savoir et d’érudition, qui résonnaient au-delà des connaissances humaines. Pièces centrales et maîtresses de ce haut lieu de savoir, elle jouxtant le laboratoire ou les plus grands sortilèges divins avaient vu le jour.

Une porte s’ouvrit et la jeune princesse apparut, portant en ses mains, un lourd plateau de victuaille. La pièce, illuminée par la luminosité de la lune qui filtrait par une grande baie vitrée, baignait d’une atmosphère paisible. Des ombres dansaient doucement sur les murs, tandis qu’un silence presque sacré, enveloppait l’espace. Seuls les bruissements de la vie nocturnes troublaient légèrement la quiétude du lieu.

Un petit coin au fond de la pièce, aménagé avec quelques coussins et masqué par des monticules de livres capta son attention. Sans rien dire, elle déposa doucement le plat sur un bureau, aussi désordonné que le reste du cabinet. Des croquis, des manuscrits, des grimoires en déséquilibre se battait entre des fioles et bocaux emplit d’étranges substances. Une voix se leva. Jade sursauta. Une fiole chuta.

- Il est en ces mondes, des mystères qui resteront à jamais sans réponses. Et je suis l’un d’entre d’eux.

Lostris se dessina sous les flamboiements de la grande cheminée. La princesse fut secouée par tant de simplicité venant de sa mère. Une fine robe de lin opaline, descendant a mis genou, rehaussait la couleur de sa chevelure auburn, qui tombait en cascade bouclée dans son dos. Sur sa tête, un fin diadème d’or blanc, parsemé d’éclat de turquoise, seule trace de son statut de princesse, reflétait le peu de lumière qu’offrait le foyer. Ses traits étaient tirés. Sa peau terne et ses tremblements n’échappèrent pas à la jeune fille. C’est le regard fixé vers l’astre lunaire qui irradiait le ciel au loin, qu’elle entama les réponses aux questions que se posait depuis bien trop longtemps sa fille.

—      Pourquoi suis-je venu au monde investit de cette différence ? Pourquoi l’énergie créatrice en a-t-elle voulu ainsi ? Tant de questions restant veines, mais qui au cours des cinq derniers millénaires ont apporté leur lot de tristesse et de haine. Pour commencer, je suis une entité à l’existence controversée. Pour cause, mon être entant qu’Isis blanc et une erreur de la nature qui, selon le monde divin, n’aurait jamais dû s’éveiller. Pourquoi pensent-ils ainsi ? Je n’en ai pas la moindre idée. D’ailleurs je me fiche bien de connaître les raisons divines d’êtres, dont la vie se résume à rester tranquillement sur leur séant à ne rien faire.

Des sentiments contradictoires grondèrent dans sa poitrine. Rire ou pleurer de sa propre situation se mêlaient dans un affreux tumulte. La flamme de l’espoir qui l’avait guidé jadis, s’éteignait. Elle était lasse. Fatiguée de se battre. Affaibli par tant de questions qui accaparaient son esprit. Ce soir elle n’avait souhaité que la paix. Mais ses obligations la rattrapaient une nouvelle fois. Un rire cristallin se fit entendre. De ceux qui réchauffent les âmes et dissipent les ombres d’une existence. Porteur d’une chaleur inépuisable, telle une étincelle porteuse d’espoir. Elle se retourna vers la source et rencontra les yeux pétillants et le sourire de son enfant. Elle lui sourit en retour.

- Sommes-nous si différentes des autres Isis et des dieux ? Mis à part notre apparence humaine et notre sexe ? Demanda la princesse.

- Non, pas vraiment. Les dieux, peuvent créer ou détruire la matière. Ils manient certains sortilèges liés à leur pouvoir divin. Nous autres Isis, créons seulement de la magie en manipulant l’énergie créatrice. Ils ont une force physique impressionnante alors que nos corps, d’origine humaine, renferment une grande faiblesse. Ils possèdent une aura charismatique alors que la nôtre est imperceptible. Si nous avons la même essence divine, la force qui coule dans nos veines est d’une particularité incroyable. Ton pouvoir te permet d’absorber l’énergie créatrice présente autour de toute chose, afin de la transformer en enchantement. Sort de magie blanche ou de magie noire, le panel de sortilèges que tu peux utiliser te rend unique au sein des mondes magiques. Il en est autrement pour moi. La main droite de Lostris se para de lumière. Sa main gauche de ténèbres.

- Parce que tu ne crées que de la magie blanche à l’origine ? Elle prit place sur un siège et picora quelque grain de raisins.

Lostris s’assit sur son fauteuil, en prenant soin de baisser la tête. Elle ne souhaitait pas que son enfant contemple la larme d’amertume qui vint humidifier son visage.

- Tu dois comprendre. Toi et moi, ne sommes pas les mêmes entités. Tu es un Isis comme les autres. Je suis l’Isis blanc. Tu peux manipuler l’ombre et la lumière, moi seulement la lumière.

Elle dit cela avec une pointe d’aigreur dans la voix. Son cœur pourtant ne criait pas son infamie, bien au contraire il battait de fierté pour elle, sa fille. Libératrice de ses tourments, rédemption de son âme, lumière pérenne dans ses ténèbres inextinguibles

- Donc seul l’Isis noir peut manipuler la magie noire. Mais qu’êtes-vous donc si vous n’êtes pas comme moi ? Le ton fut injonction.

Lostris eu un sourire amusé. Voilà que sa petite princesse retrouvait ses réflexes despotiques, alimentés par l’excitation de découvrir ses secrets.

- Ce que nous sommes ? Voilà une question dont moi-même j’ignore la réponse. Nous n’avons pas eu le temps de se pencher sur nos origines. Mais nous en parlerons à un autre moment. Je peux te donner des ouvrages relatant ce que sont ses deux êtres. Mais je crains bien que les écrits s’y trouvant ne te donnent aucunement les réponses à tes questions. Lostris, un sourire aux lèvres, se désagrégea dans un amas de particules luminescentes. Elle reprit sa forme humanoïde devant le regard amusé de la princesse. L’invitant à le suivre, elle s’élança dans le couloir.

Elle s’arrêta devant le portrait de Isianna, première Isis femelle du panthéon des dieux. Majestueux, il emplissait toute la hauteur du mur. Protégée par un antique sortilège, la peinture renvoyait encore les charmes et la beauté de son modèle. Un teint de porcelaine, de grands yeux dorés et une chevelure de miel, l’ancêtre de Lostris irradiait d’une lumière bien plus pure que la sienne. La lumière des Origines, altérée depuis des millénaires par les descendants de Isianna. Jade la rattrapa, essoufflée.

- Nous n’avons pas eu le temps ? Que veux-tu dire ? Elle tenta de reprendre son souffle.

- Les Isis sont morts il y a cinq mille ans. Le seigneur Judal, l’Isis noir, je n’ai pas eu le temps de le connaître. Il y a des traditions, des coutumes, une transmission et un héritage de nos pouvoirs que chaque Isis blanc et noir avant nous, ont connus. Des rites magiques et des unions qui ont régi la vie de ces entités, et qui plus jamais ne me serons révélés, puisqu’il est mort. Viens avec moi. Elle l’entraîna vers la sortie du sanctuaire.

L’entrée, se parant de coloris automnal, ouvrait la voie sur les jardins annexes où la végétation venue des quatre coins des neuf royaumes, se mêlait à une ménagerie spectaculaire. Les animaux en parfaite liberté, évoluaient dans les différents paliers du bâtiment, apportant vie et exotisme dans ce qui selon les dires divins, se trouvait être l’un des plus beaux sanctuaires existants. Peu à travers les millénaires, purent avoir la chance de fouler ces terres d’or, dont l’accès étroitement surveillé, était accessible aux Élites des mondes, ayant l’autorisation du roi. Dorénavant, seule l’Isis pouvait accorder ou non l’infime chance de fouler ce sol, dont l’énergie d’une pureté absolue, illuminait la voûte céleste du royaume d’Asgard.

Marchant entre la luxuriante végétation, un tigre blanc, animal majestueux vint à leur rencontre. Quémandant quelques caresses, le félidé se coucha de tout son long, à leurs pieds. Jade vint le rejoindre, posant sa tête sur son flanc.

L’aurore s’éveillait. Elle emplissait les jardins de sa douce chaleur automnale. Assises toutes deux, les deux princesses du royaume d’Asgard communièrent en silence avec la nature. Les halos de lumière les entourant, pulsaient autour d’elle, créent des vagues luminescentes, dont la pureté inondait le sol de ses bienfaits fertiles. Les senteurs de la flore qui s’auréolait de mille couleurs sous le ciel artificiel, embaumaient l’air.

- Parle-moi du bracelet. J’ai bien vu à quel point il semble important pour Asgard. Chuchota la princesse.

Lostris se figea. Elle saisit son bras, et gratta frénétiquement, comme pour se débarrasser d’un mal invisible.

- Ce bracelet est la cause du malheur qui à toucher ma lignée. Te souviens-tu des paroles divines du rouleau sacré ? « Puis dans leurs mensonges, le rêve secret d’une adoration en domination projettera ses ombres sur nos mondes. La parcelle céleste à jamais perdu dans les confins de l’oubli. » Les mensonges ont toujours été monnaie courante pour les Asgardiens, et ce depuis l’éveil de la parcelle céleste. Elle se saisit de l’un des grimoires au sol.

—    Dans ma chambre, sur l’étagère près de la fenêtre, se trouvent des rouleaux écrits de la main d’un des derniers elfes noirs. Ces rouleaux sont les derniers vestiges de l’existence de cette partie du sixième Méros. Ils décrivent avec exactitudes les évènements s’étant déroulés il y a des milliards d’années.

Elle tendit le livre ouvert sur une reproduction d’un ancien bijou à l’enfant.

—    Malheureusement, ils ne décrivent par les origines de la pierre qui orne le bracelet. Pour ce que j’en sais, ce sont les Isis qui l’ont créé pour apporter la paix dans le cœur de Isianna. Asgard en a détourné l’utilisation.

- Tu as connu son influence, mais comment ? Jade se redressa et vint enlacer sa mère.

C’est le cœur alourdit par les affables souvenirs qui étaient les siens, que Lostris, la gorge serrée, laissa couler ses larmes. Le chemin qu’elle avait parcouru s’imposa dans son esprit.

- À l’âge de dix ans, alors que j’échouai à éveiller mon pouvoir divin, Odin se décida à me placer sous son contrôle. Ma liberté me fut enlevée. J’ai cessé d’être moi-même, obéissant tel un pantin incapable d’agir sans son marionnettiste. Ce jour-là, ma vision s’est assombrie. Le monde est devenu triste et morne, englué dans une brume grisâtre. Les odeurs sont devenues neutres et la nourriture n’était plus que cendre dans ma bouche. Et cette sensation, cette douleur qui t’enferme dans une prison de chaire, comme si ton esprit se détachait et que ton corps se déplaçait tout seul. Tout ça pour obéir aux ordres d’une créature humanoïde, qui ne voyait qu’en moi, un moyen détourner de mettre les dieux à genoux. Car c’est cela que nous représentons pour Asgard, une arme de dissuasion. Elle referma violemment le livre qu’elle jeta au sol.

- Odin t’a donc libéré ? Jade effectua un mouvement de recul face à la vaguelette d’énergie noir qui se dégageait de sa mère.

- Libérer ? Lostris éclate de rire « Ça n’était pas le but de Odin ! Le bracelet s’est ouvert tout seul ! Comment je l’ignore ! Elle essuya ses yeux humides.

- Alors, je l’ai soustrait à leur possession, et plus jamais le mal qui m’a rongé ne sera l’objet de leur désir. J’ignore où il se trouve, et je ne tiens pas à le chercher. Mais sache une chose, ce bracelet fut créé pour ma lignée, non pas pour la tienne. Tu n’as donc rien à craindre. Elle approcha son enfant d’elle et dans une étreinte, la berça doucement.

- Mais maman, le palais, la colère gronde, Asgard est furieuse ! La noirceur qui s’abat sur toute la ville, tout ça c’est parce que tu les as forcés à se mettre à genoux devant toi ! Maman, ce peuple souffre. Doit-il réellement payer pour les erreurs de ses dirigeants ?

Sans s’en rendre compte, Lostris haussa le ton de voix, une légère pointe de colère en émanant.

—    Et les esclaves que j’ai libérés ? Cela ne dérangeait pas les Asgardiens d’avoir des innocents sous leurs ordres pour s’occuper de leur vie tandis qu’eux vaquaient à leur paresse ! Et maintenant ils pleurent ? Oh laisse-moi rire de leur pauvre petit malheur ! Oui, comme cela doit être dur de labourer la terre, de s’occuper du bétail, de confectionner ses propres vêtements et de ne pas manger à sa faim ! Pourtant lorsqu’ils imposaient cela aux autres peuples des neuf royaumes, il n’en faisait pas une sinécure ! Une punition s’imposait ! Il fallait bien les remettre à leur juste place.

- Étais-tu obligé d’en arriver là ? Elle se dégagea des bras de Lostris.

- Ne prends pas pitié pour ces êtres abjects ! Ils ont troqué leur mission première contre le pouvoir et la richesse ! Tu ignores tous des secrets qui régissent notre royaume, tu ignores tous des massacres qu’ils ont commis, des vols et des famines qu’ils ont provoqués ! Notre rôle est de garantir la paix et l’équilibre dans l’énergie sacrée, et tu te dois d’apprendre à punir ceux qui, de par leurs actes, apportent le trouble dans cette force. Maintenant, ils vivent comme les autres, même si leur longévité les place au-dessus du commun des mortels, ils n’en restent néanmoins des humanoïdes !

Sans crier gare, le monde se flouta. Les contours des objets sur l’herbe vacillèrent, s’effacèrent. Un tourbillon de lumière et de couleur apparut. La princesse eut peur. Le sort de sa mère était brutal, glacial et paralysant. La colère avait pris place face à la bêtise de ses paroles. Une force invisible l’entraîna dans un vortex scintillant, puis une étrange sensation de légèreté s’empara de son corps. Tout s’apaisa. L’air vibrait de magie sous le ballet des étoiles. Elles étaient arrivées au dernier pallier du sanctuaire.

A suivre

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