Ce qui est détenu par d’autre

Par Luvi

Khaé traversa le long couloir ouvert aux complaintes de la nuit. Les lunes majestueusement rayonnantes, illuminaient de leurs éclats argentés la roche obsidienne du palais. Les ombres dansantes des torches aux murs l’interpellèrent. C’est avec délicatesse, qu’il posa ses yeux sur l’unique pan de mur qui n’était pas alourdi de riches tentures. La surface vierge de toutes gravures, lui insuffla toute sa froideur lorsqu’il y posa sa main.

La pièce se trouvant derrière, dissimulé par un puissant sortilège dont le seigneur Kaalan n’avait jamais ressenti la présence, avait su garder depuis des siècles, l’un de plus grand secret du sixième Méros. Une alliance, qui au cours du temps n’avait jamais cessé d’exister, malgré le silence de leur absence. Ce palais devenu bien trop paisible sans leur présence. Et cette douleur, aussi vive qu’au premier jour, cruel et insipide qui martelait son cœur quand l’aube chassait le crépuscule.

Caressant le parement de marbre noir, ses longs doigts effilés retraçaient les vaguelettes énergétiques de la pierre. Il se laissa emporter par les particules magiques qu’elle dégageait. Sa mémoire se mit à danser, les particules prirent forme humaine puis une scène se matérialisa. Khaé se replongea dans un souvenir fugace, qui resterait à jamais gravé en sa mémoire.

 

Une main se posa dans un geste d’une grâce exquise sur le cadran de la porte. Puis la délicatesse de ses longues jambes fuselées se dessina. La candeur qu’elle dégageait envahit le couloir dans une nuée d’étincelles instable. Sa lumière, symbole d’une puissance délité n’accompagnait plus ses pas. Elle sortait de sa chambre, l’hésitation la menant, le visage fermé et les yeux rougis d’avoir à nouveau trop pleurée. Il la regarda s’élancer gracieuse et aérienne vêtue de son armure de combat. Elle s’avança, le cœur serré et la mâchoire crispée vers celui qui aurait dû rester son mentor. Puis dans l’ombre du passage, il prit vie. La tête haute et le torse bombé, attendant son élève pour un énième combat. Son plastron argenté, rutilant sous les lumières ardentes des torches, les bras croisés et le regard sévère.

 

L’image se dissipa dans un nuage d’étincelle et la nuit glaciale reprit sa place dans l’immense corridor. Une unique larme coula le long de sa joue. Son cœur se serra, plus rien ne serrait comme avant. Les regrets s’insinuèrent en lui, distillant le poison de la haine dans son être.

— Ah la la, ce n’est pas le moment de s’épancher sur de vieux souvenirs. Se giflant mentalement, il continua sa marche et descendit le grand escalier.

 

Le tintement de ses chaînes se répercuta en échos sur les murs du cul-de-sac dans lequel il était enfermé. Offert à la noirceur la plus totale, il avait perdu la notion du temps. Depuis combien de temps était-il allongé sur ce sol dur et froid ? Il n’arrivait même plus à se souvenir de son arrivée en ces lieux. Ses souvenirs, dont la plupart incohérent, dansaient dans sa mémoire, lui rappelant une vie emplit de massacre et de cruauté qui lui semblait lointaine, si lointaine… Avait-il seulement vécu tout cela, ou était-ce son cerveau malade qui le faisait halluciner ? Il n’en savait rien et ne voulait pas savoir. Il souhaitait seulement dormir d’un sommeil sans rêve.

Une lumière aveuglante illumina soudainement l’espace. Se relevant en titubant, il crut être saisi par une nouvelle hallucination. Une créature filiforme se tenait face à lui. Apeuré par l’apparition soudaine il recula. Dans un couinement désespéré, il protégea son visage de ses bras décharnés, dont la blancheur parsemée de nombreuses ecchymoses, tremblaient. Son esprit bouillonnant de terreur, le fit souiller son pantalon en lambeaux, propageant une vive douleur à ses jambes qui s’affaissèrent sur le sol. Puis comme s’il se réveillait d’un mauvais rêve, la réalité le frappa de plein fouet. Ce qui avait coulé dans ses veines, l’empêchant d’être connecté à la réalité, se dissipa.

Reprenant ses esprits il cracha à la figure de l’entité face à lui. Le regard noir, il fit le tour visuellement du cachot, dans lequel il était prisonnier depuis bien trop longtemps à son goût.

— Quelle déchéance n’est-ce pas ? Toi qui riais aux éclats dans cette salle du trône ! Te voilà maintenant à la même place que tes victimes.

L’homme grogna et marmonna des paroles incompréhensibles. Khaé se souvient alors que son seigneur lui avait arraché la langue. Dans un geste de bonté envers l’humain, il leva son sceptre et lança un sortilège de guérison afin de pouvoir converser clairement. Le prisonnier, parut intrigué par cette action soudaine. La douleur qu’il avait ressentie, lorsque le Katastrep l’avait empêché d’avaler sa capsule de poison, était encore assez vivace dans son esprit.

— Que me veux-tu assistant ? Où est ton dieu ? La toux qui le saisit fut violente. Une douleur se propagea dans sa poitrine l’obligeant à vomir une gerbe de sang qui vient souiller la terre froide et humide. Le sifflement de sa respiration emplit en écho la vaste salle. Khaé fit apparaître une couverture miteuse qu’il lui tendit.

— Je n’ai rien à te… Il fut coupé par la voix puissante et autoritaire de son bourreau

— Pour quelle raison Bakura a-t-il envoyé l’un de ses généraux dans notre Méros ?

L’humain recula d’effroi à l’entente du nom de son maître. Jamais il n’avait entendu quelqu’un oser prononcer ce nom qui semait la terreur. Et pourtant cet être ne semblait pas en avoir peur.

— Donc tu sais qui je suis ?

— Toi ? Oui, le Seigneur Riven, l’un des généraux originels de Bakura. Sa garde personnelle. Les humains les plus dangereux du clan des ombres.

Riven n’en croyait pas ses oreilles. Comment cet assistant pouvait-il en savoir autant sur eux ? Il éclata d’un rire franc. Se relevant, il le surplomba de toute sa hauteur.

— Je ne parlerais pas. Tu peux me torturer autant que tu le souhaites, jamais je ne trahirais mon clan. D’ailleurs si tu veux tout savoir…

— Les informations liées aux conquêtes sont partagées entre plusieurs protagonistes. Permettant ainsi en cas de capture de conserver le secret.

Arquant un sourire, Riven se redressa et plongeât son regard dans celui de Khaé.

— Tu connais donc les raisons de ma présence ici, et tu m’as lancé un sortilège au moment ou j’ai été fait captif ! Quel secret caches-tu donc à celui que tu sers ?

— Des secrets qui vous concernent bien entendu ! Il serait fâcheux que ces informations soient partagés avec le conseil des dieux !

— Ne me prends pas pour un imbécile ! Le sixième Méros n’est pas aussi neutre qu’il voudrait nous le faire croire ! Que crois-tu assistant ? Que vos actions passées ne nous sont pas connues ? L’ancien dieu de ce Méros a conclu une alliance avec la petite garce des neuf royaumes ! C’est elle qui vous a transmis toutes ces informations sur nous. Et pourtant, ton jeune dieu ne semble pas être au courant ! Pourquoi ?

Khaé siffla d’étonnement. « Quelle intelligence ! Mais je te prierais de ne pas l’insulter en ma présence. Quant à savoir pourquoi mon jeune seigneur est ignorant de la vérité, cela me regarde ! Son regard se durcit et d’un geste de la main il paralysa Riven.

— Maintenant dis moi humain, avez-vous cru à la gentille rumeur qui a circulé par mes soins ? Celles qui racontent que la maison royale d’Excilia, allait trahir votre maître ?

— Tu… tu nous as piégés ? Dans quel but ? Le visage de Riven s’empourpra.

— Pour avoir enfin en ma possession un cadeau à la hauteur de sa prestance ! J’ai d’ailleurs besoin de savoir ou se cache Bakura ! Sur quelle planète votre clan s’est-il établi ? Il resserra mentalement sa prise sur la gorge de l’homme.

— Je. Il suffoqua cherchant à emplir d’oxygène ses poumons. « Jn’en sais rien, information… Il se mit subitement a parlé avec grande difficulté. « effacée… quittons la planète ! Sa voix à bout de souffle devenait rauque et un sifflement se fit entendre.

— Dois-je vraiment te maintenir en un seul morceau jusqu’à son retour ? Uhm je suis persuadé qu’elle sera ravie de t’envoyer au néant, même avec quelques membres en moins ! Un gargouillement se fit entendre.

Khaé se pencha sur l’humain. Les lèvres devenues bleues et le regard paniqué de l’homme lui firent lâcher sa prise mentale. Le relâchant, il s’effondra au sol. Riven reprit sa respiration dans un râle douloureux, toussant en engloutissant d’énorme lampée d’air.

Le clan des ombres ? La petite garce des neuf royaumes ? Khaé connaît l’Isis des neuf royaumes ? Nan c’est impossible. Le seigneur Kaalan avait quitté son bureau pour rejoindre son assistant afin de participer à l’interrogatoire. Il s’était arrêté lors de sa descente dans le boyau plongé dans la pénombre. Mais ce qu’il venait d’entendre avait provoqué un frisson d’effroi dans tout son corps. La destruction d’Excilia est de la faute de Khaé ? Je ne comprends pas, le clan des ombres a été anéanti il y a bien des millénaires. Si ce peuple est de retour, nous le saurions. Et quel est le lien entre mon assistant et l’Isis des neuf royaumes ? Son retour ? Mais cette femme a disparu comme les autres Isis !

Les questions s’entremêlaient dans sa tête, sans qu’il ne puisse réfléchir à ce qu’il venait d’apprendre. Lui qui depuis son intronisation avait juré de découvrir la vérité, découvrait maintenant que son assistant, avait un lien avec la personne responsable de la mort de son père ! Il fut emporté dans un tourbillon d’émotions. La douleur dans son cœur, la sensation d’avoir été trahi par celui qui l’avait élevé, et surtout la manipulation dont il avait été victime. Tout cela lui donna mal à la tête. Calmant la colère qui s’emparait de lui, il tendit l’oreille pour écouter la suite de la conversation qui se menait en contrebas.

— Bien, maintenant que ton souffle est revenu, espérons que tu sois un peu plus loquace ! Pourrais-je savoir quel dieu protège vos présences dans les Méros?

Riven rampa sur le sol. S’adossant à un débris, il fixa d’un regard mauvais l’assistant avant de se recroqueviller s’enfermant dans le silence. L’entraînement qu’il avait subi depuis sa tendre enfance, lui permettait de résister à la torture. Sachant pertinemment que l’assistant ne tenterait plus de supplice sur sa personne, il lui sourit avec suffisance.

— Je ne parlerai pas, quoi que tu fasses ! Il plongea sa tête entre ses jambes.

— Bien, alors nous en avons terminé tous les deux. Tu parleras en sa présence soit en sûr. Il frappa son sceptre sur le sol. Le son produit par le choc résonna jusque dans le boyau.

Le hurlement qui s’ensuivit effraya le jeune dieu. Surpris, il perdit son équilibre et chuta. Se rattrapant de justesse, il remonta toute vitesse le gouffre, son cœur tambourinant dangereusement dans sa poitrine. Courant à en perdre l’haleine dans le long couloir, il ouvrit maladroitement les lourdes portes menant à la pièce principale. Se prenant les pieds dans le tapis, il chuta lourdement tentant de se rattraper au braséro qu’il fit chuter dans un fracas métallique. Sans se soucier des cendres incandescentes qui menaçaient d’enflammer la jonchée de Soks au sol, il continua son chemin vers son bureau.

Il l’a tué ! Khaé a tué cet homme !

Des sueurs froides le saisirent. Sa poitrine en feu et son cerveau incapable de réflexion l’achevèrent. De retour dans son bureau, il se laissa tomber sur le sofa, les yeux perdus et les mains tremblantes. Le cri de l’humain résonnait dans sa tête, et il s’imaginait la scène qui ne cessait de tourner en boucle dans son esprit. Il devait se ressaisir avant que son assistant ne revienne. C’est alors que des objets posés sur son bureau, attirèrent son attention. Se relevant, il s’approcha de la table.

Deux rouleaux aux filigranes dorés avaient fait leur apparition. Il se figea. Son rouleau était ouvert. Il se souvenait l’avoir pourtant refermé et rangé avant de descendre rejoindre Khaé. Alors par quel mystère, était-il de retour sur son bureau ? Prenant le document entre ses mains, celui-ci lui donna des palpitations. Devant s’asseoir avant que ces jambes ne le lâchent, il resta stupéfait par sa vision. Il avait été littéralement corrigé. La ou les zones d’ombre subsistaient, des explications avaient été annotées à l’encre rouge. Il ne comprenait pas. Khaé était pourtant avec le prisonnier. Alors qui avait bien pu s’infiltrer dans le palais et écrire ces notes ? Celui qui avait fait cela, avait une maîtrise parfaite de la magie. Pouvoir décrire avec exactitude les effets néfastes d’un tel sort, nécessitait d’avoir étudié les anciens sortilèges humanoïdes, disparus depuis des millénaires.

Se saisissant d’un rouleau, il caressa le papyrus. La douceur du papier et le sceau apposés le frappèrent.

Ces rouleaux appartiennent au roi ! Seuls les initiés du troisième degrés peuvent y avoir accès ! Mais de là à les sortir de la grande bibliothèque ! Il se leva, stupéfait par l’objet entre ses mains. Prenant bien soin de ne pas déchirer le document, il fit glisser les deux extrémités dans un geste d’une grande douceur.

C’est un rouleau de la création ! C’est une collection millénaire !

L’excitation à son comble, il le parcourut du regard. Le rouleau retraçait avait exactitude l’un des périples menés par les Isis lors de la purge magique qui avait régenté l’univers au commencement. Dédié au sortilège qui avait été lancé sur Excilia, il décrivait avec exactitude ses effets ainsi que la façon de le contrecarrer.

Je le savais ! Il est donc possible de rééquilibrer l’énergie créatrice qui s’écoule sur chaque monde. Une purification ? C’est un haut sort de magie blanche ? Aucun être n’est en mesure de lancer un tel sortilège ! Même les Dimiour n’ont pas un tel pouvoir !

Le rouleau disparut soudainement dans un pop sonore sans qu’il n’eût le temps de prendre des notes.

Un sortilège temporel ? Donc le temps pour lire ces rouleaux est compté ? Intéressant ! Peu de gens savent manier une telle magie ! Qui que tu sois, tu as l’air assez courageux ou très stupide pour me faire cela !

Se saisissant d’une feuille et de sa plume, il ouvrit le second rouleau. Il était vierge. Seule une étrange petite feuille de papier jaune à la bordure collante trônait au milieu de la page. Jouant avec le feuillet qu’il trouvait curieux, il s’attarda sur l’écrit d’une grande finesse.

— Fais confiance à la lumière, elle guidera tes pas sur le chemin tortueux des monts divins. Il leva son regard perplexe du rouleau. « Faire confiance à la lumière ? Quelle lumière ? Et c’est quoi les monts divins ?

Voilà qui devenait très énigmatiques. Il était persuadé d’avoir déjà lu cela quelque part. Les émotions de la soirée, l’empêchant de se concentrer sur ces nouvelles informations, il prit place sur son siège.  Si ce qu’il avait lu sur le sortilège, se révélait être exact, alors les informations reliées avec la conversation de tout à l’heure prenaient tout leurs sens. Il se leva. S’emparant vivement de son rouleau, il entreprit une action qui risquerait de lui coûter cher, si le conseil venait à l’apprendre ! Il le jeta au feu.

Eh bien voilà, tu as l’air moins stupide Katastrep ! Assise sur la branche d’un arbre qui surplombait la terrasse menant au cabinet, elle fixait les réactions du jeune dieu.

J’ai dans l’espoir que ces éléments te mèneront vers la vérité. Marche sur les monts divins et trouve le grand oracle. Il saura t’accompagner. Mais prend garde jeune dieu, la vérité est cruelle, et son amertume te plongera dans le désespoir. Elle s’éclipsa, ne laissant derrière elle qu’une légère nuée d’étincelles.

— Mais mon seigneur que faites-vous ! Aboya Khae, le visage stupéfait devant l’âtre de la cheminée.

— Changement de plan. Le visage paisible du seigneur regardait le rouleau de désagréger dans les flammes destructrices.

 — Pourquoi ? Un an de travail réduit à néant ! Quelle mouche vous a piquée ?

— Les humains se sont trompés en tentant d’étudier un sortilège et celui-ci s’est retourné contre eux. Voici la version officielle que nous donnerons au conseil. Son regard glacial se tourna vers son assistant.

Vous devez être connecté pour laisser un commentaire.
Plume de Poney
Posté le 27/05/2025
Le récit se densifie, les petits secrets des uns et des autres, les manigances, tout cela risque de créer pas mal de chaos au bout du compte...

Le jeune dieu est encore vert mais ce serait dangereux de le négliger!

Hâte de voir comment tout cela va se mettre en mouvement, ça commence doucement mais une fois que tout sera lancé, ça va être difficile de revenir en arrière...
Luvi
Posté le 27/05/2025
Le chaos est une échelle comme disait feu Littelfinger, mais entre les mains du divin, il devient un jeu auquel peu de créature s'adonne... La chute sera fatale.
Mais il reste beaucoup à découvrir avant le début de la fin pour tout ce petit monde...
Quand au Seigneur Kaalan, prendre part à la partie risque de lui coûter beaucoup... ou pas...
Remercions Khaé pour ce beau moment de manipulation. A bientôt
Vous lisez