Ce qui est intrusif

- Professeur, pardonnez cette intrusion, j’ai grand besoin de m’entretenir avec la princesse. Veuillez nous laisser. Elle s’avança, l’air autoritaire et un sourire glacial aux lèvres.

Ses épaules en arrière, le menton sur sa poitrine, sa chevelure rousse l’entourant d’une aura flamboyante, elle se mouvait d’une façon théâtrale. Elle leva un doigt dédaigneux vers Hélios, et intima silencieusement de quitter les bras de son Isis et la pièce.

- Hélios, tu restes là. La jeune fille avait levé sa voix, afin d’être bien entendu de l’intrus.

Freya se tourna vers elle, prête à objecter violemment. Les mots moururent sur ses lèvres. Le regard qui la darda, aussi silencieux qu’éloquent la figea sur place. Une lueur de défi brillait dans les yeux de la princesse. Une détermination farouche qui ne laissait aucune place au doute. Manipuler la jeune enfant et future Isis des Neuf Royaumes, ne serait pas une tâche aisée pour la grande reine d’Asgard.

Elle leva un coup d’œil timide sur la jeune fille. Des yeux  d’un gris intense aux perles d’argent, tel le regard d’une statue dans une brume de lumière, lui répondirent. Sans crier gare, le monde réel autour d’elle, s’enferma dans une bulle, comme si le rideau occultant d’une scène se refermait sur les spectateurs. Murs blancs, sol blanc, plafond blanc, la moindre particule de ce qui fut meubles, livres, chaises ou fenêtres se transformèrent en espace lactescent. Était-ce une illusion, ou la jeune fille s’amusait-elle à provoquer la panique dans l’esprit de la reine ? Freya inspira profondément. Gardant son calme, elle observa la princesse dont l’expression demeurait impassible. Un masque d’arrogance dissimula son inquiétude.

- Tu penses que de simples illusions vont m’effrayer ? » lança-t-elle avec mépris.

La princesse ne répondit pas. Elle se contenta de maintenir son intensité visuelle. Elle ne tomberait pas dans le piège de son adversaire, mais elle allait lui donner le spectacle qu’elle attendait.

Le cœur serré, Freya pris place sur le fauteuil du professeur. Une bataille s’annonçait, et chaque mot, chaque geste devait être pesé avec soin. Les répercussions de cette entrevue pourraient freiner les désirs de la royauté Asgardienne. La colère de l’Isis des Neuf Royaumes s’abattrait impitoyablement, si les choses tournaient mal.

Freya pressentait que la jeune princesse était bien différente de Lostris dans ses jeunes années. Colérique, capricieuse, tout en cette enfant était un danger à ne pas prendre à la légère. Perturbée par sa nouvelle vie, elle ne contrôlait son pouvoir que par intermittence. Son côté humain bien trop présent, se mêlait difficilement à son côté divin. Un risque et une emprise dangereuse pour des êtres voués à la servitude par la faiblesse de leur existence. Freya osa prendre la parole.

- Bonjour princesse. Vide de tout sentiment, comme son cœur le fut durant les cinq milles de troubles, la phrase resta en suspens. Le ton était donné.

L’enfant ne lui répondit pas, l’énergie vitale se dégageant de la reine d’Asgard la troublait. Elle détailla la femme royale qui venait de s’asseoir gracieusement. Ses cheveux roux retenus pas une fine couronne dorée, retombaient en cascade bouclée.

Les tiges dorées qui cernaient l’arrière de sa tête, se terminaient par un dégradé rougeâtre de rubis, dont l’éclat se perdait dans ses cheveux. Une robe satinée d’un bleu profond. Un drapé ornait ses épaules retombait au sol dans d'harmonieux mouvements Le frôlement du tissu bruissait à chaque mouvement. Ses bras étaient alourdis par d’épais bracelets d’or. Sa tenue à la mode, et ses bijoux taillés grossièrement, était loin des stéréotypes royaux. Sans sa couronne, cette femme ressemblait à toutes les autres. Le grand royaume d’Asgard en perdant sa suprématie, perdait également de son prestige, et la famille royale en faisait les frais.

- Cette armure te va à ravir ! Je croirais voir ta mère à ton âge ! Aussi lumineuse qu’elle l’ait été ! Freya gratifia son compliment d’un grand sourire.

La princesse resta les bras croisés et les lèvres pincées. Elle laissait délibérément son mécontentement se manifester autour d’elle. Une fine brume d’énergie émanait de son corps tendu. Elle attendait. Le mot, la phrase, la critique qui enflammerait davantage sa colère, devait venir de l’impatience de cette femme détestable. La haine est un poison qui consume tout sur son passage. Et cette femme, qu’elle soit reine ou roturière, avait su le manier avec brio, laissant derrière elle le cœur endurci d’une enfant et l’âme brisée d’une mère.

Freya prit une grande inspiration. Ses yeux cherchèrent à capter son attention. Fébrile, elle lui tendit un paquet.

- Je t’apporte un présent ! J’ose croire qu’il sera du plus bel effet sur ta cuisse lors la fête que nous donnons en ton honneur, après ton examen magique demain !

La princesse fut intriguée. Prenant le paquet du bout des doigts, elle le laissa tomber au sol avec mépris. Comme si son simple toucher avait souillé sa dignité, elle fit comprendre à Freya, l’indélicatesse de sa présence. Elle détourna son regard avec une froide indifférence. Freya resta stoïque face au comportement de la princesse.

- Allons, ne le prend pas ainsi ! Dès demain, le royaume entier connaîtra ta puissance et louera ta personne. C’est ainsi que toutes les Isis avant toi sont devenues nos protectrices ! Et…

Elle eut un mouvement de recul face au regard colérique de la jeune fille.

- Sauf ta mère, j’en conviens, mais elle est différente de toi. »

Jade exulta intérieurement. Un sentiment de triomphe déferla dans ses veines. Freya venait enfin de commettre un impair.

- Que veux-tu ? Viens-tu me rappeler la faiblesse de l’Isis blanc ? Ou viens-tu me rappeler que mon existence n’est pas la sienne ? Le ton fut froid. Elle se redressa, toisant de toute sa hauteur Freya.

Bien que novice en de nombreux point, Jade usait de son ancienne vie humaine pour s’affirmer. Projetant froide amertume ou passion brûlante pour certains aspects de la magie, de la vie divine, ou de sa future charge d’Isis des Neuf Royaumes, la rendait bien plus énigmatique et redoutable. Son désir de s’affirmer, n’avait aucune limite. La jeune fille revendiquait son individualité propre. Pourtant, les attentes et les comparaisons oppressantes qu’avait connues sa mère dans son enfance, n’avaient eu cesse de renforcer la curiosité de la princesse pour le passé. Surprotégé par sa mère, tout entretien avec la royauté d’Asgard et elle, fut interdit.

 Puisque la princesse n’obtenait pas de réponse de Lostris, elle avait donc attendu cet entretien avec impatience, guettant la moindre erreur de la leur part. La simple maladresse qu’elle pourrait exploiter pour obtenir certaines réponses et affirmer sa propre position en tant que future Isis des Neuf Royaume. Et qu’elle meilleur argument que de recourir à la plus grande faiblesse de sa mère.

- Tu es différente ! Ton pouvoir est celui d’une véritable Isis ! Tu manipules les magies blanches et noires et ton don est plus puissant que celui de ta mère ! Tu deviendras l’Isis la plus puissante que notre royaume possède !

- Possède ? Je n’appartiens pas au royaume ! C’est l’inverse ! Faisant volte-face, elle toisa la reine.

- Ton langage jeune fille ! Tu es loin de connaître le passé et l’histoire de tes ancêtres ! Ne sois pas insolente ! Tu n’es pas notre Isis, pas encore ! Freya s’agita sur sa chaise.

Dans un mouvement brusque elle tapota nerveusement la table. Ses doigts martelèrent le bois dans une cadence irrégulière. Son regard se fit ardent et sévère. Elle souffla.

- Tu te méprends grandement sur mon compte ! Cesse donc cette animosité ! Je ne suis qu’une femme qui rend visite à sa petite-fille en ce jour festif ! Ne me rejette pas comme ta mère a pu le faire ! Se penchant, elle essaya de saisir la main de la princesse qui la repoussa.

- Maman a toutes les raisons de te rejeter. Elle serra les poings, ses pensées déviant vers l’image auréolée de sa mère au même âge, enfermée dans le sanctuaire.

Elle haïssait la royauté. Elle n’était pas dupe, elle connaissait les secrets de leurs cœurs incroyants. Leur envie de soumission, leur bellicisme, leur envie de pouvoir et de contrôle ne lui était pas inconnu. Telle était la destinée des Isis avant elle, comme de sa mère Lostris. L’immense sacrifice qui avait été le sien, à une époque ou Asgard n’était que dictature, résonnait dans le cœur de la jeune fille comme une funeste mélodie. Les cieux résonnant des cris des habitants oppressés des Neuf Royaumes. La royauté, le Conseil des Sages, depuis des temps immémoriaux, parés d’injustice et de déraison, oppresseur et esclavagiste, s’élevant par leur domination féroce. Le royaume surveillé par un chien de garde impitoyable, l’Isis des Neuf Royaume. Asservissement de son âme, son esprit et son pouvoir pour la gloire éternelle d’Asgard.

Mais au milieu de l’obscurité, la lueur divine brillait encore. Lostris, murmure d’une résistance portée par son âme courageuse avait trouvé grâce dans les ténèbres. Défiant, dieux, humanoïde et Asgard dans l’espoir de retrouver son éclat, elle avait mené bataille pour sa propre liberté. Sortilège de seconde naissance, manipulation de son propre pouvoir divin. De cette sorcellerie prohibée, elle lui avait donné la vie. Elle la jeune princesse, prochaine Isis des Neuf Royaume, allait rendre hommage à celle qui avait tout sacrifié pour que lumière soit futur.

Le destin qui avait régi la vie de sa mère, ne serait bien évidemment jamais le sien. Pour l’instant, cela n’était pas encore une réalité pour Asgard. Le secret de son existence était encore hors de leur portée. Sûr de sa supériorité sur l’Asgardienne, elle

continua de la fixer. Elle laissa la tension s’installer, consciente que Freya se devait de rester calme et mesurée envers elle.

— Pourquoi es-tu là ma reine ? Hélios, resté silencieux, ramassa le paquet qu’il tendit à son Isis. Il lui lança un regard désapprobateur.

Voulant faire preuve de bonne foi, afin de ne pas s'attirer les foudres de sa mère, elle retira les plis du linceul qui s’effritait sous ses doigts.

— Qu’est-ce donc ? Demanda-t-elle à Freya.

—Un poignard dont l’âge ancien remonte au temps où le royaume de Svartalfheim existait encore. Freya sourit timidement.

— Les elfes noirs ? Elle sortit avec délicatesse l’artefact de son linceul.

La garde taillée sein d’une pierre volcanique noir, reflétait la lumière. D’une grande simplicité, le métal recourbé aussi froid que la glace d’un volcan, était ternie. Elle avait perdu son éclat depuis des millénaires. Plus aucune magie ne parcourait l’arme émoussée et les runes sur son tranchant, à moitié effacées, devenaient illisibles.

— Connais-tu l’histoire des elfes noirs et de leur peuple jeune princesse ?

— Isianna, première Isis de neuf royaumes a anéanti ce peuple lorsqu’elle a sombré dans les ténèbres. Son visage s’illumina. L’amour des artefacts était un point qu’elle avait en commun avec sa mère.

— Cette dague appartenait à leur roi. Elle lui fut arrachée par Isianna elle-même. Un trésor de guerre qui rappelle les heures sombres de sa lignée. Puisque toi aussi tu es la toute première d’une nouvelle lignée, j’ai osé croire qu’elle te revenait de droit. Je souhaitais t’offrir un autre présent, mais il a été perdu depuis longtemps ! Mais peut-être l’aurais-tu aperçu dans les affaires de ta mère.

Elle lui présenta une ancienne lithographie. La princesse la détailla. Sous ses yeux, une gravure représentant un étrange bracelet surmonté d’une pierre rectangulaire rouge sang. Le dessin provoqua des frissons chez la jeune fille. Elle comprit enfin le comportement de Freya. Un non violent franchit la barrière de ses lèvres, tandis que son esprit en alerte, envoyait un message mental à sa mère. La jeune fille, loin d’être aussi ignorante comme le supposait la femme face à elle, reprit contenance.

—Ce bracelet ne fait pas partie du trésor divin qui repose au sein du palais de Midgard. Elle reposa la lithographie devant la reine

— Connais-tu sa valeur jeune princesse ? C’était une pièce maîtresse du trésor Asgardiens. Mais il a été perdu, ou volé, et depuis notre richesse paraissent bien ternes sans son éclat. Maugréa Fraye, la tête baissée.

— Est-ce un artefact ? Demanda Hélios.

—Oui, offert au commencement des temps par les Isis au roi d’Asgard après le coup d’État de Isianna, lorsque ses pas la portèrent dans les ténèbres ! Cela devait être un présent du conseil des dieux, pour fêter l’intronisation de la toute première Isis des neuf royaumes. Mais rien ne s’est produit comme cela était espéré ! Je ne vais pas vous narrer l’histoire du royaume, vous la connaissez.

—J’ignorais qu’un tel présent existait ! S’exclama Jade avec lassitude.

—Je m’étonne que cette histoire n’ait pas été contée par ta mère ! Rétorqua Freya avec un soupir chargé de reproche.

—Maman se garde bien de révéler ses véritables intentions, alors espérer que la vérité sur le royaume le soit aussi n’est que pur rêve. Tu devrais le savoir, votre soumission face à sa lumière en est la preuve ! A-t-elle fait l’effort de vous raconter son passé lors de son retour ? Ou a-t-elle par omission cacher certains points cruciaux qui nous mèneront à la guerre avec les autres Méros ?

Le sourire qu'elle lança, agaça Freya. Ses traits se crispèrent.

- La guerre ? Depuis que la vie s’est éveillée dans les neuf royaumes, les dieux n’ont cessé de semer les germes de la discorde ! Avoir une Isis à nos côtés n’a jamais rien changé ! Nos richesses et la profusion d’espèces vivantes… Tout cela n’a fait qu’attiser leur jalousie. Mais cela ne devrait pas te concerner ! Tu es trop jeune pour t’en mêler. Nous avions convenu de te garder dans l’ignorance. Ta formation est notre seule priorité !

La princesse serra les poings. Sa magie tourbillonna autour d’elle.

- Mais je ne suis pas stupide ! Comme je sais que cet artefact maudit, a provoqué votre chute ! Comment je l’ignore ! Mais je constate seulement que les mensonges et les faux-semblants sont monnaie courante dans la famille royale d’Asgard !

Freya se redressa brusquement. Son visage devint rouge de colère. Bien que la princesse soit de nature divine, sa jeunesse ne lui permettait pas d’insulter la famille royale. Elle planta son regard sur la jeune fille.

- Je ne te permets pas jeune insolente ! Cracha Freya, la voix vibrante d’indignation.

Le silence s’installa. Il fut interrompu par une voix grave et rassurante. Hélios venait subitement de se lever, faisant sursauter Freya.

- Ma reine, veuillez lui pardonner son comportement ! Le stress de la journée la rend nerveuse ! Il effectua une révérence et les yeux fixés sur le sol, attendit une réponse de la reine qui ne vint jamais. L’ignorant, Freya prit congé de la jeune fille !

- Combien de fois, ta mère va-t-elle te rappeler de calmer tes ardeurs et de réfléchir avant de parler ? Fit-il, un soupçon de lassitude dans la voix.

- Cette femme m’exaspère ! Elle se pavane en croyant que je vais réagir comme ma mère ! C’est-à-dire en me taisant et en me rabaissant ! Je ne suis pas l’Isis blanc ! Elle arbora un sourire, bien vite rejoint par son Medjaï

- Donc ta mère avait raison, ils sont à la recherche du bracelet !

Il se saisit de la lithographie que Freya avait omis de reprendre en quittant les lieux

A suivre.