Ce qui forge la révolte

Par Luvi

En des temps reculés, quand la lumière baignait l’éther et que la pure magie s’écoulait comme le chant des étoiles, Vanaheim, la féconde, resplendissait.

Fief forestier des Neuf Royaumes, foyer des Vane, enfants du jour, sous une nitescence perpétuelle, prospérait jadis.

Sous les voûtes célestes, les rivières fredonnaient, louanges aux dieux d’antan.

Les vents murmuraient, incantations au peuple élu.

La terre en sa sagesse, devant la splendeur sacrée s’abaissait.

 

Dans l’obscur contré d’Asgard, vanité et orgueil consumaient les belliqueux.

De leurs machinations, l’Isis devint serviteur.

L’ire des Asgardiens, née des profondeurs, ne souffrirait point d’égaux sous l’étendue des cieux.

Ainsi s’éleva la guerre, impitoyable et absolue.

 

Et vint la chute de Vanaheim.

 

Le fracas des batailles retentit à travers les âges.

L’acier transperça les remparts.

Les flammes dévorèrent les sanctuaires

La terre sacrée des Vane fut brisée.

Condamnée aux cendres et aux vestiges.

L’harmonie tissée autrefois par leur Isis fut trahie.

L’ombre du divin, désormais sujet d’Asgard, enveloppa Vanaheim de sa cruelle destinée.

Les Vane, souverains de la lumière, devinrent esclaves des ombres.

Leurs chaînes forgées dans le fer des vainqueurs.

Courbant échine sous un joug implacable, ouvrant sans relâche, ils bâtirent la gloire d’Asgard sous les larmes de leur divinité déchue.

 

Njörd, dignitaire Vane, capitaine des légions magiques de l’armée divine des Neuf Royaumes, se remémora cette vieille légende. Né en captivité sur le domaine viticole d’Asgard, il n’avait connu que le poids des chaînes et la colère de ses bourreaux.

Les récits des anciens, murmurés dans l’obscurité de ses nuits d’esclave, lui avaient peint Vanaheim comme un jardin céleste où la clarté et la magie dansaient en harmonie. Alors en son âme de petit garçon, il avait rêvé.

Les années passèrent, et avec eux, l’oublie des songes et des espoirs. Le petit garçon utopiste s’en alla. L’armée lui ouvrit ses bras, et avec elle, le bonheur fugace d’un amour. Ylia de Alfheim, monde elfique. Elle était une esclave, tout comme lui. Son monde asservi, tout comme le sien. Elle devint son nouveau rêve, son nouveau foyer. Mais Asgard en décida autrement. La douleur de sa mort l’anéantit.

Et le jour fut venu.

Tremblant comme un écho d’un temps oublié, soufflant comme un espoir d’un âge révolu, son nom résonna à travers les territoires, et avec elle, la promesse du renouveau. Lostris, Isis des Neuf Royaume et Isis blanc avait défié, brisés les chaînes et arraché le destin à l’emprise d’Asgard. Elle était le flambeau qui avait consumé la tyrannie. Le sang qui avait réveillé la magie dormante des Vane.

Alors, il avait prêté serment, vouant sa vie à sa libératrice. Jusqu’à son dernier souffle. Jusqu’au déclin dans la poussière de ses ennemis. Grâce à elle, il marchait libre.

La tête levée vers les étoiles, leurs éclats ardents perçant le voile nocturne de cette fraîche nuit d’automne, il s’arracha à ses pensées. Son acolyte, les bras chargés d’amphore, riait aux éclats avec un géant. Leurs voix résonnaient comme une célébration du présent. Les heures sombres s’étaient effacées, mais la colère encore vivace. Elle persistait, sourde et brûlante. Elle était nichée dans les profondeurs de son être.

Elle lui avait promis la vengeance de leurs fardeaux communs.

Njörd inspira profondément. Ses doigts frôlèrent la terre qu’il foulait enfin en homme libre depuis deux ans. Mais dans son cœur, ce prélude n’était pas encore liberté. Pas avant que l’histoire ne se referme, pas avant que les cendres ne cessent de souffler sur Vanaheim, pas avant que justice ne soit rendue.

Dans la foule, de cris fusèrent. Njörd se redressa promptement. Au loin, sur les bords du grand lac, deux frêles lueurs semblaient flotter au loin. Minuscule point radieux au milieu des éclats stellaires, leur être se dessinait sous les regards émerveillés de la foule amassée dans le jardin.

Elles irradiaient, se présentant aux peuples sous les cieux étoilés. Elles marchaient dans la voûte céleste, leur pas dégageant de fines particules luminescentes. Elles s’auréolaient d’un nimbe, dont la vision renvoyait l’illusion d’un soleil étincelant. Puis l’embrasement cessa, emportant avec lui le flamboiement des deux corps divins.

Les invités retinrent leur souffle devant la vision divine. Une robe blanche mettait en valeur la finesse de leurs longues jambes fuselées. Leurs pieds nus frôlaient le ciel avec grâce. Elles créaient des marches translucides dans le ciel parsemé de taches colorées. Leurs bras ne se paraient d’aucuns bijoux. Se perdant dans leurs longues chevelures auburn, de fins diadèmes d’or blanc reflétaient les lueurs les entourant.

Saluant l’assemblée, elles se laissèrent doucement porter par leur magie vers le sol.

Les convives s’écartèrent avec vénération. Le silence berçant leur âme d’une éblouissante félicité d’un privilège rare : celui de contempler leurs divinités de si près.

Tous, d’un même mouvement plièrent le genou, les yeux levés vers les deux êtres divins qui sans un mot, traversèrent le jardin tel des spectres éthérés insensibles aux frémissements admiratifs de la foule. Elles atteignirent le balcon qui surplombait les jardins. Odin et Freya reculèrent, effaçant leur présence. Aucun échange, aucun regard. Seules, souveraines dans leur grandeur, elles prirent place, comme les vestales des vieilles légendes oubliées.

Le roi d’Alfheim, majestueux dans son armure aux milles couleurs printanières, fut le premier à se présenter. Ses longs cheveux blond cendrée flottaient au gré de la brise parfumée. Son regard ambré, malicieux, s’attarda sur la beauté des ornements floraux. D’un pas mesuré, le roi monta les marches menant au balcon. La douceur du vent jouait avec les broderies de son armure, caressant les fils d’or et d’argent qui s’entrelaçaient sous les rayons pâles du crépuscule. Dans son périple, il ôta délicatement une fleur de sa jardinière. Il en huma l’exquis parfum, puis reprit son ascension.

En haut des marches, l’objet de ses désirs se dessina. Elle se tenait immobile sur son siège, drapée d’un halo diaphane, son visage aussi serein que l’éclat d’une antique étoile.

Dans un geste empreint d’élégance, le roi effleura la tige veloutée de la fleur. Il murmura.

-      Cette fleur… Il glissa son doigt sur un pétale suspendu dans l’air. « Elle semble attendre ta bénédiction.

Lostris inclina doucement la tête, non sûr de comprendre la comédie à laquelle s’adonnait le roi. C’est quand elle ressentit l’aura colérique de Odin à ses côtés, qu’un sourire imperceptible apparut sur ses lèvres. Un éclat d’amusement traversa ses prunelles argentées.

-      Les fleurs n’attendent rien mon roi. Elle leva sa tête vers les constellations, ces astres éternelles qui veillaient sur la galaxie sans exiger de réciproque. « Elles s’offrent au monde sans rien demander en retour. Serait-ce là votre désir roi des Elfes ? Offrir sans attendre ?

Dans un élan aussi solennel que poétique, il plia le genou, son manteau aux milles teintes s’étalant autour de lui comme un tapis de pétales. Le scintillement doré de Lostris, effleurait sa silhouette, magnifiant chaque brodure. Un soldat s’approcha lentement, portant avec piété un coffret d’une rare beauté. Le roi, toujours agenouillé tendit ses mains vers l’offrande, et l’éleva légèrement afin qu’il soit aperçu de tous.

-      Majesté, voyez ces œuvres, forgées dans le silence et la clandestinité. Cet art, sculptées dans l’or et la source, par des braves naguère entravées. D’un geste minutieux, il ouvrit le présent, et lui présenta les armes que les armuriers avaient façonnées pour l’occasion. Des arcs de métal aux reflets nacrés semblable à des perles scintillantes, ouvragés non pour la guerre, mais pour la grandeur.

-      Madame, par le passé nos chants se sont tus, notre savoir briser, effacer jusqu’au dernier de ses vestiges. Il se releva avec une grâce contenue et l’offrit à Lostris. « Longtemps, nous avons caché nos talents sous les clartés lunaires d’Edda, façonnant dans les ombres ce qui ne pouvait briller. Il place l’arc en possession de son Isis.

Dans une dernière révérence, il s’en retourna à sa place, la joie sur son visage et l’œil alerte sur les soldats Asgardiens. Mais avant de rejoindre les siens, il se tourna brusquement, les bras tendus, paumes vers le ciel dans un geste des plus théâtral.

-      Mais tu es revenu, ô toi lumière divine, flamme renaissante et promesse tenue. Par ton pouvoir, l’oppression a vacillé. Par ton nom, l’espoir s’est levé.

 Aujourd’hui, ces arcs, tout comme toi sainte lueur de l’aube, sont la preuve que ni Asgard, ni le temps, ni la crainte, ne peuvent éteindre ce qui appartient aux étoiles.

Comme explosaient les applaudissements sous les lueurs des lampions, le jardin se teinta de cris de joie. L’assistance se tenant sur le balcon était médusée. Lostris, masquant les émotions qui la submergeaient, s’étonna que le roi d’Asgard ne fasse l’affront de répondre aux accusations du roi des Elfes. Odin serrait ses poings, contenant sa rage. Cela ne lui avait pas échappé. N’ayant cure de la colère sourde qui grondait dans l’esprit du roi d’Asgard, elle ordonna au roi des Vane de s’approcher.

Celui-ci s’agenouilla avec une grande humilité. Ses soldats apportèrent deux coffres de bois, dont ils extirpèrent des pièces aux tissus chatoyant et aux odeurs chaleureuses. Les tenues qu’il lui offrit, majoritairement façonnées de peau de bêtes, résistaient aux hivers les plus glacials. Entremêlée de sortilège de chaleur, leur manufacture florissante s’était également perdue à travers le temps après la prise de pouvoir d’Asgard.

Vint le roi de Jotunheim. Sa présence s’imposa comme les premières givrées de l'hiver. Son armure de glace, sculptée dans les frimas éternels, semblait fusionner avec sa peau bleutée, le rendant indissociable de la terre qu’il gouvernait. Majestueux et implacable, il avança avec la gravité d’un titan. Chacun de ses mouvements faisait frémir le sol de son poids.

Dans son sillage, vinrent se positionner ses géants, colosses des neiges infinis. À leur pas, la terre frissonna. Des volutes de poussières dansaient brièvement, avant d’être soufflées par les vents glacés qu’ils exhalaient. Sans compassion, ni hésitation dans leurs yeux pâles, ils laissaient suinter de leur essence hivernale, la rancune d’un passé qui refusait de s’éteindre.

Il ne venait pas offrir ses respects aux deux divinités. Son hommage n’avait ni chaleur ni déférence, il portait le poids d’une planète fracturé. De son seul souffle, il figea le temps lui-même. L’atmosphère se para d’une aura glaciale.

Une fine bruine gelée s’insuffla à travers les êtres présents. Les braséros et les torches suffoquèrent avant de s’éteindre. Seules les lueurs colorées des lampions dispersés par le vent, illuminaient la pénombre. Des murmures s’élevèrent.

Debout au beau milieu de la foule, il fixa le roi d’Asgard, son attention brûlante de la froideur des siècles d’asservissement. Aucun mot ne fut échangé, et pourtant, le silence résonna plus fort que n’importe quelle parole. Il n’avait jamais pardonné et ne pardonnerait jamais.

Lostris, loin de se formaliser de la terreur qui s’insinuait dans l’esprit des petites gens, se racla la gorge.

-      Mon roi. Elle se leva.

Dans une gerbe d’étincelles dorées, elle disparut de son trône, pour réapparaître à ses côtés. Aussi fluide que l’éclat d’une étoile filante, son aura pulsait dans l’air. Elle contenait son pouvoir, prête à se déchaîner au moindre signe d’attaque des Géants de glace.

- Toi et ton peuple qui avez marché sur des terres mourantes, qui avez vu l’éclat de vos hivers s’éteindre sous l’ombre d’Asgard… Entendez-moi. Lentement, elle posa une main sur l’épaule du roi.

Le geste aussi ferme que solennel, laissa échapper une houle de magie silencieuse. Lostris incanta, délaissant les mots pour guider cette confrontation.

J’ai vu votre souffrance inscrite dans les ruines du passé.

J’ai senti le froid de votre rage frémir sous mes pas.

Le roi de Jotunheim se refusait à ployer le genou devant Lostris. Ses mâchoires crispées trahissaient l’affront envers son peuple à l’idée de se soumettre. Sa voix grave, agressive et haineuse, fendit la taciturnité de sa présence.

-      Majesté, toi qui as parcouru les vestiges de Jotunheim, là où le silence a remplacé les chants d’antan, où la neige ne porte plus le souvenir de nos ancêtres mais celui du sang versé, pourquoi devons-nous encore ployer le genou ? Il se tenait droit, imposant. Il la regardait d’une colère froide.

Lostris leva ses deux doigts sous le nez de son interlocuteur. Sans crier gare, elle les abaissa. Une onde de gravité s’empara du corps du géant, le forçant à courber l’échine. Elle se pencha et murmura à son oreille. Il se figea, entendant la voix mielleuse mais chargé de menace de son Isis.

-      Jotunheim n’est pas qu’une terre. C’est une mémoire, une force, une éternité gravée dans la glace. Vous qui avez survécu aux âges les plus cruels, n’oubliez pas les actes du divin. J’ai rendu à vos hivers leur splendeur. De ce fait, j’en attends de vous, que vous suiviez le chemin de la lumière…

Elle délaissa le roi et s’abrogeant de toute règle de sécurité, s’avança vers les peuples. Son corps s’enveloppa d’une douce énergie, qu’elle insinua dans l’esprit de toutes les créatures humanoïdes. La béatitude accompagna leur cœur vers la paix. Les visages marqués par la douleur, les cœurs alourdis par le poids des âges, s’effritèrent lentement. Dans le silence sacré qu’elle venait d’imposer, sa voix s’éleva.

-      Que vaut une terre reconstruite si vos cœurs saignent encore ? Que vaut la renaissance si la vengeance consume vos âmes ? Sa magie s’étira, sondant la colère, la peine et l’injustice.  « Votre haine est légitime, vos cicatrices indélébiles. Pourtant, je vous le demande : quel avenir choisissez-vous ?

Un frisson parcourut l’assemblée

-      Celui ou vous restez prisonniers de la colère ? Ou celui où vous érigez vos mondes non sur la vengeance, mais sur la grandeur ? L’air vibrait sous ses paroles.

Dans un dernier murmure, elle intima au roi de Jotunheim de retourner à sa place sans esclandre.

Les notes mélodieuses d’une harpe s’élevèrent subitement. Une mélodie aux embruns mélancolique, parcourut l’atmosphère dans un léger frémissement. Puis prenant de l’ampleur dans un crescendo sonore, la musique se transforma en notes d’extase, plongeant ses spectateurs dans la félicité. Les halos éclatants qui pulsaient sous les notes de musiques, explosèrent en particules scintillantes. Comme si des milliers de petits feux follets dansaient dans le ciel, leurs coloris chatoyants hypnotisèrent chaque âme présente. Puis se regroupant en une seule entité, les flammèches incandescentes tourbillonnèrent, se transformant en voiles énergétiques.

Lostris apparut dans le ciel, enveloppée dans une symphonie enchanteresse émanant de l’instrument lyrique que tenait de la princesse. Sa robe d'un blanc immaculé, traversée de fils lumineux, laissait échapper une légère brume irisée.

 Des filaments de magie délicate entouraient la finesse de ses longues jambes. Tel un ordre donné sans aucune force, la chaleur de paroles résonna dans les esprits, donnant forme aux impulsions qui dansaient dans le ciel nocturne.

A suivre.

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