Ce qui fût jadis interdit

Par Luvi

Les boursouflures d'un soleil rougeoyant, martelaient de sa chaleur son songe enfiévré.

Ce monde va disparaître...

Les ondées brumeuses, provoquées par l'écrasante morsure de l'astre solaire, faisaient fumer la pierre blanche, rendant l'endroit austère. Elle montait un escalier, haut, voûté d'arceaux sous lesquels, assis sur leur trône, les statues des anciens rois de ce monde veillaient. Leur visage sévère, emplit d'une douleur infinie, leurs joues noyées de larmes de sang qui coulaient abondamment de leurs regards éteins, et cette litanie qui résonnait dans sa tête, comme un message silencieux de ces monarques de pierre.

Ce monde va disparaître...

Elle hâta le pas, accompagnée par une ombre qui s'abattait, condamnant les vivants à hurler seuls dans l'éternité. La plaine houleuse aux senteurs de la mort et de magie noire, offerte au vent capricieux, apportait les éclats d'une braise ardente sur sa peau, faisant trembler le feuillage sans un bruit. Elle se figea.

Je suis sur Elysia ? Ce temple qui s'élève ? C'est l'îlot sacré d'Arca ?

Sa pensée se transforma en une terreur sourde. Emplissant son être, envahissant la moindre conscience de ce qui se déroulait sous yeux. Tel un film en noir et blanc, les images qui se succédaient dans sa tête, d'une lenteur infinie, la projeta devant le parvis du temple qui se dressait majestueusement. La voix de son professeur lui contant l'histoire de ce monde résonna, mêlée aux sanglots d'un homme se tenant devant l'immense porte du bâtiment.

Dominant la route royale sur l'îlot sacré d'Arca, le temple construit à l'apogée de la civilisation Elysienne a toujours été dédié aux Dimiour qui se sont succédé dans le cinquième Méros.

Ce monde va disparaître

Pitié je ne veux pas mourir...

Deux gigantesques griffons rugissants, fait de bronze et aux orbites sertis, veillent sur la porte du bâtiment divin. Rappelant des oiseaux prêts à l'envol, ils se dressent fièrement à cent mètres du sol. La porte, dont la finesse de ses gravures enluminées de l'or le plus fin, renvoie aux temps glorieux ou les dieux marchaient encore parmi les humanoïdes, renferme les trésors les plus prestigieux de Elysia.

Ce monde va disparaître

Pitié que quelqu'un m'aide...

La puissance que dégagent les larges colonnes du péristyle, rend hommage aux styles architecturaux audacieux d'un temps ou la grandeur de cette nation, résonnait dans tout l'univers. Le mélange de l'archaïsme et de la sérénité du style dorique, dont s'est targué ce peuple durant des années, abonde dans les livres d'histoire les plus prestigieux, au sein des plus grandes bibliothèques des mondes habités.

Ce monde va disparaître

Les voix cessèrent de tournoyer dans son esprit. Les larmes coulant silencieusement sur son visage et la peur qui l'avait envahi, s'évanouir. Reprenant ses esprits, mais toujours paralysée, elle se tenait sur la dernière marche menant à la colline, autrefois emplit d'étals, ou les natifs se réunissaient pour festoyer et boire avant la messe.

Le parvis, envahi par les hautes herbes, n'avait rien de bucolique. Regorgeant d'une vie animale abondante et de parasites aux maladies pugnaces, la puanteur qui s'en dégageait la rebuta. L'ancienne fontaine croulante sous la mousse verdâtre d'un champignon se tordait sous la noirceur d'une aura maléfique.

Incapable d'émettre le moindre son ou de bouger jusqu'à sa main, elle restait spectatrice d'une scène irréelle. Elle le voyait très distinctement. Un homme, agenouillé, se lamentant au rythme de ses supplications, sa magie répugnante altérait la beauté de la pierre blanche de l'ancien panthéon. Les éclats noirâtres que dégageait l'humain, insultaient la lumière de cet ancien symbole d'une foi aujourd'hui disparu.

L'homme pleurait, ses larmes silencieuses chargées de magie, brûlant la végétation. Il priait, suppliant un quelconque dieu d'épargner sa vie. Son corps se mit étrangement à briller. Sa peau devenant translucide par endroits, laissait apercevoir un flux magique dont l'aura argentée parsemée d'éclat noirâtre, emplissait l'atmosphère de pulsations pareille aux battements d'un cœur humain. Puis il explosa, emplissait l'air d'une onde destructrice qui souffla la moindre particule magique du monde. Le jour devient nuit et l'obscurité engloutit la planète.

Lostris se réveilla en hurlant. Paralysée par la peur, son corps bouillonnant d'une chaleur qui lui dévastait le sein, était humidifié pas la sueur qui coulait abondamment. Une Douleur parcourait son échine, tel un poignard s'abattant pour déchirer sa chair et faire couler son sang. Elle tenta de se lever. Ses jambes cédèrent la faisant chuter. Elle se recroquevilla, la tête entre en ses mains, pleurant à chaudes larmes, se remémorant sa vision cauchemardesque. Puis des vertiges, les membres lourds et l'envie de vomir la saisirent. Elle ouvrit les yeux. La lumière vint l'agresser, et sa tête bourdonnait, suite au choc qu'elle avait subi. Ses muscles lui faisaient atrocement mal et à voir l'angle que formait sa jambe, son genou avait quitté son emplacement initial. Qu'est-ce que ? Pensa-t-elle en analysant l'environnement dans lequel elle se trouvait. Elle se redressa, puis avec le peu de force qui lui restait, remit sa jambe en place dans un craquement désagréable.

Elle se trouvait captive, enchaînée dans les cales sombres d'un bateau. La pénombre environnante, était interrompue par des fentes étroites, d'où filtrait la lumière du jour, soulignant la sordidité de son confinement. Des chaînes métalliques mordaient sa chair, entravant ses mouvements. Une humidité poisseuse emplissait l'air, imprégnant tout d'une atmosphère étouffante. Le grincement sourd du navire en mouvement se faisait entendre, accompagné par le clapotis de l'eau contre la coque. Puis elle ressenti une légère énergie troublée. L'incertitude d'un destin, isolé dans cette prison flottante suintait, alors que les vagues berçaient le bateau dans une danse monotone. Elle releva la tête.

Face à elle, une vingtaine de personnes. Des femmes, des enfants, des vieillards, blessés, les vêtements déchirés et tachés de sang. Ils dégageaient tous de la peur, certains enfants sanglotant dans les bras de leur mère, pour ceux qui en avaient encore une.

Que faisait-elle dans un bateau ? Soupirant, elle se remémora l'échec cuisant de la mission pourtant si simple qui les avait, conduits sur cette planète : trouver la source d'une énergie qui s'était dégagée durant quelque seconde. Mais voilà, son medjaï, avait encore trouvé le moyen de se rendre parfaitement inutile, avec une idée dont lui seul avait le secret. Alors qu'elle l'avait rejoint dans les souterrains du temple, il avait posé une bombe d'énergie blanche dans l'espoir d'ouvrir une porte qui lui résistait. La charge avait explosé, emportant dans sa déflagration, les fondations. Une partie du temple s'était effondrée sur eux, et le sol se déchirant, les avait envoyés dans un précipice. La longue chute dans l'obscurité avait terminé sa course dans le lit d'une rivière souterraine. L'eau glaciale qui serpentait sous la terre et son violent courant l'avait emmené jusqu'à une embouchure, ou elle percuta violemment la paroi. Ce fut le noir complet lorsqu'elle perdit connaissance. Mais quel imbécile ! Sa pensée fut brutalement interrompue, lorsqu'un homme âgé, vêtu de haillons se présenta face à elle.

— Qui es-tu ? Aucune réponse ne lui parvint.

S'essayant à plusieurs langues, elle espérait que l'une d'entre elles finisse par les faire communiquer. Le vieillard lui intima de se taire, dans le même langage que la stèle du temple.

— Ce langage est réservé aux dieux, humains. Comment oses-tu le prononcer ? Je t'ordonne de me répondre ! Elle tira sur ses chaînes, qui sous le choc, commencèrent à se briser.

Le vieillard, fut pris de terreur. Aucune énergie magique ne se dégageait de cette femme, pas même sa présence.

— Toi ! Veillant sur les actions de ton frère, ne juge pas nos offenses ! Nous, gardiens d'une sombre dévotion, loyal à celui qui de ses mains encense la terre et nous guide sur le chemin de la nuit, nous te louons sainte lumière. Car tel était et sera les paroles sacrées de notre Isis !

Lostris cessa de tirer sur les chaînes, regardant le vieillard avec surprise. « De quel Isis parles-tu ?

— Du seigneur Rém, Isis du... Le vieillard sursauta lorsqu'elle se releva précipitamment.

— Rém ! Elle tira sur ses chaînes, laissant son énergie emplir la soute. « Mais, c'était le premier Isis noir ! Cet homme a vécu il y a des milliards d'années !

— Nous vénérons les Isis noirs madame. Nous sommes les gardiens de leur mémoire et de leurs créations. Le dos courbé, il tentait de s'échapper du regard brûlant de la femme face à lui.

Interloqué, elle répéta mentalement l'information.

C'est un regard plein de surprise qu'elle posa sur le vieillard. « Comment est-ce possible ? Votre existence n'est connu de personne ? C'est impensable ! Comment votre culte à pu perdurer durant des millénaires ?

— Le culte des Isis noirs perdure, dissimulé dans les ombres de la grande forêt, malgré son interdiction par les dieux. Nous, gardiens de cette dévotion, avons la prétention de croire que notre foi alimente la mémoire de nos seigneurs noirs, veillant sur les trésors sacrés qu'ils nous ont légués.

Se perdant sur le dos vouté qu'il lui offrait, elle se remémora ce qu'elle avait appris jadis dans les anciens rouleaux. « Seuls les temples de l'ombre sont autorisés à rendre un culte à l'Isis noir selon les décrets divins. Ce que vous faites est en violation directe de ces règles établies par les dieux ! Aucun temple ne devrait être édifié en l'honneur d'un Isis, selon leurs ordres.

— Leur culte est éphémère, ne rendant pas pleinement hommage à ces êtres divins comme il se doit ! Quant à son temple, il nous autorise en tant que gardiens à surveiller les plaintes énergétiques des étoiles, nous permettant ainsi de définir avec précision le moment de la naissance de notre seigneur noir.

— Que raconte tu vieux sénile ! Rien ni personne ne peux prédire une telle naissance !

— Les étoiles sainte lumière ! Nous observons et interprétons leur configuration. Chaque destin qu'il soit divin ou humanoïde, se tisse à travers les astres célestes et nous dévoilant ainsi la clef qui décrypte leurs messages.

— Ce n'est que pur hérésie ! Votre audace vous conduira à votre perte !

— Nos seigneurs de jadis nous protège car notre foi aliment leur mémoire ici bas ! Rien ne nous détournera de notre mission, pas même la peur de l'anéantissement. Notre peuple veille depuis des millénaires sur les trésors sacrés légués nos seigneurs noirs. Nous avons d'ailleurs un message pour vous de la part du seigneur Judal.

La haine s'empara d'elle. L'écoute de ce prénom lui infligea une vive douleur. Soufflant, elle tenta de calmer les battements de son cœur et de faire l'impasse sur la désagréable sensation qui s'emparait d'elle. « Inutile, je me fiche de savoir ce que ce lâche avait à me dire. Elle tira une dernière fois sur la chaîne qui la maintenait prisonnière. Celle-ci finit par céder. Levant ses yeux devenus écarlates par la colère, elle libéra les autres prisonniers, soigna leurs blessures, offrit ses bras et sa chaleur aux enfants terrorisés, avant de se tourner vers le vieil homme « Où est l'artefact ?

L'aube déposait ses premières chaleurs sur la ville portuaire. Pigxi, capitaine de l'unité Forn, attendait aux côtés de son général, les yeux bruns fixés sur l'horizon. De grande taille, arborant des formes longilignes et une puissance magique équivalente à celle d'un invocateur, ce vétéran de l'armée s'occupait désormais de l'instruction des jeunes recrues. Dépourvu de relations sentimentales ou de richesses, seuls comptaient pour lui la guerre, les destructions et les massacres. Ses exploits, lui avaient forgé une solide réputation au sein de l'armée. Spécialiste de la magie de terre, il pouvait, selon ses caprices, réduire en poussière des nations entières. Ses jambes puissantes encerclées par une large protection d'acier, provoquaient d'intenses tremblements de terre et pouvaient soulever des tsunami de terre destructeur. Il prit la parole avec toute la nonchalance le caractérisant.

— Sa mort était-elle nécessaire ? Il repensa au jeune homme qu'il avait formé et qui avait trouvé la mort des mains du général Forn.

— Ce gamin était à la solde du roi ! Tu sais comme moi, qu'il n'hésitera pas à confisquer l'artefact s'il le juge trop dangereux. Tiens asseyons-nous, le vin que tu portes à l'air délicieux.

— De quel nature est-il ? Est-ce un destructeur ? Un annihilateur ? De nature protectrice ? Rare sont encore nos grandes familles à posséder le don de hauts sortilèges de protection !

— Je l'ignore, mon cher. Tout ce que nos espions nous ont rapporté, c'est qu'il y a quelque chose tapi dans la grande forêt au nord de notre position. Les premières unités que nous avons envoyées en reconnaissance sont revenues avec l'esprit altéré par d'innombrables sorts. Leurs paroles, empreintes d'une folie dont l'étreinte les a conduits à la mort, décrivaient des créatures obscures et cauchemardesques errant dans une brume toxique. Alors qu'il perdait son regard sur l'horizon, un léger frisson le parcourut.

Pixgi renâcla. Peux importait les dangers magiques se dressant face à lui, son être tout entier en restait insensible. Manifestant son désarroi par un grossier soufflement, il tritura la dague à sa hanche. « La magie qui règne par delà la grande mer semble nous indiquer un état végétatif des terres à l'horizon. Sa constitution dont nous percevons les effluves semble pourtant sans danger.

— Sans danger ? Ta perspective changerait, si tu avais vu ce que mes yeux ont observé. Ces terres maudites se défendent avec une vigueur qui attise ma curiosité. Lorsque l'objet sera en notre possession, j'ai l'intention de marcher sur ces terres et d'explorer les trésors qu'elles renferment ! Mais dis moi mon cher ami,  cela fait une éternité que nous n'avons pas festoyé ensemble !

— Avec grand plaisir mon général. Prenant place, il prit l'initiative de faire héler un esclave. « Donc nous disions ?

— Que le roi risque de pas être en accord avec le maître et de confisquer l'artefact.

— Qu'attend donc le maître pour prendre le pouvoir ? Ses yeux, lorgnant le postérieur de la femme, qui de peur tremblait. « Ne renverse pas le vin petite idiote ! Ces esclaves, ne sont pas assez battus à mon goût, ils ont de mauvaise manière.

— Oui en effet, une rééducation est nécessaire. Vidant sa coupe d'un trait, il la tendit, afin qu'elle soit à nouveau emplie. « Quant à ta première question, surveille tes paroles ! Le maître aime son père, et ne permettra pas qu'un malheur survienne.

— N'est-ce donc pas contraire à nos enseignements, que de se laisser aller à la sentimentalité ? Il desserra son ceinturon qu'il déposa sur la table.

— Peut-on lui en vouloir ? Notre maître est notre guide ! Par ses paroles nous vivons, par ses actes nous agissons. Par sa volonté, notre peuple s'élèvera, et connaîtra la paix qu'il a toujours souhaitée. Mais pour cela, nous devons libérer les mondes de leur relation avec le divin. Les dieux sont d'un autre âge, et ne devraient plus exister. Seules les lois humanoïdes doivent primer ! Mais, pour le moment, la loi divine est bien trop ancrée dans l'esprit collectif. Pour la survie de notre peuple nous devons faire disparaître ces êtres.

— La disparition des Isis a grandement contribué à cela, même si le plan de capture de l'Isis des neuf Royaumes fut un échec.

— Ne dis plus un mot ! C'est la seule défaite, et la seule erreur de notre maître jusqu'à présent. Le ton acide, il venait de briser la coupe entre ses mains. Le vin se déversant sur sa toge dessinait une tache écarlate. « Mais soyons confiants, le traitement qu'il réserve à cette petite garce, n'est rien comparé à celui qu'il nous réservera s'il apprend que nous avons échangé sur le sujet. Apprends à taire ta langue et modère tes pensées.

Pigxi leva ses bras en l'air, un air outré sur son visage buriné. « Modérer mes pensées ? Quelle erreur stupide ! Cette défaite n'est qu'un contretemps avant que nous prenions définitivement le pouvoir sur cette femelle ! Notre peuple n'a-t-il jamais cessé de survivre ?

— J'avoue bien volontiers que cette bévue nous à pousser à la patience durant cinq mille ans. Elle nous a aussi couté moults blessures et deux de nos compagnons. Ah Pigxi, quelle belle rencontre fusse ! J'en frissonne encore ! Ce regard rougeoyant, portant toute la haine d'un être de lumière se mourant pour faire place au ténèbres. Et cette puissance, cette vitesse, cette bestialité ! Cet être que nous souhaitions voir se lover à nos côtés, ronronner d'une magie que seul peux d'entre nous peuvent écouter ! Ce fût autant un jour funeste qu'un grand jour pour nous ! Ce que nous avons crée dans ce petit temple, ne fut que le début d'une métamorphose céleste que nous avons grandement sous estimée !

— Mais ou tout cela nous a-t-il menés ? Nous avons dû placer des pions dans les grandes institutions divines, dans les grandes familles qu'elles soient noble ou royale, et sur la plupart des mondes magiquement influent ! Et pourtant, tel le sable le plus fin de l'univers, elle nous file entre les doigts ! Nous échappe toujours et encore ! Et plus nous l'attendons, plus les peuples se rebellent contre nous ! Bientôt, l'heure de son éveil va sonner et nous ignorons encore ce que le maître a prévu pour elle. Combien de monde avons-nous conquis dans ce Méros ?

— Pas assez à mon goût, mais nous devons suivre les ordres du maître à la lettre, lui seul détient la vérité absolue. La conquête mise en place, répond scrupuleusement au plan qu'il a imaginé. Et comme il l'avait prédit, aucun dieu ne se met en travers de notre route.

— Aucun dieu certes, mais qu'en est-il de celui que l'on nomme le destructeur ? Les mesures prises à son encontre me semblent illusoires face au danger qu'il représente !

— Le maître a prédit il y a longtemps l'arrivée d'un potentiel ennemi. Pour le moment, nous ne savons pas s'il est divin ou simple humanoïde. Mais il est vrai que je me questionne sur les véritables intentions du maître à son égard. L'esclave commit une erreur, a genou pour nettoyer la toge, Forn lui saisit violemment les cheveux et baissa son pantalon. D'un regard cruel, il se dit qu'il allait se régaler. Pigxi se leva et s'en retourna auprès de son unité.

Hélios se redressa, son esprit encore embrumé et ses yeux peinant à s'adapter à la luminosité. La perception de son environnement était floue, mais il discerna peu à peu les éléments autour de lui : une sorte de couchette, une paroi aux teintes cuivrées, et une odeur salée emplissant l'air. Ses yeux balayèrent la pièce, ou plutôt la caverne baignée de lumière. Les ouvertures naturelles dans la roche du plafond laissaient entrer les rayons du soleil. En face de lui, une fillette l'observait, repliée près d'une étable.

Dans l'enclos voisin se tenait une créature étrange. Une odeur mêlant soufre et marécage émanait de cet être qui broutait une tige brunâtre. Sa peau nue, noire comme le charbon, épousait les contours de ses os saillants. Avec une encolure élancée et une tête chevaline surmontée de petits yeux, cette créature équine était pourvue d'une petite trompe.

Détournant son regard, Hélios s'adressa à la jeune fille. Malheureusement, elle ne semblait pas comprendre sa langue. L'enfant chétif, aux yeux sombres et à la chevelure sale et emmêlée, portait seulement une robe tachée et déchirée par endroits. Sa peau, bronzée par le soleil, portait les stigmates de nombreuses cicatrices. Un collier en cuir noir orné d'un anneau témoignait de son statut d'esclave.

Hélios, ne dit rien. Encore un esclave ? L'idée de la libérer et de l'emmener, traversa son esprit, mais il savait que de tenter de changer l'ordre, ne le mettrais qu'au-devant de problème, qu'il se devait d'éviter. Pauvre enfant, connaissant son Altesse, elle n'manquera pas d'punir tes maîtres et d't'offrir ta liberté et une meilleure vie. Rassemblant ses affaires, il s'inclina devant elle pour la remercier et sortit.

La mer s'étendait à l'horizon. L'étroit chemin qui courait le long de la falaise, donnait sur un précipice, dont les vagues violentes qui s'acharnaient en fracas sur la paroi, laissaient apercevoir des pics rocheux en contrebas. Hélios déglutit. Être prudent et ne pas faire de chute, au risque de s'retrouver empalé en contrebas. C'est quoi c'monde ?

Les soleils martelaient de leurs chaleurs la pierre, dans une lourde atmosphère brumeuse. De petit cactus aux épines bleutés envahissaient les parois, poussant verticalement vers les hauteurs. Quelques chutes de pierres et attaques incessantes d'oiseaux agressifs vinrent déranger le soldat durant son avancée. Hélios s'arrêta, subjuguer par la beauté de l'animal. Son cri perçant et la force de ses attaques, l'obligèrent à se coller à la paroi brûlante.

Les oiseaux, de taille similaire à celle d'un grand-duc, lançaient des attaques incessantes, perturbés par la présence de l'homme. Leur silhouette élancée et majestueuse, ornée de plumages d'un rouge vif aux reflets dorés, était accompagnée de becs acérés, capables de briser aisément la pierre. Leurs têtes étaient surmontées d'étranges huppes pointues, et leurs longues queues en panache évoquaient l'image des phénix, des créatures mythologiques de Midgard.

Encore une bizarrerie, et en plus il crache des flammes !

Il n'osait même pas sortir son appareil pour immortaliser ces étranges animaux. Depuis son premier voyage hors des neuf royaumes, il n'avait cessé d'être émerveillé, étonner ou apeuré par ce qu'il découvrait sur les autres mondes.

Pourquoi faut-il que la plupart des bestioles soient agressives ? Dommage, c'lui-ci mérite quelques photos. Elle s'rait charmée par tant de beauté mais j'dois avancer, et r'joindre le sommet le plus vite possible. Quelle chaleur, comment les gens vivant ici, arrivent-ils à supporter ça ?

Au bout d'une heure de marche, le pauvre soldat cria sa haine au monde. Son exaspération, ne fut entendue par personne, sauf par les oiseaux qui continuaient à le déranger. Il se plaça face à la pierre rougeâtre et laissa son pouvoir se déchaîner. Il prit son élan et sauta, se laissant emporter par le courant ascendant crée par sa magie. Le vent violent et le bruissement de l'air dans ses oreilles le déstabilisèrent. Toujours peu habitué à ses pouvoirs, il ressentait encore quelques difficultés à les employer. Sur les hauteurs, s'étendait une mer de sable dont l'éclat doré rendu fumeux par la chaleur harassante, lui fit perdre pied.

La place centrale était en ébullition. Pigxi fixait sa future promotion, un sourire aux lèvres. Son fidèle assistant, houspillait violemment les quelques esclaves qui sous l'effet de l'aura maléfique s'étant levée, couraient pour sauver leur vie. Les maîtres, enfermés dans leur villa, attendaient la fin des hostilités.

La ville devenue silencieuse, chacun attendait le début de la bataille qui s'annonçait. À l'horizon, le bateau, majestueux trois mâts aux blanches voiles flottantes sous la brise magique, quittait le port, ramenant les gardiens du temple vers leur terre.

— Je suis surpris, jeune princesse. Je ne pensais pas croiser ta route et faire ainsi ta rencontre. La joie qui envahissait son esprit, fut brutalement remplacement par la colère. La femme qui tenait devant lui, ne lui portait aucune attention, trop occupée à regarder les alentours.

Pigxi était né bien après les batailles ayant mené à la disparition des Isis. En tant qu'Acathar, son métissage le destinait à une vie de servitude. Né d'une mère, membre émérite de son peuple et d'un père esclave, il fut recueilli par le général Forn et confié à des nourrices après l'exécution de ses géniteurs pour haute trahison. Depuis sa plus tendre enfance, Pigxi excellait. Ses classes lui avaient permis de rejoindre les unités de chercheurs magiques avant de rejoindre les rangs de l'armée. Après avoir fait ses preuves, il fut sélectionné pour rejoindre la formation la plus difficile et la plus dangereuse du clan. Les membres de cette unité, étaient formés dans l'unique but de capturer vivant, les êtres divins. C'est ainsi, qu'il avait, selon les histoires contés par ses professeurs, fait la connaissance de l'être qui se tenait devant lui. Il n'était pas déçu par sa vision.

— Je te parle sale petite garce ! De quel droit te permets-tu de m'ignorer ! La bave coulait de ses lèvres en postillons, le visage rouge d'avoir crié pour se faire entendre.

Enfin, elle daigna porter son attention sur lui. Ses yeux écarlates se posèrent sur l'homme, dont la petitesse la surprit. Elle le scruta avec un mépris manifeste, typique de sa race envers les humains. Pour elle, ils étaient aussi insignifiants que des insectes, destinés à être écrasés sous une semelle. Elle envisageait de le mettre à mort, mais avant cela, elle devait éliminer les soldats et les invocateurs qui s'étaient soustraits à sa vue.

La voix nasillarde de l'homme la dérangeait, perturbant sa réflexion sur le sortilège à utiliser. Chaque aspect de cet humain provoquait en elle une profonde répulsion, alimentant son désir de le voir périr. Elle détourna son regard, tentant de communiquer avec son medjaï, mettant de côté temporairement son impulsion meurtrière envers l'homme.

Est-elle devenue folle ? Elle a le culot de me tourner le dos ? Pourquoi ne fuit-elle pas ? Pigxi étonné, ne mit longtemps à comprendre que sa présence était impossible ! Cette femme ne devait se réveiller que dans quelques mois ? l'Asteri n'a pas encore eu lieu ! Alors comment peut-elle se trouver ici ? L'évidence le frappa soudainement. Elle ! C'était-elle la personne responsable de la perte de nombreuses de leurs unités. D'ailleurs, les mercenaires qu'ils avaient commandités pour retrouver l'objet magique, devaient avoir trouvé la mort des mains de la femme, qui se tenait nonchalante devant lui. Il n'en revenait pas. Venu conquérir ce monde pour finalement rechercher un artefact, il se retrouvait face l'unique objet des désirs du maître. Cette femme qui se tenait l'air absente sur la grande place, en ne lui accordant aucun regard.

Reprenant un peu de courage, l'espoir de sa promotion fit lentement office dans sa tête. Le sourire gras qu'il afficha et la confiance qu'il reprit, lui donna le courage d'entamer des pourparlers. Oubliant les nombreuses mises en garde de ses supérieures à l'encontre de la divinité, il s'avance et s'inclina respectueusement.

— Quel plaisir de te connaître petite princesse ! Je vois que ta beauté est-elle que l'ont me la décrite ! Tu rayonnes...

— La flatterie ne te mènera à rien humain ! Sa voix fluette et empreinte d'ennui, étonna Pigxi, qui inconsciemment, recula d'un pas, mue par un réflexe de défense. Il reprit la parole, la main sur le sabre, prêt à dégainer.

— Je ne tenterais en rien une quelconque flatterie, mais l'artefact entre tes mains...

— M'appartient ! Elle se tourna face à lui, le regard dédaigneux et un dégoût dans sa voix, d'être face à ce petit porcelet, dont l'aura ne lui provoquait que nausées.

Il se sentit irrité, comment cette petite garce pouvait-elle se montrer aussi arrogante face à lui ? « Le bateau que tu as renvoyé, contenait des esclaves m'appartenant !

— Nul n'est esclave de l'autre ! Son ton impétueux, suivi d'un grand geste de la main lui confirma qu'elle n'était pas à l'aise en sa présence. Les humains naissent libres...

— Il suffit femme ! Ces esclaves m'appartiennent et toi aussi ! Le maître sera si content de t'avoir enfin à ses pieds ! Tu mérites qu'on te remette à ta place de femelle ! Il dégaina son arme, et la pointa sur Lostris, nullement inquiété par l'action hasardeuse du soldat.

— Tes parents ne t'ont jamais appris la politesse ? Tu fais face à la seule et unique devant les dieux, fait donc preuve d'humilité ! La main sur le cœur, elle esquissa une révérence, braquant son regard malicieux sur lui. « D'ailleurs, l'esclavagisme constitue un crime, vous allez donc être jugés au même titre que tes mercenaires. Elle ricana, l'aura colérique de l'homme dansait autour d'eux.

— Jugé par qui ? Les dieux se moquent de nos actions ! Il haussa les épaules dans une raillerie arrogante et s'avança. L'épée braquée sur elle, il entama un sortilège. « Quant à toi, tu vas venir avec moi... Un râle vint s'échapper de ses lèvres. Portant les mains à sa gorge, les yeux exorbités, il perdit l'équilibre, se rattrapant difficilement sur ses jambes. Un fin filet carmin vint humidifier ses doigts. Il s'écroula.

Lostris, recula d'un pas. Les sens en alertes, elle analysait l'énergie présente, n'ayant  ressenti aucune attaque, ni aucune intention meurtrière. Qui avait, sans dévoiler sa présence, mis un terme à la mascarade grossière de cette hideuse créature ? Relevant la tête, elle se figea. Debout contre le clocher du petit temple, il la regardait sans un mot.

A suivre.

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