Ce qui se tapisse dans les ombres

Par Luvi

La ville portuaire, construite à flanc de montagne, s’étendait sur toute la péninsule ouest du continent. Les hautes falaises ocre, aux arêtes aiguisées, enfermaient la cité dans une cuve empêchant toute fuite. La pression atmosphérique aride et sèche, restreignant le développement de toutes vies végétal, écrasait l’air d’une intense chaleur. Les astres solaires parcourant les cieux, martelaient de leurs rayons mortels les sols fumant. Seule la ville en contrebas, rafraîchit par une brise légère venue de l’océan, échappait à la canicule.

Posant ces yeux sur l’immense cité coupée en deux par une maigre rivière à moitié asséchée, il contempla les quartiers pauvres, dont les odeurs accentuées par la chaleur, lui parvenaient. Des habitations de fortune, bâtis de pierre et de boue séchée, aux toits de carcasse de métal. Au plus loin, en bordure de mer, d’immenses villas aux toits plats, reflétaient les rayons solaires par leurs blancheurs immaculées. Les quelques points de verdure offrant une ombre bienfaitrice aux habitants, immenses palmiers aux larges feuilles, ressemblaient à de minuscules bâtons verdâtres perdus dans un océan de pierre blanche.

Les vies qui grouillaient ici-bas, avaient grandement déçu le général Forn. Lui, l’un des derniers généraux originels, s’était fait grandement avoir par ses camarades. Une nouvelle gloire lui avait été promise, avec pour son plus grand plaisir, l’autorisation d’user de nouveaux sorts. La planète lui avait été décrite comme un fier fief à dominance belliqueuse. De grandioses armées de soldats et de mages aux pouvoirs uniques, dont la puissance magique résonnait au-delà des frontières spatiales. Des prêtresses aux charmes enjôleurs, donc la pureté de leurs magies, rendaient gloire aux dieux. Des temples majestueux aux milles richesses et aux plaisirs sans limite. La déception se lisait grandement sur son visage.

La cité, immense marché aux esclaves, était sans intérêt. Aucune richesse, pas de magie, l’extrême pauvreté et la violence d’une vie de servitude régissaient tout le monde. Seuls les maîtres, dont les richesses étant leur nombre de serviteurs, semblaient vivre confortablement. Mais même là, aucun d’entre eux ne pratiquait la magie ou les combats, leur unique loisir étant de se pavaner dans un luxe factice.

Devant le port, s’étendait une immense place aux nombreux étals. Les vendeurs, hurlant tels des chiffonniers, vendaient majoritairement du poisson, fruit de la pêche intensive, seule denrée exportable de ce petit monde mineur. Certains, vendaient la viande d’un étrange bœuf à trois cornes, élevé sur les petites plaines jouxtant le grand désert. Ce mets, qui n’était pas d’un grand raffinement, était réservé aux maîtres qui semblaient s’en contenter de peu. Quelques stands, offraient un peu d’exotismes en proposant des fruits et des légumes, acheminés d’une petite planète non loin. Leurs prix bien trop élevés n’étaient pas destinés à la populace. Maîtres et esclaves, s’entrecroisaient sans un mot au milieu des étals, et il n’était pas rare d’assisté à des punitions publiques sur la scène centrale, quand elle ne servait pas à vendre les produits des rapines des chasseurs d’esclaves venus de toute la galaxie.

Et il s’étonne de ne pas vendre assez d’esclaves ? Vu la manière dont ils sont nourris, ils sont bien trop faibles pour travailler. Je comprends mieux le nombre d’accidents et de mort dans les fonderies. Et dire que j’allais leur proposer une épuration, grosses erreurs ! Ils sont même bien trop affaiblis pour tenter la moindre révolte !

Ses pensées dérivèrent vers la fillette dont il avait assisté à la punition peu de temps après son arrivée dans la ville. Accusé de vol, même son châtiment avait ennuyé le général. Dix coups de fouet et quelques doigts en moins, sentence totalement inutile, devant servir de leçon aux autres. Malgré tout, il avait fait preuve de bienveillance en ordonnant que l’enfant lui soit remis, avant de l’envoyer vers les mages pour la soigner. Le maître de la fillette n’avait pas osé dire non à sa demande. La prestance et l’aura du général imposaient la peur. L’effroi qu’il provoquait, était contrasté par les traits délicats de son visage et sa corpulence. Homme de taille moyenne, le corps musclé, les yeux bleue et les cheveux d’un blond cendré, son visage autrefois si lisse, était marqué par une cicatrice couvrant son œil droit. Vêtue d’une simple toge pourpre, surmontée d’une armure d’argent étincelante au soleil, seule l’étincelle de folie animant son regard, laissait à supposer la dangerosité de cet homme.

Dangereux, il l’était. Fou, cela pouvait se discuter. Cruel, indéniablement. Il était aussi un bon vivant, aimant les plaisirs de la table et de la chair. Les femmes étaient son péché mignon. Raffinée, de haute naissance, la peau douce, le corps parfait et le foie délicieux, mets le plus délicat du corps humain selon ses dires.

Sa dernière victime en date, une princesse d’un monde conquis, qui avait eu l’outrecuidance de se défendre face à eux. La bataille avait été d’une telle force, qu’il lui arrivait encore d’en frissonner à son souvenir. Cette princesse, qui l’avait particulièrement émue, hantait encore ses pensées. Il avait fait preuve avec elle d’une douce cruauté. Il avait commencé par lui couper la langue. Il détestait les langues trop bavardes et les cris de ses victimes. Après l’avoir violée avec toute la brutalité dont il pouvait faire preuve, il lui avait longuement caressé son fin visage, se perdant dans son regard terrifié. La princesse, le bassin brisé, n’avait pu s’enfuir face à la mort brutale qui l’attendait. Glissant lentement son poignard sur sa peau laiteuse, il l’avait alors éventrée et arraché son foie qu’il avait dégusté goulûment. Léchant ses doigts ensanglantés, il avait laissé le cadavre à ses chiens. Y repenser le gonflait de désir, jamais plus il ne retrouverait une telle beauté, et encore moins un mets aussi raffiné. Ici les esclaves n’avaient aucune saveur, et les maîtres avaient négocié pour qu’aucun mal se soit fait à leur épouse ou fille. Il leur avait donné sa parole, car Forn était un homme d’honneur. Et c’est cet honneur qui l’avait conduit sur ce monde ennuyant.

Derrière lui, perdu dans une masse de brume ardente, s’étendait le grand désert. Masse difforme et incandescente, océan d’or aux affres oniriques, ce vaste éden infernal et aride, n’avait lui non plus rien à offrir. Le dédale sableux ou seuls des barbares en arpentaient les pistes insoumises, avaient apporté le frisson hostile qu’il recherchait. Mais là encore, seul devant l’étendue silencieuse, il ressassait ce jour maudit ou la providence de son maître, l’avait ceint de cette mission.

 

Lostris et Hélios, arrivèrent dans la clairière. Les quelques rayons de lunes, filtrant à travers les arbres, peinaient à illuminer l’endroit. Une odeur de sang et de cadavre, mélangés à celui des sous-bois, vint agresser leurs narines. Des corps à moitié dévorés gisaient sur le sol, dans d’immenses flaques sombres. Une enfant, se tenait à ses pieds, le visage révulsé par la peur et les entrailles arrachés. Elle s’agenouilla le cœur serré, et lui ferma les yeux. La blessure béante, était due à un coup de griffe, l’animal n’ayant pas eu le temps de la dévorer, préférant massacrer ceux qui l’accompagnaient. La femme qui lui tenait la main, sa mère sans doute, la tête et une partie de son torse à moitié arrachée, gisait à ses côtés. Sa blessure laissait apparent l’intérieure de son corps. La chair noircit, laissait s’écoulait une substance blanchâtre. Lostris se releva étonné.

— Hélios, chuchota-t-elle.  « soit sur tes gardes, il est encore dans le coin… Mais sa phrase resta en suspens, un rugissement se fit entendre.

Un souffle fétide vint caresser sa nuque, offerte à l’appétit vorace d’une créature derrière elle. Hélios, à quelques mètres plus loin, paralysé par la peur, regardait l’immondice apparition, imposé sa bestiale présence. Prête à attaquer, elle focalisait son attention sur le pauvre Medjaï, ses yeux rougeoyant paralysant le jeune homme. Lostris dont l’énergie n’était pas perceptible pour les êtres vivants, eus le temps de faire disparaître son être de la vue de l’animal. S’éloignant tranquillement, elle regardait malicieusement son soldat être consumé par la peur. Elle le rejoignit et d’un ton amusant se moqua ouvertement de lui.

— Eh bien alors Hélios on a peur ? Elle tentait de se retenir de rire. « Étant un Medjaï, tu peux facilement te débarrasser de ce monstre.

— C’est quoi ce truc ? Demanda-t-il d’une voix chevrotante.

— Une bête qui n’a malheureusement rien à faire dans ce monde. Ne bouge pas, il n’attaquera que si tu tentes de t’enfuir. Et à cette distance, c’est la mort assurée.

La bête à l’apparence porcine,  la taille et la carrure d’un ours dominait de toute son imposante hauteur la prairie.  Son groin noirâtre laissait s’écouler une nauséabonde glaire blanchâtre venant napper le sol humide. Ses  pattes immenses,  surmontées de longues griffes acérées, raclaient la terre dans de furieux gestes saccadés. Il s’élança en direction du jeune homme, emportant dans son sillage la terre détrempée. Lostris, étonnée par le comportement de l’animal, leva sa main et d’un mot, la créature s’écrasa lourdement au sol. Elle lança alors une incantation. Des faisceaux lumineux se manifestèrent autour de la créature. Déclinant vers le sol, ils fusionnèrent pour former un cube, érigeant ainsi une prison translucide, dont l’éclat illuminait les alentours.

— Comportement anormal, excitation et agressivité, son attaque n’est pas naturelle. En général, il repère ses proies par leurs mouvements ! Lostris, s’avançant, fit apparaître une tablette qu’elle s’empressa d’activer.

— Pourquoi a-t-il attaqué subitement alors ? Hélios, rassurer par la captivité de la bête, se posta à ses côtés.

— Bonne question, je ne ressens pas de sortilège berseker en lui. Un de soumission, mais son emprise est faible. Son maître devrait se trouver dans les parages. Je pense même qu’il se trouve parmi les cadavres. Libéré et seul dans un endroit inconnu, il a tout simplement fait preuve d’instinct de survie.

— Instinct d’survie ? Mais il a massacré tout l’monde ! Renvoie-le chez lui, s’il n’a rien à faire ici !

— Cesse d’hurler ! Et non, cette bête est originaire du cinquième Méros. Elle vient d’une  des nombreuses planètes interdite d’accès par les dieux. Regarde sous sa cuirasse, ses plaies sanguinolentes sont souillées par du métal. Il s’est arraché ce qui le maintenait captif. Enlevé à son monde et enchaîné. Pourquoi d’après toi, ont-ils fait cela ?

Se renfrognant, Hélios répéta ce qu’il avait retenu de ces dernières leçons sur les écosystèmes des mondes habités « L’introduction d’nouveau prédateur, ou d’espèce dites « exotique » introduite par la main d’créatures humanoïdes, volontairement ou involontairement sur un monde hors d’son territoire naturelle, peut à court ou long terme, s’lon ses capacités énergétiques, menacé les écosystèmes. Bien qu’ayant une portée limitée, parce que délimité par un champ d’action non soumise à une zone géographique précise, le but, est d’anéantir dans un premier temps, les espèces magiques autochtones. Et c’est également l’un des premiers moyens utilisés par l’clan des ombres pour pervertir l’énergie sacrée.

— En effet, tu as retenu la leçon mon garçon. Elle fit apparaître une colonne d’énergie du sol. « Chaque être vivant est soumis à cette énergie qui peut soit demeurer constante soit augmenter, mais ne peut jamais diminuer. La vie de toute chose dans l’univers, dépend de cet échange énergétique permanent entre l’énergie créatrice et leur énergie vitale. Il en est de même pour tout écosystème ayant besoin de cette force sacrée, afin de la capter et de l’intégrer dans son réseau magico-trophique. Les ensembles de chaînes alimentaires reliées et par lesquelles l’énergie vitale et la biomasse circulent, nécessitent donc qu’elle soit en équilibre.

Hélios s’approchant, glissa sa main dans le champ d’énergie. Les particules de magies tournoyèrent au contact de sa peau. « Mais tout écosystème, magique ou non est fragile. N’breuses sont les causes qui à long terme, peuvent m’ner à sa destruction. Dérèglement des flux internes, introduction d’spèces animales ou végétales, disparition d’spèces endémiques, sortilèges ou enchantements, et au final, perversion de l’énergie créatrice. »

— Il fut un temps, ou nous,  Isis,  veillions à la préservation des écosystèmes. Lostris isola le flux dans une barrière de magie et y infiltra une fine vague de lumière.  « Notre pouvoir pouvait, et devait, lorsque cela était nécessaire, réguler les espèces invasives, les activités humanoïdes ou tout simplement purifier et ramener l’équilibre dans les flux énergétiques. Les institutions en charge de la protection des mondes végétales et animales qui nous secondaient dans ces fragiles entreprises, ont œuvré durant des millénaires pour garantie ces équilibres. Mais maintenant que les miens ne sont plus dans les Méros, les mondes sont en proie à la dépravation et le conseil des dieux ne s’en soucie guère. À long terme, tout se meurt et les énergies néfastes qui s’en dégagent s’amplifient et gangrènent les galaxies.

— Mais les dieux s’en soucient non ? La destruction qu’ils engendrent n’est-elle pas l’seul salut pour sauver c’qui peut l’être ? Le flux se chargeant de particules embrasées, provoqua une légère brûlure sur la paume de sa main. Hélios recula.

— Les dieux sont des imbéciles ! Ils détruisent plutôt que guérir ! Ils font disparaître les preuves de leur inaction. Ainsi, ils se confortent dans un sentiment de toute-puissance, prouvant au reste des mondes qu’ils agissent pour le bien de leur Méros ! Mais à aucun moment ils n’ont cure des vies qui évoluent sur les mondes qu’ils font disparaître ! Ils prônent à tout va que la vie est précieuse, c’est d’une telle hypocrisie ! Ils ont abandonné leurs devoirs sacrés !  Équilibre et protection ne sont guère plus que des chimères à leurs yeux ! Elle se releva irritée, et fit disparaître la colonne d’énergie. « Nous devons reprendre la route, le crépuscule se lève ! Mais d’abord, allons mettre cette bête à l’abri.

 

Forn s’ennuyait profondément. Son regard perdu dans l’horizon, il se replongea dans le souvenir du pari qu’il avait perdu. Lui, qui avait délibérément évité toute campagne durant des années pour se concentrer sur sa puissance magique et l’apprentissage de nouveau sorts, avait fantasmé sur le sang, la terreur et les hurlements. C’était ce que son maître lui avait promis lors de ce festin opulent il y a quelques lunes de cela. Il s’était fourvoyé et n’avait su déceler le mensonge dans les paroles de son maître. Et voilà qu’il se trouvait dans un monde totalement dépourvu d’intérêt.

Le maire de la ville s’était agenouillé à son arrivée, offrant une totale soumission. La conquête de ce monde, qui aurait dû être exaltante, lui rappela combien les temps étaient difficiles. Son peuple perdait de sa grandeur. Les grandes maisons et une partie de la nation, ne croyaient plus en la guerre millénaire contre les dieux. Ils aspiraient dorénavant à vivre en paix. Cependant, à la lumière des récents événements, le maître, envoyait ses généraux à la conquête de mondes secondaires, espérant capturer celui qu’ils avaient surnommé « le destructeur ». Cette créature, dont la véritable nature restait inconnue, semait la terreur dans l’armée sans laisser de trace de sa présence. L’adversaire fascinait le maître au plus haut point. Depuis cinq mille ans, personne n’avait osé défier le clan des ombres. Les instincts sanguinaires du maître et des généraux s’étaient alors mis en ébullition, surtout les siens.

La paresse le gagnant, l’envie de quitter ce monde sans saveur, traversa son esprit. Mais quitter son poste lui était impossible sous peine de représailles. Une voix l’interpella, le coupant violemment de ses pensées.

— Général, nos troupes reviennent du grand désert. Bien maigres sont ceux qui ont survécu à l’expédition. Le soldat se tenait derrière lui, les jambes tremblantes. Déranger le général dans ses réflexions, pouvait coûter cher.

  • Umh, quelle découverte ? Ont-ils su débusquer ceux qui se cachent dans les sables ?
  • La mission à tourner court général. Une immense tempête de sable s’est abattue sur eux. Forn se retourna et saisit l’homme par les épaules.
  •  Les ont-ils vus ? Ont-ils pu apercevoir la splendeur de ses immenses créatures aux allures éléphantesques qui se cachent dans les brumes ardentes des dunes ? Le secouant, il enfonça bien trop profondément ses doigts dans la clavicule du soldat.

Celui, retenant un cri de douleur, recula, dans l’espoir de lui faire lâcher prise. « Un spécimen a été capturé, mais il est bien trop petit pour représenter un quelconque intérêt. Forn, lui tourna le dos, la déception la gagnant. « Un seul spécimen tu dis ? Cela sera grandement suffisant pour offrir à notre roi un semblant de vie dans sa ménagerie. Préviens le vaisseau et entamez les préparatifs du départ ! Ce monde n’a que peu d’intérêt, et je doute fort que notre ennemi nous fasse le plaisir de sa présence.

  • Mais, grand seigneur, nos pas ne peuvent quitter ce monde ! Nous venons de recevoir un message du vaisseau.

— Parle et soit bref, l’ennuie me gagne. Il rangea son épée jadis plantée dans le sol, tandis que son subordonné se massait l’épaule.

— Les rabatteurs mandatés par le maître, ont trouvé l’artefact et se dirigent vers le port. Il convient d’aller les accueillir avec les prisonniers.

— Rabbateur ? Artefact ? Forn se tourna précipitamment vers le messager en criant. «  Alors nous sommes la non pas pour le minerai, mais pour un bibelot ? Quelle est cette mascarade ? Tu peux disposer ! Le soldat ne se fit pas prier. Songeur, il se mit à réfléchir sur la teneur de l’objet magique bientôt en sa possession.

Mensonge que voilà ! Un artefact ! Comme si nos êtres pouvaient perdre ce temps qui nous est si précieux pour un objet ! Mais si le maître, m’a envoyé sur ce monde, c’est que l’artefact doit posséder une grande puissance. Comme à son habitude, il a fragmenté les informations. Je reconnais que cette idée nous est bénéfique ! En cas de capture, aucun de nous ne peut révéler de plans, mais il aurait pu me mettre au courant de la teneur de cette conquête ! Se sentant soudainement lésé, il sauta de la falaise.

En contrebas, dans les profondeurs des forges où la chaleur accablante oppressait chaque souffle de vie, les esclaves, agglutinés autour des foyers brûlants, déversaient avec lassitude le contenu de leurs paniers dans les immenses fours de chauffe. Leurs visages dissimulés derrière de simples morceaux de tissus souillés, ils cherchaient à se protéger des émanations toxiques et de la chaleur intense émanant des bacs de refroidissement. Ces maigres créatures, pour la plupart amorphe et maladive, ignorantes du danger imminent, évoluaient parmi les soldats qui hurlaient leurs ordres.

Les bruits infernaux des marteaux, percutant les enclumes, résonnaient dans l'air, ajoutant une dimension lugubre à l’endroit. Une dense fumée s'échappait, obscurcissant l'atmosphère déjà pesante. Debout sur le toit d'une ancienne guérite, le second lieutenant observait attentivement la descente majestueuse du général.

Lorsque Forn heurta le sol avec une force titanesque, une onde de choc secoua violemment la forge. Les cuves se renversèrent, déversant leur contenu incandescent sur les malheureux, tandis que certains, trop faibles pour résister à la pression du souffle, furent engloutis par l'immense faille qui serpentait le long de la falaise. Forn, indifférent aux conséquences de ses actes, se redressa avec assurance, et avança au milieu des décombres des bâtiments qui venaient de s'effondrer sous l'impact de son arrivée dévastatrice.

Toisant de toute sa hauteur son lieutenant, il insinua au travers de sa prestance, toute la fougue bestiale de sa supériorité dans l’esprit du soldat qui, sans se faire prier, descendit de la tour à moitié détruite par l’onde de choc.

  • Mon général. Il mit un genou à terre, l’échine ployée vers le sol, dont la terre brute se parait de cendres et de poussière. « Quels sont les ordres ?

— Marchons sur le port ! Réservons un accueil à des prisonniers qui, je l’espère, sauront se montrer dignes de nos êtres. Que des tentes soient dressées, et que nos mages se tiennent prêts ! Ouvrant la marche, il espérait secrètement que le destructeur, créature cauchemardesque liant la peur et le sang dans les troupes armées, se montre à lui, et lui offre enfin un combat digne de ce nom.

 

Dans les dédales obscurs des quartiers pauvres, abandonnés par la population, le silence régnait. Les babillages des enfants et les appels des marchands ambulants s'étaient tus, emportant avec eux les maigres espoirs des esclaves. L'invasion, opérée dans le plus grand des calmes, avait nourri l'illusion chez ces âmes meurtries que leur tourment toucherait à sa fin. Leur doux rêve s'était évanoui avant même d'avoir eu la chance de naître.

Sous la menace discrète que représentant ce peuple de colonisateur, tous s'étaient repliés dans leurs taudis, guidés par la peur,  impuissant face à une mort qui les accueillerait inévitablement. Seules les troupes du général Forn, s'adonnant à une nonchalance presque insolente, insufflaient une lueur artificielle de vie dans les ruelles désertées. Tapies dans les coins les plus sombres ou affalées sur le sol, leurs armes magiques éparpillées le long des façades, les soldats attendaient, tendues par une angoisse palpable.

Forn, déambulant dans les ruelles désertes, son lieutenant demeurant silencieux à ses côtés, nourrissait dans son esprit la vision  des supplices qu'il infligerait pour extorquer des aveux aux captifs. Le scénario était simple : les plus âgés et les plus malades seraient sacrifiés comme cobayes. Les autres seraient réduits à l'esclavage sur l'un des mondes conquis. Seuls les plus puissants, maniant la magie, avaient une infime chance d'échapper à la servitude, rejoignant les rangs de l'armée en première ligne. Cependant, une question tourmentait l'esprit du général : quel mystérieux artefact poussait le maître à agir ainsi ? Rien n'était laissé au hasard, et ses ordres, bien que disséminés, révélaient toujours sa sagesse implacable.

L’un de ses capitaines de légion, se positionnant à ses côtés, perçu lui aussi l'ombre de cette énigme qui planait sur eux. Fils unique d’une richissime famille aux ordres du roi, Forn, savait que ce gamin avait pour ordre  de surveiller ses faits et gestes.

— Général, les troupes trépignent d’impatience ! Bon nombre de nos soldats attendent vos ordres ! Les invocateurs ont rejoint les points de contrôle et une unité se dirige vers le port pour intercepter le bateau. Le grand marché est désormais place vide, et…

Forn leva sa main pour le faire taire. S’appuyant au mur d’une petite maison, il plongea son regard dans celui du jeune homme. « Ne trouves-tu pas la situation bien trop calme ? Une ville de pleutre courbant l’échine bien trop facilement, des barbares se mêlant aux ombres du grand désert et des esclaves dont les vies insignifiantes ne valent même pas la peine d’être considérées ? Tout  cela me laisse à penser que ce calme est inhabituel. Pourquoi un si long voyage pour si peu de richesse et de gloire ?

  • Les actions du maître ne laissent jamais de place au hasard mon général. Si gloire ce monde doit vous apporter, alors elle se terre, attendant son heure pour vous couronner.
  • Mais encore ? Parle mon garçon ! Ton éducation chevaleresque doit prendre le pas sur ton élitisme ! Ressens chaque circonstance comme le moyen d’obtenir, soit par la force, soit par la diplomatie, le pouvoir et la grandeur qui nous est due ! Le lieutenant resté en retrait, se place derrière le jeune garçon, fixant attentivement les gestes de son général. 
  • Conquérir et dominer, telle est la croisade qui absout nos cœurs de toutes notions bienveillantes qui régissent les mondes habités. Nous imposons aux créatures humanoïdes un prosélytisme belliqueux, afin que notre apostasie puisse rayonner telle les dogmes millénaires…
  • Tu répètes bêtement ce que tes professeurs t’ont fourré dans le crâne gamin ! Nous conquerrons mais ne dominons pas ! Ceux qui se refusent à ouvrir leur cœur à l’imparable vérité d’une domination divine n’ayant plus lieu d’être, sont mortifiés par une peur viscérale au changement. Car telle est le droit inhérent à la vie d’évoluer et de s’affranchir d’un passé qui apporta jadis les foudres de l’annihilation suprême !
  • Dois-je comprendre que le passé trouble de notre glorieuse nation doit apporter l’éclat liberticide à des êtres opprimés par une constante supérieure ? Quelle différence entre les dieux et nous ? Sommes-nous ceux dont les louanges devraient résonner par-delà les étoiles, au seul motif que notre suprématie libère des peuples asservis depuis des millénaires ? Ce n’est là,  qu’une pensée fugace d’hommes destinés à se complaire dans les affres d’un autrefois qui n’apporte que plus de désespoir dans une guerre dont l’issue ne sera fatale qu’à la domination divine ! 
  • Ah tu commences donc à comprendre que seule la vérité cachée par les temps anciens sera libératrice pour l’univers ! Nous ne dominons pas, car nous offrons aux peuples humanoïdes, la possibilité de s’affranchir d’une maxime décidée par des êtres dont la puissance les plongera sans vergognes dans les bras de la mort ! Nous les libérons de  cette peur constante du trépas qui les enchaîne. Et pour cela, ce que la destinée place sur notre chemin, nous l’acceptons ! 
  • Ce que le destin place sur notre chemin ? J’avoue volontiers, que la pratique est différente des théories que nous enseignent les écoles de la nation ! Notre magie et notre puissance ne peuvent être bridées par une idéologie prônant le respect de la vie.
  • Tout cela n’est le fruit que de cerveaux bien trop occupé à vouloir une paix illusoire mon garçon ! Nous, marchant depuis des siècles aux côtés du maître, savons que les mondes habités ne se soumettront pas aussi facilement ! Nous avons en nos connaissances, des secrets endormies  dans les profondeurs des terres. Il existe en ces mondes, des artefacts créent par des esprits retors, dont l’existence même, cachés par ces dieux bienveillants, nous apportera la gloire !
  • Une idée sur la nature de l’objet que nous devons récupérer ? Hâtant le pas pour se placer aux côtés du général, le lieutenant resté en retrait, l’immobilisa.

— Ça mon garçon ! Il sortit sa dague, et d’un geste net et précis, lui trancha la gorge.  « Si le maître veut cet artefact, c’est sans doute dans l’idée de l’utiliser. Nous ne laisserons pas le roi mettre la main dessus. Navré gamin, tu auras une belle crémation. Il essuya son arme sur les vêtements de sa victime, et la rangea dans son fourreau.

 

— Attends, tu as déjà eu à faire face à une telle chose ? Hélios s’approchait du cube. Regardant la bête qu’il trouva curieuse.

— En effet, et j’ai même eu l’occasion de la voir à l’œuvre sur sa planète d’origine. C’était d’une telle violence ! Je n’aurais pas aimé être à la place de l’humain qu’il dévorait.

— T’es pas intervenu ? Levant sa main, il fit apparaître une barrière afin de se protéger de l’eau qui tombait. « Pourquoi l’as-tu pas sauvé ? S’asseyant dans l’herbe, son carnet à la main, il se mit à dessiner l’étrange créature.

— Pourquoi l’aurais-je sauvé, puisque c’est moi qui l’ai jeté en pâture ? Le ton de sa voix bien trop guilleret donna des frissons au medjaï

— Tu t’es encore servi d’un prisonnier ?

— Oui, la toxine de cette bête est un composant essentiel de certaines compositions biologiques. Généralement utilisé pour contrer certains poisons magico-bloquant. Avant que tu ne poses la question, un poison magico-bloquant à pour effet d’empêcher l’action des sortilèges de soins. Ces poisons sont une plaie même pour mon corps d’énergie. Certaines substances mortelles peuvent en altérer les effets, voir les supprimer. Pour en revenir à ces créatures, tu aurais dû voir, c’était assez marrant ! Le bougre hurlait de peur, sans doute qu’il se souvenait des victimes qu’il avait lui-même massacrées.

— Tu ne devrais pas être aussi joyeuse à ce souvenir, ce n’est pas digne de toi Altesse.

— Oui, oui, en revanche tu gardes ça pour toi ! Je n’ai aucunement l’envie que le conseil me fasse une énième fois la morale, parce que j’utilise le peu de prisonnier, pour mes expériences.

— Cesse de les utiliser alors. Hélios savait qu’elle n’en ferait rien. «  N’est-ce pas toi qui disais que la vie était importante ?

— Pas la leur ! N’oublie pas Hélios, ce peuple doit être anéanti ! Seule une extermination unilatérale débarrassera l’univers de cette vermine ! Alors que je les utilise pour mes expériences ou pas, ils sont tous condamnés à mourir. Elle se releva et déplia la carte qu’elle avait trouvée sous la tente.

— Dans cette direction, par-delà la canopée, se trouve un temple. L’énergie que nous recherchons s’y trouve sûrement !  Remettons-nous en marche.

— Eh attends, on fait quoi du monstre ? Tu ne le renvoies pas chez lui ?

— Uhm non ! J’ai une bien meilleure idée, répondit-elle un rictus aux lèvres. Elle se tourna face à lui. « Quand nous aurons localisé leur vaisseau, je le transférerais à l’intérieur.

— Euh, à quel moment as-tu lancé ton enchantement ?

— En même temps que le cube céleste.

A suivre

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Lucinda
Posté le 06/10/2024
Bon vu qu'il est en BL, je ne vais pas m'attarder sur les quelques petites choses à changer. Je suis toujours en haleine sur l'histoire. Je reviendrais demain pour lire la suite, promis!
Luvi
Posté le 06/10/2024
Il y a beaucoup de choses à changer, la réécriture vient de commencer. Contente que l'histoire te plaise.
A bientôt
JFC
Posté le 05/10/2024
Atmosphère sombre et pesante : tjr check… on suffoque sous la chaleur lol

Suggestion
Alléger certains paragraphes un peu longs et étouffants, en ajoutant plus de dialogues ou en coupant certaines descriptions

Univers intriguant malgré une redécouverte… pas de réécriture ?!
Luvi
Posté le 06/10/2024
Hello,
La réécriture avec le pro à commencé. Je vais attendre quelques temps avant de publier la version finale.
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