J’ai fait un rêve.
Dans un demi-sommeil, d’une voix presque fiévreuse, je délirais :
« Maman ? C’est toi ? »
Une voix douce et éthérée me répondit en un murmure :
« Chut, tout va bien.
- Tu sais, repris-je tout aussi faiblement, j’ai rêvé que j’étais une fille et que j’avais voyagé dans le temps.
- Ne t’en fais, ma chérie, tu es toujours en cette bonne vieille année 1994.
- Ma chérie !? 1994 !? »
Je me redressai dans le lit et, par instinct, je me couvris de ma couverture :
« Mais vous êtes… Vous êtes… Maman ? »
La femme était assise sur le bord de mon lit. Je l’identifiais tout de suite, elle était celle que j’avais vue hier dans ce que je pensais être un délire de mon subconscient, mais peut-être pas tant que ça. Pour vérifier mon identité, je voulus toucher ma poitrine, mais je me souvins que cela n’était pas très correct si j’étais encore ce que je pensais encore être. Alors, je touchais mes cheveux qui étaient toujours longs. Mes bras et mes mains étaient toujours aussi menus. Rien n’avait changé, j’étais toujours Cerise, le rêve continuait. Par contre, la présence de ma mère dans ma chambre, pendant que je dormais, était beaucoup moins explicable.
« Qu’est-ce que tu fais là ? »
Le mieux était encore de demander directement.
« Je voulais juste m’assurer, me répondit-elle, que tu étais toujours là, avec nous, après tout ce temps. Je voulais être sûre que ce n’était pas un rêve. »
Un rêve… Je me posais la question moi-même, vous savez. Le réveil indiquait 10h.
« Si tard ? Ca faisait un bail que je ne m’étais pas réveillé aussi tard !
- Ne t’en fais pas, ce sont les vacances après tout. Maintenant que tu es réveillée, tu veux prendre un petit déjeuner ? Et j’ai une surprise pour toi !»
Je ne prends jamais de petit déjeuner. En temps normal, je me lève à 7h30 pour le travail et, même le week-end, je garde les mêmes horaires. Etant donné que je passe souvent la courte période de temps entre le lever et le départ à préparer le repas de ma femme (je sais, je suis une perle), je n’ai pas le loisir de me poser pour manger un morceau. Je pourrais bien me lever plus tôt, mais je vous trouve horrible de vouloir me priver de quelques minutes de sommeil réparateur qui parfois offre l’inspiration à votre serviteur pour vous concocter ces passionnantes aventures (qui, bien sûr, sont un compte-rendu fidèle de ce qui m’est réellement arrivé, en tout cas, je l’ai présenté ainsi, donc c’est vrai). Malgré tout, ce jour-là, j’avais bien envie d’un petit quelque chose. J’avais bien dîné hier soir, mais j’avais toute une journée de diète à rattraper (et sans doute un mois de coma nourri avec diverses solutions vitaminées par intraveineuse) et je me laissais tenter. Maman sortit de la chambre. Tout de suite, je voulus me lever (ma manœuvre de lever est décrite dans le chapitre 1, je vous invite à vous y référer pour revoir le processus). Je n’oubliais pas la malheureuse expérience de la veille et je tâtais délicatement le sol de mon pied handicapé pour m’assurer que j’avais toujours mal. Un « Aïe » plus tard, j’en conclus que mes béquilles me serviraient encore aujourd’hui au moins. Je me levai alors et tournai l’espagnolette de la fenêtre, je défis l’attache des volets et les repoussai. Ils heurtèrent le mur extérieur et, en me penchant un peu, je les attachai.
Un vivifiant air froid hivernal me souffla au visage. Je restais à observer mon nouvel environnement. Je voyais donc le jardin pour la première fois à la lumière du jour. Je reconnus le chemin de dalles pierrées que j’avais arpenté la veille, il menait à un portail donnant sur la rue et, de l’autre côté de la chaussée, une autre maison faisait face, largement cachée par le gigantesque sapin du jardin (Avait-on le droit de posséder un arbre aussi grand aussi près d’autres habitations ? J’écartais rapidement la problématique, après tout, c’était à mes parents de s’en préoccuper, je suis trop jeune pour cela, n’est-ce pas ?). De chaque côté de la maison, de nombreuses autres s’alignaient sur toute la longueur de la rue. Toutes d’aspect aussi vieillot, le quartier n’était assurément pas récent. J’espérai juste qu’il n’était pas peuplé que de petits vieux, qu’il y avait quelques jeunes de mon âge pour me distraire et que le centre-ville n’était pas trop éloigné afin que je puisse accéder aux endroits où on s’amuse.
J’interrompis mes observations car je sentais de nombreux regards sur moi : la frise de papier peint le long du plafond était peuplée d’oursons sur des nuages et je savais qu’ils me voyaient et qu’ils me jugeaient… Je profitais de mon trajet pour passer aux toilettes. Je fis moins de manières cette fois-ci, l’urgence était bien trop importante, je m’excuserai auprès de Cerise quand je la retrouverai.
Un regard sous la porte d’Alice en passant : aucune lumière ne filtrant, je déduisis qu’elle se levait encore plus tard que moi. Je descendis les marches de l’escalier une à une (par égard pour ce corps, pour ne pas le blesser, mais aussi pour moi, car se blesser fait sacrément mal et la situation actuelle faisait que je pouvais me blesser facilement). Je pris le chemin de la cuisine que je reconnus tout de suite, sûrement parce qu’elle était au même endroit que la veille et que c’était la seule pièce avec un réfrigérateur. Maman était là, faisant un brin de vaisselle devant la télé posée sur le réfrigérateur en question. Je m’assis à la même place qu’hier : j’aime la stabilité. Un bol se téléporta devant moi et j’y versai le contenu d’une cafetière encore chaude à proximité. Trois sucres et quelques tours de cuillères plus tard et je sirotai mon requinquant breuvage, assurance d’une journée merveilleuse… Peut-être, vu que, comme d’habitude, je ne sais jamais ce que mes journées me réservent.
Elle se retourna en commençant :
« Oh ! Désolée, j’ai oublié de te sortir tes Trio et… Tu as pris du café ? , continua-t-elle choquée.
- Non, c’est moi… Je n’aurais pas dû me servir seul, c’est ça ?
- Ce n’est pas ça, mais… Ce n’est pas bon pour les enfants… Il parait…
- Coucou, interrompit une autre voix féminine me délivrant, je l’espérais, de cette embarrassant écart à mon rôle de bonne petite fille. »
Elle avait dû se lever juste après moi. Ma perspicacité m’étonnera toujours.
« Alice ! Tes chaussons ! Combien de fois dois-je te le dire ?
- Hein ? Ah, oui, c’est vrai… J’irai les chercher après, promit-elle. »
Malgré son apocalyptique chevelure matinale et un puissant bâillement à décrocher la mâchoire (contagieux, mais j’eus la délicatesse de mettre la main devant la bouche, eu égard à mon éducation première de ma mère originelle, lectrice des ouvrages de la Baronne, ce qui me permet, entre autres, de ne pas confondre fourchette à viande et à poisson, serviette brodée et rebord de nappe et qui me défend d‘exhiber mes amygdales à n’importe qui).
« S’lut, m’adresse-t-elle du bout des lèvres.
- B’jour, répondis-je toujours aussi intimidé. »
Même au saut du lit, cette fille avait un charme fou, une beauté naturelle que cette désinvolte nonchalance accentuait. MAIS c’est ma sœur (dans un certain sens) et elle reste mineure (que cette nouvelle vie est compliquée !).
Comment vous faire sentir comme elle est jolie ? Comme précisé plus haut (je ne sais plus exactement où), je ne suis pas bon dans les descriptions, mais je vais essayer. En poème !
Elle a de jolis yeux
C’est merveilleux
Elle fait toujours la gueule
C’est…
Vous connaissez quelque chose qui rime avec « gueule » ? Ca ne me vient pas là… Autre chose :
Elle a un nez charmant
C’est épatant
Elle fait la gueule tout le temps
C’est emmerdant
Je ne devrais pas dire cela, je ne la connais pas assez pour affirmer qu’elle fait la gueule tout le temps. Je crois l’avoir vue esquisser un sourire pendant un instant. Dernier essai :
Elle a de beaux cheveux blonds
C’est mignon
Elle fait la gueule pour l’instant
C’est emmerdant
Parfait ! Si son humeur change, j’aurais juste à changer la fin. Je suis persuadé qu’avec un joli sourire, elle ferait fondre n’importe quel garçon (si ce n’est pas déjà fait). Mais assez pensé à elle, il ne faut pas. Concentrons-nous sur mes tartines (Comment elles sont arrivées là ? Ce doit être le pouvoir secret des mamans) (Et ce sont MES tartines. Donc, JE me concentre dessus, passez à autre chose. Non, pas à un autre livre… Je veux dire, ça commence à faire un long moment qu’on est ensemble, vous et moi. Mangez bien, hydratez-vous, même pendant la lecture. 5 fruits et légumes, vous connaissez le truc.). Je ne me serais jamais imaginé qu’un simple morceau de pain beurré dans un café tiédissant apporterait tant de plaisir (je vais avoir une relation bien particulière avec la nourriture pendant quelques temps, je crois).
Je sentis comme une menace planant sur moi. Un œil hostile. L’atmosphère soudain devenue pesante fût heureusement troublée par notre mère :
« Tu sais, Cerise chérie, j’ai vu Papa ce matin, il est si content de ton retour, tu le verras ce soir. »
Cette annonce affectueuse ne m’émut guère. J’avais perdu mon vrai père depuis quelques années maintenant et je ne me sentais pas spécialement concerné par un inconnu.
« Hé ! Tu vas revoir Papa, on t’a dit ! C’est tout ce que ça te fait ?, m’apostropha Alice.
- Pardon… Euh… Merci ?, tentai-je de me rattraper.
- Comment ça « Merci » ? Mais…
- Alice, mon chou, ce n’est pas grave. Tu sais que la situation de notre Cerise est spéciale (ça, pour être spéciale, elle l’est), intervint Maman. Il est normal qu’elle soit un peu décalée.
- Mouais, ça tombe plutôt bien pour elle… »
Elle glissa deux sucres dans son chocolat et touilla méthodiquement pour dissoudre la poudre. Après quelques gorgées bruyantes, elle lâcha sans transition :
« Au fait, l’autre con n’est pas au courant que tu es réveillée, il faut dire qu’il n’a pas appelé une seule fois, non plus !
- Alice !! »
Oui, deux points d’exclamation, tant que ça. Elles devaient parler de quelqu’un que Cerise connaissait, mais moi, je m’en moquais : je finissais les miettes (MES miettes) quand je m’aperçus que j’étais scruté de près. Elles attendaient quelque chose comme deux scientifiques venant de verser une substance dangereuse dans une mixture instable : l’une des deux attendait de voir tout péter, l’autre craignait de voir tout péter. Mais rien ne se passait. Alice soupira :
« Bon, si même ça ne la fait pas réagir. C’est que ça doit être vrai… »
Je ne cherchais pas à suivre cette affaire dont je savais qu’il m’était impossible de connaître les tenants et aboutissants. Après tout, c’était la vie de Cerise et j’avais la décence de ne pas m’occuper des affaires intimes de ces dames, même si, dans ce cas précis, je devrais peut-être m’en mêler. Le sujet semblait sensible et mon indifférence anormale. Poussé par la curiosité et accrédité par ma prétendue amnésie, je demandai, teintant ma voix de naïveté et d’innocence (d’innocence ! Moi ! La bonne blague ! Moi qui suis… Non, attendez, vous n’avez pas besoin de savoir ça…) :
« Mais de qui parlez-vous ? »
Elles se concertèrent en silence et Alice conclut :
« De personne, c’est pas important… »
Je n’osais pas insister de peur d’avoir l’air impoli (ou intéressé). Ma mission consistait à rester discret, ne pas faire de vagues, ne pas déranger ces gens en attendant que cette intrigante aventure se termine.
Se levant, ma mystérieuse aînée annonça :
« J’appelle Gaëlle, je suis sûre qu’elle doit galérer sur ses devoirs, si je ne l’aide pas, elle y passera les vacances entières.
- Si tu veux, mais n’oublie pas tes affaires chez elle cette fois et va mettre tes chaussons. »
Moi, je les ai ; tout doux, tout rose (il faudra que je m’y habitue, je crains, non pas que je déteste cette couleur mais c’est dur à assumer pour un bonhomme comme moi). Je voulus quitter mon siège à mon tour mais Maman me retint en me posant le journal du jour sous les yeux. J’eus une intime appréhension, mais elle ajouta :
« On parle de toi ! Page 5 ! »
Ok, c’est ce que je craignais…
…
…
« Tu ne regardes pas ?
- Tu sais, je suis plutôt modeste…
- C’est très émouvant, tu sais… »
C’est ce que je craignais.
Miracle à l’hôpital
Les parents de la jeune Cerise F. pourront passer un joyeux Noël en famille cette année. Rappelons que la jeune fille de 12 ans fut victime le mois dernier d’un grave accident de la circulation en face de son collège qui la laissa dans le coma. A la grande surprise du personnel hospitalier, sans que rien ne le laisse deviner, elle se réveilla brusquement la nuit dernière. D’abord déboussolée et tenant des propos incohérents, elle a rapidement repris ses esprits à la joie de sa mère qui l’a toujours veillée avec espoir. Mais son grave accident laissera des séquelles sur la malheureuse, d’après le rapport de son médecin, l’éminent pédopsychiatre, chef du service de pédiatrie, le docteur Rouchard, elle gardera de profondes cicatrices à la jambe qui l’handicaperont sûrement à vie. (Merci d’avoir prévenu) Le choc a également provoqué en elle une rare forme d’amnésie.
Au cours d’une émouvante entrevue organisée par son médecin, Cerise a exprimé, les yeux embrumés de larmes d’émotion, toute son infinie reconnaissance envers le corps médical et ses espoirs pour sa vie future qui s’avèrera très difficile comme vous pouvez l’imaginer.
« Je crois que j’ai envie de vomir… »
*Donne à Cerise/le bonhomme qui possède son corps, un fusil à pompe avec des balles à blanc pour terroriser notre cher Dr.Rouchard.*
Nous continuons à suivre les aventures de Cerise, tranquillement, ça se laisse lire, c'est toujours drôle et comme toujours, j'aime bien l'effet monologue où le protagoniste traverse la 4ème mur.
Toutefois, le paragraphe qui commence par "je ne prends jamais de petits déjeuner" aux phrases longues est moins fluide, et celui qui parle des bonnes manières pourrait être drôle, là je trouve qu'on tombe un peu à côté. (je ne sais pas si c'est la formulation ou juste que c'est trop).
Les phrases longues que je me permets parfois servent pour le côté faussement bourgeois que veut se donner le narrateur, héritage de l'un de mes maîtres d'humour, Pierre Desproges qui craint, "au détour d'une virgule, de perdre le sens de ses mots"). Mais je suis comme toi, je déteste les phrases trop longues, ce qui est la raison de mon dédain des oeuvres de Proust. Je verrai ce que je peux faire, toutes les critiques sont bonnes à prendre! Merci
Ahah j'adore l'article, dommage qu'on ait par l'interview avec le docteur, ça doit être sacrément drôle^^ C'est étonnant qu'elle apprenne ces séquelles à vie par l'article, mais finalement assez logique, personne n'avait envie de lui dire.
Le passage du poème est très amusant. On continue de parler d'Alice sans en apprendre forcément davantage, je me demande quelle relation va se tisser entre les deux soeurs. Ca promet d'être particulier.
L'arrivée prochaine du père peut être intéressante. Je me demande à quoi va ressembler ce personnage, à mon avis ça ne sera pas une crème...
Mes remarques :
"de quelques minutes de sommeil réparateur qui parfois offre l’inspiration" -> offrent ? (les minutes)
"Elle avait dû se lever juste après moi. Ma perspicacité m’étonnera toujours." je mettrais des parenthèses pour la remarque
"eu égard à mon éducation première de ma mère originelle," -> eut ? (je ne suis plus sûr)
Un plaisir,
A bientôt !
Pour les poèmes, je confesse bien volontiers m'être inspiré de l'un de mes maîtres en humour, Pierre Desproges (va voir le sketch "la merveille" pour avoir la version originale).
Comme d'habitude, je corrige les fautes et te souhaite bonne continuation. Il faut d'ailleurs que je retourne sur ton histoire pour connaître la deuxième partie!