Celle qui contre-attaquait

Par Bleumer

Diane partie, il ne fut pas encore temps pour moi de connaître le répit. Est-ce trop demander qu’on me foute la paix ? Juste un peu. Vous me direz que la paix est bien peu palpitante et je n’aurais pas tant écrit si ma vie avait été monotone et routinière. Vous aimez me voir souffrir ? Je comprends. J’aurais fait la même chose s’il s’était agi de vous.

Papa venait de rentrer. L’heure du repas vint. Passons sur la journée de nos aînés. Il ne se passe plus rien dans la vie quand on est grands et établis. La chance ! D’autant plus que je ne connaissais pas le métier de l’homme de la maison et les maigres indices ne me permirent pas de résoudre ce mystère. Nous verrons pour une autre fois.

Comme évoqué précédemment, les femmes ont le don du récit. Bien que j’en sois devenue une, je n’ai pas encore acquis cette capacité, mais Maman essaya quand même :

« C’est bien, ma chérie, que tu sois redevenue amie avec Diane. Et avec les professeurs ? Ca a été ?

- Ca allait…

- Il parait que tu as eu un contrôle de maths. Tu as réussi ?

- Oh, oui, tranquille ! répondis-je avec un pouffement dédaigneux d’Alice.

- Et tu as retrouvé tes amies dans ta classe ? (A force de ramer pour me faire parler, elle devait commencer à avoir mal aux bras)

- On va dire que oui.

- Il parait que tu t’es battue, ma fille, fit l’homme de la maison d’un air grave.

- C’est exact, commençai-je en me remettant bien droite sur ma chaise, prête à plaider ma cause. L’individu en question s’est permis par l’intermédiaire de ses acolytes des gestes extrêmement déplacés à mon égard. Je leur ai fait part de ma désapprobation d’une façon certes guidée par une impulsion que je pense pouvoir aisément assimiler à de l’auto-défense. Je conçois bien humblement que rien ne devrait justifier une agression physique et qu’il y aurait eu des moyens plus civilisés et diplomatiques de désamorcer la situation, mais là, sur le moment, j’avais pas envie. D’autant plus que j’étais de fort méchante humeur suite à de tumultueuses heures de cours et d’un autre facteur dont l’exposition n’a pas sa place à table. Voici donc les différentes raisons qui m’ont poussée à faire ce que j’ai fait. Je tiens néanmoins à vous rassurer en vous assurant qu’il s’agissait d’un incident isolé et, autant que faire se peut, je veillerai activement à ce qu’il ne se reproduise pas. (J’aurais bien accompagné cet exposé d’une présentation en Powerpoint avec schémas annotés de la scène en question et petits bruitages rigolos, mais je n’ai eu ni le temps, ni la technologie de le faire.)

Le récit de mon aventure fut suivi d’un silence incrédule de l’assemblée jusqu’à ce que Papa reprenne d’un ton qui se voulait indiscutable:

« Très bien, on va dire que tu as compris la leçon. Ne recommence pas.

- Mais Papa ! objecta Alice qui n’arrivait décidément pas à laisser passer et à me foutre un peu la paix. Ce n’est pas normal ! Cerise n’aurait jamais fait ça ! On ne change pas ainsi ! L’accident, je veux bien, l’amnésie, à la rigueur ! Mais là, ce n’est plus Cerise ! (Une goutte de sueur coula sur ma tempe malgré la fraîcheur ambiante)

- Alice, commença Maman.

- Mais elle ne se conduit même pas comme une fille de son âge ! revint-elle à la charge.

- J’ai changé, ma sœur, il va falloir t’y faire ! dis-je froidement, l’agacement commençant à me gagner.

- "ma sœur" ? Personne ne parle comme ça !

- Tu veux que je parle comme une gamine ? Très bien ! Tu me gonfles, occupe-toi de tes affaires et fous-moi la paix ! »

Là, vous allez vous dire : "Elle a pété les plombs" et vous n’auriez pas tort, mais même une vertu de patience comme moi avait ses limites.

« Je fais ce que j’estime le mieux pour ma sœur Cerise, comme je l’ai toujours fait ! Que ça te plaise ou non ! Je t’emmerde ! conclut-elle avec poésie.

- Alice, je ne te permets pas de perler comme ça ! tonna notre père.

- Cerise, calme-toi, supplia notre mère. »

La jeune fille tapa de deux mains sur la table et se leva brusquement.

« Alice, je ne t’autorise pas à quitter la table.

- Je suis fatiguée, je vais me coucher, mentit-elle ostensiblement en se dirigeant vers la sortie.

- Mais, elle n’a pas ses chaussons… »

Dérisoire constatation de Maman.

Je n’arrivais pas à ma calmer, même si j’en avais l’apparence, d’autant plus que je commençais à avoir mal à la tête et celui au ventre me reprit. Pitié, que Cerise reprenne sa place avant le mois prochain… Il faudra que j’essaie ce truc du chaud qu’on m’avait conseillé à la fin des cours. S’ensuivit un long silence gênant, un ange passa avec plein d’autres, on aurait cru les vacanciers du Club Med qui faisaient la Chenille. Oui, aussi long et gênant que ça.

« Vous voulez un dessert ? tenta la douceur féminine (pas moi) pour faire retomber la pression. »

Après le retour de la Chenille, je demandai :

« Je n’ai plus faim, puis-je quitter la table ? »

Une autorisation résignée reçue, je retournai dans ma chambre, non sans avoir collé mon oreille à la porte d’Alice, mais le silence m’inquiétait plus que si je l’avais entendue pleurer.

Continuons un peu. En effet, j’aime bien que mes chapitres aient une longueur équivalente et celui-ci est clairement trop court. Je vais donc en profiter pour vous parler du lendemain. On va en venir directement à l’épisode intéressant : une autre heure de maths. Une heure de fun en perspective comme vous pouvez vous y attendre. Notre charmante professeur en profita pour nous rendre les contrôles de la veille. Un événement, car, comme je l’apprendrai plus tard, elle n’était pas réputée pour être très réactive dans ce cas. Un contrôle corrigé en une journée était donc exceptionnel. La légende disait qu’elle avait eu tellement hâte de me punir qu’elle aurait accompli cet exploit. A l’image de son comportement de vieille gargouille aigrie, elle rendit les copies avec cette méthode sadique qui consistait à les distribuer dans l’ordre croissant des notes, une façon de faire aussi humiliante que stressante. J’étais sûre d’avoir réussi mais elle arrivait à me mettre le doute.

Les notes commencèrent à 4 et une bonne moitié de la classe n’avait même pas atteint la moyenne, ce qui prouvait bien que les méthodes pédagogiques péchaient à un endroit ou à un autre. Je ne faisais pas partie de cette moitié. Les remarques désobligeantes accompagnaient chaque feuille et l’on sentait la jubilation de cette femme. Un tiers se situait sur un palier entre 10 et 12. Je n’y étais toujours pas. Clarisse, Shirley et Hanane avaient eu respectivement 11, 9 et 5. Bastien avait 12 et Tam 15. Je n’avais toujours pas eu ma feuille et la note pariée de 17 approchait à grand pas. Cette note fut atteinte par un certain Romain et je respirais (et Karima sûrement encore plus que moi, elle avait eu 18). Il restait une feuille dans la main de Mme Catenassi qu’elle agitait avec un sourire qui n’augurait rien de bon. C’était la mienne. Karima me jeta un œil. Elle n’allait quand même pas me faire une crise de jalousie pour avoir eu une meilleure note qu’elle, je lui avais épargné une heure de colle. Un enfant ne peut pas rivaliser avec un adulte sur le plan de l’intelligence (Erratum : ça dépend l’adulte, j’en connais certains…), tu t’es bien battue, mais tu arrives 20 ans trop tôt pour te mesurer à moi.

« Et je vous garde le meilleur pour la fin, ce que vous attendez tous : la prestation de Cerise (oui, j’aime quand on me dit que je suis le meilleur). Cerise, sache d’abord que je t’ai enlevé ½ point pour la présentation et le soin. Qu’est-ce que c’est que cette écriture ? J’ai eu du mal à déchiffrer tes pattes de mouche. Au moins avant, c’était faux mais c’était lisible. Ce qui nous fait donc une note de … »

Bon, ok pour le demi-point, ça ne me fera que 19,5. Désolé, les gamins, mais je…

« Zéro ! 

- Comment ? ne puis-je m’empêcher de m’exclamer. »

Karima avait posé sa tête dans ses bras et je vis qu’elle luttait pour ne pas se mettre à pleurer. Je consultais ma copie : au bout de chaque ligne, un petit trait rouge signalait pourtant une bonne réponse à chaque fois (les erreurs étaient barrées d’une croix rouge).

Je vérifiais une nouvelle fois pendant que Karima respirait de plus en plus fort. Soit elle faisait un infarctus, soit elle continuait de se retenir pour ne pas fondre en larmes, l’un n’empêchait pas l’autre. Elle murmurait : « C’est pas possible, c’est pas possible, … » J’étais d’accord avec elle et je finis par lever la main, bien décidée à obtenir des explications.

« Oui <3 ? fit-elle d’une insupportable voix exagérément mielleuse. »

Evidemment, elle s’était attendue à mon intervention et se délectait de mon humiliation à venir. Tant pis, il fallait que je sache.

« Puis-je avoir quelques précisions sur ma note ? Il me semble que la plupart des réponses sont bonnes voire toutes… »

Avec un sourire cruel, elle dit avec désinvolture :

« Parce qu’il est évident que tu as probablement triché, ma petite, je ne vois pas d’autres explications. »

Courage, il fallait que je garde mon calme. Pourquoi tout le monde met autant d’efforts à me faire chier alors que je ne cherche qu’à revivre une petite vie tranquille dans cette époque bénie où n’existent pas les réseaux sociaux vomissant de la haine et du mensonge à foison, où subsistent encore mes plus beaux et tendres souvenirs de jeunesse, où tout est plus simple ?

« Vous dites probablement, n’est-ce pas une sanction bien disproportionnée pour une simple supposition ? D’autant plus qu’elle ne concerne pas que moi.

- Silence ! Tu te tapes des notes minables et d’un coup tu as tout juste ! Ne te moque pas de moi !

- Tout juste, j’aurais dû avoir 20 alors ?

- Toi, tu ne peux pas avoir 20. »

Même les autres élèves commencèrent à protester. Quand il s’agit de trouver un prétexte pour se rebeller contre l’autorité, mes petits anarchistes en herbe… Mais la contestation retomba bien vite, quand elle menaça de coller la classe entière. La Révolution, ça allait bien cinq minutes : « Nous sommes ici par la volonté du peuple et nous en sortirons sans la force des baïonnettes, il suffit juste de demander gentiment. »

Je rongeais mon frein toute la fin de l’heure, même quand elle poussa le sadisme jusqu’à me faire aller au tableau pour la correction d’un problème complexe que je réussis brillamment

A la fin du cours, elle ne manque de nous rappeler à Karima et moi de lui laisser nos carnets de liaison qu’elle nous rendrait mardi lors de notre prochaine rencontre. Je le laissai avec un regard belliqueux et Karima en continuant de murmurer : « C’est pas possible, c’est pas possible, … »

A la sortie, je ne fis pas attention aux quelques paroles de solidarité que je reçus, mais je captais quelque chose d’importance prononcé par un personnage dont l’Histoire ne retint pas le nom :

« Ouais, c’est comme la dernière fois, avant son accident… »

Je vous jure bien que ce petit père, je me le suis choppé pour le cuisiner, tout indice sur ce jour que je devinais fatidique était bon à prendre :

« Qu’est-ce que tu veux par "Avant mon accident" ? Que s’est-il passé ? »

Il chercha à se dérober. Je n’avais jamais vu quelqu’un d’aussi pressé à faire de l’Anglais. Néanmoins, je l’agrippai pour l’obliger à marcher à mon rythme et à me raconter son histoire :

« Vas-y, dis-moi tout. »

Je dus encore insister, cette satanée excuse de ne jamais rien dire pour ne pas être une balance, il finit par cracher le morceau sûrement intimidé à ce qu’une fille le colle ainsi (ils cherchent à faire les grands, mais les enfants sont si mignons quand ils sont timides, c’est aussi la force des femmes, quel que soit leur âge) :

« Pareil que là, elle a rendu des contrôles, elle en fait tous les mois, la vache. Comme d’hab, tu t’étais tapée une sale note de merde. D’habitude, t’en as rien à battre, mais ce jour-là, t’étais grave vénèr’ surtout que l’aut’ pute, elle arrêtait pas de te chauffer. Tes copines, elles t’ont calmée, tu l’aurais péta, la vie ma mère ! Quand on est sortis, t’as fait : « Ca m’prend grave la teutê, j’me casse ! ».

- Alors, Cerise, enfin moi, je suis partie ?

- Non, Hanane et les autres t’ont retenue et t’es restée jusqu’à la bouffe. Après, j’sais ap’, t’as dû aller avec Sylvain.

- Et peu après, essayai-je de récapituler, Diane m’a vue sortir en courant et paf la voiture… J’avais dû voir Sylvain pour la récré, non ? Il m’a réconfortée, non ?

- Chais pas, moi ! T’avais l’air genre contente, quoi….

- Comment ça, genre ?

- Ben, genre, quoi, ouais…

- J’étais contente ou pas ?

- Chais pas, j’disais ça comme ça, c’est pas mon blèm’ ! J’m’en mêle pas ! »

Je n’en tirais rien de plus et je le relâchais. Visiblement, on ne devait rien dire sur la relation entre le boss et sa poule (c’est moi, la poule, ex-poule). Quoiqu’il en soit, j’en parlais le soir à mes parents (de la note, pas de la poule). Je vous vois dire : « Il va cafter à sa Maman, la honte ! » Vous avez quel âge ? Bien sûr que j’en parle à des adultes. Bon gré, mal gré, je suis une enfant, j’ai conscience de mes limites. Je ne suis pas une féministe extrémiste (ça faisait longtemps qu’on n’avait pas parlé d’elles, elles existent encore ?) qui préfèrerait crever la gueule ouverte plutôt que de demander de l’aide à qui que ce soit (surtout un homme) (non, il sera plus important pour elles de faire une vidéo sur un réseau social pour qu’on les voie pleurer sur l’égoïsme du monde alors qu’elles essaient de changer leur roue de voiture avec des ciseaux d’écolier).

Après lui avoir tout raconté, elle m’a immédiatement si j’avais triché (mettons de côté cette démonstration de confiance toute relative), ce que j’ai nié. Je donnais de plus en plus de détails et elle se sentait de plus en plus indignée au fur et à mesure qu’elle examinait la feuille.

« Qu’est-ce qu’elle a encore fait ? »

Alice s’était glissée derrière nous sur la pointe de ses pieds nus. Maman, sans même relever la remarque ni lui demander d’aller mettre ses chaussons, lui tendit l’objet du conflit en lui demandant :

« Qu’est-ce que tu penses de cela ? »

Alice examina avec sérieux ce que l’on avait donné. Elle siffla en voyant le 0 mais fronça les sourcils :

« C’est elle qui a fait ça ? s’étonna-t-elle. »

Un hochement de tête affirmatif.

« Bon, à ce que je peux juger… Aussi étonnant que cela puisse paraître, c’est tout juste. Il y a un truc bizarre, sur ce problème de géométrie… C’est une démonstration qu’on vient juste de voir en 3ème. Donc, c’est étonnant qu’elle sache faire ça, mais ça donne quand même le bon résultat. »

Elle la remercia et Alice, libre de devoirs, se mit devant la télé. Mais notre mère n’avait pas tout à fait fini :

« Alice, tu la vois lundi cette prof ? Tu as bien la même de Cerise, n’est-ce pas ?

- Oui, admit-elle, en dernière heure, pourquoi ?

- Je vais aller la voir, dans ce cas.

- Mamaaaaann ! Noooooon ! Tu vas me taper l’affiche devant tout le monde !

- Je dois y aller.

- Demande-lui un rendez-vous en dehors des heures de cours !

- Elle a pris le carnet de Cerise.

- Mais, Mômaaaaaaannnnn ! »

Ses lamentations ne servirent à rien et, lundi en fin de journée, je la retrouvai penchée à une porte (remarquez la fluidité de la transition). Je collais mon oreille près de la sienne pour écouter.

PROF : C’est évident, Cerise n’a pas le niveau pour produire un tel devoir.

MAMAN : Quelles preuve avez-vous de cette prétendue triche ?

PROF : Y a-t-il vraiment besoin de preuve ? Elle devait avoir une antisèche dans sa trousse.

MAMAN : Comment elle l’aurait préparée ? Elle n’était pas au courant de ce contrôle, elle a passé un mois dans le coma ! Vous en doutez peut-être ?

PROF : Ou elle a copié…

MAMAN : Soyons logiques ! Si elle avait copié, elle aurait eu une note inférieure ou égale à son voisin, or elle est censée avoir eu la meilleure note de la classe !

« Ouah, elle gère, la daronne !

- Chut ! »

PROF : Et bien, elle a trouvé autre chose, vous savez bien comment elle est, contrairement à sa sœur.

MAMAN : J’admets qu’elle n’est pas toujours un ange. Mais elle a changé depuis sa sortie de l’hôpital. Je pense qu’elle a dû étudier pendant les vacances pour ne pas prendre de retard. Elle a pris conscience de beaucoup de choses et vous voyez bien qu’elle a du potentiel.

PROF : Cela ne change pas le fait qu’elle a eu l’impertinence de me proposer un pari !

MAMAN : Et vous avez été assez puérile pour l’accepter. J’admets que ce n’était pas bien de sa part de se montrer aussi insolente et elle sera punie pour ça, mais vous devez tenir parole maintenant pour elle et son amie. J’exige de récupérer son carnet.

PROF : Le voilà. Mais que cela ne se reproduise pas !

MAMAN : Au revoir, Madame.

Nous eûmes à peine le temps de nous écarter de la porte pour lui laisser passage. Elle nous dit simplement :

« Nous rentrons, les filles. »

Vous devez être connecté pour laisser un commentaire.
Vous lisez