Celle qui retrouvait l'amour

Par Bleumer

Après deux heures de cours, venait déjà l’heure de la récréation. Ce rythme était plutôt reposant pour moi : lors de ma dernière année d’étude, je m’étais habitué à rester le cul posé sur une chaise pendant trois ou quatre heures de suite dans un amphi sur des strapontins à peine assez large pour y tenir et, au boulot, je reste debout pendant le même temps. Tout le monde était déjà dehors lorsque j’arrivai dans la cour grouillante de monde. Les groupes s’étaient déjà formés, les filles d’un côté et les garçons de l’autre, on ne se mélangeait pas encore au collège. Lesquels devais-je rejoindre ? Filles ou garçons ? Je cherchais vainement du regard un visage connu. Mon choix était assez limité, je ne connaissais que trois personnes : Alice, mais je ne l’ai pas du tout vue de la matinée, elle était partie avant moi ; Diane, le choix le plus évident, sa grande taille devrait m’aider à la repérer ; Karima, mais elle préfèrerait crever plutôt que de passer ce moment de détente avec moi. Je fis grande impression : quelques-uns s’arrêtent même de discuter pour me regarder et murmurer. J’allais vite avoir le droit à mon surnom : La Béquille, Triple Patte, La Bancale… J’attends vos suggestions. Je m’efforçais juste de garder ma contenance face à ce public : la tête haute, les épaules droites.

J’aperçus Diane assise sur un banc un peu plus loin, elle se leva en me voyant et je me dirigeai vers elle comme vers un petit phare dans l’inconnu. Je ne reconnaissais pas les élèves de ma classe et il était vrai que je n’avais pas fait l’effort d’essayer de retenir leurs visages. Je devais m’assurer ne pas détériorer les relations sociales de mon alter ego quand elle reviendra dans ce corps.

Après seulement quelques pas, je sentis une claque sur mes fesses et je poussai un petit cri d’étonnement. Un garçon me dépassa en ricanant. Diane qui avait vu la scène mit ses mains sur sa bouche, choquée. Je n’étais pas au bout de mes peines, car une deuxième tape atterrit sur mon postérieur. Cela commençait à bien faire et, cette fois, je lançai un "hé" de colère. Le deuxième garçon sembla tout aussi satisfait de sa goujaterie. Du coin de l’œil, j’en remarquai un troisième, son regard malicieux et son sourire malsain ne me laissaient aucun doute quant à ses intentions. Cette fois-ci, je n’allai pas me laisser faire. Recul de la jambe gauche, appui béquille, pivot rotatif de la hanche, lancement horizontal du bras, dépliage des doigts, analyse de la cible, ajustement de la trajectoire, évaluation de la distance et une baffe magistrale fondit sur la joue de l’assaillant qui lui fit faire un demi-tour avant de le faire tomber au sol. Je n’avais jamais frappé qui que ce soit, je ne m’étais jamais bagarré et je répugnais à faire du mal. Je n’en étais pas fière mais, cette fois-ci, je ressentis un bien fou. J’avais encore des vibrations dans ma main et voulus l’agiter pour les dissiper. Mais la rotation mal maîtrisée et ma jambe défaillante me firent chuter ce qui n’empêcha pas de leur lancer avec cette délicatesse qui me caractérisait :

« Ca va bien, oui ? C’est pas open bar sur mon cul ! »

Leçon de raffinement pour jeune fille en fleur n°1 (je m’en fous, jusqu’à récemment, je n’étais ni jeune, ni fille, ni en fleur).

Le premier garçon, sûrement le chef, m’attrapa par les cheveux et m’attira vers lui. Je lui fis face en grimaçant.

 « Cé koi ton blèm’ ?, m’invectiva-t-il, tai tombés sur la taite où koi ? Tai ma meuf, ta oublier ? »

Oh putain, je ne comprenais rien à ce que disait ce type, sa prononciation, sa syntaxe étaient calamiteuses. J’étais persuadée qu’il faisait même des fautes d’orthographe en parlant. Je ne pouvais pas vérifier, vous me direz. Je n’allais pas me laisser impressionner :

« Primo, je ne me souviens ni de ta tronche, ni de ton nom et ça me convient parfaitement. Secundo, si on est sortis ensemble, tu peux considérer qu’on vient de rompre. Tertio, oui, je me suis pris un coup sur la tête mais si ça m’a donné assez de lucidité pour me rendre compte que tu es un connard, j’en suis ravie ! 

- Tu t’pran poure quis ? , me cracha-t-il

-Pour qui te prends-TU ?, lui rétorquai-je sans cesser de soutenir son regard. »

On resta immobile, face à face, sans qu’aucun ne baissa les yeux face à l’autre. Je le sentis serrer mes cheveux pour me faire fléchir, mais je tins bon. Pendant ce temps, j’eus l’impression que tout le collège s’était réuni autour de nous et certains élèves lançaient même des paris sur l’issue de la bagarre. Je n’étais même pas si mal cotée (au moins 10 francs). Le temps s’était suspendu entre nous. Il me tirait vers le bas pour me faire détourner le regard, je me retenais de crier pour ne pas lui en donner la satisfaction. Enfin, la marée d’élèves s’écarta et, tel le Moïse de l’Education Nationale, un surveillant traversa la mer jusqu’à nous.

« Ca suffit ! Qu’est-ce qui se passe ici ?

- Cette folle nous a sauté dessus, se défendirent les garçons »

L’homme m’aide à me relever en me soutenant sous les aisselles, je le remerciai rapidement et lui dis :

« Je me suis contentée de les remettre à leur place. »

L’éducateur nous regarda gravement tour à tour et s’arrêta sur moi. Les gars purent s’éclipser pendant ce temps.

« A peine revenue, tu cherches de nouveau les embrouilles, Cerise. »

Ce n’était jamais bon signe quand une figure d’autorité connaissait votre nom, cela signifiait souvent que vous étiez un nid à emmerdes.

« Je ne cherchais pas à causer de troubles, j’y ai été forcée par l’attitude de ses garçons qui cherchaient à me tripoter.

- Je verrai ça. Et bien, les rumeurs sont vraies, me dit-il en levant un sourcil interrogateur, tu ne te souviens vraiment de rien ? Car t’en as passé du temps dans mon bureau cette année.

- Si c’est vrai, je m’en excuse, je tâcherai de faire en sorte que ça ne se reproduise plus.

- Bon, vas-y et (il s’adressa à l’attroupement d’élèves) le spectacle est fini, allez-vous-en ! »

Il s’éloigna tout en vérifiant que cet incident n’en avait pas entrainé d’autres. Diane me prit par la main pour me sortir de la foule qui me félicitait pour moitié et me menaçait pour l’autre et elle m’emmena m’asseoir sur son banc. Un cube de béton dont je ressentis la dureté et le froid à travers mon jean. Je me sentis encore fébrile, j’en tremblai encore, je crus même avoir envie de pleurer et, d’un coup, je me mis à rire comme une cinglée.

« Cherry !?

- C’était génial. J’exulte. Je me disais, au début, que je n’allais pas me laisser faire par des gamins de 14 ans, mais quand je me suis retrouvée au sol, j’ai repris conscience de qui j’étais et de ma faiblesse de fille et j’ai vraiment flippé, je te jure. Mais je ne voulais pas perdre face à lui. Bon sang, quelle adrénaline ! Je me suis rarement sentie aussi vivant… te. Je n’avais jamais fait ça avant. Quand j’étais au collège, j’étais plutôt du genre à baisser la tête et à ne pas me faire remarquer et même au boulot.

- Quoi?

- Ce n’est rien, le plus important, c’est que je m’en sois sortie sans mal, non ?

- Tu n’as pas peur qu’ils veuillent se venger ?

- Je t’en prie, on est au collège, pas en pleine  guerre des gangs. C’est qui ce type, au fait ? C’est… mon petit ami ? demandai-je avec un air de dégoût.

- C’est Sylvain, le type populaire du collège. Normalement, tout le monde rêverait d’être apprécié par lui mais c’est juste un abruti. La première fois qu’il m’a vue, il  a essayé de me toucher : parce qu’il a dit que j’avais des gros nichons (je ne pus m’empêcher de vérifier d’un coup d’œil et d’avoir honte de moi. Comme dirait l’autre : « des seins énormes ! Au moins 75 A ! » Elle restait quand même une fille de 12 ou 13 ans) et il voulait en profiter. Je l’ai envoyé chier et il s’est intéressé à toi ensuite.

- Et bien, je suis seulement le deuxième choix, ça fait mal à l’ego ! dis-je avec ironie.

- Désolée d’être plus sexy que toi ! Mais tu devrais en parler aux profs, à tes parents ou à ta sœur ? »

Ma sœur, Alice. Je ne l’avais pas vue au cours de cet incident. A vrai dire, je ne lui avais pas trop parlé de toutes les vacances.  Je crois qu’elle cherchait à m’éviter ou plutôt, elle ne cherchait pas à se lier à moi. Je devrais essayer d’y remédier. J’étais dans ce corps depuis plus de deux semaines (Seulement ? J’avais l’impression que ça commençait à faire une éternité, c’est le nombre de pages qui fait ça) et la seule chose que j’avais faite, c’était de me laisser vivre. Certes en essayant de m’acclimater à ma nouvelle famille mais comme si j’étais juste en visite. Quoi de mieux que ma meilleure amie pour avoir des informations ?

« Diane ? Je peux te demander quelque chose de bizarre ?

- Qu’est-ce que c’est ?

- Qui suis-je ?

- Comment cela ?

- Tu le sais, j’ai perdu la mémoire. Je ne me souvenais pas de toi, pas de ce crétin. De rien qui me concerne en fait. Je me disais que toi, qui es mon amie depuis toujours sans doute, tu pourrais me parler de moi.

- Je vais essayer. Mais, en premier lieu, nous ne sommes pas vraiment amies d’enfance, on ne se connait que depuis 2 ans, quand j’ai emménagé en ville. Je me suis inscrite au club d’athlétisme et c’est là que je t’ai rencontrée.

- Je courais ? Je pense que je vais devoir y renoncer maintenant… »

Diane me répondit d’un léger sourire et reprit :

« Notre relation n’a pas vraiment bien démarré. Tu m’as tout de suite imposée comme une rivale. Tu étais bonne, mais, comment dire, comme j’étais déjà grande à cette époque, j’avais un peu plus de facilités, tu vois ?

- Oui. Ça sert d’avoir de grandes pattes.

- Et, excuse-moi de te le dire, tu étais assez jalouse et tu m’as vite prise en grippe. Le pompon, c’est quand j’avais gagné la compétition interclub en fin d’année. Tu m’as accusée d’avoir triché, tu étais dans une colère folle et tu t’es mise à pleurer, à m’insulter même. Apparemment, la victoire signifiait beaucoup pour toi, tu me parlais de tes parents, de ta sœur, que tu voulais aussi avoir de quoi les rendre fiers et que j’avais tout gâché. J’ai fini par me sentir mal pour toi et j’ai pleuré également, j’avais l’impression d’être une fille horrible de te faire souffrir ainsi. Finalement, ça t’a mise mal aussi et tu t’es arrêtée, tu m’as prise dans tes bras et tu m’as consolée, enfin, on s’est consolées toutes les deux et c’est ainsi qu’on est devenues amies.

- J’étais une petite peste capricieuse alors ?

- Je ne crois pas, je pense que tu faisais un complexe par rapport à ta sœur. Le sport était le seul moyen pour toi de briller et je venais te voler ça. Tu as craqué, c’est tout. Quoiqu’il en soit, heureusement qu’on s’est réconciliées vite car mes parents allaient commencer à s’énerver.

- J’imagine bien, après tout, c’est moi qui avais commencé à t’agresser.

- On peut dire ça ainsi. Et le soir, tu m’invitais à manger et à dormir chez toi ! On a passé toute la nuit à discuter et à rigoler, conclut-elle avec un grand sourire.

- Ouah, super histoire et toute mignonne en plus.

- N’est-ce pas ? »

Pour terminer son récit, elle me dit que c’est après cet événement qu’on s’était aperçues qu’on était dans la même école mais comme on ne se connaissait pas, on n’avait jamais fait attention l’une à l’autre et on est devenues inséparables. J’aurais voulu continuer à discuter avec elle mais la cloche de fin de récré retentit, il était temps de se quitter. Je  voulais en savoir tellement plus.

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