La nuit tombait lentement sur le village, et Cléandre, armé de son arrosoir rempli de pièces, se tenait fièrement en plein milieu de la rue principale. Les villageois l’observaient à distance, murmurant entre eux, mi-inquiets, mi-curieux. Il inspira profondément, ajusta son feutre, et se tourna vers la première maison.
— Eh bien, mes amis, voilà la solution à vos malheurs ! annonça-t-il d'une voix forte, ses bras s'écartant en une gestuelle théâtrale. Vous allez voir, la peur va se dissiper comme un mauvais rêve !
Il leva l’arrosoir au-dessus de sa tête et, d’un geste ample, aspergea les murs de la maison voisine, faisant dévaler l’eau d’or sur la pierre. Chaque goutte scintillait sous la lueur de la lune.
Il s'éclaircit la gorge, se plaça en plein milieu de la rue et leva les bras, prêtre sur un autel imaginaire.
— Ô vous, puissances invisibles des ténèbres, dit-il d’une voix lourde de solennité, je vous invoque dans l’obscurité du mystère ! Par l’or et l’eau, je bannis toute créature malfaisante qui rôde dans l’ombre ! Par l’arrosoir béni, par la pièce d’or sacrée, qu’aucun monstre n'ose se montrer !
Il secoua l’arrosoir avec énergie, aspergeant les murs avec un bruit léger de métal et d'eau. Le spectacle était plus comique qu’effrayant, une sorte de danse ridicule sous la lumière tremblante des lanternes.
— Que les spectres et les puces, tous ces êtres infernaux qui hantent vos nuits, s’éteignent dans la douce chaleur de l’or ! Que les ombres plient devant la clarté du métal, et que la paix règne sur cette humble bourgade !
Il tourna en rond, jetant l'eau d’or avec une gravité que seul un acteur aurait pu prendre au sérieux. À chaque aspergée, il répétait une nouvelle incantation, toujours plus absurde et grandiloquente.
— Par les flammes du mont Pyr, par la perle cachée au fond des abysses ! Que la terre se calme et que le vent s’incline !
Les villageois, derrière leurs fenêtres, observaient la scène dans un silence pensif, certains incrédules, d’autres plutôt amusés. Miranda se tenait légèrement en retrait, les bras croisés, le regard innocent.
— Tu as l’air de vraiment y croire, Cléandre, dit-elle d’un ton faussement sérieux.
Cléandre, sans se démonter, lui fit un clin d’œil, tout en aspergeant un dernier mur avec une gestuelle théâtrale.
— Croire n’est pas nécessaire, ma chère, répondit-il, tout en tournant sur lui-même, toujours aussi grandiose. Il faut savoir faire croire. L'illusion, c’est là que réside la magie !
Une fois sa tournée terminée, il s’éloigna d’un pas nonchalant, l’arrosoir toujours suspendu à son bras.
— Voilà, tout est prêt, dit-il avec un sourire satisfait. Demain, tout le monde dormira tranquille. Plus un monstre à l’horizon, et tout ça grâce à l’or. Qui l’eût cru ?
Miranda le suivit, un peu plus pensivement. Derrière eux, les dernières gouttes d’or tombaient sur le sol, petites étoiles mortes. Le bourg était toujours plongé dans l’obscurité. Cléandre, lui, était certain d’une chose : cette nuit, tout serait calme. Parce qu’il l’avait décidé.
Et le manège reprit, chaque soir, avec la même emphase : Cléandre surgissait à la tombée du jour, l’arrosoir tintant, les bras levés vers un ciel toujours muet. Il bénissait les murs, les portes, les fontaines, parfois même les poules, récitant ses formules à rallonge sous les yeux écarquillés d’un public conquis. Le monstre ne reparut plus. Le village dormait enfin. Et la peur, chassée chaque soir à coups d’incantations et de pièces sonnantes, céda peu à peu la place à la reconnaissance. La bourse de Cléandre enflait. Les offrandes devenaient plus généreuses. Une pièce d’or, puis deux, puis trois. Certains ajoutaient un pain chaud, un bijou, une bouteille d’alcool. Le mal s’éloignait, et avec lui, toute prudence. On n’imagine pas ce que les superstitions peuvent rapporter quand elles tiennent dans une vieille boîte d’arrosoir.
Quel talentueux magicien de l'illusion désespérée fais-tu ! Es-tu fier de toi ? Décider du sommeil des tiens selon ton bon vouloir ? C'est vilain ! Tu veux changer la roue du casting et t'emparer du rôle du véritable monstre de l'histoire !
Allez, avoue. Tu prévois encore un coup plus gros et d'autant plus grostesque, n'est-ce pas ? Mais que fait la milice ? Que fait Miranda ?
Non, Cléandre, cesse d'impacter la morale de la petite d'une telle façon ! Ta poupée n'en est pas une ! Elle aimerait tellement croire en la bonté et en l'innocence de l'humain. Tu ne lui dévoiles qu'un théâtre comique semi-tragique qui ne peut conduire qu'à une dictature !
Si seulement une Horde démoniaque pouvait se dresser sur ta route...
C'est marrant que tu evoques la Horde démoniaque, et Bulle dans un autre chapitre. Il se peut qu'on en reparle ensemble dans des chapitres à venir et la fin de l'histoire. J’ai hâte d’avoir ta réaction quand les pièces du puzzle commenceront à s’emboîter.
Quant aux scrupules de Cléandre, tu commences à cerner le personnage : les remords, ce n’est pas exactement ce qui lui tient chaud la nuit. Certes, il y a bien un petit cœur qui bat quelque part sous cette poitrine de filou, mais il en faut plus qu’une bouffée de tendresse pour changer sa nature profonde. Peut-être qu’avec le temps… ou une crise existentielle bien placée… qui sait.
Pour ce qui est de Miranda, elle n’a que Cléandre dans sa vie. Elle lui pardonnerait tout, brave comme elle est. Mais attention : la crise d’adolescence n’est jamais bien loin, et il n’est pas dit que notre Cléandre sache gérer un "poupon à boutons" aussi imprévisible que fidèle. L’éternuement, il commence à savoir s’en méfier. Le froncement de sourcils, c’est une autre affaire…
A bientôt !