(Changement de direction)

Notes de l’auteur : Que vous veniez du blog, que vous soyez tombé là par hasard  ou du site, n'hésitez pas à me laisser des commentaires merci ^^Sans commentaires, j'ignore si je suis lu, peut-être pas. Je ne vois donc aucun intérrêt à poursuivre les publications si ce n'est pas le cas. Merci d'avance.

 

 

- Est-ce que tu me trouves lâche ? Est-ce que tu as déjà pensé que j'étais un lâche ?

- Pourquoi tu me demandes ça ? s'étonne Marie, occupée à la mise en place de la salle.

- ...

Il ne répond pas. Elle est intriguée.

- Que s'est-il passé cet aprem' ?

- Peut-être que c'est ça devenir adulte, en fin de compte. On ne grandit pas en sagesse, ça n'est qu'une excuse. On devient lâche c'est tout.

Le silence plane, puis Yann sort, laissant en plant les tables, les nappes, les serviettes et les verres.

Marie, le retrouve accroupi dans la réserve, silencieux, l'air absent et l'œil sombre.

- Oui, avoue-t-elle.

Il trésaille.

- Quoi ?

- Oui, je t'ai déjà trouvé lâche.

Le sourire nerveux réapparaît, comme un vieil ami un peu trop vite oublié, sur la face du jeune homme.

- Je vois, merci de ta franchise.

- Vas-tu enfin me dire ce qui est arrivé entre vous ? !

- Ce gamin m'aime. Il m'aime et il veut m'emmener avec lui et qu'on vive notre amour à Paris !

- ...

- Il a raison. Je suis un lâche. Je n'ai trouvé que des excuses nases pour refuser. C'est n'importe quoi. Je sais plus où j'en suis.

S'asseyant  à ses côté, elle lui parle doucement mais fermement.

- Si tu me dis : "Je dois partir m'installer à paris, j'ai trouvé un restaurant ou je pourrais enfin montrer mes talents et évoluer dans mon métier!"  Je te dirais que c'est un peu audacieux mais que c'est une bonne raison de tenter ta chance. Si tu me dis : " J'en ai marre de devoir me cacher, j'aimerais enfin vivre librement ma sexualité, j'ai trouvé un job et un logement, voilà je quitte la Réunion." Je te dirais que tu as l'air décidé, que tu as bien planifié ça et que tu as de vraies bonnes raisons qui ne datent pas d'aujourd'hui pour le faire.

Par contre, si tu me dis : "Je quitte tout sur un coup de tête parce que je crois être fou amoureux d'un mec qui a cinq ans de moins que moi, que j'ai rencontré y'a un mois, que j'ai pas de logement sur place ni de boulot et tant pis soyons fou !" Là je te dirais que tu es complètement dingue effectivement et carrément inconscient. C'est digne d'un gamin, ce genre de réaction !

Il la regarde, un peu rasséréné. Et se dit que sa première réaction était donc la bonne.

- Écoute Yann, y'a des années que je t'incite à partir, tu as plein de raisons de quitter cette île et l'amour peut faire partie d'un tout, mais pas de conneries et surtout, un conseil : ne lâche pas tout pour lui, si tu n'es pas certain qu'il serait capable de le faire pour toi. C'est facile de dire : "Vient avec moi !" Toi aussi t'es capable de lui dire : "Reste !".

- Il n'a rien à gagner à rester.

- Bien sûr que si, le dépaysement, une ile de rêve, la possibilité d'avoir un boulot au moins pour la saison en me remplaçant. Lui qui ignore ce qu'il a envie de faire de sa vie, ça ne serait pas si mal. Et un logement aussi, tu sais bien que ma mère loue ma chambre à l'année hors vacances scolaire. Et Paolo le prendra s'il vient de ta part ! Et puis il y a toi.

- C'est ridicule, il ne va pas rester pour moi.

- C'est pas plus ridicule que ce qu'il te demande, teste-le.

*

Il ne va pas lui sauter dessus, ni exploser et même si la réaction du réunionnais l'énerve profondément, il est content que Yann soit réapparu. Quatre jours sans nouvelles, c'est vraiment long. Quatre jours et quatre nuits de disparition totale, sans répondre ni aux messages, ni au téléphone, personne chez lui, personne à la bodega, Marie qui refusait de dire quoi que ce soit. Il est si soulagé de le trouver enfin là qu'il en pleurerait.

Ils n'osent pas se faire face de suite. La rancœur se mélange à la douleur et à la peur d'avoir gâchée quelque chose de beau. Gabriel hésite entre l'envie de le serrer dans ses bras, celle de lui montrer sa colère ainsi que sa crainte et enfin le besoin de savoir ce qu'il en est à présent.

Yann reste enfoncé dans son siège, les bras croisés, muré dans un mutisme noir. À la terrasse du café, les gens tout autour vont et viennent, sans leur prêter attention.

Gabriel prend finalement sur lui d'entamer la conversation, persuadé que de toute façon Yann n'ébauchant pas même un mouvement, ne se lancera jamais à prendre la parole en premier.

- J'ai l'impression d'avoir fait qu'que chose de mal. J'te trouve cruel, mon unique faute c'est d'être amoureux d'toi et d'refuser qu'notre histoire s'arrête bêtement.

- Je t'en veux de m'avoir insulté, de ne pas vouloir comprendre que c'était couru d'avance et de reposer le problème de la séparation sur moi. Puisque je m'oppose à l'idée de tout lâcher pour toi c'est ma faute si on se sépare ! Je suis la méchante de l'histoire ! La pédale qui n'a pas les couilles de te suivre !

Gabriel reste un instant atterré devant tant de ressentiments.

- Jamais j'ai dit qu'c'était d'ta faute si on s'séparait.

Il a tout-à-coup le besoin viscéral de se rapprocher du corps de l'autre, le toucher, tenter de le rassurer un peu. Il est certain que Yann a juste besoin de ça.

Il se lève et se poste à croupi, à ses pieds.

- R'garde moi, j't'aime. Rien qu'pour cette raison, j'veux t'emmener avec moi. Tu m'aimes et rien qu'pour cette raison, tu d'vrais pas renoncer à notre histoire.

Yann se bat contre lui-même face aux regards de la populace pour ne pas se jeter au cou de l'autre. Gabriel lui a tellement manqué depuis quatre jours qu'il a eu l'impression de ne plus rien être qu'une coquille vide. Mais il en va de son orgueil, il ne doit rien montrer, ne laisser personne avoir la moindre emprise sur sa vie et surtout, surtout ne pas se faire remarquer ainsi en pleine rue, en particulier ici.

- Reste pas là, on nous regarde !

- J'men fiche moi ! Tu l'vois, putain que c't'endroit est pas pour toi !  T'as le b'soin et l'droit à une vie où tu d'vrais pas t'cacher ! Là aussi c't'un motif pour partir avec moi. En plus ton travail est sous payé !

- Chuutt ! Le patron va t'entendre, merde !

- Et après ? Bordel ! T'as une vrai connaissance et une vrai vocation et là un jugement raisonnable t'impose de t'barrer, c'pas ridicule c'que j'dis.

Yann ne répond plus rien, il tourne la tête, mal à l'aise, regarde ailleurs.

Sans aucune gène, Gabriel pose sa tête sur ses genoux.

- J'tien à toi Yann, Ch'uis sérieux. Même ton talent pour la musique est une chose de plus qui m'pousse à insister.

Le brun a l'air d'un petit chien abandonné et attendrissant. Yann va craquer quand la discussion avec Marie lui revint en mémoire.

- Si tu tiens vraiment à moi, tu n'as qu'à rester toi !

Voilà, il l'a dit, il a suivi son conseil. Un peu confus Gabriel l'interroge du regard.

- Tu vois ? Tout de suite quand on renverse la situation c'est différent hein ? Tu m'aimes pourtant tu ne lâcherais pas tout pour moi ! affirme le rouquin.

- Non, en effet, moi j'n'aime pas c'pays. J'n'aime pas la chaleur, j'veux pas m'cacher. Moi j'vais tout perdre ici, ma liberté d'être c'que je suis. Et puis j'aime ma sœur, j'aime mes amis, j'ai mon groupe de zique à Paris et j'sais pas vers quoi m'diriger professionnellement. Toi en dehors d'ta peur tu n'as pas d'excuse. En plus ta seule vrai amie vit en métropole neuf mois sur douze, ici t'es ni heureux, ni épanoui, et vu les rapports avec ta famille... T'es qu'un trouillard et un lâche !

- Haha ! C'est pas de ma faute si on se sépare hein ? Ça fait quand même deux fois que tu m'insultes de lâche. Tu crois que ça ne me blesse pas ? C'est une drôle de façon d'aimer ! Moi je n'aime pas si, moi, je ne veux pas ça, y'en a que pour toi !

Gabriel se relève et la colère le prend de nouveau.

- Et tu crois qu'tu m'as pas blessé en m'traitant d'idiot, d'imbécile et d'gamin quand moi j't'ouvrais mon cœur ? Tu crois que j'ai pas souffert à n'plus avoir d'nouvelles ces derniers jours ?

- Écoute, personne n'est sûr que Paris me conviendrait mieux ! Il n'y a que toi qui le dis ! Et je m'assume moi ici. Même si je vis chez mes parents, j'ai un vrai travail. J'ai suivi de vrais apprentissages et ils ne sont pas terminés. Mon but c'était de travailler en tant que cuisiniers sur les bateaux de croisière, pas de trainer mes guêtres à la capitale ! J'ai pas l'intention de finir ma vie ici dans cette bodega qu'est-ce qu'elle croit celle-là !

Tout-à-coup Yann a levé le ton, sans plus attacher d'importance aux pèlerins qui passent.

- Ma formation en cocktail commence bientôt, rien ne m'empêche de la suivre et de poursuivre mon rêve.

Il prononce le mot rêve avec véhémence, l'autre a l'impression d'assister à une véritable mise en scène du personnage "Yann". Tellement que son aigreur s'envole.

- Qu'est-ce qu'elle connait de moi cette parisienne ? ! Tu dis que tu m'aimes, tu ne sais rien de ce que je souhaite devenir ! Quand à ma famille, y'a des hauts et des bas mais j'aime mon père, mes frères et mes sœurs ! Ici j'ai mes habitudes, mes clubs et oui mes amis ! Je ne sais rien de ton "Paris", je n'y connais personne !

- Ok ! J'ai compris l'message. J'vais t'dire c'que tu m'proposes ne m'va pas dans l'état, seulement ch'uis pas encore parti, et jusque là, j'vais y réfléchir.

Yann reste bouche bée. Ils se regardent, Gabriel marque une pose afin qu'il comprenne bien sa réponse. 

- J't'aime, poursuit-il. J'veux pas qu'on s'épare sans avoir tenté un truc. J'comprends bien tes réticences, promets-moi, toi aussi, qu'tu vas y réfléchir.  Nous avons deux solutions pour rester ensemble. Ok c'sont  deux issues qui n'nous conviennent pas totalement, ni à l'un, ni à l'autre, pour l'moment en tout cas. Peut-être qu'on en trouvera une troisième non ? J'veux pas abandonner.

Quand Marie les rejoint, ils en sont là.

*

2 ans plus tard.

 

- Surtout ne soit pas impressionné par l'appartement, ce n'est qu'un endroit où dormir !

- C'est quoi ça ? De la condescendance ?

À vrai dire Yann ne l'est nullement, impressionné. Au contraire, même pas étonné, rien ici n'est plus à l'image de son locataire, tellement prévisible de petit bourge.

- Tu aimes les grosses voitures, tu vis dans de grands appartements, toi-même combien mesures-tu ?

Liam ne répond pas à la moquerie, il se sent si peu chez lui dans cet endroit. Yann marque tout de même un point, Liam aime effectivement se cacher derrière cette image de réussite tranquille et écrasante. Enfouir cette réalité qu'il tient pour acquis, à savoir l'absurdité de sa propre vie. Tout se confond, sa voiture, son bureau, ses meubles, ses vêtements, ses accessoires, son appartement, sa personnalité qu'il aimerait conforme et agréable, jusqu'à sa place dans l'association. Le décore dans lequel il se meut chaque jour s'avère être le même partout. Même les gens qui l'entourent se ressemblent. C'est probablement la raison pour laquelle il s'est tant attaché à Uzu, celle qui explique que le japonais soit encore dans sa vie.

L'asiatique est différent de ses autres connaissances, pas de sourire dentifrice, pas de cravate hors de prix, pas d'études dictées par les parents, il n'est jamais rentré dans une case. Au lycée Uzu était un garçon à part, assez solitaire, ses résultats dans la moyenne n'en faisant pas non plus un cancre et son éducation correcte pas un délinquant Liam a pu s'enticher sans pour autant prendre trop de risque.

Pas aussi haut en couleurs que Yann cependant et c'est ce dont Liam a aujourd'hui besoin. La vie du blond est terne, ses collègues de travail ennuyeux. La plupart du temps Liam se contente de sauver les apparences pour au moins éviter la tristesse et le regret aux siens, qui ont tant poussé pour qu'il réussisse. En réalité, il lui apparaît clairement que sa vie n'a aucun sens. Il ne comprend plus rien, il ignore où il va.

- C'est quoi réussir ?

Il ne se souvient pas, l'avoir su un jour. A une époque il a cru naïvement devenir un homme en bravant le bien pensant du milieu social qui est le sien, cela en avouant sa différence, son homosexualité. Poussé par sa relation avec l'asiatique, il pensait innocemment pouvoir faire réagir et au minimum obtenir un semblant de reconnaissance.

Tout le monde a été de son côté, même son père, beaucoup aimeraient avoir sa chance. En travaillant pour l'association, il s'en rend bien compte, pourtant il s'est attristé de ne ressentir aucune réussite. Impossible en effet, d'avoir de victoire sans bataille. Liam n'est pas franchement certain d'être satisfait que son entourage ait su l'accepter en entier. Il regrette de n'avoir pas eu à se battre pour exister. Les gens l'aiment, l'apprécient, sa famille, ses collègues, ses potes, Liam ne se souvient pas avoir eut d'ennemis ou avoir un jour déplu à quiconque à part Uzu.

En dehors de ses relations amoureuses et sexuelles, de sa crise identitaire aussi brève que passagère et de sa bataille perdue d'avance pour trouver sa propre voie professionnelle, tout a été trop facile, si commode.

Liam se trouve être un vrai gentil et tout apparait simple et sans effort pour lui, du moment qu'il suit les jalons du tracé de son existence.

Il n'a nullement le caractère d'un challenger et les seules luttes qu'il a eu envie de mener se sont essoufflées, soit faute d'adversité soit par son bon sens des responsabilités.

La voix de Yann le sort de ses réflexions.

- On se croirait dans une maison témoin ! Tu vis ici ? Pour de vrai haha ! ?

Une nouvelle raillerie, elle ne l'étone pas, d'ailleurs Liam partage cette vision. Ce mec est moqueur, Liam a été prévenu de ce trait de caractère par son ex. Le rire limpide de Yann est aussi dérangeant qu'agréable, et cette façon de "gafer" exprès aussi !

Liam craint un peu cela, pourtant il trouve ça grisant également. Rien n'est innocent dans les remarques que l'andro sort. Cet être va-t-il réussir à le forcer à reconnaître ses erreurs, à secouer sa passivité, à le mettre au pied du mur ? Il faudra plus que du courage au blondinet pour dévier de cette route toute tracée. Compter sur une tierce personne pour l'aider à trouver son propre chemin, n'est-ce pas déjà le début d'une nouvelle erreur, un signe de faiblesse, de paresse même surtout ?

De l'appartement, ils se trouvent à penne à l'entrée.

Liam secoue la tête pour éliminer les mauvais démons de ses pensées, dernièrement il réfléchit bien trop.

- Tout de suite à gauche en haut de cet escalier ce sera chez toi ! annonce-t-il à Yann joyeusement. Ça n'est qu'une chambre d'ami mais tu as une salle de bain, tu es libre de vivre ta vie comme tu l'entends.

Il l'y voit déjà et espère une réponse positive de sa part à présent.

Ils pénètrent plus avant, Yann paraît plus amusé que véritablement intéressé part la visite, quelque chose se trame ici, il le sent.

- Donc tu vois dès qu'on entre, on est dans le vif du sujet, ça c'est le salon/salle à manger/bureau/ home cinéma. J'espère partager cette pièce avec mon prochain colocataire, toi peut-être ?! lance-t-il à Yann sans se déparer de son large sourire franc.

Quand va-t-il recevoir sa réponse ?

- Personne, surtout dans le besoin, ne peut décemment refuser une telle offre ! est-il certain.

La pièce à vivre est immense, les baies vitrées donnent le vertige. Cet appartement est parfait, la vie de ce mec semble l'être également, Liam lui-même a l'air tellement exemplaire.

- Tout cela c'est du flan ! pense malgré tout Yann que certains détails ne trompent pas.

Il n'ose aucun commentaire sur le verre de whisky resté à demi remplis sur la table basse et rien non plus sur la plaquette de cachets suspects se trouvant non loin de celui-ci. Tout n'est pas si rose au pays du fils à papa. Les rendez-vous de psy collés sur le frigidaire, la sensation que cet endroit trop propre est à peine habité, cette solitude palpable. Yann ne perd rien de son observation. Il range les indices dans un coin de sa cervelle et même si c'est imperceptible, son regard sur le beau blond change.

 

 

 

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