Chapitre 6 ( colocation)

Notes de l’auteur : Reprise des parutions, merci de penser aux commentaires...
 
 

 

 

Liam continue sa visite guidée sans s'apercevoir que l'œil incisif de Yann ne loupe aucun des éléments présents, démontrant son mal être.

 

- À la gauche voici le couloir qui mène à la cuisine et à ma chambre

Yann observe un moment quelques instantanés encadrés et accrochés sur les murs du corridor.

- Ce sont des photos prises par toi ? l'interroge-t-il.

- Je les ai réalisées oui... À une époque je rêvais de devenir reporter, j'ai beaucoup travaillé la photo, c'était une véritable passion.

- Je note dans la voix un léger trémolo et la phrase est au passé. On aurait abandonné l'idée ?

- En effet, je n'ai pas eu suffisamment de cran pour ça ! Être juste journaliste aurait sans toute été une ambition plus abordable, j'aurais pu me contenter de me battre juste pour ça.

- Un obstacle trop dur à franchir sans doute ?

- Non, une grosse tête de mule...

- ?

- J'étais buté, c'était reporter ou rien du tout ! Être un simple scribouillard de journaliste ne m'intéressait pas. Quand on est jeune on souhaite le meilleur et on s'essouffle dès la première colline montée, dès lors que l'on s'est promis le sommet de l'Himalaya. Tout ça, au lieu de se contenter des basses montagnes. On est si déçu que l'on préfère abandonner et redescendre pour choisir un sentier balisé.

- Ma chère c'est joliment dit ! C'est dommage que tu parles comme si tu avais cinquante ans ! La vie change chaque jour ! Et de journaliste tu as dévié vers quoi ?

Cinquante ans, c'est si vrai, Liam se trouve vieux. Ces réflexions lancées en l'air par ce troublion, l'ébranle.

- Je suis architecte d'intérieur.

- Ha ouai, c'est quand même assez loin. Et cette vocation-ci à été découverte comment ?

Liam rougi un peu de honte avant de répondre. Pourquoi se trouve-t-il si couard ?

- Mon père est architecte. Il avait envie d'ouvrir une nouvelle perspective à son entreprise, alors j'ai étudié l'architecture... d'intérieur.

- Je vois.

Yann le fixe sous le nez, Liam est mal à l'aise.

- J'aime mon travail, se défend-t-il. Je ne suis pas à plaindre, tout petit je rêvais de travailler avec mon père, de construire de belles maisons. Et puis je joue un peu le journaliste aussi pendant mon temps libre, j'anime une émission de radio.

- Tu n'as pas besoin de me convaincre, c'est ta vie.

- ...

- Et donc cette émission, c'est quel genre?

- C'est un peu spécial, je suis bénévole pour une asso.

Yann relève un sourcil, décidément ce type est la véritable caricature du parfait bon garçon. Il a presque pitié.

- Ne me dis pas que tu vas à l'église aussi ?

- Quoi ?

- Nan quand même pas.

Liam reste un instant interdit.

- Que veut-il sous-entendre ? Bon à ta gauche tout de suite, la cuisine ! change-t-il de sujet.

- Ha ! Ça c'est mon coin !

- Tu cuisines ?

- C'est mon job !

L'orgueil de Yann illumine tout son être.

- Je pensais que tu étais serveur.

- Aussi, oui. Tu sais chéri, je suis multifonction ! ajoute-t-il avec un clin d'œil.

Liam voit très bien ce bel andro portant l'habit de serveur, la chemise noir, le pantalon à pinces et en caricaturant un peu, il réussit même l'imaginer la serviette sur son bras. Mais permettre à son cerveau de décrire cet individu si gracile, habillé en cantinier, ça non. Ça ne colle pas à son image.

À cause de quels préjugés, Liam campe-t-il cette idée de cafétéria bon marché ou de restaurant d'entreprise, nul ne le sait, pas même lui. Mais il n'imagine pas un instant que Yann puisse tout simplement travailler dans un endroit prestigieux, ce fut pourtant le cas plusieurs fois.

La cuisine de cet appartement correspond au reste du lieu, participant au cliché. Parfait mirage de la réussite aisée, impeccable, sortant presque tout droit d'un magasine d'aménagements pratiques et décoratifs, une installation d'une modernité rutilante dont personne ne se sert.

- Tu cuisines de temps en temps ? questionne Yann se doutant déjà de la réponse.

- Jamais malheureusement.

- Pourquoi en avoir une si belle et si grande dans ce cas ?

- Cuisiner à deux ce serait peut-être sympathique ! se contente-t-il de dire.

- Je n'aime pas partager la cuisine ! affirme je jeune chef, en observant, rêveur, la magnifique double gazinière Sauter. Si tu restes sage je te laisserais me seconder ! ajoute-t-il percevant du regret sur la moue du blond.

- Est-ce un oui ?

Ils ont fait le tour du propriétaire, la chambre qu'il doit occuper est aussi grande que celle qu'il partage au foyer, à la différence qu'il y logera seul. Ici, la propreté n'a rien à envier à l'ameublement, deux choses qui se trouvent incomparable à la situation vécu depuis un an et demi à Clignancourt.

- Alors ça te plaît ? Tu es tenté ?

Yann glousse, les pupilles brillantes, il regarde son interlocuteur par en-dessous.

- J'en ai l'eau à la bouche ! raille-t-il enfin.

- Je vais te changer de ton colocataire non ? l'interroge Liam qui jubile. C'est donc un oui !

- Me changer de Laurent ? Ma chère j'espère bien, de toutes façons, impossible que tu lui ressembles ! Ce type est dingue.

- C'est à ce point là ?

Yann montre une mine dédaigneuse.

- Il est capable de passer trois heures à plier une centaine de sacs plastiques en huit, il rince ses pots de yaourt, ses boîtes de conserves et de crèmes dessert avant de les jeter à la poubelle, et on ne parle pas de ceux en verre hein !

- Haha ! Il participe activement au trie des déchets !

- Ouais, il ferait mieux de faire le ménage dans son côté de chambre. Il me fout les j'tons ce type. Avant d'aller se coucher, il s'enroule poignets et chevilles avec des bandelettes, il dort avec un bonnet de laine, des chaussettes et un protège dents. J'ai la chance qu'il ne soit pas somnambule. J'aurais pût être réveillé par la momie !

- Vivre avec quelqu'un, ça n'est pas très facile, il faut faire des concessions.

- Chéri ce mec est juste fou ! J'ai rien contre le fait qu'il note son nom sur sa bouffe ou qu'il range son fric dans une boite de camembert. Ce qui me gène c'est de voir que de son côté, le papier peint du mur disparait sous les postits qu'il a collés, formant une sorte d'arborescence dont je ne comprends pas le but, qu'il a décoré la porte d'entrée avec des tickets de métro et qu'il punaise ses bleus de travail au plafond !

- J'avoue qu'il a l'air assez... original.

- Tu parles. Quand je lui dis "Salut", il me répond : "Ouais ". On se parle pas de la journée mais quand il s'en va, il se croit obligé de dire : "Je sors". Qu'est-ce que j'en ai à foutre moi ? Et imagine que cet abruti dort la fenêtre ouverte même en plein mois de décembre, je sais pas comment j'ai évité de tomber malade. Ha ça, ouais, des concessions j'en ai faites !

Les explications de Yann et sa façon de raconter sont colorés, pour Liam la réalité de l'histoire ne s'avère pas aussi importante que la musique de ses mots et sa mise en scène calculée. Yann a le dont de raconter avec humour et exagération du geste, le plus simple événement de sa vie, Liam est en train de le découvrir.

Quelque part, tout deux, ont cela de commun de cacher à leur manière par une image superposée à la réalité, la cruauté frappante de leurs deux solitudes respectives.

*

- Ça y'est tu t'casses?

Yann sursaute, il est rare que son colocataire engage la conversation, il est surpris lorsque cela arrive.

Depuis qu'il est à Paris Laurent en a vu des colocataires changer et cela, dans les différentes chambres, les étudiants et les saisonniers qui ne restent ici que quelques mois voir quelques semaines.

Lui, était là avant que Yann n'arrive et depuis déjà un bon moment.

Le réunionnais ne connait rien de lui, plusieurs fois il a bien tenté de discuter mais l'autre répond rarement. Et à dire vrai comme il l'a avoué un peu plus tôt à Liam, ce gars là lui fiche la frousse, un côté étrange et dérangeant se dégage de sa personne. Pourtant sa présence n'a jamais été envahissante, vivre avec Laurent c'est presque pareille qu'être seul. Ils auraient pu être séparé par un mur que ça n'aurait pas été différent.

Il y a une sorte de mur virtuel entre eux et cette cloison abstraite semble séparer également la raison de la folie. A l'observer au début, Yann en a déduis que le garçon est certainement atteint d'un problème mental, quelque chose qui cloche, sans vraiment réaliser quoi exactement, une sorte de fêlure comme dirait Zola. Il n'y a pas de fantaisie dans la vie de Laurent, pas tel que pourrait le suggéré Liam en employant pour le décrire le mot : "original". Non, pour être objectif, l'adjectif correspondant le mieux serait sans doute "malsain". Ce type lui fait parfois froid dans le dos, sans vraiment en connaître les raisons.

Poli, Yann répond cependant à sa question.

- Faut croire, oui.

Il ne se sent pas de tenir une conversation surréaliste maintenant et il espère ardemment que l'autre laisse courir comme à son habitude.

En soupirant, Laurent l'observe, Yann sent son regard par-dessus dans son épaule, alors qu'il finit de remplir son carton de CD.

- Je vais te manquer ? se surprend Yann à l'interroger.

Le basque se contente d'hausser les épaules en détournant le regard. Quelques minutes plus tard pourtant, la discussion reprend.

- Je sais qu't'es PD hein ! lance le gars d'une voix tonitruante.

Yann se retourne pour le voir assis sur son lit à le regarder, il relève un sourcil anxieux.

Le gaillard n'a pas dit ça d'un ton agressif, ni de reproche, juste un peu fort. En réalité c'est plutôt atone, un genre de bête constatation sans émotion.

- Et ? lui demande Yann.

- Bha rien. Je l'sais c'est tout.

- Il cherche à me dire quoi là ? Et bien écoute c'est super, t'as l'œil haha ! balance le réunionnais d'un ton moqueur qui se veux sûr de lui.

L'autre ne déride pas. Il reste là, assis sans bouger. Quelques dix minutes plus tard quand Yann va se laver les mains dans la salle de bain, il le devine pourtant sur ses talons. Lorsqu'il se retourne, la proximité inattendue de l'autre le fait reculer. Il en résulte un choc dans le lavabo.

- Aïlle ! Qu'est-ce que tu cherches ?

- J'ai une copine, j'suis pas comme toi, j'suis pas PD.

Son comportement commence à inquiéter Yann, l'autre n'a jamais eu l'air très net mais il ne lui a jusqu'ici pas paru à ce point menaçant. Il a beau savoir se défendre, ce Laurent est une véritable armoire à glace.

C'est absurde, il se passe quoi ? Au bout de presque deux ans, l'autre se rend compte qu'il a envie de... de quoi ? De lui sauter dessus, de lui foutre une pâtée ou quoi donc ?

- Ecoute chacun trouve midi à sa porte mon chou, qu'est-ce que tu as ?

Là étonnement, le gars lui tend brusquement, un paquet. L'emballage confectionné dans du papier kraft a l'air d'avoir été baladé un peu partout, quelque peu déchiré, taché, Yann a même l'impression de l'avoir déjà vu trainer ici de temps en temps.

- C'est quoi ?

- Vu que tu t'en vas, j'ai pus le choix ! Va bien falloir que je te file ça maintenant.

Yann découvre à l'intérieur de ce colis médiocrement enveloppé, une magnifique casquette style gavroche, du genre qu'il adore. L'article, en panne de velours noir sapin paraît de bonne facture. Il ne comprend pas.

- Heu... Merci mais...

- J'ai eu huit colocs avant toi, ils sont tous parti rapidement, parfois moins de deux semaines après leurs arrivées et tous parce qu'ils n'aimaient pas partager cette chambre avec moi. Je le sais parce que certain on juste changé de chambre. Je suis pas con hein !

- Où veut-il en venir ?

- T'es pas à l'aise avec moi, observe-t-il en haussant les épaules. Mais t'es resté quand même. Des fois on a parlé.

Le dialogue lui est visiblement difficile, des perles de sueurs apparaissent sur ses tempes.

- Je... J'avais su pour ton anniversaire. Le premier que t'as passé ici, j'avais fait ça, déclare-t-il en montrant le tout nouveau couvre-chef.

- C'est toi qui as cousu cette casquette, pour moi ? Attend le premier anniv' que j'ai passé ici c'était y'a...

- Quelques mois après ton arrivée, le coupe-t-il. Ouais y'en a eu un autre depuis... Je sais compter ! ajoute-t-il en haussant le ton.

Yann ne réalise pas bien ce qu'il se déroule sous ses yeux.

- Tu crois que je sais pas compter ?

- J'ai pas dit ça. Merci je...

- J'lai pas donné, confie l'autre, gêné. J'vous ai vu avec ton mec, à vous bécoter. J'm'en fous moi, faudrait juste pas que tu penses que j'en suis.

Il hausse une fois de plus des épaules, preuve sans doute de son malaise.

- C'est qu'une casquette, par c'que j'bosse pour le fourreur et que je fais des casquettes moi. Tu vois?

- Je vois.

- Y'avait rien de zarbi ok ? Normalement elles sont en cuire, t'en met pas, alors j'ai tenté avec ça. C'était juste pour ton anniversaire quoi.

Il se rassoit sur son lit, regarde ses pieds et souffle, il a enfin sorti ce qu'il avait à dire, il se détend.

- T'as eu peur que je te saute dessus ? lui demande l'androgyne.

- Ouais, répond-il avec sourire maladroit, sans relever la tête.

- Ha haha ! Mais qu'il est bête ! T'es pas vraiment mon genre si tu veux le savoir !

- Après j'ai attendu Noël, sauf que t'était pas là pendant les fêtes, j'avais posé le paquet sur ton bureau, qu'en t'es revenu t'as rien vu et finalement tu l'as viré avec d'autres affaires que j'avais laissé trainer, j'ai retrouvé le tout un soir sur mon lit.

- Y'a rien d'écrit dessus comment je pouvais deviner ? Je me disais bien que j'avais déjà vu ce paquet quelque part.

- Tu voulais quoi ? Que j'écrive : "à mon petit coloc adoré" ? C'est bon, fallait pas des fleurs aussi pendant t'y est ? PFff !

Ce qui est certain, c'est que ce gars là, manque franchement de diplomatie.

Yann enfile la casquette en silence.

- Elle me va bien.

- Evidement ! Qu'est-ce tu crois ?

- Hé ! Chéri tu m'offres un cadeau, tu pourrais être plus sympa haha !

- Pis quoi encore ? Suis un mec moi, pas une tapette !

- quel tact !

- Quoi ?

- Rien, c'est pas grave, merci. Elle est bien à ma taille en plus !

- Tu me prends pour une brème ? J'avais mesuré ta taille dans un autre de tes trucs. Après j'ai voulu te le donner à l'anniversaire suivant, mais t'arrêtais pas de chialer, je m'suis dit que t'allais vouloir que j'te câline.

Au dernier mot, il frisonne d'un dégout incontrôlé qui le traverse.

- Tu sais que dans ton genre t'es vraiment unique hein ! Je risque pas de t'oublier ! pouffe Yann.

- Tu parts pas à cause de moi hein ? lui demande l'autre avec sérieux.

Yann lui tend alors la main.

- Merci mec ! Elle me plaît bien ta casquette et si j'avais dû partir à cause de toi, j'aurais foutu le camp le jour ou je t'ai surpris à laisser fondre ensemble tout les restes de vieux savons.

- Pourquoi ça ?

- Parce que t'es trop louche comme gars !

- Vaut mieux faire fondre du savon que de sucer des queues !

Le mec est finalement aussi atterrant que naïf. Son étroitesse d'esprit équivaut sans doute son peu d'éducation et de sociabilité, charmant personnage.

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