chap 0: chut (parti 2)

Les mots explosèrent dans ma gorge, un cri déchirant, presque un hurlement. C’était comme si la réalité elle-même venait de se fissurer autour de moi. J’étais paralysée, mon regard fixé sur ce qui dépassait de mon dos. Elles étaient là, petites et fragiles, des plumes d’un brun rougeâtre, prises dans du duvet gris, se détachant nettement contre le blanc du bandage qui recouvrait ma peau. Elles ne mesuraient pas plus de 20 cm, semblables aux ailes d’un oisillon, et je les sentais grandir à une vitesse inquiétante. Je posais ma main sur mon front, mon esprit noyé sous l'impact de ce que je venais de voir, mais une autre sensation s'installa, presque imperceptible au départ : l'ombre aux crocs acérés qui s'avançait vers moi, une présence que je n'avais pas remarquée.

  • Morgan ?
  • Stan ?!!

 

Me retournant, je tombais nez à museau avec cet être qui me semblait aussi improbable que mes ailes. Ses cheveux bruns avaient pris une teinte de feu, et son visage, encore affiné, s’était transformé en un long museau aux courbes suaves. Je reconnaissais Stan, mais ce n’était plus vraiment lui. Sous le choc, je ne fis que bafouiller, les mots bloqués dans ma gorge comme un écho incertain de la réalité qui m’échappait.

  • Je sais, mais je suis là pour toi, on reste ensemble, je te l’ai promis.

Je ne savais quoi dire, tout était brouillé dans mon esprit. Comment ? Pourquoi ?

Je fermais les yeux et le laissais me prendre dans ses bras devenus plus doux, recouverts de fourrure. Sa voix était mon seul repère, je m’y accrochais comme une huître à son rocher. Mais le médecin me tira de là par son ton insistant, et malgré que je ne comprenne pas sa langue, je compris qu’il voulait que je fasse quelque chose.

Je ne l’avais pas remarqué avant, mais un plateau était disposé près de mon lit, avec un liquide fumant dans une tasse. C’était un petit déjeuner ? Avec omelette et jus d’orange… Du moins, c’est ce que j’imaginais jusqu’à la première gorgée de ce qui m’avait semblé être du café.

  • Je sais, ce n’est pas bon, mais je te promets que ça fait pareil que le café.
  • Pougaou… Bon…

Le médecin avait-il essayé de nous parler ? Aujourd'hui encore, j'en doute. Ses paroles semblaient se perdre dans le brouillard de mon esprit, et pourtant, son regard insistant et son geste vers la tasse me restaient gravés. Il avait dû essayer de me rassurer, mais je n'avais pas vraiment saisi la langue qu'il parlait. Tout ce que je savais, c’est que j’étais là, entourée de mystère, de confusion… et de cette étrange boisson. Je me forçais à en boire, malgré son goût infecte, un mélange amer et métallique qui me brûlait la gorge. Et pourtant… une fois la gorgée avalée, une chaleur intense se diffusa dans mon corps, me redonnant un peu de force. Un sacré coup de fouet, comme si ce breuvage était la seule chose qui pouvait me remettre sur pieds après tout ce que j'avais traversé.

Je ne savais vraiment pas où nous étions, ce lieu flou, ni qui était ce médecin étrange, mais une pensée persistait dans un coin de ma tête : cette situation aurait pu être bien pire. Bien pire… Mais pour l'instant, ce n'était pas le moment de m'attarder sur ces questions. Il fallait que je reste concentrée, que je garde en tête qu'il y avait encore de l'espoir, même dans cette confusion totale.

- Et maintenant ?

- Tu manges le reste du déjeuner.

- Non, t’as pas compris.

- Comment ça ?

- Bah… il va se passer quoi ? On était censé mourir bien 12 fois depuis hier, si tant est que ce soit réellement hier. En plus de ça, on se retrouve avec des… trucs. Je ne sais même pas comment appeler ça. Mutation ? Maladie ? Dans tous les cas, c’était… intense, ces derniers temps.

- Ha… ouais, je vois ce que tu veux dire, mais je n’en sais pas plus que toi. Il parle à peine trois mots de français, c’est dur de poser des questions dans ces conditions. Et je pense que nous devrions déjà apprivoiser nos nouveaux corps. Je ne crois pas que je pourrais me débarrasser de cette fourrure, ni toi de tes ailes.

Je ne pus m’empêcher de remarquer encore une fois à quel point son apparence était étrange, presque dérangeante. Sa peau, jadis pâle, avait pris une teinte brunâtre par endroits, comme si de gigantesques taches de rousseur s’étaient propagées sur son corps. Ces zones contrastaient avec d’autres parties, où soit sa peau restait intacte, semblable à ce qu’elle était auparavant, presque humaine, soit elle était envahie par une fourrure dense et longue, d’un brun-roux brillant. Parsemée de mèches plus claires, cette fourrure capturait la lumière d’une façon presque surnaturelle.

Les contours de son visage avaient également changé. Ses joues et son menton, autrefois anguleux, semblaient avoir fondu dans des courbes douces, presque animales. Et son nez… ou plutôt ce qu’il en restait… s’était allongé en un museau à demi-formé, lui donnant une allure inachevée, comme si la nature hésitait encore à le transformer complètement.

Mais ce qui attira vraiment mon attention, c’étaient ses mains. Celles qui m’avaient tant de fois caressé les joues ne me paraissaient même plus humaines : des griffes fines, presque élégantes, émergeaient au bout de ses doigts. Je détournai le regard rapidement, ne sachant pas quoi dire.

- Tu devrais manger…

- Ouais, je sais. Je n’ai pas la tête à ça.

- T’en fais pas, Morgan. On va s’en sortir. On s’est toujours adaptés.

Je ne pouvais pas lui dire, mais j’y pensais très fort… Avant, on s’adaptait à mon passé. Maintenant, nous devions nous adapter à l’avenir.

C’est là qu’elle entra. Une femme à l’apparence impeccable, presque trop parfaite pour être réelle, mais avec un je-ne-sais-quoi de profondément malsaine qui rendait sa simple présence suffocante. Ses longs cheveux, flamboyants comme un feu indompté, dansaient autour de son visage fin et anguleux à chacun de ses pas. Sa silhouette fine et élancée semblait glisser dans la pièce, mais chaque mouvement était empreint d’une autorité écrasante.

Sans même prêter attention à nous, elle s’avança vers le médecin, engageant un monologue dans la même langue étrange que le médecin. Chaque mot qu’elle prononçait était coupant, comme s’il était destiné à trancher la volonté de celui qui l’écoutait. Le médecin, pourtant impassible jusque-là, semblait s’effondrer sous le poids de ses paroles.

Puis, sans prévenir, elle leva la main et le gifla avec une violence qui ne semblait pas correspondre à sa délicatesse apparente. Le coup le projeta à terre dans un bruit sourd, et le silence qui suivit fut presque plus terrifiant que l’acte lui-même.

Elle prit un moment, inspirant profondément comme pour apaiser une colère qui brûlait encore sous la surface. Puis, elle se tourna vers nous, ses yeux pâles, presque luminescents, nous transperçant comme des lames.

— Considérez-vous chanceux, car vous allez avoir l'honneur de devenir mes serviteurs dévoués.

Son sourire, fin et cruel, se dessina lentement sur ses lèvres, tandis qu’elle nous observait, savourant notre impuissance. Ses doigts ornés de bagues dorées se refermèrent sur le bras d’un des gardes à ses côtés, rappelant à tous qu’elle avait un contrôle absolu.

Je n’avais pas vraiment eu le temps de comprendre ce qu’elle entendait par là qu’elle s’était retournée pour demander quelque chose au garde posté devant la porte. Je me débattais dans la poigne du lion – et ce n’est même pas une image, ce type avait littéralement une crinière et une queue de lion. Il me propulsa sans ménagement dans la pièce d’où venait cette femme, qui se révéla être un ascenseur.

 

Elle monta avec nous, se positionnant au centre comme si l’univers entier gravitait autour de sa personne. Je ne pouvais voir qu’elle : son ego surdimensionné semblait suffire à occuper tout l’espace, à étouffer l’air dans mes poumons. Chaque mouvement qu’elle faisait – qu’il s’agisse de replacer une mèche de ses cheveux incandescents ou de lisser un pli imaginaire sur sa robe – était exécuté avec une arrogance qui suintait de chaque pore de sa peau.

 

Son parfum, écœurant, saturait l’air, un mélange oppressant de fleurs trop sucrées et d’épices lourdes qui laissait un arrière-goût désagréable dans la gorge. Sa posture était si exagérément droite qu’elle semblait vouloir rappeler au monde qu’elle se considérait au-dessus de tout, et son sourire, toujours planté sur ses lèvres parfaitement dessinées, transpirait une condescendance insupportable. Ce n’était pas un sourire bienveillant, mais un rictus d’autosatisfaction, comme si elle savourait à l’avance tout le mépris qu’elle allait déverser sur nous.

 

Elle daigna enfin nous regarder – ou plutôt me regarder – et ce simple regard me fit l’effet d’une douche froide. Pas parce qu’il était impressionnant, mais parce qu’il suintait une fausse pitié qui ne faisait qu’alimenter mon dégoût. Ses yeux, pourtant presque translucides et étrangement captivants, me donnaient l’impression d’être passé au crible par un prédateur qui décidait si ma valeur justifiait de perdre une seconde de plus à m’humilier.

 

Puis, comme si elle avait décidé que j’étais un sujet si inférieur qu’il ne valait pas la peine de s’en préoccuper davantage, elle se détourna, s’adressant au lion avec une désinvolture qui insinuait que nous n’étions, Stan et moi, que des objets à déplacer d’un endroit à un autre. Ses ordres claquaient comme des coups de fouet, et je ne savais pas si j’étais plus irrité par son ton ou par la docilité avec laquelle sa "bête de compagnie" s’exécutait.

Stan et moi, nous observions la scène, figés, tandis qu'elle s'exécutait dans une parfaite maîtrise de la situation. Puis, elle se tourna vers Stan, un sourire cruel étirant ses lèvres.

 

— Je me ferai un plaisir de me servir de vous, surtout de toi, petit fluxmare.

 

Elle s'approcha de lui avec une lenteur délibérée, puis saisit son museau dans sa main, d’une poigne ferme, presque dédaigneuse. Il était suspendu à cette prise, comme une proie captive, et son regard, celui d’un animal aux abois, se perdait dans l’impuissance. Le mépris qu'elle affichait n’avait d’égal que l’intensité de son pouvoir. Elle le tenait dans sa main comme un jouet, et il était évident que rien ne pouvait l'atteindre, rien ne pouvait le sauver de sa domination.

— Comment se fait-il que vous parliez notre langue, alors que les autres en sont incapables ?

 

La question s’était échappée sans que je ne la réfléchisse, portée par une curiosité brute. Même moi, je fus étonnée par le calme presque désinvolte de ma voix, comme si, pour un instant, la peur avait cédé sa place à une étrange lucidité.

— Je tiens à honorer l’usage des langues antiques que vous autres vermisseaux osez encore appeler vôtres.

 

— Pourquoi parlez-vous d’une langue antique… Le français est tout à fait moderne, même si votre manière de l’employer semble venue d’une époque révolue.

 

— Imbécile. Voilà bien trois millénaires que cette langue est considérée comme morte, tout comme tu le seras dans quelques minutes si tu ne surveilles pas tes paroles.

 

— Je cherche simplement à comprendre où je suis

Le garde nous jeta sans ménagement dans une cellule identique à celle où je m’étais réveillée plus tôt. La jeune femme, quant à elle, entra à notre suite, comme si la scène n’avait rien d’inhabituel pour elle. Un rire long et cruel résonna dans l’espace exigu, brisant le silence pesant, avant qu’elle ne daigne enfin me répondre.

— Vous êtes désormais en mon domaine, au sein de l’Empire de Luron, mon Empire, sous le règne absolu de Marianna. Et très bientôt, vous aurez l’honneur de devenir mes esclaves

Sur ce, elle quitta la pièce sans daigner ajouter un mot, refermant la porte à double tour avec une froide détermination.

 

— Eh bien, pas commode, celle-là.

 

— Stan, si tu n’as pas compris, c’est une impératrice… Et nous ne sommes clairement plus dans notre époque. L’esclavage fait son grand retour, et nous allons être traités comme de vulgaires marchandises.

Et effectivement, après une semaine de convalescence à peine, Stan et moi fûmes brutalement arrachés à notre cellule, séparés du seul allié que nous avions ici : le brave médecin qui s’était occupé de nous. Les gardes, armés et sans pitié, nous traînèrent hors de la pièce, nous forçant à subir une douche glaciale au jet d’une lance à incendie. L’eau, violente et impitoyable, effaçait la dernière trace de dignité qui nous restait. Tremblants de froid, nous fûmes ensuite vêtus de guenille rugueuse, à peine suffisants pour couvrir nos corps.

Puis, sans cérémonie, nous fûmes enfermés dans une cage étroite, entassés avec d'autres prisonniers. Il ne fallut pas longtemps pour comprendre notre sort : nous allions être vendus telle des bouts de viande. Comme elle l’avait promis, Marianna était là, dominant la scène depuis une estrade, sa silhouette imposante et son sourire cruel accentuant le désespoir ambiant.

Je jetai un regard furtif aux acheteurs présents. Une assemblée hétéroclite de figures sinistres, majoritairement humaines, mais certaines dotées d’attributs animaux. Leurs yeux, brillants d’une lueur cupide, scrutaient chacun d’entre nous comme on évaluerait du bétail. Mais alors que je m’apprêtais à détailler davantage leurs visages, une personne particulière retint toute mon attention.

Elle n’était pas parmi les vautours. Non, elle se tenait à l’écart, presque immobile, son regard fixant un point invisible devant elle. Ses traits, bien que jeunes, étaient marqués par une gravité inhabituelle. Sa longue queue brune et ses petites oreilles arrondies évoquaient un souvenir lointain et doux, un fragment de mon enfance. Pourtant, son attitude n’avait rien de tendre. Elle n’attendait pas son tour avec crainte ou résignation, mais avec une patience presque calculatrice, comme si elle savait que son destin ne serait pas scellé ici.

Alors que je rassemblais le courage nécessaire pour l’interpeller, un grondement sourd fit trembler le sol sous nos pieds. Un silence lourd s’abattit, interrompu par des murmures d’inquiétude parmi les acheteurs. Soudain, une explosion retentit, projetant un nuage de cendres et de débris dans toute la salle. La fumée noire s’échappa du mur brisé, créant un chaos total.

Les cris de panique des acheteurs résonnèrent tandis qu’ils tentaient de fuir. Mais la fumée se dissipa rapidement, révélant une silhouette émerger des décombres. Un jeune homme. Il avançait lentement, son pas déterminé contrastant avec le tumulte qu’il venait de provoquer. Sa queue de loup sombre, que j’avais d’abord crue noircie par l’explosion, se balançait derrière lui. Non, ce n’était pas la suie : c’était sa couleur naturelle.

Il ouvrit notre cage à la seule force de ses mains, dont le pelage tacheté trahissait une vigueur animale. Sans effort apparent, les barreaux plièrent sous sa poigne, et son long museau, marqué par des nuances de gris, se rétracta progressivement. En un instant, le loup laissa place à un jeune homme au visage fin, mais aux muscles tendus, prêts à agir. La transformation fut si rapide que je peinai à la suivre, distraite par la fumée et les cris des acheteurs paniqués, qui fuyaient désormais dans un désordre total.

Au milieu de ce chaos, la jeune femme aux oreilles de singe fit un pas en avant, résolue et sans crainte. Était-ce cette libération qu’elle attendait avec tant de calme ? Elle s’approcha du jeune homme, son regard fixe et assuré. Quelques mots s’échangèrent entre eux dans cette langue étrange, que je réalisai enfin être un mélange subtil de grec ancien et de latin. Une fois son message délivré, elle tourna les talons et disparut dans l’encadrure béante du mur, comme si tout ceci n’était qu’un simple détail de son plan.

Je fis un pas hésitant vers lui, mes yeux accrochés aux siens, qui luisaient d’un éclat d’ambre dans l’obscurité. Il parut d’abord incertain, ses traits se durcissant sous le poids d’une décision à prendre. Puis, comme rappelé à l’ordre par une mission gravée dans son esprit, il se redressa et prononça quelques mots, son français rudimentaire trahissant son manque d’habitude :

- Me suivre, vivre, partir, maintenant.

Je fus la première de notre petit groupe à m'élancer vers la brèche, Stan sur mes talons. Une fois dehors, le loup prit les devants, vérifiant que chacun de nous avait bien quitté la cellule. Sans un mot, il nous guida à travers un enchevêtrement de couloirs sombres, ouverts par des brèches qu'il avait manifestement créées. Il ne s’arrêta que lorsqu’il atteignit le mur d’enceinte, qu’il traversa à nouveau d’un coup puissant, nous dévoilant l’extérieur.

C’est là que je compris l’ampleur de notre situation. Nous étions bien au-dessus des nuages, qui flottaient comme un tapis de coton sous un ciel d’un bleu éclatant. Mais au-delà de cette vue idyllique se trouvait le sol, vertigineusement éloigné, à plusieurs centaines de mètres en contrebas.

Le loup, toujours aussi stoïque, me tendit une ceinture usée, pointant une corde tendue qui descendait en pente raide, fixée au mur. Une tyrolienne de fortune.

  • T’es malade !! m’écriai-je, mon regard oscillant entre lui et la corde qui se balançait doucement au gré du vent.

Il ne répondit rien, mais me fit un signe de la main, me sommant de m’élancer, sûr de son installation. J’observais alors d'autres "libérateurs" arriver, emmenant avec eux leurs prisonniers. Ils tentaient de convaincre les captifs de les suivre, pointant la corde tendue comme seule issue. L’un d’eux, visiblement plus audacieux, sauta en premier, faisant une démonstration du chemin sécurisé. Il atterrit avec agilité de l’autre côté, sans le moindre signe de peur.

De plus en plus de bruits de pas résonnaient dans les couloirs derrière nous, et j’entendis bientôt les premiers échanges de tirs. Les détonations étaient encore lointaines, mais la tension montait. Je pouvais sentir la peur envahir mes compagnons, leurs visages pâles se marquant de l’angoisse, la confusion se lisant dans leurs yeux. Leurs regards cherchaient désespérément une issue, un moyen de fuir ce chaos grandissant.

  • Vas-y en première, ils te suivront. On était ensemble dans cette cage. Je vais rester pour m’assurer que tout le monde descende.
  • Non… je ne partirai pas sans toi Stan…
  • Je ne t’ai pas laissé tomber dans notre ancienne vie, je n’abandonnerai pas ces gens. Le seul moyen que tu as de m’aider, c’est de sauter… je te rejoins en bas de la corde.

Sur quoi, il m’embrassa difficilement, un baiser rapide, comme s'il avait voulu le graver dans ma mémoire avant de partir vers le nouveau groupe qui arrivait. Ses mains s’éloignèrent de moi, me laissant seule face à ce défi. Je fixais la ceinture, toujours fermement tenue dans la main du loup qui, lui, tentait, en vain, de convaincre quelqu’un d’autre de faire le saut. Une fraction de seconde, je me sentis paralysée par la peur, puis je la saisis brusquement, presque sans réfléchir. La violence de mon geste me fit craindre de lui avoir faire mal, mais lorsque ses yeux se plongèrent dans les miens, je perçus plus de surprise que de douleur. Il n’eut pas le temps de réagir.

Prenant une grande inspiration, je pris mon courage à deux mains. Je me lançai dans le vide, fermant les yeux un instant avant de sauter. Ce fut un élan de courage, mais il s’accompagna d’une peur sourde qui me rongeait de l’intérieur. La vitesse de la descente m’écrasa comme un poids contre le vent, et mes mains glissèrent, perdues dans la corde. Je me raccrochai de toutes mes forces, comme si chaque fibre de mon corps s'était tendue pour ne pas céder à la panique. L'adrénaline m'envahit, mais l’incertitude de l’instant me fit m’accrocher encore plus fort. Les secondes me parurent une éternité.

Finalement, mes pieds touchèrent un sol dur. J’ouvris les yeux, le souffle court, et lâchai les derniers centimètres de ceinture qui me restaient en main, les laissant flotter dans l'air comme un souvenir que je voulais effacer. C’est alors que la jeune femme à l’oreille de singe m’attrapa, me recevant dans ses bras avec une rapidité étonnante. Elle me coucha une couverture sur les épaules, mais je sentais encore les tremblements dans mes mains. Sans un mot, elle tenta de me tirer derrière un abri de fortune, mais je la stoppai d’un geste. Je ne pouvais bouger, figée par la situation qui se déroulait sous mes yeux. Mon regard se porta vers le haut du cordage. Là, je vis plusieurs personnes sauter à leur tour, dont le loup, mais Stan… Stan n’était pas parmi eux. Une première détonation retentit au loin, suivie d'une série de coups de feu en dehors du complexe. Le bruit m'électrisa, et une étrange sensation de vide se fit sentir dans ma poitrine. Où était-il ?

Je savais qu’il serait le dernier à sortir. Je le savais, profondément, d’instinct. C’était comme ça. C’est pour cela que je le vis s’accrocher à la corde, silencieux, déterminé, sans hésiter une seconde. Il n’y avait personne derrière lui… Et ce fut là que se posa le problème. Il était seul.

J’entendis le coup de feu, plus perçant, plus puissant, plus assourdissant que tous les autres. Une détonation si forte qu’elle m’arracha un tremblement. Puis je vis, horrifiée, Stan lâcher prise. Tout se passa en un éclair : il tomba, sans un cri, sans un geste pour tenter de se reprendre. Ses bras restèrent tendu un instant comme s’il voulait attraper quelque chose, mais il n’y eut rien. Il s’écrasa dans le vide, et je vis son corps disparaître derrière un mur, englouti dans l’obscurité.

Je ne pus que crier son nom, un cri déchirant qui se perdit dans le vacarme. Les larmes inondaient mon visage, se mêlant à la sueur, à la poussière. Je hurlai, pleurai, pleurai de toutes mes forces, comme si chaque fragment de douleur qui s’échappait de mon corps pouvait le ramener, le ramener auprès de moi. Mais il n’était plus là. Il était tombé.

Je voulus courir vers lui, me jeter dans le vide, faire quelque chose. Mais le loup, celui qui nous avait sauvés, m’attrapa dans ses bras, me tira en arrière, hors de portée des balles qui continuaient de pleuvoir sur nous. Il ne me laissa pas faire. J’avais beau enfoncé mes pieds dans le sol, me débattre pour…. Je ne savais même pas pourquoi au juste. Il me souleva, refermant la porte derrière nous. C’est là que tout m’écrasa. L’agonie. La certitude qu’il était trop tard.

Je m’effondrai contre la paroi, les larmes n’arrêtant pas de couler, me noyant dans ma douleur. Les bras tremblants, je m’accrochais à moi-même, à cette douleur cruelle et infinie qui m’étranglait le cœur. Stan était parti. Il ne reviendrait pas. Et il n’y avait plus rien à faire.

 

Rien.

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DSWritter
Posté le 31/01/2025
Dans le début du chapitre, les tirets de tes dialogues sont des points, je pense que c'est une erreur de mise en forme. Sinon le reste est très bien :)
DSWritter
Posté le 31/01/2025
Ah et il y a aussi des tirets de styles différents.
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