chap 1: désillusion ( parti 1)

Stan est mort.

 

Notre moyen de transport s'était éloigné depuis longtemps lorsque je jetai un regard désintéressé à l’extérieur. Le monde autour de moi n’était qu’un tableau morne et silencieux, un désert de désolation où tout semblait figé dans une immobilité glaciale. Le sol, couvert de cendres et de pierres éclatées, évoquait les cratères d’un astre oublié, mais cela ne m’éveillait aucune émotion. La vie avait déserté cet endroit, et mon esprit semblait suivre son exemple.

À l’horizon, un mur de nuages noirs imposait sa présence, immobile et écrasant. Des éclairs verdâtres, presque blancs, déchiraient sporadiquement cette masse sombre, illuminant brièvement les ruines d’un monde éteint. Le contraste entre leur éclat spectral et la teinte morne du ciel donnait à l’ensemble un aspect irréel, presque factice. Pourtant, même cette vision d’apocalypse me laissait froide.

Je ne voyais pas des vestiges ou des signes de fin, juste un décor. Tout cela pourrait bien s’effondrer, être englouti par ce mur de tempête : qu’importe ? Le poids de la perte était déjà trop grand. Rien de ce qui subsistait ici ne méritait mon attention.

- C’est parfait…. Cette nouvelle vie commence à merveille.

 

Le jeune loup me tendit doucement ce qui ressemblait à du pain. Ses yeux d’ambre, emplis d’une étrange bienveillance, me scrutaient avec insistance. Je détournai le regard, fixant à nouveau les vastes étendus grises qui s’étiraient devant nous. Le paysage désertique, marqué par des cratères béants, semblait avoir été vidé de toute vie. Chaque crevasse, chaque pierre semblait porter le poids d’un monde anéanti.

— Bon, donne force… Il te plaît…

Sa voix rauque, encore maladroite dans notre langue, me tira de ma contemplation.

— Laisse-moi… je n’ai pas faim…

Il insista, avançant le pain un peu plus près de moi.

— Manger…

Je soupirai, sentant une pointe d’agacement mêlée à une fatigue accablante.

— Je sais que tu ne comprends pas tous mes mots, mais s’il te plaît… Arrête. Je n’ai pas faim…

Il resta silencieux un moment, avant de murmurer, plus doucement cette fois :

— Il le faut…

Ses paroles résonnèrent dans l’air lourd, comme une vérité qu’il était impossible d’ignorer. Je relevai les yeux, croisant à nouveau son regard. Malgré son apparence sauvage, il dégageait une détermination calme, presque protectrice. Il semblait comprendre bien plus que ce qu’il pouvait exprimer.

Je lui pris le morceau de pain des mains, plus par lassitude que par réel appétit. Épuisée, tant moralement que physiquement, je le glissai sous la couverture, sans même y toucher, puis me calai contre la vitre. Mes paupières lourdes se fermèrent, emportant avec elles une lassitude infinie et une sombre envie d’en finir.

Le roulis régulier du véhicule, mêlé aux bruissements lointains des roues, finit par m’endormir. Ce ne fut que bien plus tard, en sentant l'arrêt brusque et les murmures alentours, que je rouvris les yeux. Nous étions arrivés à destination.

On nous fit descendre d’un étrange véhicule. Ce qui ressemblait à une vieille voiture avait été métamorphosé en un carrosse usé, aux roues crissant sur le sol inégal. Mais ce qui attira le plus mon attention, ce furent les chevaux. Leur forme humaine se dévoilait à mesure qu’ils ôtaient leurs harnachements, leurs corps émergeant avec une fluidité surnaturelle, comme s’ils glissaient d’une peau à une autre.

L’endroit où nous étions n’inspirait guère plus de confiance. Une ville bricolée de briques et de terre, où chaque bâtiment semblait tenir par miracle. Les rues poussiéreuses grouillaient de vie, mais pas de celle à laquelle j'étais habituée. Des créatures hybrides déambulaient partout : certaines, à l'apparence attachante, semblaient presque humaines, tandis que d'autres, grotesques, laissaient une traînée visqueuse ou dégageaient une odeur nauséabonde en passant. Un véritable théâtre de l’étrange, où beauté et horreur dansaient en harmonie.

 

— C’est un escargot ? Pourquoi ça m’étonne encore ?

Ma voix, chargée d’un cynisme lassé, n’obtint qu’un sourire en réponse.

— Parce que tu es encore sous le choc… Je dois te féliciter.

L’homme qui me parlait dégageait une aura de sagesse imposante. Il semblait plus vieux que moi, bien qu’il n’affichât aucune ride. Son apparence était fascinante, presque mythologique. Là où auraient dû se trouver des jambes humaines, deux corps de serpent s'entortillaient et ondulaient doucement, l'un d'un bleu électrique vibrant, l'autre d'un vert émeraude hypnotisant. Chaque mouvement de ses écailles captait la lumière d'une manière presque irréelle, les faisant luire comme des joyaux vivants.

Son visage, quant à lui, aurait pu appartenir à un sage antique comme Chiron, mais des détails venaient briser cette image classique. Des écailles rubis parsemaient ses tempes et ses joues avec une élégance discrète, leur éclat contrastant subtilement avec sa peau pâle, légèrement brunie par le travail sous un soleil implacable. Une barbe blanche soigneusement taillée encadrait son visage, assortie à ses cheveux d’un blanc neige, courts mais disciplinés.

Ce qui captait le plus mon attention, c’était ses yeux : d’un vert clair saisissant, presque luminescent, ils semblaient refléter l’éclat des écailles de sa jambe gauche, bien qu’usés par le poids des âges. Chaque regard qu’il posait sur moi portait une profondeur et une sagesse insondables, comme s’il pouvait lire en moi mieux que je ne le pouvais moi-même.

— Vous parlez français ? Et pourquoi me féliciter ?

L’homme esquissa un sourire, presque imperceptible, avant de répondre d’un ton posé.

— Je viens d’une époque où cette langue régnait encore, oui. Quant à mes félicitations, elles auront leur sens plus tard. Pour l’instant, tu as besoin de repos et d’un peu de nourriture.

Je serrai les poings, sentant ma gorge se nouer.

— Je n’ai pas faim… Ni sommeil, d’ailleurs.

Un silence s’installa, alourdi par la tension qui grondait en moi. Ses yeux, pourtant, restaient calmes, comme s’ils scrutaient au-delà de mes mots.

— Tu veux en parler ?

Sa question était douce, presque bienveillante, mais elle n’apaisa en rien le tumulte en moi.

— Non, je veux qu’on me réponde. Et on peut me répondre maintenant. Où est-ce qu’on est ? Pourquoi tu parles d’époque ? Pourquoi ces gens mélangent-ils grec et latin ? Explique-moi, maintenant !

Ma voix s’éleva plus que je ne l’avais voulu, tremblante sous l’effet de la panique que je m’efforçais de réprimer.Il resta immobile, son expression toujours aussi sereine, comme s’il portait le poids de mes questions sans en être affecté.

— Je sais que tu as besoin de comprendre, dit-il d’un ton égal, presque apaisant. Et tu le feras, en temps voulu. Mais pour l’instant…

— Arrête ! Je l’interrompis, ma voix brisée par la douleur. Épargne-moi tes leçons, Chiron, ou peu importe qui tu es. Mon copain vient de mourir, et je veux savoir pourquoi. Maintenant.

Un silence plus lourd s’abattit. Il ferma les yeux un bref instant, comme pour honorer ma douleur, avant de les rouvrir, toujours aussi calmes.

— Très bien, dit-il doucement. Suis-moi, ma jeune amie.

Son ton ne portait, ni reproche ni triomphe. Il ne montrait rien, mais je sentais qu’il savait déjà tout ce que je traversais.

 

Sur ces paroles soufflées comme un soupir, il s’enfonça entre les cahutes, se dirigeant vers l’une d’elles. Rien ne la distinguait des autres au premier abord, si ce n’était une enseigne de bois vieillie portant un Ω gravé avec soin.

L’intérieur était tout aussi austère : un amas de meubles disparates, disposés de manière chaotique mais formant malgré tout un cercle autour d’une esplanade de pierre brute. L’atmosphère y était lourde, presque cérémoniale, contrastant avec l’apparente simplicité des lieux.

— Le Sénat ?

— Oui… mais aussi la salle de classe et le théâtre.

— Je vois…

Je m’assis sur ce qui ressemblait à un bureau fait de bric et de broc, instable mais fonctionnel.

— Et donc ? Tu comptes me répondre maintenant ?

— Bien sûr. Mais d’abord, j’ai besoin de savoir : de quand viens-tu ?

— De quand ?

— Oui. Avant de tomber ici, quel est ton dernier souvenir précis ?

— Eh bien… ma ville a été bombardée. Rien ne laissait présager ça. Nous étions partis pour une simple cueillette de muguet, et nous avons fini par dormir dans un sous-sol. En pleine nuit, on a été réveillés par des lumières rouges, aveuglantes. En sortant… j’ai vu que les montagnes de mon enfance n’étaient plus qu’un cratère.

Son regard devint plus perçant, sans perdre cette douceur calme.

— Rien ne l’annonçait ? Pas de conflit ?

— Si, mais pas entre mon pays et un autre…

— D’accord. Dans ce cas, tu as manqué près de quatre mille ans d’histoire.

— Quoi ?!

Mon cri résonna dans la pièce, mais il ne cilla même pas.

— Laisse-moi t’expliquer. Ce que tu as vécu était la première salve de tirs, celle qui a déclenché une guerre monumentale, menaçant même de dépasser le cadre terrestre. Les moyens employés ont anéanti une grande partie de la planète, qui est maintenant inhabitable pour la majorité des espèces. Les pays ont été remodelés en empires, où l’élite est composée de ceux qui ne portent aucune mutation.

Il marqua une pause, laissant ces mots s’enfoncer dans mon esprit.

— Et les autres ? murmurais-je.

— Beaucoup s’opposent à cette idéologie. Ces empires détruisent la mixité génétique et précipitent le monde vers une extinction totale.

— Donc ce camp est… une sorte de résistance ? Ça ressemble à un mauvais crossover entre Hunger Games et Divergente, surtout avec ce paysage sinistre à l’extérieur des cités.

— Je sais. Mais c’est notre réalité.

Un silence tendu s’installa.

— Et les mutants ? Ils sont des esclaves dans les cités, c’est ça ?

— Ou des affranchis. Comme le médecin qui nous a informés de ta mise à l’enchère.

Je restai figée, mon esprit refusant de traiter cette information.

— Attends… Ma mise à l’enchère ? Pourquoi moi ? Une des vôtres était avec moi dans la cage. Ce serait plus logique, non ?

— Patricia ? Un léger sourire, presque imperceptible, passa sur ses lèvres. Elle se laisse capturer avant chaque mise aux enchères pour s’assurer que nous fouillons toutes les salles. Je lui ai dit d’innombrables fois que c’était de la folie, mais elle est comme son père : elle n’écoute jamais.

Je fixai le sol, essayant de rassembler mes pensées qui semblaient se dissoudre peu à peu dans la confusion. Les informations qu’il venait de me donner tournaient en boucle dans ma tête, mais il était calme, beaucoup trop calme. Chaque mot semblait une évidence pour lui, comme s'il était le seul à savoir ce qui se passait vraiment.

— Donc… vous êtes venus… pour moi ?

L’homme hocha la tête avec une lenteur délibérée, comme si cette question ne méritait même pas de véritable réponse.

— Désolé de dire ça comme ça, mais oui. Ton espèce est rare, tu es un recru parfait et peut-être même tu pourras nous faire gagner notre part du combat.

Je ne comprenais pas. Ce n'était pas possible. Pourquoi moi ? Je n’étais personne d’important. Je n’étais qu’une survivante d’un monde en ruines.

— En quoi je suis si spéciale ?

Il me regarda un instant, ses yeux verts clairs scrutant les miens, comme si j’étais un puzzle qu’il essayait de résoudre.

— On vous surnomme les descendants de Bellathéna.

Je le dévisageai, surprise par le nom. Mais quelque chose en moi se crispait. Cela ne semblait pas possible, pas réaliste.

— … Vous avez mélangé Bellone et Athéna ? Vous savez qu’elles ne s’entendaient pas ?

Un sourire, presque imperceptible, effleura ses lèvres. Il savait exactement de quoi il parlait.

— Ce sont des guerrières et des stratèges. Mais tu comprends ton importance, j’en suis sûr.

Je secouai la tête, l’angoisse montant en moi.

— Mais ce n’est pas moi !! Je ne suis pas une déesse, et encore moins l’une d’elles. Qu’est-ce qui vous fait croire que je serais à la hauteur ?

Il attendit un instant, presque comme s’il me laissait le temps d’accepter la réalité.

— Rien, mais Marianna aurait tout fait pour te transformer en arme. Ici, nous te laisserons le choix. Rien que ça, ça fera la différence dans notre combat.

Ses mots m’écrasaient. J’avais du mal à respirer. Tout ça était trop. Trop de révélations, trop de chocs.

— Je…

Je m’arrêtais là, incapable de formuler une réponse. Comment aurais-je pu ?

— Je sais que ça fait beaucoup à encaisser, si…

Je le regardai, mais ma question m’échappa avant que je puisse y réfléchir davantage.

— Et la langue ?

Il répondit, sans hésitation, avec la même sagesse calme.

— Elle est un mélange des origines de toutes les langues du monde. Il y a plus de grec et de latin étant donné qu’elles étaient les plus utilisés.

— D’accord.

Je murmurai cette réponse sans conviction, je quittai la pièce, ses supplications m'atteignant à peine. Stan était mort, je n'étais plus dans mon époque, je ne comprenais pas la langue, et je devenais une arme à cause d'une génétique maudite… C'était trop.

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DSWritter
Posté le 07/02/2025
J'ai vraiment aimé comment tu as dépeint l’émotion brute de Morgan, contrastant avec l’étrangeté de son entourage, ce qui renforce son isolement et son désarroi.
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