chap 3: katatium ( parti 2)

La première personne que je vis en sortant fut Maxime, s’approchant de moi avec un arc à la main. Le pelage de sa queue brillait d’un éclat spectral sous le soleil de midi, presque hypnotisant.

— Venagi ? Toi et moi ? demanda-t-il avec un ton décontracté.

— Tu me proposes d’aller chasser maintenant ?

Il hocha la tête avec enthousiasme, me montrant le contenu du sac qu’il portait en bandoulière. Des encas de fortune y étaient soigneusement rangés.

— Plus escas, ajouta-t-il avec un air sérieux.

Je haussai un sourcil.

— Sérieusement ? Il n’y a pas d’élevage dans ce camp ?

Maxime secoua la tête, visiblement frustré.

— Non… trop… heu… inron entource… Rah !

Son agacement à chercher ses mots me fit sourire. Il essayait vraiment, et je voyais bien que nous ne pouvions pas tous avoir l’esprit affûté comme Marra. Mais le voir s’énerver pour si peu avait quelque chose de touchant, presque attendrissant.

— J’ai compris. Ça demande trop de ressources que vous n’avez pas forcément, dis-je en tentant de le rassurer.

Il me répondit par un sourire radieux, aussi large que celui d’un enfant découvrant ses cadeaux de Noël. Sa queue fouettait l’air avec l’énergie d’un chien qu’on félicite, trahissant son enthousiasme. De toute évidence, le fait que je le comprenne le rendait heureux.

Attrapant l’arc qu’il tenait en main, je lui donnai un léger coup d’épaule, amusée par son énergie débordante.

— Il va falloir m’apprendre, alors. Je n’ai jamais tué avant.

Il passa devant moi, me guidant jusqu’à une petite porte dans les murailles du camp. Celle-ci s’ouvrit dans un grincement sinistre, les griselits postés de chaque côté se mettant au garde-à-vous à la vue de Maxime. Ce dernier leur adressa un signe de la main avant de se mettre à trottiner joyeusement, son air radieux contrastant avec la morosité ambiante de ce monde bâti sur la survie.

Au bout de deux cents mètres, je m’essoufflai, incapable de suivre son rythme. Maxime s’arrêta alors, m’observa un instant, puis me tendit son sac sans un mot. Intriguée, j’acceptai de le prendre, bien que son poids me fit immédiatement vaciller.

C’est alors qu’il commença à retirer ses vêtements.

— Woh, woh, woh ! Tu fais quoi là ?

Sous le choc, je me détournai précipitamment et me cachai les yeux d’une main, l’autre luttant pour ne pas laisser tomber le sac. Le poids combiné à la gravité semblait conspirer contre moi. Un silence gênant suivit, et je compris vite qu’il ne saisissait pas ma réaction.

— Ne te mets pas à poil devant moi, ça ne se fait pas, sérieux…

— … Nécessaire… Sofidios pas encore dit ? demanda-t-il avec son accent hésitant.

— Dit quoi ? Que les gens se baladent à poil ici comme si de rien n’était ? Non, il n’a pas mentionné ça ! On a parlé de… je sais pas moi, de katatium en cours, rien de ce genre !

Il fronça les sourcils, perplexe, puis répondit calmement :

— Je métamosition, pas tout nue… rien… gênant.

— Je te le fais pas dire…

Un doute m’effleura alors, et je lui lançai un regard furtif, toujours prudente.

— C’est quoi ça, "méta-je-sais-pas-quoi" ?

— Me-ta-mo-si-tio… Vous dire… trans-for…

— Transformation ?

— Oui.

Je me tournai complètement, dos à lui, rouge de gêne, et poussai un soupir résigné.

— Bon, bah… fais ce que t’as à faire. Si c’est comme ça ici…

En retour, j’entendis un soupir similaire, lourd de ce qui ressemblait à de l’embarras. Était-il aussi rouge que moi sous son teint probablement laiteux ? Cette pensée me fit rougir davantage, et je me mordis la lèvre. Pourquoi je pensais à ça, maintenant ? Nous étions seuls… au milieu de nulle part… avec… personne… pour nous entendre…

Je secouai violemment la tête, comme si ce geste pouvait chasser ces pensées absurdes de mon esprit. Derrière moi, Maxime continuait à retirer ses vêtements, le bruit du tissu froissé amplifiant ma gêne.

Mon cœur battait la chamade, mes joues me brûlaient, et mes mains moites glissaient sur la sangle du sac. Une horrible sensation me saisit, celle que mon esprit se retournait contre moi, comme s’il cherchait à se venger de toutes ces années où j’avais soigneusement évité la gent masculine.

Je sortis brusquement de ma torpeur en sentant un museau énorme me pousser dans le dos. Quand je me retournai, la vision qui me frappa me fit presque lâcher les sacs. Là, devant moi, se tenait… un loup. Mais pas un loup classique. Non. Imaginez un loup normal, qui vous arrive à peu près aux genoux. Maintenant, multipliez cette taille par trois. Oui, trois. Ce truc-là aurait pu me servir d’accoudoir si je n’avais pas été trop petite pour atteindre son dos, qui dépassait largement mes épaules.

Maxime — car je refusais d’appeler cette chose autrement — se coucha près de ses vêtements, me jetant un regard que je devinais être une invitation à grimper.

Je ramassai ses affaires en essayant de ne pas penser à leur propriétaire qui venait tout juste de se déshabiller devant moi, et enjambai maladroitement son dos. Tout en m’agrippant à sa fourrure douce mais dense, je tentai de maintenir la montagne de vêtements dans mes bras. Cela dit, "monter sur le dos d’un énorme loup transformé" n’était clairement pas sur ma liste des compétences maîtrisées.

— Vas-y doucement, j’ai trop de trucs dans les mains, protestai-je.

Évidemment, il n’écouta pas. À peine avais-je posé mes fesses qu’il bondit en avant avec une énergie débordante. J’ai dû lui arracher une bonne dizaine de touffes de poils dans ma tentative désespérée de rester accrochée, tandis que mes mains manquaient de peu de lâcher les vêtements à chaque secousse.

Après ce qui m’avait semblé être un marathon pour mes bras et mes nerfs, il finit par s’arrêter et se coucha à nouveau, cette fois devant une forêt gigantesque. Depuis son dos, j’essayais de distinguer les premières branches, mais elles étaient bien trop hautes pour que je puisse même rêver de les atteindre.

Je descendis tant bien que mal, à moitié frigorifiée, car la température avait chuté d’un cran. Pourtant, le camp ne devait pas être si loin. Je ne le voyais plus, mais j’étais persuadée que nous étions à moins de 10 kilomètres.

— Sérieusement, c’est quoi ces arbres ? murmurai-je pour moi-même, tout en cherchant désespérément un endroit où poser ces fichus vêtements.

Je n’eus pas à me poser la question longtemps : un bras glacial me frôla, attrapa... non, arracha les vêtements de mes mains. Une brève douleur me traversa les doigts, déjà raidis par le froid.

Sur le moment, je suivis les vêtements du regard, mais je me ravisai rapidement, supposant que leur propriétaire les récupérait. Et il avait bien raison. Franchement, je ne me voyais pas à sa place, les spaghettis à l’air par un froid pareil...

Maudit cerveau, arrête de penser à sa... Bref.

Je patientai en l’attendant, observant les arbres qui s’étendaient devant moi. Il était évident qu’ils n’avaient rien de naturel. Les chemins qui traversaient la forêt étaient trop... parfaits. Dans une forêt classique, il n’y a jamais de sentier prédéfini ; les animaux ne quittent leur habitat que pour se nourrir ou fuir un danger.

Ce qui semblait impossible ici, vu le désert qui nous entourait. Ce chemin était donc fait par l’homme. Mais je voyais mal les rebelles tirer du bois depuis cet endroit jusqu’au camp, surtout avec les ressources limitées dont ils disposaient.

Maxime passa devant moi sans un mot, mais son mouvement attira mon attention. Sa démarche avait changé. Il avançait d’un pas tranquille mais concentré, presque comme s’il glissait entre les arbres. Je le regardai un instant, intriguée. Quelque chose dans sa posture me disait qu’il se sentait chez lui ici, bien plus que dans le camp. Cette forêt, avec ses ombres épaisses et son silence presque oppressant, semblait le reconnaître autant qu’il semblait la connaître.

Pourquoi ? Pourquoi m’avait-il invité si cet endroit, à lui seul, le rendait si heureux ? Quelle place avais-je dans tout ça ?

Il se retourna un instant, me regardant avec douceur, avant de murmurer :

— Bêtes plus faciles qu'humains...

C’était donc ça. Il voulait me préparer. M’apprendre à tuer, en vue de ma vengeance personnelle. Il savait que je ne le ferais pas sans hésiter si je n’avais pas la préparation qu’il avait eue. Et il avait raison. L’entraînement était une chose, mais les cibles ne respiraient pas.

Un frisson me parcourut. J’étais toujours aussi nerveuse d’être dans son jardin secret, mais maintenant que l’objectif était clair, je lui emboîtai le pas, tâchant de reproduire sa discrétion.

Il humait l’air en marchant, traquant une piste, une proie pour notre exercice. Peut-être le plus important de mon avenir – un avenir que j’espérais encore atteindre, malgré tout.

Je ne pouvais m’empêcher de penser à Stan à cet instant. Il n’aurait jamais voulu que je me venge. Il aurait souhaité que j’avance, que je trouve la force de faire son deuil. Mais cette vengeance, aussi malsaine soit-elle, me permettait d’avancer. Elle donnait une raison à ma vie actuelle. Et, plus important encore, elle sauverait des vies. Elle contribuerait à la rébellion et à son combat pour la liberté.

Mais était-ce vraiment ça, mon véritable but ? Et si cette vengeance n’était qu’une façade, une excuse pour masquer une autre cause, plus grande que moi ? Je ne savais plus. Je n’étais même pas sûre de ce que je ressentais. Tout, autour de moi, semblait irréel. Même après un mois parmi ces gens, même après avoir appris à en apprécier certains. Tout cela ressemblait encore à un rêve.

Et qu’est-ce qu’on fait d’un rêve ? Rien. On ne donne pas de but à un rêve.

Alors, moi, dans tout ça ? Eh bien, je suivais peut-être un loup humanoïde, humant l’air comme un prédateur dans une forêt. Une forêt qui n’avait aucun sens. Une forêt qui, forcément, ne pouvait exister que dans ma tête. Parce que rien de tout cela n’était possible. Pas dans le monde réel.

Il trouva une piste et me fit signe de le suivre. En quittant le sentier, je me sentais de plus en plus petite. Les troncs des arbres, immenses, semblaient vouloir écraser tout intrus sous leur ombre, et les ronces s’accrochaient à nos jambes comme pour nous retenir. J’imitais Maxime au moindre de ses mouvements, tentant de reproduire sa fluidité. Incapable de rivaliser avec la puissance de ses jambes, je me servais de mes ailes pour me propulser, prenant appui dans l’air pour franchir les obstacles plus aisément.

Il se baissait à présent, le dos presque courbé en deux, ses gestes calculés pour rester sous le vent. Je devinais qu’il cherchait à éviter que notre odeur ne trahisse notre présence. Je fis de mon mieux pour l’imiter, bien que mes mouvements soient encore maladroits en comparaison des siens.

Il s’arrêta soudain derrière un bosquet de ronces particulièrement bas et se tourna vers moi. En suivant son regard, je la vis.

À quelques mètres de nous se tenait une créature qui ressemblait à une biche… à ceci près qu’elle avait huit pattes.

Excusez-moi, les arachnophobes, mais sur le moment, je n’ai pas pensé à vous. Je n’ai vu que la force brute qu’une biche avec deux fois plus de membres devait posséder. Une créature aussi absurde qu’effrayante, pourtant si tranquille, là, dans cette clairière, comme si sa monstruosité était normale dans ce monde.

Je me redressai légèrement, prenant position pour bander mon arc. Ma proie releva la tête, ses grandes oreilles frémissant sous un souffle imperceptible. Elle semblait avoir perçu ma présence, peut-être à cause du léger bruissement des feuilles provoqué par la rotation de mon pied. Mon cœur battait à tout rompre, un martèlement précis et régulier, un train lancé sur ses rails.

Le vent effleurait mes ailes légèrement déployées, le soleil perçait à travers l'épaisseur des feuillages, et une chaleur intense, née du stress, montait de ma nuque jusqu’à mes joues. Pourtant, je restais figée, immobile comme une statue de pierre, l’instant suspendu dans un équilibre parfait entre tension et contrôle.

Puis, une odeur attira soudain l’attention de l’animal, à l’opposé de notre position. C’était l’instant parfait. Je bandai mon arc, pris une profonde inspiration pour stabiliser mes mains tremblantes, et tirai. La flèche fusa, sifflant dans l’air, avant de se planter droit dans sa cible.

Le stress reflua doucement alors que Maxime bondissait vers la créature blessée, attachant rapidement ses pattes pour l’empêcher de fuir. Ses gestes étaient précis et rapides, presque instinctifs, tandis que je restais là, immobile, contemplant l'arc dans mes mains comme si je réalisais tout juste ce que je venais de faire.

Ce n’était pourtant pas fini. Je fermai les yeux un instant, rassemblant mon courage. Je devais le faire, pour cet animal autant que pour moi. Elle souffrait, terrifiée, se débattant désespérément dans les cordages. Mon maître de cette étrange chasse, me tendit un couteau sans un mot.

 

Je sentais ma main trembler en le prenant. Une peur sourde s’emparait de moi, bien différente de celle que j’avais ressentie en visant. Cette peur-là n’était pas physique ; elle était viscérale, enfouie dans quelque chose de plus profond. Ce geste, lourd de sens, signifiait bien plus que la simple fin de cette créature.

J’allais prendre une vie.

Ce n’était pas anodin. Ça ne devait pas l’être.

Elle, elle était innocente. Plus innocente que moi, bien plus que tout ce que je visais réellement, bien plus que tout ce qui m’entourait. Et pourtant, c’était elle que je tenais au bout de ce couteau, pas les monstres contre lesquels je m’étais promis de me battre.

Je m’accroupis près d’elle, glissant ma main sur son museau, ses yeux brillants d’une terreur sourde.

— Ça va bien se passer, murmurai-je. Tu n’auras plus mal.

Le couteau tremblant changea de main. D’un geste hésitant, je pris de l’élan et le plongeai dans son poitrail. Mes yeux restèrent accrochés aux siens, brûlants de douleur, peut-être autant que les miens. Je voulais qu’elle sache. Pourquoi ? Je ne saurais dire. Par remords, par égoïsme ? Parce que je ne pouvais pas la laisser partir sans qu’elle comprenne que ce n’était pas contre elle.

Ma main, toujours posée sur son museau, glissa doucement alors que son regard faiblissait. Elle s’éteignait, doucement, comme si elle s’endormait. Le froid s’insinuait dans chaque recoin, s’intensifiait à chaque seconde, s’enfonçant dans mon chagrin.

— Je crois que tu as tort, Maxime, soufflai-je d’une voix brisée. Tuer un animal… c’est bien plus dur qu’un enfoiré.

Mon corps tout entier tremblait. Je n’étais plus qu’un juge face à ma propre culpabilité, incapable de me pardonner. Mes joues se mouillèrent de larmes brûlantes, mon souffle s’accéléra, Maxime m’attira contre lui.

Il ne comprenait pas mes mots. Peut-être n’avait-il même pas saisi ma réflexion. Mais il comprenanit mes émotions, et c’était bien assez.

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DSWritter
Posté le 13/03/2025
J'ai particulièrement apprécié ce chapitre.
Entre l'humour et la violence de la chasse, tu as trouvé un bon équilibre selon moi.

J'aime bien voir la relation de Morgan et Maxime évoluer. Le fait qu'ils développent une complicité sans vraiment parler la même langue, c'est fort. Je suis team Maxime maintenant :)
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