Assaillit par la fatigue, Bastien avait dormit plus que de raison. La nuit avait été riche en émotion et bien qu’elle lui avait fermement dit le contraire, il ne pouvait pas s’empêcher de se sentir responsable de la blessure de sa colocataire. Bien sûr, cela c’était bien terminé, mais cela n’enlevait rien au chaos du chantier qu’il menait depuis déjà plusieurs mois dans sa maison d’enfance. Parfois… non, souvent en ce moment, il se demandait s’il n’avait pas une erreur en la récupérant à tout prix.
Son regard se figea, par la fenêtre, il remarqua Melinda allongée le long de la marche, en tenue légère. Il ne voulait pas passer pour un pervers, mais il ne put s’empêcher de l’admirer. Elle était en tout point magnifique, intelligente et gentille… quel homme n’aurait pas le désir de partager la vie d’une telle femme. Il détourna les yeux, mieux valait ne pas nourrir trop d’espoir vain. Il posa les yeux sur lui et émit un léger rire narquois. Il avait passé la trentaine depuis quelques années maintenant et sans s’être vraiment laissé allé, son âge avait fait le travail. Il avait plus que quelques kilos en trop, le manque de sommeil, le stress, les inquiétudes concernant ses finances et cette maison qu’il aimait mais devenait un taudis qui le retenait prisonnier depuis qu’elle lui appartenait.
Durant l’heure qu’il suivit, il commença par rafistoler un carton avec du gros scotch, puis rassembla tout les outils, vis et clous qui trainaient ça et là. Il était conscient que l’effet du chantier avait envahit toute la maison sans distinction et il n’avait cependant pas pris en compte que cela mettait en danger sa nouvelle colocataire. Une fois terminé, il choisit une pièce comme débarras principal et y entassa tout le bois, les isolants, rails, montants, rouleau de fils électrique, les prises et tout ce qui lui semblait receler le moindre danger. Bien sûr, il était impossible de rendre cette maison vraiment sûre, il y avait trop de travail à faire pour qu’un simple rangement règle le problème.
Il finissait quand la voix de Melinda l’interpella :
« J’aimerais manger des pizzas ce soir, il y a une restaurant qui livre ici ? »
Bastien ne put s’empêcher de sourire, retenant un rire.
« Malheureusement non, mais il y a un camion à pizza, il faudra prendre la voiture, aujourd’hui, il ne vend pas dans le village mais dans un autre à une quinzaine de kilomètres…
- C’est moi qui paie, annonça-t-elle avant qu’il ne puisse dire quoi que ce soit, et pour nous deux. On a pas vraiment eut le temps de parler de la colocation plus en détails et aucun de nous deux n’est en état de cuisiner ce soir. Profitons-en pour nous poser et mettre les choses à plat. »
Melinda tourna les talons et quitta la pièce tandis que Bastien fermait la porte du désormais débarras. Il aurait voulu la contredire, mais il n’en n’avait ni l’énergie, ni les moyens. Certes il avait fait le choix de trouver une colocataire pour assouplir ses frais, mais pas pour se faire entretenir… Il sortit son téléphone de sa poche et regarda son appli bancaire. Il la referma aussitôt. Le loyer qu’elle lui verserait le sortirait tout juste du rouge, il était hors de question d’avoir une fierté mal placée. Il devait au contraire être honnête quant à la suite. Son travail à mi-temps limitait la casse, mais sans du temps libre pour rénover la maison, même un temps plein ne lui permettrait pas de payer des artisans pour qu’ils viennent faire le travail. Tout était devenu atrocement cher, surtout pour quelqu’un avec des revenus modestes comme lui. Il ignorait quel était le seuil de pauvreté, mais il ne devait pas en être loin. Un léger sourire marqua son visage, heureusement qu’il avait un minima d’autodérision, sinon sa situation le pousserait sans doute vers une dépression et sans doute pire. Sa situation n’allait pas s’arranger comme par miracle, cependant sans l’accident de Melinda cette nuit, il aurait sans doute aborder cette journée avec plus d’optimisme.
*
Melinda avait profité des rayons du soleil jusqu’à ce que la chaleur commence doucement à redescendre. Elle n’avait pas dormit, mais profiter d’un état similaire, propre à son espère lorsqu’ils entraient en hibernation par manque de sang. Cette soirée pizza, lui donna du baume au cœur, car à contrario des légendes, s’alimenter de manière conventionnelle apportait de l’énergie comme pour n’importe quel humain, en revanche, ses pouvoirs continueraient de s’affaiblir jusqu’à ce qu’elle obtienne du sang.
Moins d’une heure plus tard, Bastien gara la voiture sur une place de village où une camionnette blanche converti en foodtruck était assaillit par une dizaine de personne dans l’attente de leur commande. Quand ce fut leur tour, Melinda insista pour qu’ils commande tous les deux des menus et prennent une troisième pizza car elle espérait en avoir pour le petit déjeuner le lendemain. Se pliant à ses exigences, Bastien négocia avec elle pour la troisième afin qu’ils en profitent tous les deux. Une fois l’accord trouvé, ils prirent leur mal en patience le temps que leur commande soit prête. Cette pizzaïolo avait un franc succès.
De retour à la maison, ils s’installèrent autour d’une table bancale, sur des chaises dans un état similaire. Après quelques parts engloutis chacun, Melinda fut la première à entamer le dialogue:
« Qu’on soit clair Bastien, je n’ai pas l’intention de juger tes choix de vies ou ta situation. À vrai dire, on ne se connaît pas et ta vie ne regarde que toi.
- Merci… je suppose, répondit-il un peu perdu face à cette déclaration.
- Pour que cette colocation se passe bien, il faut qu’on soit un minimum honnête l’un envers l’autre. Je ne suis pas riche, mais j’ai de économies pour prendre le temps de trouver un travail en France, ainsi qu’une voiture. Je compte profitez quelques semaines, peut-être deux, trois mois, afin de visiter le coin.
- Tu n’étais jamais venu en France ? Étrange, tu n’as pas le moindre accent. » demanda-t-il en retour.
Melinda sourit et répondit:
« J’y ai vécu plus jeune, je suis assez doué en langues, donc je m’adapte vite. Et de ton côté ?
- Rien de très reluisant j’en ai peur, dit-il en reprenant une part de pizza, tu as pu le constater, je suis pas le bricoleur le plus compétent et ma situation financière est passable…
- Je m’en voudrais d’insister Bastien, mais de l’honnêteté je te prie. » coupa-t-elle.
Bastien baissa les yeux et lâcha un rire nerveux avant de reprendre :
« D’accord. Je suis quasi ruiné, une seule mauvaise nouvelle, une facture imprévue de plus et je devrais vendre ma maison pour ne pas finir en interdit bancaire. Je voulais vendre la voiture de mes parents, mais elle n’a pas roulé depuis au moins cinq ans et je doute qu’elle puisse redémarrer sans un passage dans un garage qui sera loin d’être donné. Pour ce qui est du matos de rénovation, j’ai fais un achat de gros, donc je dois pouvoir rénover une bonne partie de la maison avant d’être à court. Enfin, cela c’est sans prendre en compte les nombreuses erreurs qui m’en feront gâché une partie.
- Tu travailles ? Demanda-t-elle.
- Oui, à mi temps, toutes mes économies sont partis dans les frais de successions. Et comme je voulais vivre ici, ne pas rénover était impossible. J’ai passé un accord avec mon patron pour changer mon contrat. »
Un silence s’installa que Melinda ne tarda pas à briser.
« Bien ceci étant clair, passons à la suite. Pour la nourriture, je n’ai pas d’allergie et je n’ai pas besoin non plus qu’on divise le frigo en deux. En ce qui concerne l’aide que tu demandais dans ton annonce, j’en serais capable d’ici une semaine je pense.
- Il n’y a pas d’urgence Melinda, la coupa-t-il, mieux vaut que tu ne forces pas avec ta main tant que ce n’est pas correctement guérit. »
Elle rit légèrement et reposa sa part de pizza avant de reprendre :
- Rassure-toi, je n’y comptais pas. Néanmoins, je t’aiderais comme je peux en attendant.
- D’accord. » répondit-il, conscient qu’à son regard, il ne pourrait pas lui faire changer d’avis.
Ils finirent de manger en abordant des thèmes plus essentiels, le ménage, la place dans la salle de bains et une chose essentielle, le respect du sommeil. Ainsi, après une négociation sans grande conviction, ils conclurent de ne pas faire de travaux bruyants avant neuve heure du matin et pas après vingt heures.
*
Ce soir-là, Melinda se coucha en souriant, sa vie en France ne commençait pas si mal. Certains de ses débuts avaient été plus houleux que celui-ci malgré son passage aux urgences dés la première nuit. En pensant à ça, elle ne put s’empêcher de remarquer le mail que le médecin des urgences lui avait envoyé en fin d’après midi.
« Bonjour madame,
Au vu de vos résultats d’analyse, j’aimerais pouvoir vous revoir et discuter plus en détails des solutions qui s’offrent à vous. Dans la mesure du possible, tâchez de venir accompagné.
Cordialement,
Docteur Rodrigue. »
Elle sourit davantage. C’était parfait, elle ne tarderait pas à obtenir une première transfusion et récupérerait toutes ses forces d’ici peu. Elle se blottit dans ses draps et laissa son esprit vagabonder quelques instants, quand brusquement une pensée s’insinua en elle… quel goût pouvait bien avoir le sang de son colocataire ?