Chapitre 2. Celle qui murmure au Monde.
Section 01:
"Le vent fait silence,
Elle s’assied près du vide —
je deviens témoin."
Le Temps, comme Toujours, poursuivit sa marche insensible. Mais depuis qu’elle était Là, quelque chose faussait sa cadence, comme un vieux rouage qui grince, comme un battement de cœur un peu trop fort —
un peu trop vivace.
Elle descendait parfois, au début, elle se contentait de regarder, un simple coup d’œil, rapide, curieux, comme on observe un étrange caillou sur le bord du sentier. Puis, un jour, elle s’assit,
juste Là.
À quelques pas de moi. Elle ne disait rien, pas au début.
juste —
elle s’asseyait, les bras autour des genoux, la tête tournée vers l’horizon, peut-être vers moi… peut-être pas.
Le Ciel saignait lente — ment vers l'horizon, le Vent faisait vaciller les herbes, et entre nous deux, un Silence…
habité.
pas vide,
pas creux.
Non.
un Silence qui attendait quelque chose.
Un jour, elle parla, pas à moi, pas vraiment.
— Tu crois qu’on peut réparer le monde, toi ?Ou est-ce qu’il faut juste apprendre à le regarder tomber… sans ciller ?
je n'avais pas de réponse, mais j’étais doué pour ça. Regarder.
regarder
ce
qui
tombe.
elle soupira — fuuuh... un de ces souffles longs, qui soulèvent les souvenirs, comme la poussière d’un grenier. Puis elle se leva. Et dit… doucement.
— T’as bien de la chance, toi. Tu bouges pas. T’as pas peur de faire un mauvais pas.
Elle revint, souvent, Toujours au crépuscule. Comme si elle ne voulait pas que le Jour la voie s’effondrer. Parfois elle chantait, une berceuse sans nom, parfois elle chuchotait des mots trop flous pour être saisis, et parfois…
elle restait Là, les yeux clos, les paupières humides.
Et moi, je devenais peu à peu l’ombre d’un confident, l’effigie d’un secret trop lourd à porter seule.
Les enfants ont des amis imaginaires,
Elle... elle avait un épouvantail.
un témoin,
Muet,
Immobile,
mais toujours Là.
et peut-être —
C’était suffisant.
Section 02 :
"Chanson pour personne —
mais mon âme sans pouls vibre,
sous chaque accord doux."
Et puis un soir, sous un Ciel nocturne constellé de petites flammes.
Elle vint avec un luth, un instrument fatigué, rayé par les routes, émaillé de poussière et d’aube, et s’assit près de moi, comme à son habitude, mais cette fois, elle pinça une corde —
plinn…
la note trembla, incertaine — puis une autre suivit, plus confiante.
pinnn…
et encore...
alors —
la Colline respira différemment, le Vent sembla s’arrêter un instant, comme pour mieux entendre.
Ses doigts glissaient maladroitement, mais dans sa maladresse, il y avait quelque chose de… Vrai. Comme une lettre froissée qu’on relit cent fois, comme une promesse faite par oubli.
Elle chantait bas, des récits sans âge, des légendes cousues...
aux bords de ses souvenirs.
« Are you going to Scarborough Fair ? Parsley, sage, rosemary and thyme…»
je ne compris pas les mots, mais je compris tout le reste. Les montagnes pleines de murmures, les villes noyées sous le sel, les dieux qui avaient oublié leur propre nom.
Tout cela vibrait dans sa voix, c’était doux... et un peu triste. Comme si elle chantait non pas pour être entendue… mais pour que le Silence —
ne gagne pas.
Elle n’osa pas me regarder, ses yeux fixaient l’horizon, mais ses mains, elles, me racontaient des secrets que personne d’autre n’aurait su entendre.
«Tell him to make me a cambric shirt…Without no seams nor needlework…»
Ses lèvres formaient chaque mot avec soin, comme si les syllabes étaient précieuses, fragiles…
anciennes.
j’avais l’impression que le Monde, était devenu plus lent... que même la pluie n’osait plus
tom
ber.
puis —
elle s’arrêta, pas brusquement, juste… doucement, comme une bougie qui s'éteint sans plainte.
Elle baissa les yeux, comme si elle avait volé quelque chose.
— C’est vieux, murmura-t-elle. Je sais même plus d’où ça vient. Juste un truc que j’ai entendu, quelque part, y’a longtemps… mais ça m’rassure. Comme si y’avait des gens, ailleurs, qui se souviennent à ma place.
je n’ai rien dit, j’étais encore suspendu à l’écho.
le Vent, lui aussi, avait oublié de souffler. Pourtant… je découvrais un Monde qui vibrait.
Puis elle continua, et même si la musique ne me faisait pas bouger, elle me faisait exister ailleurs. Chaque note glissait le long de ma paille, comme un frisson que je ne pouvais comprendre, comme un rêve, que l’on ne peut pas —
toucher.
je ne sais pas si elle jouait pour elle, pour le Vent, pour les Ombres qui veillaient sur la colline…
ou pour moi.
Mais dans chaque chanson, il y avait un éclat de quelque chose —
quelque chose de vivant.
Alors je l’écoutais, comme on écoute un miracle, sans mots, sans souffle. Mais avec toute la présence qu’un être sans coeur pouvait offrir.
Et les nuits passaient, avec leurs chants, leurs silences. et moi…
moi, je les gardais tous, ces mélodies devenaient mes souvenirs,
les premiers que j’aimais vraiment.
Section 03 :
"Pas de bouche, pourtant
je voudrais souffler un mot —
et ne pas tomber."
les Jours passaient comme un enfant joyeux, chaque matin apportant une nouvelle promesse.
elle s'est assise, comme on s'assied près d'un feu qu'on ne veut pas déranger. elle portait un long manteau, trop grand, rapiécé par endroits, et qui — flottait autour d’elle comme un jardin abandonné à l'automne.
Le Vent tressait ses cheveux — ffff... fin, tremblants, un rideau d'ombres et de brindilles, comme l'herbe jaune qu'on foule sans y penser, comme des pissenlits qu'on garde entiers —
par peur que le voeu ne soit pas exaucé.
elle sortit un carnet, Vieux, Gondolé, Couvert de taches. Elle le griffonna de signes étranges, des arabesques nerveuses, des pensées jetées comme des graines.
Et elle parlait, toute
seule.
Parfois, elle lisait à voix haute ce qu’elle écrivait, des bribes, des fragments, des restes de jour qu'on laisse sur la table.
— Jour 69. Essai n° 07. Échantillons n°05, hybridation entre eucaryote-plaste et procaryote mobile. Échecs. Encore… merde !
Elle se tourna vers moi, et me fixa, avec cette attention toute particulière, comme on regarde une toile...
encore vierge.
— On dit qu'il faut se tromper pour pouvoir se corriger, mais pour la septième fois ?! C'est chiant. N'est-ce pas ?
Elle parlait au Vent, aux Ombres, à elle-même, et, un peu…
à moi.
je ne savais pas quoi faire de ses mots, ils flottaient autour de moi, comme des papillons hésitants. Ils se posaient dans les creux de ma paille, et parfois, je les gardais, juste Là, entre les brins de ficelle.
Un jour, elle rit. un vrai rire, pas ceux du village, pas ceux qu’on jette pour faire semblant. Un rire qui tremble un peu avant de tomber, un rire qu’on n’attendait pas.
— Si tu pouvais parler… tu dirais quoi, hein ?elle me regarda un instant.
un long — instant.
— Moi, je crois… Tu dirais rien. Et c’est peut-être ça, ta réponse à tout.
Elle me regarda, un souffle glissa entre nous, presque comme si… le Silence lui-même avait un Poids.
Et elle se remit à écrire, comme si mes silences méritaient d’être traduits, comme si, au fond, j’avais une voix… qui n’avait simplement jamais appris à sortir.
Elle riait, toute
seule.
Et moi, j’écoutais, pas comme on comprend, mais comme un arbre écoute la pluie. je n’ai pas su quand ça a commencé, ce besoin étrange d’attendre sa voix, de deviner ses mots dans le bruit des plumes, ou dans le crissement de ses bottes dans la terre sèche.
Et puis, un jour, elle a soufflé.
— Toi, au moins, tu sais écouter.
Et là…
Là, pour la première fois, j’ai voulu répondre. mais je n’ai que du silence en moi, du bois sec, de la ficelle, pas de bouche, Pas de souffle. Seulement ce frisson muet, ce balancement imperceptible dans le Vent.
mon cri le plus fort…
c'est
de
ne
pas
tomber.
Merci pour ton retour. Content de voir que meme si c'est un peu bizarre, l'écriture accroche.
J'espère que la suite te plaira.
À plus.
Urukem
Je lis toujours avec entrain, le rythme est évidemment un peu plus lent qu'au tout début mais c'est normal. J'ai hâte de voir comment le personnage féminin va évoluer.
C'est assez impressionnant en tout cas d'insuffler autant de vie avec un personnage aussi statique qu'un épouvantail !
J'espère que la suite te plaira aussi.
À plus.
Urukem
Comme vu dans le chapitre précédent l'homme de paille est bien là pour écouter la vie alentour. C'est sympa :)
Pour le style, j'ai jamais vu ça avant, alors peut-être qu'il est possible de condensé ensemble mais pour moi la lecture a été vraiment fluide.
Le texte est immersif. On a envie qu'il puisse parler pour enfin répondre à cette fille aha
A voir la suite mais franchement le début est chouette :)
A plus !
Talharr