[ 1 ]
Han Si-nu était encore inconscient. Ils avaient fait venir un médecin un peu douteux pour panser ses blessures sans attirer l’attention. Ils n’avaient pas les moyens de l’emmener à l’hôpital et préféraient faire profil bas.
Noan avait convoqué une réunion d’urgence pour discuter de l’avenir de Big Deal. Tout le monde était sous le choc de la défaite du big boss. Ils ne savaient même pas s’il pourrait se remettre complètement de ses blessures. Le mec qui l’avait défoncé était un monstre. Son pote ne s’était même pas battu contre Si-nu. Ils ne savaient pas de quoi il était capable. À lui tout seul, le blondinet avait envoyé tout le gang de Jagalchi à l’hôpital et il avait presque tué le boss de Big Deal. Ils n’avaient aucune chance contre eux.
— Est-ce que c’est vraiment la fin de Big Deal ? Sans nous, qui va protéger les filles ?
— Ce n’est pas le moment de se soucier des filles, déclara Noan, assis en tailleur au bout de la longue table de banquet. J’ai une annonce à vous faire. Big Deal va rejoindre les quatre grandes factions.
— Tu te fous de notre gueule ! s’exclama Yoon Kyung-heon en tapant du poing sur la table. Pourquoi est-ce qu’on rejoindrait les quatre factions ? On s’en sortait très bien tout seuls jusqu’à maintenant !
— Quel autre choix avons-nous ? répondit calmement Vieille Face. Tu as vu comment ils ont descendu le boss. Tu crois vraiment qu’on a une chance contre eux ? Ce n’est même pas la peine d’y penser. On a enfin trouvé quelqu’un de fort pour qui travailler. Gun et Jong-goo nous ont promis que si on se joignait à eux et qu’on leur donnait cent millions de wons chaque mois, il ferait bientôt de nous leurs successeurs. Ils ont dit qu’on pourrait se faire une tonne de fric. On va utiliser les filles pour se faire de l’argent et on payera Gun et Jong-goo pour prendre leur place à la tête des quatre factions.
— C’est pas trop tôt ! s’exclama un membre du gang en hochant la tête avec approbation. Quel genre de gangster protège une rue au nom d’une idéologie de merde ? On n’est pas le secours populaire, putain de merde !
— Vous avez perdu la tête ?! s’égosilla l’Étalon Écarlate de Jeju en les menaçant de son poing. C’est quoi ces conneries ?! Depuis quand on se sert des filles pour se faire de la thune ? Big Deal est supposé les protéger pour que personne ne se serve d’elles de cette façon ! Vous allez vraiment niquer tout le monde juste pour faire cent millions de wons par mois parce que vous avez peur de ces deux losers ?!
— Kyung-heon ! lança Seong-eun en écrasant sa cigarette dans le cendrier posé sur son genou. Pose ton cul. Noan n’a pas fini de parler. Ne l’interromps pas.
— Seong-eun, répliqua-t-il en lui jetant un regard hostile. Tu vas vraiment rester assis à écouter ces conneries ?
— Kyung-heon.
Cette fois, c’était Gi-myeong qui était intervenu. Son camarade s’était aussitôt rassis en s’excusant.
— Alors, dit Gi-myeong calmement. On va vraiment prendre une décision aussi importante sans le big boss ?
— Gi-myeong, dit Noan avec un air un peu trop sûr de lui et un sourire mesquin. Si le boss faisait correctement son travail, on ne serait pas dans ce merdier. Allez, frérot. J’ai besoin de toi. C’est une opportunité en or pour Big Deal. On ne peut pas continuer à vivre comme des clochards. On a besoin de thunes. Le big boss n’est pas en état de gérer les affaires du gang. En tant que second en commande, c’est à moi de prendre les choses en main. C’est comme ça que ça se passe. Vous connaissez les règles aussi bien que moi. Si vous ne voulez pas suivre mes ordres, dites-le tout de suite, mais vous devrez en assumer les conséquences. Je n’ai jamais apprécié l’idéologie du big boss. À quoi ça rime, tout ça ? Il est temps pour Big Deal de se faire du fric. Beaucoup de fric. Si-nu était en train de mener le gang droit dans le mur.
— C’est vraiment comme dans le proverbe, dit Gi-myeong en se levant. Quand le chat n’est pas là, les souris dansent. Enfin, dans votre cas, c’est plutôt une bande de sales rats.
— Kim Gi-myeong ! rugit un des membres du gang en se levant, prêt à en découdre. Comment oses-tu parler ainsi à Noan ! Excuse-toi !
— Laisse-le ! lança Noan en balayant l’insulte d’un revers de main. C’est bon.
Gi-myeong avait quitté l’assemblée suivi de ses trois fidèles amis. Noan s’en fichait. C’était du menu fretin dont il se chargerait plus tard. Lui et sa garde rapprochée n’étaient que des gamins aussi idéalistes et naïfs que Han Si-nu.
[ 2 ]
— J’aime pas trop ton plan non plus, dit Seong-eun en allumant une nouvelle cigarette. On ne sait même pas si ces mecs sont vraiment plus forts que nous et tu veux qu’on bosse pour eux ?
— Tu vas pas t’y mettre, toi aussi ? J’ai besoin de toi sur ce coup-là, Seong-eun. On a toujours été sur la même longueur d’onde, toi et moi. Si on fait ça ensemble, on deviendra super riches.
— Je vais t’aider, mais à une condition.
— Une condition ? Laquelle ?
— Ces deux-là nous ont demandé de récolter cent millions de wons avant la fin du mois, n’est-ce pas ? Laisse-moi m’en charger tout seul. Je vais essayer de me faire ce fric par mes propres moyens.
Seong-eun était assis sur la digue, une bouteille de soju à moitié vide à la main. Il réfléchissait à un plan. La voix de Gi-myeong avait interrompu son train de pensées.
— Seong-eun. Tu as dit que tu voulais te faire un nom à Gangnam… mais tu as décidé de bosser pour ce connard de Noan à la place ? Tu lui as même dit que tu t’occuperais des cent millions de wons. Comment tu comptes mettre la main sur autant d’argent en aussi peu de temps ? On devrait juste-
— Va te faire foutre !
— Pardon… ?
— J’ai rien à te dire. Casse-toi. Arrête de te prendre pour mon ami.
— Qu’est-ce qui t’arrive, frère ? fit Gi-myeong en posant une main sur son épaule. J’ai fait quelque chose de mal ?
— Je retire ce que j’ai dit, répliqua sèchement Seong-eun en repoussant sa main. Oublie mon invitation. Je ne veux pas que tu viennes avec moi et je ne resterai pas avec toi ici. J’irai à Gangnam tout seul. Tu ne peux pas comprendre. Tu es né avec une cuillère en argent dans la bouche. Fils de Kim Gap-ryeong.
— Quoi ? De quoi est-ce que tu parles ?
Kim Gap-ryeong. Depuis qu’il lui avait parlé de son père, Seong-eun avait changé. ll était devenu froid et distant. Il lui parlait à peine et évitait son regard. Qu’est-ce qu’il se passait dans sa tête ? Gi-myeong aurait bien voulu le savoir.
[ 3 ]
Gun et Jong-goo étaient de retour. Ils avaient fait un crochet par Gangseo après une petite excursion de trois heures au Mont Inwangsan, la montagne du roi généreux, qui surplombait Séoul. Gun portait une tenue de sport noire et bleu ciel. Il tenait un concombre entier à la main, un casse-croûte rafraîchissant qu’il gardait pour plus tard. Il n’y avait rien de plus désaltérant qu’un bon concombre bien frais après une longue randonnée. Jong-goo, lui, portait une tenue noire et rouge et une paire de bâtons de marche en titane.
Ce dernier se réjouissait d’avance. Il croisait les doigts pour que ces imbéciles échouent lamentablement. En entrant dans l’ancien bureau de poste, il avait constaté avec satisfaction l’absence de pyramide de billets qui aurait dû trôner au milieu de la pièce.
— Tu vois ! Je t’avais dit qu’ils n’y arriveraient pas. Ils ne peuvent pas se joindre à nous s’ils ne sont pas capables de faire cent millions de wons par mois. Même si j’avoue que cent millions de wons, ça fait beaucoup d’argent.
Noan sentait la panique monter en lui. Seong-eun n’était pas là. L’argent qu’il avait promis non plus. Ils allaient se faire massacrer.
— Attendez un peu ! Écoutez ! On va vous apporter l’argent !
— Gun, faut me faire confiance. Je peux le deviner juste en regardant ces mecs. Ils ne comprennent pas le concept d’argent. Allez ! Je peux pas juste fonder ma propre faction à Gangseo ? J’ai refilé Gangnam à Yoo-jin et j’en ai marre de courir à gauche à droite pour tabasser des nullos.
— T’as pas un autre business à gérer ?
— Il se gère tout seul. Cha Min-jun s’en occupe pour moi.
— Il se gère pas tout seul alors…
— Ouais, mais tu vois ce que je veux dire. Les affaires de harcèlement scolaire, c’est plus trop mon problème. Je récolte juste les bénéfices générés par l’application.
— Ouais… On verra. Ça se trouve, on n’aura pas le choix. Alors, vous avez l’argent ou pas ?
— Euh… eh bien… c’est-à-dire, bégaya Noan en se tordant nerveusement les mains. On aurait dû l’avoir, mais… Il y a eu un imprévu…
— Donc vous ne l’avez pas. Dans ce cas, c’est la dissolution de Big Deal. Vous n’êtes plus un candidat sérieux pour les quatre grandes factions.
— Les quatres grandes factions ? lança Gi-myeong avec mépris. Ça ne nous a jamais intéressé. Je n’aime pas le conflit, mais je ne peux pas vous laisser foutre la merde dans notre rue.
Lui et ses trois compagnons étaient prêts à se battre. Ils étaient torses nus, leur taille protégée par d’épaisses bandes de tissu écru, comme celles que portait leur boss. Gi-myeong arborait d’impressionnants tatouages sur sa poitrine et ses bras. Il avait vraiment l’art et la manière de la mafia coréenne, pour un mec qui haïssait ce milieu.
— C’est moi qui décide si vous pouvez nous rejoindre ou pas, répliqua Gun froidement, nullement impressionné par leur dégaine de truands. Et j’ai décidé qu’à partir d’aujourd’hui, Big Deal n’existait plus.
— Hé ! Shiro Oni !
— Quoi ? Je t’ai déjà dit de ne pas m’appeler comme ça.
— Regarde ! C’est vraiment cent millions de wons !
Jong-goo était accroupi devant un carton rempli de billets que deux hommes venaient de déposer à ses pieds.
— C’était pas la peine de vous mettre à poil alors que vous avez le fric ! Attendez, laissez-moi compter d’abord… Hm. Ça va me prendre du temps.
— Tout est là, dit Seong-eun en lui soufflant un nuage de fumée dans la figure. J’ai compté moi-même.
Il était revenu juste à temps.
— Sérieux ? Pourquoi tout ce cirque alors ? Ou alors vous nous avez préparé un petit événement surprise ? Vous êtes devenus nos fans ? Hé hé ! Vous savez faire durer le suspense !
— Vous n’avez pas eu cet argent illégalement, n’est-ce pas ? demanda Gun en plissant les yeux avec suspicion.
— Non, pas du tout. J’ai fait un emprunt. J’ai le contrat, si vous voulez une preuve. Vous pouvez vérifier par vous-même.
Seong-eun lui tendit le papier en question. Gun le parcourut rapidement. Ça avait l’air legit, mais le nom du créditeur l’avait fait tiquer.
— Bon. Tout a l’air OK. Dans ce cas, vous faites partie des quatre grandes factions.
— Je savais que vous pouviez le faire ! s’exclama Jong-goo en frappant dans ses mains. Je savais que vous aviez le sens de l’argent. J’ai toujours cru en vous ! Maintenant, si vous voulez bien nous excuser…
Jong-goo s’était mis en position de squat pour soulever le carton plein à craquer de billets. Le poids de la fortune nécessitait des cuisses en béton et un dos solide. Avant qu’il se redresse complètement, Seong-eun avait foutu un grand coup de pied dans le carton. Les coupures de dix mille et cinquante mille wons avaient été projetées dans les airs sous le regard stupéfait de Jong-goo.
— Hé ! Tu fous quoi là ? On ne joue pas avec l’argent !
— Maintenant que vous avez testé Big Deal, c’est à notre tour de vous tester. Je vous présente Black Bear. Vous avez vexé leur boss et il a une dent contre vous maintenant.
Le boss en question se tenait dans l’embrasure de la porte. Il était venu avec tous ses hommes et son roquet qui grognait et montrait les crocs.
— Alors c’est vous les petits merdeux sortis de nulle part qui foutez la merde à Gangseo ? lança le chef de Black Bear en caressant son petit caniche hargneux. Vous vous en prenez aux gangs juvéniles, mais vous ne vous occupez pas de nous autres adultes. Quel dommage… Mais vous avez commis une erreur. Une grave erreur. Vous avez touché à Han Si-nu. C’était à moi de lui faire la peau.
— Qu’est-ce que tu as fait ? demanda Noan à Seong-eun à voix basse. Qu’est-ce que le gang de Black Bear fait ici ? On ne peut pas risquer un affrontement avec eux, pas maintenant…
— Je me sers d’un ennemi pour en éliminer un autre. Je leur ai demandé de me prêter l’argent et je les ai amenés ici pour qu’ils testent Gun et Jong-goo.
— Hm… fit Gun en allumant une cigarette. De ce que je sais, Black Bear et Big Deal sont des ennemis jurés. Qui les a fait venir ici ?
— C’est moi, Monsieur Gun, fit Seong-eun en faisant un pas en avant, un sourire faussement poli aux lèvres.
— Ton nom ?
— Seo Seong-eun. Si vous passez ce test, vous pourrez repartir avec les cent millions de wons et Big Deal rejoindra les quatre grandes factions. Mais si vous échouez… vous êtes tous les deux morts. Bonne chance !
Ce mec était doué. Il était d’une intelligence redoutable. Il avait mis toutes les chances de son côté tout en assurant la sécurité de Big Deal. Peu importe qui sortirait vainqueur de cet affrontement, c’était tout bénéf pour eux. Si Black Bear tuait Gun et Jong-goo, Big Deal seraient débarrassés d’eux et ils pourraient rendre l’argent au boss du gang ennemi. Et si Black Bear perdait face à eux, Big Deal n’aurait pas besoin de rembourser les cent millions et ils pourraient payer Gun et Jong-goo. C’était malin. Très malin.
[ 4 ]
— T’y crois, toi ? fit Goo avec un sourire féroce. Dire qu’on se fait tester par nos propres candidats.
Black Bear ne rigolait pas. Ils étaient tous armés jusqu’aux dents et pas avec de simples barres de bois ou battes en métal. Ils avaient sorti les couteaux à sashimi, les hachettes et les sabres. De vrais gangsters professionnels qui n’avaient pas peur de saigner leurs ennemis comme des porcs à l’abattoir.
— Merde… fit Gun en contemplant son concombre dont le bout venait de se faire trancher net. Je n’ai même pas eu le temps d’y goûter. C’est pas très cool de nous faire affronter un vrai gang de tueurs.
— Ça n’a pas l’air de vous déranger plus que ça, commenta Seong-eun avec un sourire amusé. Puis je vous l’ai déjà dit. C’est un test. Si vous ne prenez pas ça au sérieux, vous allez mourir. Alors faites de votre mieux.
Gun esquivait les lames qui fusaient dans tous les sens. Il avait tordu le poignet d’un des hommes pour lui faire lâcher son arme.
— Faites attention avec ça ! Les blessures au couteau ça fait mal, même pour moi !
— Tu veux ça ? lança Jong-goo en lui tendant ses deux bâtons de marche. Si t’en veux pas, tu peux rester là et te faire planter.
— C’est quoi ton plan ? dit Gun en acceptant les bâtons en titane de bonne grâce.
— Juste essayer de rester en vie…
— Putain de merde… Qu’est-ce que je suis censé faire avec ces trucs ?
Contrairement à Goo, Gun n’aimait pas trop les armes. Ce n’était pas son style de combat, mais il avait quelques bases. Il n’avait pas vraiment le choix. Tous ces mecs étaient armés jusqu’aux dents. Il y avait bien une branche du karaté Kyokushin qui utilisait une arme très spécifique appelée tonfa. Ces bâtons y ressemblaient un peu, mais ils étaient un peu trop longs. Même après les avoir pliés en deux pour former un angle, Gun avait du mal à trouver la position idéale.
— J’apprécie le geste, lança-t-il à Jong-goo après avoir matraqué une dizaine de ses adversaires. Mais toi, alors ? Ça va aller sans arme ?
— Moi ? T’inquiète. J’ai trouvé un truc vachement plus cool !
Jong-goo se trouvait face au second en commande de Black Bear. Choi Ro-woon. Et ce charmant monsieur sans un poil sur le caillou tenait un sabre entre les mains. Un beau sabre luisant et tranchant.
— Alors comme ça, vous voulez nous tester ? lança Jong-goo avec un sourire en coin. Eh bien, je suppose qu’à votre place, j’aurais fait la même chose. Mais j’ai vraiment besoin de cet argent, alors si vous voulez nous tester, faites-vous plaisir. On va remporter votre épreuve de merde haut la main !
— J’aurais adoré montrer aux juges mon incroyable talent, renchérit Gun, mais il a fallu que vous me forciez à utiliser une arme. Je suis nul en maniement d’armes. Je vais perdre des points. Même si je suis sûr de réussir le test quand même.
[ 5 ]
Gun avaient mis K.O une bonne partie des hommes du gang. C’était des figurants dans un film d’action, mais ils n’étaient pas si mauvais. Ils lui donnaient du fil à retordre. Il avait baissé sa garde. Il esquiva de justesse la lame d’une hache qui trancha nette la branche de ses lunettes de soleil. Cet enfoiré était rapide. L’instant d’après, il lui fondait dessus depuis les airs, une paire de hachettes aux mains en poussant un cri de sauvageon. Enfin, les choses devenaient intéressantes.
De son côté, Jong-goo avait encore ruiné une paire de lunettes, lui aussi. Choi Ro-woon les avaient sectionnées pile entre les deux yeux. S’il n’avait pas esquivé son coup, c’est son crâne qu’il aurait fendu.
— Putain… ces lunettes m’ont coûtées une fortune ! C’était des montures en or ! Pause ! Pause ! Deux secondes, vieil homme ! Merde…
Jong-goo lui avait balancé son sac à dos rempli de briques. Pourquoi des briques ? ll chargeait toujours son sac à bloc quand il partait en randonnée. Ça lui faisait les pieds. Son adversaire avait tranché le projectile en deux, mais Jong-goo avait gagné quelques secondes. Derrière lui, il y avait un jeune benêt qui tenait le fourreau de son supérieur avec une déférence presque religieuse.
— Je t’emprunte ça, merci ! dit Goo en s’emparant du fourreau juste à temps pour bloquer la lame de Choi Ro-woon. Hé ! Vieil homme. Une grosse épée implique une grosse responsabilité. T’es sûr d’avoir les couilles pour ça ?
Ces gamins avaient du culot. Ils arrivaient à sourire et à plaisanter dans une telle situation. Ils n’étaient pas mauvais, mais Dong-chul et Ro-woon étaient les membres les plus forts de Black Bear. Ils avaient survécu à d'innombrables batailles contre des centaines d’ennemis.
— Boss ! Boss ! Dong-chul… Il se fait massacrer !
— Ça vaut combien de points ça ? demanda Gun après avoir roué son adversaire de coups. Seong-eun, je crois que le test est terminé. Ce n’est peut-être pas l’issue que tu espérais, mais c’est comme ça. Sans rancune.
Choi Ro-woon avait plongé sa lame dans le flanc de son adversaire. Il pensait l’avait transpercé, jusqu’à ce qu’il s’aperçoive que sa lame était en fait coincée sous son bras, telle l’épée du jeune Arthur dans la roche et l’enclume. Il avait beau tirer, il n’arrivait pas à dégager sa lame de l’étreinte de Jong-goo.
— Oh oh ! fit-il avec un large sourire un peu dérangé. Ne soyez pas triste. Vous avez fait de votre mieux.
— Tuez-les ! ordonna le boss de Black Bear. Tuez-les tous les deux ! Ils ne pourront rien faire si vous les attaquez tous en même temps !
— Nope, fit Gun en allumant une cigarette pour se détendre après tous ces efforts. Le test est terminé. Vous n’auriez pas dû le laisser mettre la main sur ce sabre. Vous êtes foutus.
Jong-goo s’était emparé du sabre de son adversaire. Il l’avait mis à genoux en deux temps trois mouvements. Debout face à lui, il tenait la lame dans l’alignement de son visage, les yeux fermés, comme s’il lui adressait une prière silencieuse. Son regard avait changé. Il était terriblement sérieux et déterminé. Il leva le sabre au-dessus de sa tête.
— Monsieur, vous ne devriez plus jamais utiliser un sabre. Je vais prendre ce bras.
— Ro-woon ! s’écria le boss de Black Bear alors que la lame s’abattait sur l’épaule de son fidèle ami.
Le couperet était tombé. Ce jour-là, Choi Ro-woon, le second en commande de Black Bear, fut si gravement estropié qu’il fut contraint de prendre sa retraite. Ce jour-là, les membres de Black Bear, qui était tristement réputé pour leur cruauté et leur brutalité, étaient tombés sur plus brutal et plus cruel qu’eux. C’était le jour où le gang le plus redouté de Gangseo avait été complètement anéanti par deux adolescents de seize ans et demi.
[ 6 ]
— Je dois reconnaître que Big Deal m’a impressionné sur ce coup-là, dit Gun avec sincérité pendant que Jong-goo ramassait tous les billets éparpillés un peu partout. Je t’aime bien, Seo Seong-eun. À partir de maintenant, je te confie la gestion de Big Deal.
— Non. Ce n’était pas mon idée. Je n’ai fait que suivre les ordres de mon chef. Noan. C’est lui le véritable cerveau derrière tout ça.
Gun plissa les yeux. Il ne gobait pas cette histoire. Cette vieille face de cul ne respirait pas l’intelligence. En revanche, il puait l’avidité et l’insécurité. Un mauvais combo.
— Ce mec ? Arrête de mentir, Seong-eun. Épargne-moi ta fausse modestie et prends la tête du gang. Je ne peux pas laisser un type comme lui gérer Gangseo.
— M-mon nom est Noan ! s’exclama Vieille Face en s’inclinant bien bas devant Gun. Je suis un des membres les plus anciens du gang. Si vous me confiez Big Deal, je ne vous décevrai pas. S’il vous plaît, laissez-moi m’en occuper, M. Gun.
— Très bien… Si vous insistez…
Gun avait un mauvais pressentiment. Il fallait qu’il garde Big Deal à l'œil avec ce boulet à leur tête.
— Je vois que je suis le seul à penser que vous faites une grosse connerie, déclara Gi-myeong en passant sa veste sur ses épaules nues. Je n’ai plus rien à faire là. Amusez-vous bien et bonne chance !
Gi-myeong avait quitté Big Deal ce jour-là. Il était plus discret que Seo Seong-eun, mais il avait attiré l’attention de Gun. ll était le digne fils de son père. Il avait beau le détester, ils se ressemblaient énormément.
— On va y aller aussi, dit le jeune yakuza en rassemblant ce qui restait de ses affaires. Jong-goo passera à la fin de chaque mois pour récolter l’argent. Essayez pas de l’entuber, il compte tout au moins trois fois à chaque fois. Et je garderai un œil sur vous pour m’assurer que vous ne faites rien d’illégal. Si je vous surprends à tremper dans des affaires louches, vous serez disqualifiés, et cette fois, ce sera vraiment la fin de Big Deal, c’est compris ?
— Oui, monsieur, fit Noan en s’inclinant respectueusement. Vous pouvez compter sur nous !
Ainsi, Vieille Face était devenu le boss de Big Deal. C’est-à-dire qu’il était devenu le vieux visage ridé du gang, tandis que Seo Seong-eun était devenu le véritable boss qui tirait les ficelles dans l’ombre.
[ 7 ]
Jong-goo était en retard pour la réunion secrète qui se tenait dans la planque encore plus secrète de M. Choi. Gun n’était pas avec lui. Il allait rester un temps à Gangseo pour surveiller Big Deal.
— Oh, Jong-goo, salua M. Choi lorsqu’il entra dans la petite pièce exiguë. Tu es là. On était en train de parler des quatre grandes factions.
Jong-goo ne savait pas pourquoi il avait insisté pour louer ce studio miteux pour en faire leur QG alors qu’il pouvait se payer un endroit bien plus grand et confortable. Y avait même pas de quoi se faire un café.
— Vous êtes sûrs que vous êtes en train de bosser ? demanda Jong-goo. Parce que M. Lee est en train de pioncer. Il ronfle comme un gros porc.
— Il a un peu trop bu. Ce n’est pas grave. Il sait ce qu’il a à faire. Ce garçon que tu m’as présenté, il est vraiment doué. Gangnam est entre de bonnes mains avec Yoo-jin. J’attends beaucoup de cette faction. Ce sera le pilier de notre opération. Yoo-jin a trouvé un nom qui me plaît bien. Les Travailleurs.
— Je vous l’avais dit qu’il assurait ! répliqua Jong-goo en passant un bras autour des épaules de Yoo-jin. Je ne l’ai pas recruté pour rien !
— Je veux que tu aides Yoo-jin avec son projet, dit alors M. Choi. Après tout, Gangnam c’est ton territoire, et tu es celui qui a le meilleur sens des affaires ici. Yoo-jin sera le président des Travailleurs, mais tu seras son conseiller et la faction sera sous ta jurisdiction. Ne le prends pas mal Yoo-jin. Ce n’est pas que je ne te fais pas confiance, mais Jong-goo a plus d’expérience et plus de ressources. Il pourra utiliser ses liens avec Blue Sky Inc. pour nous aider à nous implanter à Gangnam. Gun s’occupera de Gangbuk et Gangdong tout seul.
— D’accord, fit Jong-goo. Ça tombe bien, je commençais à en avoir marre de faire passer des auditions à des mecs plus nuls les uns que les autres. Ça nous fait déjà deux factions. Ça veut dire que vous allez passer à la suite de votre plan ? Tu as dit que toi et M. Choi étaient en train de travailler sur un autre projet, n’est-ce pas, Lee Ji-woon ?
Il se tourna vers son acolyte qui passait en revue une pile de documents. Des relevés financiers, à en croire les tableaux remplis de chiffres. Il leva les yeux vers lui comme s’il remarquait sa présence pour la première, puis un sourire carnassier se dessina sur son visage.
— Oh, Jong-goo. Excuse-moi, je ne t’avais pas vu.
Jong-goo lui jeta un regard de travers. Il n’aimait pas ce type. Il lui faisait froid dans le dos, et pourtant, Jong-goo n’était pas du genre à se laisser intimider. Il y avait quelque chose de malsain dans son regard et la façon dont il souriait. C’était le genre de personne qui prenait un malin plaisir à torturer ses ennemis et qui prenait son pied à les voir souffrir. Un véritable psychopathe.