Chapitre 04 : Trahison, exploitation et passion.

[ 1 ]

— Monsieur, voici l'argent qu'on a récolté cette semaine, dit Gyo-jin, un des membres du gang, en déposant les liasses de billets sur le bureau de son patron.

— C'est tout ? fit Seong-eun en jetant un regard rapide au maigre pactole. Comment on va faire cent millions en un mois à ce rythme-là ?

— Excusez-moi... C'est qu'il n'y a plus autant de clients qu'avant. On essaye de pousser les filles au cul pour qu'elles vendent plus, mais sans clients, c'est impossible de gagner autant d'argent.

— Ça, c'est parce que vous êtes trop gentils avec elles... À partir de maintenant, je veux que chaque membre de Big Deal soit responsable d'un magasin. Demande aux filles de faire du porte-à-porte ou de la vente en ligne s'il le faut. Bloque l'accès à la supérette et coupe l'arrivée d'eau. Ne les laisse pas acheter d'eau ou de nourriture. Ne les laisse même pas sortir de leur magasin. Si elles ont de quoi se payer à boire et à manger, c'est qu'elles ont de quoi nous payer. On n'est pas une œuvre de charité.

— Mais monsieur ! Et si elles décident de quitter le quartier pour s'installer ailleurs?

— Moi, ce que je veux savoir, c'est comment elles osent dire que c'est impossible, alors qu'elles dépendent de nous pour faire tourner leur boutique ? Qui c'est qui s'occupe des clients grossiers et des voleurs à l'étalage ? Qui décharge les livraisons, répare les fuites, remplace les ampoules grillées et se tape tous les travaux et le bricolage ? C'est nous. Alors celles qui ne veulent pas bosser sérieusement peuvent dégager. On verra si elles trouvent mieux ailleurs, mais j'en doute... Après tout, si elles sont encore là, c'est parce qu'elles n'ont nulle part d'autre où aller. Elles savent que ce sera pire ailleurs. À moins qu'elles préfèrent faire le trottoir ou travailler comme hôtesses de bar à Gangnam. Si c'est ce qu'elles veulent, elles peuvent partir. Toi, Gyo-jin, ton boulot c'est de faire pression sur elles pour récolter l'argent par tous les moyens nécessaires. C'est compris ?

— Oui, monsieur. Mais... je ne sais pas si elles vont nous écouter. Elles n'écoutent personne à part Gi-myeong et Si-nu...

Seong-eun serra les dents. Il en avait marre de ce nom. Son rival avait quitté le gang, mais il ne s'était pas fait oublier. On parlait encore de lui et beaucoup espéraient secrètement qu'il revienne. Aux yeux du numéro deux de Big Deal, Kim Gi-myeong était un hypocrite. Il pouvait manger à sa faim et ne manquait de rien. Il avait une belle maison et une mère qui attendait son retour. C'était facile de jouer les moralisateurs et les protecteurs alors qu'il ne dépendait pas de cette rue pour vivre. Il leur avait tourné le dos dès qu'il avait perdu son intérêt pour les affaires de Big Deal. Seong-eun détestait les riches. Ils les haïssaient du plus profond de son être, et pourtant, lui aussi, désirait être riche. Le plus riche et le plus puissant de tous.

Seong-eun avait appris à Gyo-jin ce qu'il en coûtait de prononcer le nom de son pire ennemi devant lui. Il lui avait mis la volée de sa vie en lui interdisant d'évoquer ce moins que rien à l'avenir. Il ne voulait qu'on lui rappelle constamment ce qu'il n'était pas. Ce qu'il ne pourrait jamais être. Le fils de Kim Gap-ryeong.

Une nouvelle ère s'ouvrait pour Big Deal. Il fallait vivre avec son temps. Le but d'un gang c'était de gagner de grosses sommes d'argent, des sommes qu'on ne pouvait pas gagner en faisant un métier ordinaire. Vivre au jour le jour, se serrer la ceinture, sans savoir s'ils auraient de quoi manger demain, ce n'était pas la vie à laquelle aspirait Seung-eun. Il n'avait pas fait tout ce chemin pour retomber dans la pauvreté et l'indigence.

[ 2 ]

— Qu'est-ce que tu fais ? demanda Gun en rejoignant son colocataire sur le balcon de leur appartement.

— Je fais prendre l'air à Yoyo, répondit Jong-goo sans quitter le matou des yeux. J'ai peur qu'il tombe, alors je le surveille.

— Putain de chat... grommela son ami en allumant une cigarette. T'as qu'à lui mettre une laisse.

— Hé ! Ne fume pas là ! s'exclama Jong-goo en battant l'air de sa main pour chasser la fumée nauséabonde.

— Tu veux que je fume où ? T'as qu'à retourner à l'intérieur avec ton chat de merde. Je suis venu là pour réfléchir.

— Réfléchir à quoi ?

— À Seo Seong-eun.

— Oh, merde... Me dis pas que t'as un crush sur lui ?

— Ça se pourrait bien... mais pour ça, faudrait déjà que je me batte contre lui. Mais il y a quelque chose d'autre qui m'intrigue chez lui...

— Quoi donc ?

— Le père de Gi-myeong était un gangster célèbre et Seong-eun prétend aussi que son père était un gangster assez réputé, même s'il ne l'a jamais connu. Je me suis demandé s'ils n'avaient pas un lien. C'était assez courant chez les gangsters de l'ancienne génération de coucher à droite à gauche et de semer des bâtards un peu partout.

— Et alors ? Qu'est-ce que ça peut faire ?

— Si Seong-eun n'est que le fils illégitime de Kim Gap-ryeong, il doit être jaloux de Gi-myeong. Il doit ressentir de la rancœur et de l'envie, peut-être même jusqu'au point de vouloir le tuer...

— C'est ce que t'espères ? Que les membres de Big Deal s'entretuent ? Parce que je ne pense pas que ce soit très bon pour nos affaires... Tout repose sur eux. C'est la seule faction active pour le moment. Il va me falloir un peu plus de temps pour mettre au point la faction des Travailleurs avec Yoo-jin. Et pour ça, j'ai besoin de l'argent récolté par les trois autres factions. C'est notre investissement. Je compte faire fructifier ces centaines de millions en centaine de milliards de wons grâce aux Travailleurs. Ça avance du côté de Gangbuk et Gangdong ?

— J'y travaille...

— Bien, parce que j'ai pas toute la vie devant moi. Mon temps est précieux et j'aimerais mettre en place tout ça le plus vite possible.

— Pourquoi t'es si pressé ? Qu'est-ce que t'a promis M. Choi en échange de la création des Travailleurs ?

— Il a promis de soutenir ma propre entreprise et d'investir massivement dans mon affaire dès qu'il aurait lancé la sienne. Je toucherai aussi un joli pourcentage sur les revenus générés par les Travailleurs.

— On en revient toujours à l'argent... T'as d'autres aspirations dans la vie à part devenir riche comme Crésus ?

— Non, fit Jong-goo en caressant Yoyo du bout des doigts. L'argent c'est la seule chose que je peux me permettre de désirer pour le moment.

[ 3 ]

Si-nu s'était peu à peu rétabli de ses blessures. Il lui avait fallu trois semaines de repos total pour retrouver l'usage de sa jambe. Il était encore en convalescence et devait utiliser une béquille pour marcher. Il avait eu vent de ce qui se tramait au sein de Big Deal, malgré les efforts de Yeon-hui pour lui cacher la vérité. Elle ne savait pas mentir. Il voyait bien à son air tracassé qu'il se passait quelque chose. Il avait réussi à lui tirer les vers du nez, non sans mal, et sa petite amie lui avait avoué que Noan et Seong-eun forçaient les filles à leur céder tous leurs bénéfices. Elles n'avaient même plus de quoi manger, elles devaient se contenter de ce que le gang voulait bien leur distribuer.

— Qu'est-ce que tu vas faire ? demanda-t-elle en le dévisageant avec angoisse.

— Yeon-hui, dit-il doucement en prenant son visage en ses mains. Je sais que tu t'inquiètes pour moi, mais je ne peux pas rester les bras croisés. Je ne peux pas les laisser détruire cette rue.

— Je sais, mais Si-nu... tu es à peine remis de tes blessures. Tu n'es pas en état de te battre. Je ne veux pas que tu sois blessé... pas une nouvelle fois... pas comme ça. J'étais folle d'inquiétude. J'ai vraiment cru que tu allais mourir...

Quelques larmes avaient roulé sur ses joues. Si-nu les essuya d'un revers de pouce.

— Ne pleure pas. J'ai besoin que tu sois forte, pour moi et pour Big Deal. Je vais trouver une solution. Alors fais-moi confiance.

Il l'embrassa tendrement avant de quitter la chambre. Les lèvres de Yeon-hui avaient le goût de ses larmes. Il détestait quand elle pleurait à cause de lui, mais quel choix avait-il ? Il devait tenir sa promesse. Il devait protéger Big Deal, même si cela signifiait affronter ses propres hommes.

 [ 4 ]

Noan et Seong-eun étaient installés dans un des petits restaurants de la rue. Ils discutaient autour d'un bon bouillon à l'os arrosé de bière.

— Tu es vraiment impitoyable, Seong-eun, dit Noan sur le ton du compliment. J'ai entendu dire que tu avais ordonné aux hommes d'affamer les filles qui ne vendaient pas assez. Bon travail. C'est le genre de détermination qu'il faut pour se faire cent millions de wons. Je n'ai jamais aimé ces filles de toute façon... De vrais parasites. Tout ça à cause de Si-nu. Ce n'était pas comme ça dans le temps. Avant, elles savaient ce qu'elles risquaient si elles ne payaient pas. Enfin... Il est temps de prendre notre nouveau rôle au sérieux si on veut gagner les faveurs de Gun-

Il se tut en voyant Si-nu dans l'encadrement de la porte, appuyé sur sa béquille, le regard noir. Noan avait perdu son rictus arrogant. Il se leva d'un bond, ses yeux cherchant désespérément une issue, mais il n'y en avait aucune. Il leva les mains en signe de défense en singeant un sourire faussement coupable, mais avant qu'il ne puisse s'expliquer, Si-nu lui avait collé une bonne droite dans la mâchoire. Ce sale petit bâtard... C'était encore un gamin quand Si-nu avait pris la tête du gang. Il avait eu pitié de lui, mais il n'aurait jamais dû se laisser attendrir par cette vermine. Il aurait dû le chasser avec les autres.

Pourtant, ce n'était pas Noan qui le décevait le plus. Ce n'était jamais agréable de se faire poignarder dans le dos, mais sa trahison était prévisible. Seo Seong-eun en revanche... Il avait changé, ces derniers temps.

— Noan, tu te crois où là, exactement ? gronda le boss de Big Deal avec colère. En plus de martyriser les filles pour leur soutirer de l'argent, tu leur as coupé les vivres et tu refuses de les nourrir si elles ne font pas assez de bénéfices ? Cet argent, elles l'ont gagné par elles-mêmes, pour elles-mêmes. Ce ne sont pas tes esclaves ! Rends-leur ce que tu leur as pris ou je te tue, ici et maintenant. À toi de voir, Vieille Face !

— Tu crois qu'on a le choix ? répliqua Seong-eun avec dédain en s'interposant entre lui et Noan. Si on ne paye pas notre tribut à ces deux malades, Big Beal va être anéanti. On fait de notre mieux pour protéger le gang. On l'a fait à ta façon, et on s'est cassé les dents. Regarde dans quel état tu es... Une défaite ne t'a pas suffi ? À moins que tu aies une autre idée ? Je sais que tu t'es occupé de Big Deal pendant de nombreuses années, mais il est temps de faire face à la réalité. Tu es devenu un poids mort. Tu le sais, n'est-ce pas ?

Si-nu resta silencieux un long moment. Il hésitait à exprimer le fond de sa pensée. Il ne voulait pas le provoquer davantage. Il avait peur de le pousser un peu plus dans ses retranchements et de ne plus pouvoir le ramener à la raison. Peut-être que c'était inévitable. Peut-être qu'il n'y avait pas de rédemption pour Seong-eun. Dans ce cas, même si ça lui brisait le cœur, Si-nu devait mettre fin à cette folie.

— Tu vois ? fit Seong-eun avec un sourire cynique. Tu n'as rien à dire. Ça prouve que j'ai raison.

— Pourquoi... ? Pourquoi tu es devenu comme ça, Seong-eun ? demanda-t-il tristement. J'ai toujours su que tu avais de l'ambition, mais tu n'étais pas aussi cruel. Pourquoi es-tu devenu aussi monstrueux ? Est-ce que c'est à cause de Gi-myeong ?

— Si-nu, murmura-t-il froidement à l'oreille de son camarade en posant une main sur son épaule. Si tu n'avais pas fait de Gi-myeong ton favori, j'aurais été de ton côté. Il est temps de prendre ta retraite. Prépare-toi.

Si-nu serra les dents. Il avait atteint un point de non-retour avec Seong-eun. Il avait raison. Il était temps de préparer sa retraite. Il comptait partir avec les honneurs. Ce serait un sacré pot de départ.

[ 5 ]

Si-nu n'était pas le seul à avoir remarqué ce changement d'attitude chez le bras droit de Big Deal. Hwang Jae-won l'avait remarqué aussi et il s'en inquiétait. Seong-eun était tout pour lui. C'était son meilleur ami. Son seul ami. Il avait peur d'être laissé pour compte. Il ne comprenait pas pourquoi son camarade se mettait en colère comme cela dès qu'on mentionnait Kim Gi-ryeong. Qu'est-ce qui s'était passé entre eux ?

De son côté, Kyung-heon avait décidé de plier bagage. Il n'avait plus de raison de rester ici. Pas sans Gi-myeong. Pas quand tout était en train de se barrer en couilles.

— Tu t'en vas ? demanda Kun-woo en voyant son camarade faire sa valise. Tu vas aller où ?

— Je ne sais pas, mais Big Deal n'est qu'un gang comme les autres à présent. Et je ne veux pas être complice de ces abus.

— Et si Gi-myeong revient ?

— Il ne reviendra pas. Il est parti parce que Big Deal était en train de devenir comme tous les autres gangs qu'il déteste. Il savait qu'il serait obligé de se battre comme une vulgaire racaille s'il restait. Il est parti parce qu'il ne voulait pas devenir comme son père.

— Et les filles, alors ?

— Oh merde, c'est vrai ! Les filles...

— Elles ne seront pas en sécurité si on s'en va. On ne peut pas les abandonner. Elles n'ont nulle part où aller...

Kyung-heon tourna la tête vers le gorille des montagnes assis en tailleur, son dos droit aligné contre la porte de la chambre. Les yeux fermés, il semblait méditer.

— Qu'est-ce tu vas faire, Ji-tae ? Tu vas rester assis là... ?

— Je vais attendre le retour de Gi-myeong. En attendant, je vais faire ce qu'il aurait fait. Je vais protéger cet endroit.

L'épée de Gi-myeong avait parlé. L'Étalon Écarlate de Jeju poussa un soupir en vidant sa valise qu'il venait tout juste remplir.

[ 6 ]

Han Si-nu avait retrouvé la trace de Gi-myeong. Il l'avait supplié de revenir à Big Deal, mais son camarade était inflexible.

— Je ne veux pas retourner là-bas. Laisse-moi.

— Oh, allez ! S'il te plaît ! Je t'ai même apporté toutes tes friandises préférées. Regarde ! Y a même des KitKat au melon. Tu sais, ceux qui ont un goût de savon !

Il lui montra le contenu d'un sac de courses rempli de boîtes de biscuits et de bonbons très clairement périmés depuis belle lurette. Il avait dû les trouver dans le fond d'un vieux placard moisi.

— Tu me prends pour qui ? Un gamin de cinq ans ? Je vais crever si je mange tes trucs...

— Il n'y a pas que ça ! J'ai trouvé un plan pour vaincre Gun.

— Laisse-moi deviner... Il va encore falloir se battre ? Pour être honnête, je n'ai jamais vraiment voulu rejoindre Big Deal. J'ai eu un moment de faiblesse, j'ai cru que ça pourrait être différent... mais je ne veux plus m'impliquer dans cette histoire. Je sais que c'est égoïste de ma part de te lâcher maintenant, alors que tu as besoin de moi, mais j'ai mes propres raisons. Tu peux me traiter de lâche, si tu veux. Ça ne changera rien à ma décision.

Il n'avait plus rien à lui dire. Son sac de cours à l'épaule, il avait tourné le dos au boss de Big Deal. Si-nu ne voulait pas en arriver là. Ce n'était pas un argument qu'il voulait utiliser contre Gi-myeong qu'il adorait comme un petit frère, mais il n'avait pas le choix.

— Je sais pourquoi tu as peur... lança-t-il alors que le garçon s'éloignait. Tu penses que plus tu devras te battre, plus tu risques de ressembler à ton père. N'est-ce pas ? Fils de Kim Gap-ryeong.

Gi-myeong se figea. Il n'en avait pas parlé à Si-nu, alors comment... ?

— J'ai commencé à cogiter, quand j'ai entendu Jong-goo parler de l'enterrement de ton père. Il ne m'a pas fallu longtemps pour faire le rapprochement. Je connaissais déjà Gap-ryeong de réputation. Il était connu pour être juste et équitable avec tout le monde, à part avec son fils, qui ne pouvait pas le saquer. J'ai aussi entendu dire que son fils avait fugué parce qu'il ne voulait pas finir comme son père. Ce que je ne savais pas, en revanche, c'était que le fils en question, c'était toi. Gi-myeong. Je comprends pourquoi tu as quitté Big Deal. Après tout, même si c'est pour la bonne cause, un combat reste un combat. Et il y aura toujours un autre combat après celui-là, puis encore un autre. C'est sans fin. Tu es parti parce que tu ne voulais pas te réveiller un beau jour et te rendre compte que tu étais devenu un gangster comme ton père.

— Eh bien, puisque tu sais déjà tout, je n'ai pas besoin de m'expliquer davantage. C'est exactement ça. Je ne veux pas devenir comme mon père, alors je refuse de rejoindre Big Deal.

— Tu n'as pas besoin de rejoindre le gang. J'ai juste une chose à te demander...

Si-nu s'était péniblement mis à genoux en s'agrippant à sa béquille. Il s'était prosterné devant celui qui représentait son dernier espoir. Cet imbécile pleurait en le suppliant. Il chialait comme un gros bébé.

— Gi-myeong, j'ai besoin que tu protèges les filles, dit-il en reniflant bruyamment. C'est tout ce que je te demande. S'il te plaît ! Seong-eun et Noan ont pris tout leur argent. Ils menacent même de les affamer si elles ne font pas cent millions de wons chaque mois. Je sais que tu ne veux pas de cette vie à cause de ton père, mais sans toi, il n'y a plus personne pour protéger les filles. Je ne te demande pas de prendre la tête de Big Deal, mais s'il te plaît... Si tu ne le fais pas pour moi, fais-le pour elles. Ces filles ont besoin de toi.

Kim Gi-myeong ne pouvait pas faire semblant de n'avoir rien entendu. Il ne pouvait pas ignorer les supplications larmoyantes de Si-nu. Il était rentré chez lui et il avait longuement réfléchi à sa demande. Avant de prendre une décision, il était retourné voir sa mère. Il avait l'impression que ça faisait une éternité qu'il n'avait pas mis les pieds dans cette maison. Il n'y était pas retourné depuis le décès de son père.

Quand il était entré dans le salon, sa mère était en train d'astiquer le portrait de son mari, une cigarette à la bouche. Il ne savait pas pourquoi elle tenait tant à cette photo. Parfois, il avait du mal à la comprendre.

— Eh bien, qui voilà ? Ça fait si longtemps que je ne t'ai pas vu que je commençais à oublier que j'avais un fils. Tu aurais pu faire l'effort de m'appeler pour donner des nouvelles.

— Tu ne m'as pas appelé non plus, lui fit remarquer Gi-myeong en haussant un sourcil. Je ne fais que passer, mais j'avais une question. J'ai toujours eu une mauvaise opinion de papa, mais pour une fois, j'aimerais vraiment savoir quel genre d'homme il était.

— Je suis surprise. Je ne m'attendais pas à ce que tu fasses tout ce chemin juste pour me poser des questions sur ton père. Tu veux savoir quel genre d'homme était Kim Gap-ryeong ? De tous les hommes que j'ai fréquentés dans ma vie, c'était la pire sous-merde que je n'ai jamais connue.

Il y avait de l'amertume et du ressentiment dans son ton. Une expression de rancune tenace se lisait sur son visage de femme flouée.

— Pourquoi je ne suis pas étonné ? soupira Gi-myeong en secouant la tête. Je n'aurais pas dû poser la question. Je ne sais pas ce qui m'a pris de venir ici. Merci quand même.

— Enfin, ça, c'est mon opinion en tant qu'épouse, reprit sa mère avec un air plus doux, presque mélancolique. Pour la femme que je suis, Gap-ryeong était un homme infidèle et négligent qui m'a brisé le cœur et qui a piétiné ma dignité. Mais c'était le genre d'homme qui ne pouvait pas ignorer une injustice. C'était un homme plein de passion qui mettait ses poings au service de la veuve et de l'orphelin, sans rien demander en retour. C'est ce qui m'a séduite chez lui, et c'est ce qui a séduit beaucoup d'autres femmes... Et comme cet idiot ne savait pas dire non à un joli minois...

Elle poussa un soupir résigné en écrasant sa cigarette dans un cendrier avant de se tourner vers son fils. Elle lui offrit un sourire chaleureux qui contrastait avec ses yeux embués de larmes.

— Je ne sais pas pourquoi tu es venu pour me demander ça, mais j'espère que tu as la réponse que tu cherchais. N'oublie pas de m'appeler de temps en temps.

Gi-myeong s'inclina respectueusement avant de quitter sa mère. Il avait pris sa décision.

[ 7 ]

Gun était assis sur un banc près de la supérette de Big Deal. Depuis quelques semaines, il venait régulièrement pour garder un œil sur leurs affaires. Autant dire qu'il n'avait pas été déçu du voyage. Il tira sur sa cigarette puis exhala un nuage de fumée gris pendant que Big Deal faisait face à une révolte de la part des filles qu'ils tentaient d'exploiter. Elles s'étaient rassemblées dans la rue pour protester contre ces mauvais traitements. Elles n'avaient pas l'intention de se laisser faire.

Gun, lui, n'avait pas l'intention d'intervenir. C'était à Big Deal de gérer ce merdier, mais il était un peu déçu. Il pensait Seong-eun plus malin que ça. À quoi s'attendait-il exactement ? Ces filles avaient grandi sous la protection de Han Si-nu. Elles savaient ce qu'étaient le respect et la liberté. Elles savaient ce qu'elles valaient et ce qu'elles méritaient. Elles étaient prêtes à se battre pour leurs droits et elles avaient raison. Peut-être qu'il s'était trompé à son sujet... Seong-eun ne ferait pas l'affaire.

En parlant du loup... Le bras droit de Big Deal était sorti dans la rue, suivi de ses hommes, pour disperser les filles rebelles.

— Vous faites quoi là ?! hurla Seong-eun avec colère. La grève ?! Retournez bosser avant que je vous en colle une !

C'était Yeon-hui qui était à l'initiative de cette petite révolte. Elle ne voulait pas laisser Si-nu porter ce fardeau seul. Ils devaient protéger ce quartier ensemble.

— Seong-eun, je sais pourquoi Big Deal a besoin de tout cet argent, mais tu vas trop loin ! On fait de notre mieux, mais nous couper les vivres ? Tu as perdu la tête ? Tu sais bien que c'est quasi impossible de récolter autant d'argent en si peu de temps, même en combinant tous nos revenus. Tu crois qu'il sert à quoi cet argent ? Nous aussi, on doit vivre. On a un loyer et des charges à payer. Certaines d'entre nous ont même des enfants à nourrir. Si tu as besoin de cet argent, on veut bien t'aider, mais laisse-nous plus de temps. Tu ne peux pas exiger une telle somme en si peu de temps et nous menacer comme ça !

— Si vous ne pouvez pas le faire, alors allez vous faire foutre. Cassez-vous ! Dégagez de mon quartier !

— Pardon ?! Ton quartier ?! T'es complètement taré ! Tu crois que tu peux nous saigner à blanc pour récolter tout cet argent ?! Comment est-ce que tu peux nous faire ça ? Gi-myeong-

Elle avait prononcé le nom qu'il ne fallait surtout pas mentionner. Avant qu'elle ne puisse terminer sa phrase, Seong-eun avait levé la main pour la faire taire. Il l'aurait giflée si Kwon Ji-tae ne s'était pas interposé pour protéger Yeon-hui de la furie du second en commande.

— Bouge de là, Ji-tae ! ordonna Seong-eun en lui jetant un regard hostile. En fait... j'ai une meilleure idée. Tu tombes à pic. Écoutez-moi bien, les filles. Si cent millions de wons c'est trop, alors voilà ce qu'on va faire. Je vais tabasser cet imbécile jusqu'à ce que vous m'apportiez l'argent. Il a l'air d'avoir envie d'encaisser les coups à votre place. On va voir combien de temps il va tenir.

Un sourire mauvais aux lèvres, Seong-eun darda ses yeux de bête sauvage sur Kwon Ji-tae, mais le gorille était impassible. Il n'allait pas se laisser intimider par cette ordure qui ignorait la définition du mot respect.

Il le dominait de deux bonnes têtes, aussi bien en hauteur qu'en largeur, mais il avait choisi de ne pas sortir les poings. Il était là pour protéger. Aujourd'hui, ce n'était pas une épée, mais un bouclier. Il avait donc bravement encaissé coup sur coup. Il saignait du nez, il avait mal à la mâchoire et ses joues étaient enflammées, mais il n'avait pas bougé d'un iota.

— J'espère que tu as bien mangé, Seong-eun, dit-il alors en baissant les yeux vers son agresseur. Parce que si tu comptes me tabasser toute la nuit, il va te falloir de l'énergie.

Seong-eun esquissa un sourire mauvais. Cet imbécile n'avait rien dans le crâne. Ce n'était qu'un grand benêt dans un corps de monstre. Quel gâchis ! Il arma son poing. Il allait s'en donner à cœur joie avec ce punching-ball humain.

— Arrêtez ! s'écria Yeon-hui qui sentait la situation lui échapper. Ça suffit ! On fera de notre mieux ! Alors arrête, Seong-eun. S'il te plaît !

— Stop ! C'est pas cool du tout ce que vous faites, là.

Tout le monde se tourna vers l'homme qui venait d'apparaître au bout de la rue. Kim Gi-myeong. Il n'avait aucune envie d'être là, mais lui aussi avait cédé à la passion. Et maintenant, il s'apprêtait à faire une nouvelle connerie qu'il allait sans doute regretter. Tout ça à cause d'un seul mot.

"Passion, mon cul."

— Seong-eun ! lança-t-il en s'avançant vers lui, l'air sombre.

Il s'arrêta à quelques pas de lui. Les mains dans les poches de son long manteau noir, il le dévisagea longuement avant de prendre la parole.

— J'ai oublié qu'on n'a jamais décidé qui de nous deux était le véritable boss de Big Deal.

Il avait collé son front contre celui de Seong-eun, mais son rival n'était pas impressionné par cette tentative d'intimidation. Son regard était tout aussi noir.

— Tu veux dire que la dernière fois qu'on s'est battus, tu me ménageais ? répliqua-t-il en montrant les crocs.

— Je pourrais dire la même chose de toi. Je suppose qu'on va bientôt le savoir...

Gun avait jeté son mégot dans la poubelle près du banc. Le fils prodigue était de retour. Kim Gi-myeong, fils de Kim Gap-ryeong. Le sang d'un des plus nobles gangsters de ce siècle coulait dans ses veines. S'il devait choisir un successeur pour régner sur les quatre factions, Gi-myeong était un bien meilleur candidat que Seong-eun.

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