Chapitre 04. une douce monotonie

Par Urukem
Notes de l’auteur : Dans ce chapitre, la vie s’écoule au rythme d’une étrange routine, douce et décalée, où chaque geste et chaque mot tissent un lien invisible entre deux solitudes. Lys, solaire et imprévisible, vient troubler la quiétude silencieuse d’un témoin immobile. À travers ses rires, ses maladresses et ses éclats de poésie, elle insuffle une chaleur nouvelle, presque imperceptible… mais suffisante pour réveiller quelque chose d’enfoui. Ici, le quotidien se fait théâtre, la boue devient scène, et chaque rencontre cache une promesse. Entre jeux, confidences et fragments de mémoire, c’est une lente germination qui commence — celle d’un nom, et peut-être d’une histoire à écrire à deux.

 

Chapitre 04. une douce monotonie 

Section 01 :  

"dans les champs déserts, 

un Nom pousse entre les Vents — 

je deviens quelqu'un." 

 

elle s’appelait donc Lys. 

Et ce Mot vibrait dans l’air, comme un fil rouge, tendu — dans un labyrinthe sans mur, guidant mes pas à travers la brume. Un Mot simple, fragile, mais qui s’enracinait, lente — ment tout au fond... au fond de moi.

je ne sais pas ce qu’est un nom, mais je sais ce qu’est une Présence, et depuis qu’Elle me l’a offert, le Monde a pris la teinte du feuillage après la pluie... un peu plus vert.  

Lys.  

Ce n’était pas un nom. Non. C’était... une promesse. Une étincelle posée sur le tas de cendres que j’étais, le souffle chaud d’une main sur ma joue de paille, une existence devenue tangible, parce qu’elle l’avait nommée.  

Depuis… elle revenait chaque jour, parfois au petit matin, les pieds trempés dans la rosée, parfois à la tombée du jour, quand les Ombres s’étiraient comme des chats paresseux.  

Lys parlait beaucoup, à moi, peut-être, aux Pierres, sûrement, au Ciel, souvent. 

Des mots en pagaille, des questions jetées comme des cailloux, dans le lac du silence. Un jour, elle m’a apporté une écharpe, rouge, un peu déchirée. 

 — Il faut bien te couvrir, sinon tu vas moisir sous la pluie, dit-elle en riant. 

je n’ai pas ri, mais ce morceau de tissu… il battait au vent comme une bannière — Fshhh... comme une preuve. 

Quelqu’un m’avait vu

Ce simple morceau de laine,  accroché à mon cou de bois, c’était presque... un cœur.  

Au fil des jours, une routine tissa sa place, timide, mais présente, comme une promesse fragile, un fil de soie tendu…

Lys nettoyait sa maison, avec une énergie maladroite. 

— Y'a trop de saleté… j'aurais dû faire ça plutôt. Mais bon, mieux vaut tard que jamais.  

Elle rit, un peu gênée. Sous ses doigts, la mousse cédait lente — ment, des copeaux verts 

tombaient 

comme 

des 

miettes

de 

lumière —

sur les planches.  

Elle chantait faux, mais fort. 

— IT'S A NEW DAY. IT'S A NEW DAWN. IT'S A NEW LIFE… FOR ME.  

Des bouts de mélodies qu’Elle inventait, sans air, sans justesse, mais avec toute la lumière qu'Elle avait.  

— AND I'M FEELING GOOD.   

Elle parlait aux fleurs, fraîchement écloses.  Insultait les ronces, qu'Elle piétinait par mégarde. 

— Cette p'tain de ronces ! Elle me pique… encore  !! Dit-elle en grommelant.   

Parfois, Lys dansait, à cloche-pied, dans la boue — Slap — Slop... et quand Elle glissait, Elle se redressait d’un bond, les bras levés, comme un général victorieux sur un champ de gadoue.  

Elle disait. 

— Le monde est moche. Mais moi, je veux le refaire. Même si Je suis toute seule. 

Et ce "Je" vibrait en moi comme une cloche lointaine, ce "Je" sonnait plus vrai  que tout ce que j’avais connu, moi qui n’étais qu’un "il". Qu’un "ça".  

un

rien.  

Mais quand Lys me regardait… je devenais peut-être — un peu plus, 

Quelqu’un

 

Section 02 :  

"sous la boue, un mot, 

Larmes et rires l'accueillent — 

un Nom prend racine. " 

La pluie avait cessé, mais tout était détrempé, le Ciel encore gris, lourd, comme s’il hésitait à pleurer encore un peu.

Lys, elle s’ennuyait, après avoir retourné son carnet dans tous les sens, griffonné trois pages de rien, joué du luth faux exprès — juste pour m’embêter.

Puis, elle s’était tournée dans ma direction, faisant le tour de moi, comme un chat fixe un oiseau... qui ne vole pas.

— Tu sais… T’es vraiment pas bavard.

Lys plissa les yeux, les sourcils froncés, imitant une grande réflexion. 

— Même pour un épouvantail, T’es un cas.

Et elle commença son inspection.

— Cette tache-là, c’est une mousse ou un champignon ?

Elle tapota ma manche, comme un félin avec un oiseau boiteux, faisant attention à ne pas me blesser.

— Et ça, c’est Ta main ou un vieux gant cousu à l’arrache ?

Elle s'arrêta un instant, croisa les bras.

— Franchement, T'es flippant. Mais je T'aime bien. 

Puis elle continua, tournant lente — ment autour de moi, comme on fait le tour d'un mystère, un détective de l’ennui.

— Si Tu pouvais parler, j’suis sûre que Tu serais du genre pince-sans-rire.

Elle ricana. Fort. Vraie.

— Je suis fait de paille… donc Je m’en balance.

Et c’est là qu’un corbeau, digne héritier de la pluie, fit son entrée. Un cri, une aile, et Floop — une offrande céleste.

Lys resta figée, cligna des yeux, de ses mèches 

coulaient 

                   un 

                         liquide 

                                       blanc...

                                                      visqueux

puis, lente — ment, elle porta une main à ses cheveux, espérant que ce soit une crème glacée 

tomber 

du 

ciel.

Splotch

Vaine espérance. 

— Non… sérieusement ?!

Elle leva les yeux, dégoûtée. 

Le corbeau, hautain, croassa — CRÂÂÂ !

Elle soupira. 

— Tu crois que j’ai pas assez de merdes comme ça dans la vie ?!

Elle fit un pas rageur —TAP ! puis un autre — TAP ! mais son pied glissa sur une flaque — Frrrk

SPLAF !

— Bordel de...

Le Monde chavira, et Lys, face contre terre goûta l'humiliation tiède d'un baiser de gadoue. Un cri étranglé, et son corps s’écrasa contre le poteau, contre-moi.

— Gnn… quelle journée de...

Sous la boue, quelque chose accrocha la lumière... et son regard. Une cicatrice dans le bois, rongée par la pluie. Elle plissa les yeux, comme pour mieux écouter.

Des lettres, trop tremblantes pour être récentes, trop nettes pour n’être que hasard.

— Jack ?

Elle le dit à voix basse, comme pour ne pas l’effrayer, comme un enfant prononce un sortilège.

— Jack… Ça sonne bien, ça sent la poussière et la liberté, c’est un nom qui a marché sous la pluie, un nom qui n’a jamais demandé pardon d’exister.

Puis elle rit. 

— Pfff… hahahaha ! 

Un vrai rire, Chaud, large, qui s’échappa dans l’air encore humide, des larmes jaillirent, sans prévenir.

— Jack… Mais oui ! Jack. Ça te va si bien, idiot d’épouvantail.

 

Elle posa une main sur ma poitrine rêche.

— Tu avais un nom. Toi aussi.

 

Et moi… si j’avais pu, j’aurais pleuré avec Elle. Ou ri, ou crié, ou peut-être juste murmuré,

Merci.

 

Section 3 :

“Flacon sans nom,

soupir dans le silence —

que voulais-je dire ?”

 

Le Ciel avait rabattu sur lui-même un couverture de nuages, grincheux et renfrogné, décidé à ne rien céder à la Lumière. Le Vent, apaisé, retenait son souffle, même les arbres semblaient attendre quelque chose… ou quelqu’un.

Puis — CLAC-CLAC-CLAC !

Un vacarme brisa la suspension du Monde, et Là, Lys. Elle tirait un vieux pupitre à roulettes, bringuebalant — un cercueil mal huilé. Elle y avait entassé un chaos d’objets : loupe, mortier, cuillère en argent noircie, fioles à moitié vides, flacons poussiéreux, et un sablier inversé.

— Silence dans la salle ! déclara-t-elle, en tapotant trois fois la table avec une cuillère.

Elle portait une blouse blanche tachée d’encre et de fatigue, l’air d’une scientifique échappée d’un rêve, un monocle vissé de travers, et des chaussettes dépareillées. Lys se posta devant moi, le regard fier, puis proclama.

— Bonjour Jack ! Aujourd'hui est un grand jour. Moi, la grande Lys va t'enseigner l'art de l'apothicairerie. 

Son regard insistant, rempli d'attente, me convainquit de jouer le jeu… même si je n'avais pas la moindre idée de ce qu'était une apothicairerie. Elle sortit une baguette — fine, tordue, scintillant d'énigme, et me pointa droit au cœur.

— À partir d'aujourd'hui, tu es mon élève, Jack. Et tu peux m'appeler la grande magnifique phénoménale professeure Lys !

La grande magnifique phénoménale professeure Lys ? Sérieusement ? je restais interdit, ce titre sonne un peupompeux.

Et comme si elle lisait mes pensées. Lys me toisa du regard.

— T'as quelque chose à dire cher élève ?  Lança-t-elle d'un regard qui aurait fait fuir un aigle.

Nnon ! Madame la grande magnifique phénoménale professeure Lys !

— Bien ! C'est ce que je me disais.

Elle se retourna vers son pupitre, remontant ce fichu monocle qui refusait toujours de rester en place.

— Tout d'abord, je vais t'expliquer ce qu'est l'apothicairerie. C'est l'art de comprendre la nature et d'en extraire l'essence… pour la transformer en secours et lumière.

Lys s'arrêta un instant, prit son souffle, puis proclama.

— Nous, les apothicaires, avons offert nos vies à une seule cause : en sauver d'autres.

Sauver des vies ? moi ? Avec mes bras de bois et de pailles ?

Elle pointa de nouveau sa baguette vers moi, l'air solennelle, comme si elle venait de me nommer héritier d'un art ancien.

— Exactement ! Alors sois fier d'être mon disciple. Tu te tiens devant rien de moins que l'une des plus grandes apothicaires de ce monde, rien que ça.

Lys laissa planer un silence… un Silence dense, presque cérémonial. Puis elle plongea la main dans une boîte cabossée en fer blanc, en tira une poignée de graines et les glissa sur son pupitre, comme des secrets prêts à germer.

Qu'est-ce que c'est, professeur ?

— Ceci, mon cher Jack, est la griminelle bleue. C'est une plante rare : elle ne pousse que dans les mers de sable, un endroit aussi reculé que dangereux, oublié de tous… sauf d'elle. On l'utilise pour ne pas oublier, pour que notre mémoire tienne bon… avant que le temps ne les chasse de nous.

Ne pas oublier ?

— Oui, comme se rappeler où on a rangé ses clés, son livre… ou ses vêtements. Bref, c'est très pratique quand on a une mauvaise mémoire. 

Elle hésita. Soupira.

— J’en ai plein, forcément...

Elle plaça une graine dans un petit creuset.

— On l’infuse dans de l’eau tiède, jamais bouillante. L’oubli ne supporte pas la violence.

Puis elle versa quelques gouttes d’un flacon sans étiquette, et l’odeur qui s’en échappa était celle d’un grenier poussiéreux.

— On dit que ça aide à retrouver des souvenirs égarés... ou à s’en débarrasser. À toi de voir, hein ?

Elle s’interrompit. Regarda Jack.

— Moi, j’aimerais juste me souvenir de ce que je ressens, parfois. Avant que ça s’efface.

Un Silence s’installa, doux, presque gêné. Elle tenta un sourire, comme on jette un fil vers la lumière.

— Bon, note ça, élève ! Pas de feu, pas d’oubli. Et surtout... toujours goûter avant de servir.

Elle porta le mélange à ses lèvres, arqua les sourcils et cracha discrètement derrière le pupitre.

— Beurk. Raté.

Ça va, professeure

— Kof...Kof...ça va...beurgg...j'ai eu la main un peu lourde sur les larmes de sylphes rouges. 

Un sylphe rouge ?

Elle se reprît, l'air de rien, me lança un regard plein de malice puis répondit à ma question.

— Exactement, un sylphe rouge, c'est un être mystérieux qui vit dans les nuages. Quand il est en colère, il envoie de gigantesques éclairs rouges dans le ciel, comme des veines de feu traversant les nuages.

Elle prit le flacon.

— Et ça, c'est un flacon de larme de sylphe, un réactif très puissant… un peu trop d'ailleurs.

Elle regarda dans ma direction, les yeux scintillants comme une mer d’étoiles.

— Note bien ça, apprenti. Un apothicaire se doit de toujours bien doser ses mélanges, sinon… LA MORT !

Elle le dit d’un geste théâtral, comme si elle voulait m’effrayer. On aurait dit un canari imitant un aigle.

Un Silence moqueur s’installa, même le Vent, abasourdi, se tût. 

Consciente du malaise, Lys, gênée, reprit, non sans le visage rouge comme une tomate bien mûre.

— P… Peut importe, garde en tête que le dosage est primordial dans la concoction médicinale.

Elle se tourna vers son pupitre, essayant de chercher sa dignité parmi la pile d’objets entassés dessus.

Le cours continua, Lys m’expliqua tout un tas de concept que mon cerveau de paille ne pouvait saisir. Elle me parlait d’alchimie, de matrice, d’échange équivalent en dessinant des cercles énigmatiques, sur des feuilles fait en peau de créatures dont le nom m’est imprononçable. 

Les heures s’écoulaient comme le ruissellement d’un cours d’eau, puis la Nuit vînt sonner à la porte, sonnant le glas de ce cours où les murmures du Vent avait plus de sens ; que les mots de cette professeure aussi étranges que fascinante.

— Ce premier cours est terminé, j’espère que t’as bien retenu ce que je t’ai appris, n’est-ce pas ?

EuhÉvidement, j’ai tout saisienfin j’espère.

Elle me toisa du regard, l’air d’un rapace face à un rongeur sans défense.

— Hmm… J’espère que c’est vrai. De toute façon, la prochaine fois, c’est interro surprise.

C’est quoi une interro surprise ?

 

Lys rangea toute la pagaille qu'elle avait mis, les feuilles étaient éparpillés un peu partout, des liquides étranges suintaient des fioles, le pupitre était renversé et sa blouse tâché d'encre et de boue, comme si un ouragan était passé. 

Pourtant, malgré ce désastre apparent. C'était un sourire qui se dessinait sur son visage, large, chaleureux, même si un peu gêné.  

— Bon ben… À demain, cher élève, j'espère que T'as apprécié ce premier cours.

À demain professeure, je reste , Toujours

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Scribilix
Posté le 31/08/2025
Salut,
Je n'ai pas eu beaucoup le temps d'aller sur PA récemment mais je compte bien continuer ton histoire :). C'est toujours aussi poétique et surtout pleins de vie. Curieux pour un épouvantail. Je suis néanmoins curieux de savoir à quelle époque cela se passe. Lys évoque vraisemblablement des matériaux qui n'existe pas dans des contrées lointaines et le fait qu'elle soit apothicaire me faisait penser que l'histoire se déroulait dans une sorte d'époque médiévale fantastique mais d'un autre coté son vocabulaire est très moderne ce qui me laisse perplexe, dans le bon sens.
Bref je vais continuer :)
A la prochaine,
Scrib.
Urukem
Posté le 01/09/2025
Dans quel époque se déroule l'histoire, bonne question...hmm... très bonne question. La réponse est... aucune idée 😅. J'y ai pas vraiment réfléchi, j'écris un peu au felling donc j'ai pas vraiment fait de date précise. J'ai un peu mélangé, un peu médiévale et un peu de modernité.
Et pour le vocabulaire très moderne de Lys. Elle a beaucoup voyager donc c'est normal qu'elle parle pas comme une simple paysanne ou une noble.
Bref, j'espère que la suite te plaira tout autant.
À plus.
Urukem
Talharr
Posté le 15/08/2025
Hello ^^
Ah nouveau chapitre enfin aha
Il est vraiment chouette. Au début de l'histoire je savais pas où tout cela aller nous mener mais franchement j'aime beaucoup. Prendre l'épouvantail et suivre les aventures de lys qui est assez marrante à suivre, je trouve ça vraiment sympa.
Et c'est bien écrit, on lâche pas parce que on est l'homme de paille et Lys est humaine :)
Hâte de voir ce qu'elle sera l'interro de notre ô grande professeure ahaa

A plus ^^
Urukem
Posté le 16/08/2025
Hello Talharr
Je me suis vraiment amusé à écrire ce chapitre. Surtout la section 03. Je suis vraiment content de voir que toute ces efforts payent. À vrai dire, j'étais sceptique, l'histoire d'un épouvantail qui bouge pas, parle pas et fait rien. C'était vraiment un pari risqué. J'espère que la suite te plaira tout autant
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