La lame siffla, manquant Arkane de peu. Elle riposta par une offensive, dents serrées.
Galathée para, pivota, feinta à droite, échoua, avant de finalement bondir hors de portée. Pantelante, elle décocha à Arkane un rictus sauvage. Son sabre long scintilla à la lueur du jour tandis qu’elle le faisait tournoyer. Ses yeux, de la même teinte que l’acier qu’elle maniait, jetaient des éclairs de défi.
Arkane se mit en garde : deux tiers de son poids sur sa jambe arrière, genoux pliés, buste perpendiculaire à son pied avant, bras arrière plié et armé, bras avant devant elle, sa main légèrement en oblique lui permettant de faire usage de son tranchant. Elle descendit sa masse vers le sol, sa respiration apaisée.
Le soleil de ce début de matinée baignait la vallée sacrée d’un manteau d’or flamboyant, révélant les bâtiments en contrebas comme autant de tâches d’encre sur la toile majestueuse des montagnes. Le Sanctuaire se déployait sous elles, en partie plongé dans la brume matinale.
Galathée s’élança, sabre au clair. Ses gestes étaient francs et féroces, à l’image de sa personnalité. Elle l’attaqua sans relâche, enchaînant les figures avec aisance et vigueur sans lui laisser la moindre faille. Réduite à esquiver et se défendre, Arkane bondissait et virevoltait à toute allure. Là où le sabre tranchait l’air, elle ne s’y trouvait déjà plus. Leur combat dura un certain temps à ce rythme, nulle ne cédant à l’autre.
Le sabre décrivit un arc mortel, inébranlable. Arkane évita de justesse qu’il ne lui tranche l’épaule en se dégageant hors de la ligne d’attaque. Elle se coula le long du bras armé et asséna un coup du tranchant de la main sur le pli du coude, enchaînant avec son propre coude qui vola en direction du visage de son adversaire.
Avec n’importe qui d’autre, cela aurait fonctionné.
– Dommage, commenta Galathée, le tranchant de son sabre plaqué sur la gorge d’Arkane. C’est encore moi qui l’emporte.
L’apprentie avait lâché son sabre au moment où Arkane l’avait attaquée au coude, s’était baissée pour éviter in extremis le coup au visage, l’avait déséquilibrée en lui crochetant les jambes tout en virevoltant pour récupérer son arme de l’autre main.
– Vraiment ? riposta la jeune femme.
Elle avait un genou à terre, le sabre le long de sa carotide, figée dans sa tentative pour se redresser. Galathée grimaça lorsqu’elle sentit la pointe de la dague lui chatouiller le flanc.
Le clocher de la Dame perçait à travers la brume, son toit aux tuiles d’ardoise accrochant la lumière comme autant de miroirs scintillants. Perchée sur un surplomb rocheux, l’aire d’entraînement était un grand espace circulaire offrant une vue spectaculaire sur les montagnes. Au nord, à l’ouest et au sud, le terrain s’arrêtait abruptement, remplacé par les imposantes falaises des montagnes de Draèr. A l’est, un précipice d’une centaine de mètres plongeait vers le Sanctuaire, relié à ce dernier par un étroit escalier taillé à même la roche. Il n’y avait ni barrière ni indications préventives. Le vent balayait l’espace de ses rafales hurlantes, charriant les premières gouttes de pluie annoncées par les nuages noirs qui s’amoncelaient à l’horizon. Une petite bâtisse trônait au cœur du plateau circulaire, seul abri contre les éléments.
– Pathétique, lança Pyrrha, le maître d’armes du Sanctuaire.
Petite femme aux traits courtauds et à l’air perpétuellement renfrogné, Pyrrha Delàr était l’une de ces guerrières dont l’apparence négligée ne parvenait à dissimuler la formidable puissance se dégageant de chacun de ses pores. Elle était dotée d’un caractère explosif qui en avait fait la bête noire de nombreuses apprenties. D’aucun clamaient que Pyrrha formait le mélange idéal entre un nain et un ours, sans que personne ne se sente d’expliquer de qui, du nain ou de l’ours, elle tenait son caractère irascible.
Galathée releva son sabre, sa longue natte blonde fouettée par les bourrasques. Elle se tourna vers le maître d’armes tandis qu’Arkane se redressait en grimaçant.
– Toi, fit le maître d’armes en désignant Galathée. Si ton jeu de jambes fonctionnait au même rythme que ta bouche, tu n’aurais pas perdu aussi lamentablement. Et toi, poursuivit-elle en se tournant vers Arkane, tu es aussi souple et agile qu’une vieille carne qu’il faut tirer du lit. Je m’attendais à un duel, j’ai assisté à une rixe de taverne. Pitoyable.
Les mots, durs, frappèrent les jeunes femmes avec autant de force qu’un monstrueux coup de latte. Galathée serra les mâchoires jusqu’à les faire blanchir, Arkane vacilla. Pyrrha les regarda tour à tour, le visage impassible.
– Ce n’est pas en dansant comme des montagnards ivres que vous allez pouvoir prétendre au tatouage, assena-t-elle. Galathée, range-moi ce sabre et va faire quinze fois le tour du terrain, ça te rafraîchira peut-être les idées. Dix kilos devraient faire l’affaire pour le moment. Et quand tu auras fini, va voir du côté de cette satanée Lucille si j’y suis. Elle a beau m’échauffer les oreilles avec ses légendes farfelues, elle n’en reste pas moins une excellente archère et tu as grand besoin de travailler ta vision. Quant à toi, petite maligne, lança-t-elle à Arkane sans plus s’inquiéter de Galathée, ne crois pas t’en tirer à si bon compte. Tu vas m’exécuter dans leur totalité les trois premières formes du tollwë.
Avant de s’éclipser, Galathée envoya à Arkane un regard lourd de sous-entendus. Celle-ci, sous l’œil sévère du maître d’armes, serra les dents et prit une profonde inspiration.
La première forme du tollwë, art ancestral se transmettant au sein du Sanctuaire depuis des générations de guerrières, n’était pas très difficile. Arkane s’immergea dans les différentes figures avec l’aisance de l’habitude, son souffle régulier calqué sur ses déplacements, le fil de ses pensées s’étiolant jusqu’à ce qu’il n’y ait plus que son corps en mouvement.
– Stop !
Le cri la déconcentra. Arkane se figea en plein geste, rata une inspiration, perdit momentanément l’équilibre. Elle se rattrapa presque aussitôt, mais cet instant d’inattention suffit à la faire rougir de honte.
– Tu appelles ça une figure de l’Art ? cracha Pyrrha. Tu es aussi légère et gracieuse que ma grand-mère, une honte ! Recommence !
Sa voix claqua, sans appel. Une voix qui avait fait tremblé des générations de jeunes apprenties avant elle. Arkane courba l’échine, inspira, et reprit depuis le début.
Dix fois Pyrrha l’interrompit avant qu’elle ne parvienne à la fin de la première forme, et dix fois elle dut recommencer sous son œil intransigeant. Dix fois elle échoua.
– Pitoyable, répéta le maître d’armes. Je me demande bien qui, au conseil, t’a choisie comme candidate à l’Initiation. A ce stade, ce n’est pas une guerrière que tu risques de devenir, mais une circassienne ratée ! (Son rictus aurait fait fuir un troupeau de san’gles sauvages.) Dorénavant tu retravailleras la forme de base.
La fin de sa phrase fut ponctuée par le gong retentissant de la cloche de huit heures. Pyrrha émit alors un grognement qui, de l’avis d’Arkane, la faisait plus pencher pour l’hypothèse de l’ours.
– Ne songe même pas à quitter ce terrain avant que je n’ai validé tes figures, gronda-t-elle, plus menaçante que l’amas de nuages noirs du ciel.
Elle se détourna ensuite et partit houspiller un groupe de novices ayant le malheur de se trouver à proximité.
Un bon chapitre nous immergeant enfin dans ce sanctuaire et la vie de personnes l'occupant. Nous savons enfin que sa fonction est la formation de guerrières. Tes descriptions sont toujours aussi appréciables, le vocabulaire utilisé tombe juste chaque fois, je les aime beaucoup !
À propos de la scène de combat, cependant, j'ai une ou deux remarques à émettre :
En premier lieu, le paragraphe décrivant la garde d'Arkane est peut-être trop... descriptif à mon avis. Une formulation moins détaillée serait plus appropriée. Je comprends l'intention de faire comprendre au lecteur le travail que l'usage d'une telle posture a demandé au personnage, mais cela casse le rythme.
La seconde remarque concerne certains paragraphes de ce duel qui, dans l'ensemble, reste bien écrit. L'usage du passé composé alourdit la scène à mon sens, reste sur du passé simple, l'action n'en sera que meilleure. De plus, l'utilisation des auxiliaires sur certaines phrases me semble superflue et surcharge le texte. Un exemple tout bête :
Galathée s’élança, sabre au clair. Ses gestes étaient francs et féroces, à l’image de sa personnalité.
=> Galathée s’élança, sabre au clair, ses gestes francs et féroces, à l’image de sa personnalité.
La phrase est plus longue donc, mais comme Galathée s'élance, on la suit dans le mouvement. Évidemment, cette suggestion est le fruit de mon propre prisme de lecture, le meilleur des textes sera celui qui te plaira d'écrire avant tout.
Désolé de m'être attardé sur une petite partie du chapitre, car la suite fut un régal à lire, avec des dialogues maîtrisés de bout en bout.
Merci pour le temps que tu y as consacré, à plus tard !
Mille mercis pour ce beau commentaire ! C'est toujours un plaisir en tant que plume quand notre travail parvient à toucher quelqu'un :)
Pour ce qui est des commentaires, je les note avec reconnaissance et méditerai dessus de mon côté, un grand merci de les avoir soulignés !
Je suis d'accord que le petit paragraphe sur la description de la garde d'Arkane est de trop, je l'ai laissé là en attendant de trouver comment le modifier.
A plus tard et bonne lecture / écriture !
J'adore ce début d'histoire. Le combat est vraiment bien écrit et j'avoue avoir sourit après certaines répliques de Pyrrha. D'ailleurs j'aime beaucoup les prénoms des différents personnages qui sonnent très mythologie grec !
Ravie de lire que l'humour douteux de Pyrrha t'a tiré des sourires, c'était (en partie) le but!
Et que le combat t'ai paru réel, ouf! C'est un vrai challenge que d'écrire des scènes de combat, or je vais en avoir des tas au fil de l'histoire. Le truc c'est qu'il faut que ça reste crédible alors que parfois on a juste envie de partir dans tous les sens...
J'espère que la suite te plaira également, je me permets juste de préciser que comme indiqué sur mon profil je suis un peu en mode "blocage" et que l'écriture risque de prendre du temps...Mais je vais me motiver !