Ce n’est que bien plus tard, passée l’heure de midi, qu’une Arkane fourbue, trempée jusqu’aux os et d’humeur massacrante s’installa à la table du réfectoire. Ce dernier, haut de plafond et tout en longueur, se situait entre le petit cloître et la cuisine. Plusieurs groupes d’apprenties étaient assises à de longues tables en hêtre et celles d’entre elles qui étaient de corvée cuisine pouvaient être aperçues en train de courir d’une pièce à l’autre, les bras chargés qui de victuailles, qui de vaisselle sale.
L’orage s’était abattu sur la montagne avec assez de force pour en ébranler les fondations, et tout ce temps, elle l’avait passé dehors à essuyer les hurlements hargneux du maître d’armes.
– Chienne de vie, grommela-t-elle tout en plongeant sa cuillère dans le ragoût.
– A ce point ? s’enquit une voix espiègle.
Kym, qui avait hérité de la haute taille de ses ancêtres nordiques, prit place à sa droite sans s’inquiéter de son avis. Comme toujours, elle avait coiffé ses cheveux d’un noir épais en deux longues tresses lui retombant de chaque côté de la poitrine, et observait ce qui l’entourait avec ce mélange de curiosité et d’insolence qui la caractérisait.
Autour d’elles, les murmures s’intensifièrent. Arkane fusilla trois apprenties du regard avant de reporter son attention sur son bol.
– Mêle toi de tes affaires, Kym, grogna-t-elle. Je ne suis pas d’humeur.
– Tu n’es jamais d’humeur, la taquina son amie. C’est ce qui rend nos conversations si drôles.
Arkane soupira.
– Tu n’as vraiment rien de mieux à faire ?
– Quoi, comme me faire étaler dans la boue par sa majesté la reine des pestes ? ironisa-t-elle. Merci, mais non merci. J’ai eu ma dose.
En effet, ses vêtements, ses bottes ainsi qu’une bonne partie de son visage disparaissaient sous des litres d’eau boueuse. A elles deux, elles formaient un bien piètre tableau. Elles échangèrent un silence entendu. Puis :
– Vivement que je me tire d’ici, souffla Kym. Je n’en peux plus d’être coincée sur cette montagne.
Arkane acquiesça. Elle pouvait comprendre, étant elle-même impatiente de recevoir sa première mission.
La plupart de leurs camarades avaient grandi au Sanctuaire dès leur plus jeune âge, et n’avaient par conséquent connu que cela. Une vie rythmée par la prière, les épreuves, et la douleur. Chaque matin et chaque soir, elles se rendaient à la chapelle de la Dame pour tenter de se convaincre de leur piété, et chaque fois, Arkane échouait. Le reste de leurs journées se découpaient en tranches horaires gérées comme bon leur semblait par les différents maîtres d’armes.
Arkane, quant à elle, avait été trouvée par les guerrières à l’âge de dix ans. Il s’agissait d’une estimation puisqu’elle ne connaissait pas son âge exact. Tout ce qu’elle savait, c’était qu’on l’avait abandonnée aux pieds des falaises et que si l’Ancêtre ne l’avait pas accueillie, elle serait morte.
Toutes les novices du Sanctuaire avait une histoire. Kym y avait quasiment été élevée depuis toujours. Apparemment, elle aurait été enlevée de chez elle lorsqu’elle n’était qu’un nourrisson et aurait été vendue pour une belle somme.
– Joli combat, au fait.
Arkane n’avait pas besoin de demander pour savoir à quel combat elle faisait référence. Elle fit mine de touiller dans son ragoût.
– J’ai perdu.
– Tu plaisantes ? C’était un match nul.
– Ce n’est pas l’avis de Galathée.
– Depuis quand prends-tu ce qu’elle pense en considération ?
– Depuis qu’elle a apparemment décidé que le Sanctuaire n’était pas assez grand pour nous deux.
La sang-bleue – c’est ainsi qu’on appelait les habitants du Grand Nord ; manqua s’étouffer sur sa miche de pain.
– Cette garce se prend vraiment pour la reine du Sanctuaire, marmonna-t-elle après avoir laborieusement retrouvé son souffle. Tout cela car l’Ancêtre l’a qualifiée de prodige !
– C’est vraiment un prodige, pointa Arkane. Toutes les sœurs l’admettent, à l’exception de Pyrrha bien sûr. Il est aussi simple d’arracher un compliment à cette femme que de convaincre un tigre bleu que tu n’es pas son prochain repas.
– Tu marques un point, grommela Kym. Je suis persuadée que Pyrrha a du sang troll dans les veines.
Un groupe de novices plus jeunes passa de l’autre côté de leur table. Elles leur lancèrent des regards méprisants et se mirent à murmurer entre elles.
– Vous avez vu ? C’est la sang-bleue.
– La sale bleue, tu veux dire.
– Pourquoi Arkane perd-elle son temps avec une barbare ? A sa place, j’aurai peur de me faire gober les yeux pendant mon sommeil.
La remarque fut ponctuée de ricanements sonores. Les yeux sombres de Kym se mirent à luire d’une lueur dangereuse. Arkane poussa un soupir faussement catastrophé.
– Eh bien, si c’est ça la future génération du Sanctuaire, je suis bien contente de partir en vacances.
Certaines filles se tournèrent vers elle en fronçant les sourcils. Rapide comme l’éclair, Arkane décocha à son bol de ragoût un coup de coude magistral qui vola en plein sur leurs figures ahuries. Le concert de hurlements aigus qui s’ensuivit lui tira un sourire cruel, et elle se rassit comme si rien ne s’était passé. Elle n’aimait pas le ragoût, de toute manière.
A côté, Kym l’observait sous ses longs cils, l’expression indéchiffrable. Puis, un large sourire éclaira son visage.
– Et moi donc, dit-elle. Et moi donc…
Bon chapitre autour de l'amitié entre Arkane et Kym. On a un peu l'impression qu'elles sont les parias du Sanctuaire, l'une à cause de ses capacités (à moins que les prêtresses ne soient plus exigeantes avec elle) et l'autre à cause de son sang. Ce dernier point m'a quelque peu étonné, puisque la plupart des apprenties sont des orphelines, du moins ai-je cru comprendre.
En tout cas, tu maîtrises toujours ton vocabulaire, on a vraiment l'impression d'étouffer dans ce sanctuaire, on veut en sortir et voir le monde extérieur, à l'instar des personnages.
À bientôt !
Encore un grand merci pour ton commentaire, que je viens seulement de voir car je ne suis plus beaucoup sur internet en ce moment..
J'aime beaucoup l'amitié entre Arkane et Kym, qui ont en effet pas mal de difficultés à s'intégrer.
Ce sont quasi toutes des orphelines oui, mais les sangs-bleu font partie du peuple des Insoumis, des anciens impériaux qui ont colonisé le grand nord après les Jours Sombres (donc il y a plus ou moins 200 ans). Les Insoumis sont considérés comme des brutes barbares, et comme les préjugés ont en général le bras long, Kym n'est pas épargnée malgré la situation reculée du Sanctuaire.
En effet, vivement le début de l'aventure!
À bientôt