Chapitre 1.2 L'aventure commence

Notes de l’auteur : Ceci est la suite du chapitre 1 coupé en deux.

Alors que le soleil commençait à décliner en début d’après-midi, Dola décida qu’il était temps de prendre la route. Elle fouetta les lanières des chevaux qui avancèrent et quittèrent le village de Paçon. Dès qu’ils sortirent du village, Ymir se mit à prier dans une langue étrangère en formulant des incantations. Isil ferma les yeux pour méditer. Elle sondait les énergies autour d’elle pour s’en approprier leur force. Cattleya se positionna à l’avant de la caravane et resta concentrée en regardant les alentours avec méfiance. Elaron croisait les doigts en manipulant sa chevalière et attendit patiemment.

La côte de Paçon s’éloigna peu à peu. Le bruit des mouettes devenait de plus en plus lointain. Ils passèrent de la côte aux champs et quelques instants après des champs à la forêt. Puis, de la forêt à la forêt plus dense.

— Nous traversons les bois ! Mais je vais friser ! protesta Ymir en retournant à ses incantations.

— Mettez de la farine dans vos cheveux, proposa Dola avec sérieux.

Cattleya s’interloqua à la réaction du tieffelin et fut comme atterrée. Elle commençait réellement à se demander pourquoi Lucan avait fait appel à cette créature.

Après quelques instants de silence, Dola bien installée sur le siège de la cochère posa une question à Cattleya se trouvant sur sa droite.

— Alors vous… Vous connaissez Lucan ?

— C’était il y a une éternité. Une vie, pourrions-nous dire, oui. Nous nous sommes réellement rencontrés à la garnison, quand nous nous entrainions en tant que jeunes soldats. Nous étions deux recrues inexpérimentées dans ce temps-là.

— Avez-vous servi pendant la guerre ?

— Malheureusement non. J’ai dû quitter le territoire avant.

Dola commença à dévisager Cattleya en la regardant de haut en bas. Elle semblait intriguée par la grande taille de la femme. Ce comportement qui dura un long instant, renvoya l’humaine dans une position inconfortable. Cattleya reprit son observation des environs avec un air contrarié.

— Viens-tu du coin ? recommença Dola.

— J’ai vécu dans la région, il y a très longtemps, mais plus aujourd’hui. J’arrive du sud de ces régions. Je me trouvais près des îles fragmentées lorsque j’ai reçu la lettre de Lucan. Je me demande bien comment il a fait pour me retrouver d’ailleurs…

— Moi aussi je suis d’ici, enchérit Dola avec enthousiasme qui n’avait pas entendu la dernière réflexion de la jeune femme. Moi, à l’origine, je viens de Gondalfen, mais je ne me rappelle plus de quoi avait l’air la cité avant la guerre. Lorsque la ville est tombée, je me trouvais à l’étranger avec papa et maman. Ils étaient cochers eux aussi, tu sais…

Mais Cattleya n’écoutait que d’une oreille le monologue de Dola. Elle était préoccupée par l’horizon et épiait le plus insignifiant des buissons qui remuait. Elle resta alerte à la moindre chose pouvant surgir. Ymir tendait une oreille attentive en direction de l’avant pour suivre la discussion entre deux incantations. Elaron semblait quant à lui gêné d’avoir deux inconnues près de lui. Il avait les mains sur les genoux et bougeait les doigts nerveusement. Il se pinça les lèvres en apercevant par moment le regard perçant d’Isil qui reprenait sa méditation aussitôt.

Alors que le soleil commençait à décroitre, les ombres s’allongeaient et il était tard. Cattleya ne voyait rien d’inhabituel sur leur route, mais la nuit n’était pas son alliée à cet instant. Ymir semblait sur ses gardes et inquiète. Elle avait arrêté ses incantations pour jeter un œil à l’extérieur et aperçut la cime des arbres et leurs obscurités étranges. Elle n’était pas rassurée dans un tel environnement.

Le soleil finit sa course après la crête de la forêt et Dola invita la compagnie à leur indiquer l’emplacement d’une clairière étant donné que ses yeux étaient moins utiles dans le noir. Cattleya était contre cette idée, elle voulait continuer leur route pour atteindre Gondalfen le plus rapidement possible. Elaron se donna pour mission de dénicher cette clairière. Sa bonne vision dans le noir lui permit d’étudier les horizons tandis qu’Ymir retourna à ses incantations. Isil se réveilla en écoutant la demande de Dola et observa les alentours à l’arrière de la caravane. Elaron et Isil scrutèrent simultanément pendant quelques minutes sans rien trouver d’intéressant. Puis, avec une belle synchronisation, ils aperçurent au bord de la route, cachée derrière quelques branches, une petite clairière qui serait parfaite et dont les arbres étaient suffisamment espacés pour permettre à la charrette de circuler.

— Là ! annoncèrent-ils ensemble.

Mais Isil restait toujours sur ses gardes. Son instinct d’elfe la guidait à rester prudente. Elle plissait les yeux pour regarder à travers des feuilles et s’assurer qu’aucun bandit ou gobelin ne les attendait en embuscade. Mais elle ne découvrit rien de problématique. Elle était confiante, mais garda sa vigilance. L’attitude diligente et observatrice d’Isil n’échappa pas à Cattleya.

— Tu as de la famille dans le coin, Isil ? demanda l’humaine suspicieuse en voyant le comportement étrange de l’elfe.

— As-tu de la famille tout court ? demanda à son tour Elaron avec des mots doux.

Isil semblait déconcertée par les questions qui l’assaillirent.

— Pourquoi Lucan t’aurait-il appelé, toi spécialement ! demanda une nouvelle fois Cattleya.

— On a travaillé ensemble pendant la guerre, répondit Isil.

— Pendant la guerre ? s’étonna Cattleya.

Isil affirma timidement avec un hochement de tête.

— Ah, et bien vous avez dû vous croiser ! suggéra Cattleya à l’encontre d’Elaron qui avait su le percer à jour.

— Je ne pense pas, reprit Elaron en réfléchissant. Comment peux-tu savoir que nous nous sommes peut-être croisés ?

— Je te connais plus que tu ne l’imagines, lança mystérieusement la jeune femme.

Une suspicion naquit dans la poitrine du demi-elfe. Il se sentit mis à nu. Il obtint une défiance à l’égard de cette étrange femme qui avait l’air de tous les percer à jour.

— Et toi ? reprit Cattleya à l’adresse d’Elaron. Comment as-tu connu Lucan ?

— Et toi, plutôt ? Où l’as-tu rencontré ? demanda Elaron piqué au vif.

— Cela ne te regarde pas, finit par lancer Cattleya.

— Avez-vous collaboré avec Lucan ? Vous l’avez peut-être aidé dans son travail ? suggéra Isil intéressée.

Le silence s’installa et Elaron semblait perplexe.

— Je ne dirais pas que nous avons collaboré, reprit le demi-elfe. Je dirais plutôt que je l’ai aidé pendant la guerre. Je l’ai soigné au bon moment.

— Merci, récompensa Isil d’une douce voix angélique.

          Dès l’instant où Isil et Elaron avaient indiqué la clairière à Dola, cette dernière y mena les chevaux dans une solide manœuvre entre les grands troncs qui délimitaient la clairière. Une fois la manœuvre et la conversation terminées, elle intervint.

          — Bon ! répliqua-t-elle en claquant des mains. Super, une première journée sans problème, bandits, gobelins, orcs…

          — On s’arrête, là ? coupa Cattleya qui pensait simplement faire une pause avant de repartir.

— Oui ! affirma Dola.

— Mais nous devons continuer, nous devons… devons avancer ! s’inquiéta Cattleya nerveuse.

— C’est trois jours de voyages ! précisa Isil une fois de plus.

— Et bien justement ! Nous ne devons pas perdre une minute de plus à dormir ou je ne sais quoi, paniqua-t-elle.

— Euh… reprit Dola surprise par l’attitude de cette dernière. Je ne vois pas dans le noir et les chevaux non plus.

Dola ne savait pas quoi répondre de plus à la jeune femme pressée. Son comportement inquiéta la compagnie.

— Les chevaux ont besoin de repos, précisa Isil en allant donner une caresse à l’un d’eux.

— Déjà ? Cela fait seulement quatre heures, continua l’humaine.

— Nous devons savoir préserver nos forces, répliqua Isil avec sagesse.

Cattleya semblait frustrée et impatiente. Elle n’avait pas réussi à convaincre la troupe et se dit qu’elle aurait peut-être dû partir seule. Elle grommela et s’isola un peu plus à l’écart. Isil resta attentive au comportement étrange de la jeune femme en la suivant du regard. Dola insistait pour expliquer à quel point il devait protéger ses animaux. Elle s’exprimait auprès d’Elaron qui l’écoutait gentiment sans rien ajouter. Elle précisa même que Gondalfen se trouvait encore trop loin et que les routes étaient en piteux état. Isil continuait de se préoccuper pour les chevaux et Dola confirma.

— Oui ! Là, ça fait deux jours que j’attendais au caravansérail de Paçon et du coup, ils ont eu du bon foin…

Dola, voyant l’intérêt qu’Isil lui portait, recommençait à la baratiner sur la nourriture des bêtes. Les deux femmes étendirent leur discussion sur les bourrins pendant de longues minutes, tandis qu’Elaron regardait l’horizon et la fuite de Cattleya, en demeurant soucieux. Il avait de la difficulté à faire confiance à qui que ce soit dans cette troupe. L’aventure démarrait mal selon lui. Peut-être n’était-il pas à sa place. Cette pensée traversa promptement son esprit et s’évanouit au loin. Voyant la nuit tomber rapidement, il s’inquiéta encore plus pour leur situation et finit par couper la conversation des deux femmes. Il voulait savoir comment aider pour monter le camp.

— Et bien écoutez ! reprit Dola. Si vous avez des rations ou quelque chose à manger, sortez-les ! Si vous avez de quoi allumer un feu, faites-le également, ou alors ramassez quelques branches dans le sous-bois et nous allons pouvoir nous établir un campement sans trop de problèmes. Moi, j’ai l’habitude de dormir dans la charrette. Qui m’aime me suive.

Ymir survint dans la discussion en extirpant à peine la tête de la caravane par l’arrière.

— Moi, je veux bien !

Après avoir fait un tour de la clairière pour se calmer et connaitre son environnement, Cattleya revint près du groupe et surprit la conversation.

— Nous n’allons pas tous pouvoir nous reposer dans la carriole !

— Non, mais je crois que le mercenaire précédent a laissé de quoi dormir sur le sol et lorsque je vois tout votre équipement, vous avez de quoi vous débrouiller ! Si jamais ! Les sacs de blé ! Pas trop mal comme oreiller !

— Moi, j’aimerais sommeiller avec Dola, saisit Ymir en sortant enfin de la charrette.

— Je prendrais la première ronde de surveillance, indiqua Cattleya.

— Je resterai éveillé durant toute la nuit, glissa Isil.

Puis, le groupe s’organisa pour préparer le feu de camp. Elaron partit à la recherche de quelques baies et champignons et un peu d’eau fraiche. Cattleya alla chercher du petit bois pour le brasier tout comme Ymir. Quant à Isil, elle aida Dola à monter le camp en allumant le foyer.

Une fois rassemblé autour du feu de camp, chacun sortit ses rations. Elaron extirpa quelques fèves d’une besace et voyant les regards peser sur lui, se permit une question.

— On ne partage pas, n’est-ce pas ? Chacun a ce qu’il faut ?

— Et bah, dit donc ! reprit Cattleya surprise de son nouveau camarade. Eloran, Elaro… Ela…

— Elaron ! piqua le demi-elfe vexé. Catteline, c’est ça ?!

La petite plaisanterie fit sourire la jeune femme qui ne releva pas l’attaque gratuite du demi-elfe. Puis, elle sortit ses propres récoltes.

— Et bien, surgit Ymir sans avoir écouté les provocations, avec Cattela nous allons chercher…

Mais à cet instant, le demi-elfe et l’humaine se mirent à rire ensemble de la mauvaise prononciation au détriment du tieffelin qui ne comprit pas la situation. Quant à l’elfe, elle resta placide à observer le groupe un par un en dégustant une sorte de biscuit sablé emballé dans un mouchoir en soie. Devant cette bonne ambiance, Elaron partagea quelques baies avec Ymir qui n’avait rien apporté pour le voyage. Soudain, le regard d’Ymir semblait moins inquiétant, presque gentil et un sentiment de confiance naquit entre les deux personnages. En attrapant les baies, elle lui fit un signe de remerciement de la tête et Elaron aperçut encore plus les cornes imposantes du tieffelin.

Ils se retrouvaient désormais autour d’un feu de camp agréable. Dola racontait des histoires de sa jeunesse qu’elle avait vécues dans différentes villes du continent. Puis, elle demanda à chacun d’en faire de même, car elle aspirait à connaitre davantage les compagnons qui l’accompagnaient.

Isil se lança la première.

— Pendant la guerre, ma plus grande réussite a été d’aider une vingtaine de personnes à franchir la frontière des forces du mal en un seul coup. Leur épargnant une vie misérable et déchirante, les éloignant des forces occultes.

En racontant cette histoire, elle paraissait assez fière d’elle et chacun put apprécier l’acte héroïque de l’elfe en la respectant un peu plus. Cattleya se lança à son tour.

— Pour ma part, mon plus grand échec fut de ne pas participer au conflit.

Un long silence s’installa. Les regards se portèrent sur la jeune femme qui semblait gênée de cette attente. Subitement, Isil brisa la glace.

— Ce n’est pas vraiment un échec de ne pas contribuer à une guerre.

— Pour moi, si ! Je me suis entrainée en tant que soldat avec Lucan. Je désirais me battre, sauf que je n’ai pas pu. C’est une défaite…

— Pourquoi ? demanda Dola en croquant dans un sandwich qu’elle avait préparé avant de partir.

— Parce que j’ai dû fuir le pays avant la guerre, avec ma famille.

— Wow, réagit Dola avec lenteur.

— Mais tu les as protégés d’une certaine manière, ton clan, enchérit Isil voulant calmer la rage intérieure qu’elle sentait monter chez Cattleya.

La jeune femme acquit soudain un petit souffle gêné. Une sorte de sourire jaune apparut et disparut en une seconde.

— Si seulement… répondit-elle à voix basse et la tête baissée. Je suis partie de ce territoire pour les défendre… entre autres… Quoi qu’il en soit, pour moi cela reste un échec de ne pas avoir participé à la guerre et d’avoir sauvé les autres membres de la garnison avec Lucan.

— Ils sont revenus avec toi, tes parents ? demanda Dola curieuse.

— Non, répondit Cattleya d’une voix tremblante. Ils sont…

— Resté ? suggéra Dola.

Les regards semblèrent de plus en plus lourds sur l’humaine qui n’espérait pas s’attarder autant sur le sujet. Mais Dola décida de reprendre la conversation.

— Quand tu disais avoir…

— Bon, ça va, Dola ! s’énerva Cattleya d’un seul coup en se relevant subitement. J’en ai assez de tes questions !

La jeune femme s’éloigna du camp pour se poster hors de vue, abandonnant derrière elle une halfeline complètement choquée par la réaction de la femme. Cattleya resta à observer la forêt, laissant ce gros silence autour du feu. Dola garda son petit gobelet d’eau d’une main et une brochette de champignon de l’autre, avec de grands yeux écarquillés. Elle n’osait plus poser la moindre question aux restes du groupe. Puis, quelques instants après, Elaron tenta de parler de son expérience.

— Et bien moi j’ai une petite mésaventure courte aussi à vous raconter si vous le voulez bien.

Voyant l’approbation d’autrui, Elaron se lança.

— Je viens d’une famille plutôt aisée et je n’ai jamais eu certes le besoin de préparer mes repas ou autre. Donc après la guerre, quand j’ai décidé de partir en pérégrination, j’ai réussi à trouver de la nourriture sur du gibier, du lapin ou je ne sais plus quoi. Je ne me rappelle plus. J’avais établi mon petit camp et je vivais ma propre aventure, seul. J’ai pensé bêtement pouvoir le laisser sans surveillance pour dénicher de l’eau. Malheureusement, lorsque je suis revenu, quelqu’un ou quelque chose avait mangé mon repas. C’était la première fois où je me suis senti aussi stupide. La première fois où je me suis dit que j’étais trop confiant et optimiste dans la vie. Je n’aurai pas dû. Voilà pour ma petite mésaventure.

 Malgré cette révélation, Elaron semblait sur la réserve et Isil le remarqua bien. Elle sentait qu’Elaron cachait quelque chose. Elle tentait de le percer de son regard, mais ce dernier ne sondait que son gobelet et but une gorgée d’eau. Ce fut au tour d’Ymir de raconter l’une de ses histoires.

— Moi, ma plus grande victoire se déroula pendant la guerre. J’ai réussi à conserver tous les grimoires sacrés du temple de ma famille. En revanche, je n’en déclarerais pas plus sur notre religion.

Dola contempla étrangement Ymir. Seulement, après avoir été rembarrée une première fois, elle hésita à poser une question. Elle tenta d’inspirer pour parler, mais Ymir lui jeta un regard noir. Alors, Dola se ravisa et préféra boire une autre gorgée d’eau sans dire un mot. Elle se recroquevilla et s’annonça à elle-même qu’il était temps d’aller se coucher. Isil, voyant la détresse de Dola, décida de la réconforter en lui caressant chaleureusement l’épaule. Finalement, avant de partir s’allonger, la petite halfeline se proposa de réaliser le premier quart de ronde.

— J’y suis déjà ! précisa Cattleya au loin en scrutant l’horizon. Allez dormir !

— Pardon ! s’écria Dola avec appréhension.

Isil se proposa par la suite de faire le deuxième quart.

— Je peux prendre le suivant. Tu peux te reposer Dola. Je resterais éveillée toute la nuit. Ne t’inquiète pas.

— Bon et bien, moi je vais me coucher ! indiqua Ymir en empruntant le chemin de la caravane. Surtout si tout le monde veut faire la ronde.

Seulement, Dola avait de la même façon emprunté la route de la carriole. Les deux femmes se retrouvèrent l’une en face de l’autre à l’intérieur. Dola n’osait pas prendre sa couverture pour s’en napper. Elle contemplait intensément la tieffeline qui lui avait jeté un regard noir. Elle était terrorisée, tandis qu’Ymir continuait sans faire attention à cette dernière. Mais elle sentait les questions que Dola se posait sur les dieux de sa famille et cela l’agaçait. De petits mots chuchotés arrivèrent aux oreilles sensibles d’Ymir.

— Je ne le dirais à personne…

Avant de fermer les yeux, Ymir récita quelques incantations, provoquant davantage la panique chez Dola. Soudain, la pensée que les gobelins n’étaient peut-être pas d’une mauvaise compagnie traversa l’esprit de la halfeline. Puis l’instant d’après, des ronflements aigus sortirent de sa bouche, agaçant Ymir. Isil avait accompagné Dola jusqu’à la caravane et après cela elle avait pris position autour du bois pour surveiller. Elaron était resté seul devant le feu de camp, l’air naïf. Il se réchauffait les mains face à lui. Puis, il décida d’aller récupérer un sac de farine pour l’installer auprès du foyer et de dormir au chaud. Il contempla une dernière fois sa chevalière avant de s’endormir.

Un petit écho glissa derrière les arbres, alertant Cattleya qui plissa les yeux pour mieux observer à travers la pénombre. Néanmoins, elle n’arrivait pas à voir dans l’obscurité, contrairement à ses camarades. Elle ne distinguait rien. Les seuls bruits qu’elle pouvait reconnaitre étaient les déplacements de sangliers un peu plus loin.

Les ténèbres étaient bien tombées, lorsque Cattleya se résigna d’aller se coucher et de laisser le flambeau à Isil qui ne dormait pas de la nuit. Juste avant d’aller se reposer, elle décida d’invoquer un serviteur invisible afin de faire une ronde autour d’elle dans les bois. Elle lui avait demandé de l’alerter en cas de danger. L’incantation ne dura pas longtemps. L’impression que Cattleya avait usé de la magie pour rien pouvait venir à l’esprit de chaque observateur non-initié. Pourtant, la créature était bien présente et remua l’herbe devant cette femme au pouvoir mystérieux sous le regard perplexe d’Isil. Elle comprit à cet instant que Cattleya était une occultiste. L’être enchanté partit dans les bois et l’humaine alla s’endormir près du foyer.

Après une heure, Isil continua la garde. Elle entendait les hululements des chouettes au loin. Puis des grognements, des branches qui crépitaient, les chevaux qui hennissaient et de petits pas dans l’herbe qui effectuèrent le tour du feu de camp sans être visibles. La créature de Cattleya faisait machinalement le tour, mais Isil n’était pas sereine. Elle sentait une présence étrange près du campement. Elle se dirigea aux limites de la clairière à l’opposé de la charrette. Elle s’avança lentement en restant sur ses gardes et elle sentit sous peu les craquements de plus en plus fort. Elle se rendit compte que cela se rapprochait de plus en plus vite. Grâce à sa vision nocturne, elle aperçut une immense silhouette aux yeux brillants dans la lueur du feu. Isil se mit à hurler en voyant la créature énorme surgir des bois. Cattleya fut brusquement réveillée par son petit être invisible qui flaira la menace. Il se jeta sur le corps endormi de la jeune femme et la secoua. Cattleya sursauta et elle se redressa immédiatement pour foncer en direction d’Isil. Elle comprit au grognement que c’était un ours. Sans réfléchir, elle envoya, avec sa main en avant, une flèche ténébreuse. Cette attaque frappa la bête et la dévia de sa trajectoire. Seulement, il continua sa course folle dans la direction de l’elfe et l’humaine qui se trouvait maintenant au même endroit. Isil tenait son arc prêt à tirer. Sans hésitation, elle décocha une flèche qui arracha un morceau de fourrure et s’enfonça bien profondément dans sa chair. Mais cela ne l’arrêta pas et Isil se décomposa en voyant la ténacité de la créature.

L’ours tenta de mordre le bras de Cattleya qui recula d’instinct. La mâchoire claqua juste devant le visage de la jeune femme qui fut recouverte de bave. L’esquive fut bonne, seulement le monstre contre-attaqua une nouvelle fois. Cette fois-ci, il donna un coup de patte et les griffes de la bête atteignirent tout à coup la jugulaire d’Isil qui tomba aussitôt au sol. La surprise était totale, l’elfe gisait sur l’humus avec la gorge empourprée sans aucun mouvement. Le sang de Cattleya se glaça en une seconde. Les yeux grands écarquillés par l’image horrifique se jetant à son visage, elle sortit ses dagues d’emblée et se jeta sur le dos du monstre tant qu’il était distrait sur le corps d’Isil. Elle lui planta ses deux armes dans la chair en hurlant de désespoir pour sa camarade. L’ours se mit à grogner violemment, tandis que la jeune femme s’accrochait à sa carcasse. Il remuait dans tous les sens pour la faire chuter, mais elle se tenait bien fermement.

— Dépêchez-vous ! vociféra Cattleya à l’attention d’Ymir et Elaron. Levez-vous ! Dola !

Le jeune demi-elfe se réveilla avec difficulté et se redressa devant le feu. La peur le saisit aux tripes et il effectua un pas en arrière. L’odeur de la bête emplit la clairière et arriva aux narines d’Elaron. Il aperçut immédiatement Isil au sol et Cattleya sur le dos du monstre. Pris par la panique, il agit d’instinct et projeta ses mains vers l’avant. Un éclair jaillit du bout de ses doigts et atteignit la flèche d’Isil enfoncée dans le corps de l’ours. Tout d’un coup, la créature explosa en morceaux, recouvrant Cattleya de sang et de peau. Ymir se réveilla lentement et sortit de la caravane. Elle aperçut la dépouille étendue de l’elfe et se jeta immédiatement dans sa direction. En arrivant près du cadavre, elle s’agenouilla. Les membres d’Isil remuaient avec des spasmes étranges. La vie était sur le point d’échapper à leur camarade agonisante. Puis, les fragments de l’ours se tortillèrent à leur tour, surprenant Cattleya et Elaron. Ymir resta concentrée sur la plaie béante d’Isil. Elle apposa ses deux mains l’une sur l’autre au-dessus de la blessure. Puis, elle toucha délicatement la peau cuivrée de l’elfe et entra en contact avec son sang. Elle ferma les yeux et récita quelques mots étrangers. Le liquide écarlate semblait retourner lentement dans le corps d’Isil. La teinte du sang changea de couleur sous le regard interrogateur de Cattleya. Elle reconnut aussitôt l’acte qu’Ymir pratiquait. C’était une forme de la nécromancie. La jeune femme paniqua et se rappela que la tieffeline s’adonnait à une religion.

— C’est quel dieu ! s’écria Cattleya en s’agenouillant à côté.

— Laisse-moi tranquille ! répliqua Ymir.

Isil se réveilla lentement et apposa sa main fébrile sur la jambe de Cattleya pour tenter de la rassurer et de laisser Ymir finir son accomplissement. Cattleya se retourna vers le visage pâle d’Isil.

— Je fais ça pour le salut de ton âme. Réponds-moi Ymir ! C’est quelle divinité !

— Je n’ai pas encore assez confiance en toi ! affirma Ymir.

Cattleya lui jeta une attention persuasive. Dans un échange de regard et sans un mot, Cattleya saisit que le dieu qu’Ymir servait était peut-être celui de la mort et cela lui rappela une histoire sur un autre continent. Puis, un râle sortit de la bouche d’Isil qui revenait à elle. Une cicatrice apparut à l’endroit de sa blessure devenue sombre. Puis, l’œil de l’elfe se porta sur les bras d’Ymir qui était recouverte de balafres obscures. Elle se demanda si la tieffeline s’était scarifiée elle-même ou pas. Isil paniqua et prit une grande respiration pour se sentir vivante. Elle comprit qu’elle était passée près de la mort. Cattleya lui jeta un regard dubitatif tandis qu’Elaron ne saisit pas la situation. Devant l’incompréhension générale, Ymir avoua tout à Isil, face à tous.  

— Je suis effectivement une nécromancienne qui détient les pouvoirs du dieu de la mort.

Isil passa sa main sur la blessure et éprouva bien là l’honnêteté de sa camarade qui sentait bien que son sang avait changé. Les trois femmes se toisaient du regard, tandis qu’Elaron se trouvait plus en retrait. Le demi-elfe ne saisit pas tout ce qui venait d’arriver. Il contempla ses doigts avec peur. Mais la fierté prit le dessus en pensant que sa magie avait enfin sauvé d’autres personnes. Soudain, il ressentit quelque chose tapoter son dos. Dola s’était approchée, paniquée.

— Qu’est-ce que j’ai raté ?

Elaron ne savait pas quoi répondre. Il était secoué par tout ce qui s’était passé.

— Je… Je n’en ai aucune idée moi-même, Dola. Tout est allé si vite. Je me suis réveillé, j’ai vu quelque chose et… pouf ! Ensuite, Ymir est arrivée et a parlé dans une drôle de langue et voilà. Je viens d’entendre le nom du dieu de la mort. J’avoue que je ne suis pas serein.

— Vous pourriez me remercier ! pointa Ymir avec une petite colère. Je l’ai sauvée de la mort.

Dola plongea une torche dans le feu afin de mieux éclairer la zone. Puis sous l’ampleur du désastre et des boyaux éparpillés, elle s’interloqua.

— Wow ! Mais qu’est-ce que c’est que ce foutoir ?

— Ne t’inquiète pas, la situation est maitrisée ! précisa Cattleya en se relevant.

— Ça ne me surprend plus que vous ayez fait peur aux chevaux, c’est quoi cette histoire !

— Ce n’est rien, c’était juste un ours. Nous nous en sommes occupé, répondit Cattleya en s’efforçant de retirer un morceau de chair sur son épaule bien collé.

— Ce n’est rien ! C’est un ours ! s’étonna Dola avec de grands yeux ronds.

— Regarde, nous sommes tous vivants, surgit Isil.

Dola contempla le cou de l’elfe à terre et tenta d’essuyer la trace qu’elle avait sur sa nouvelle cicatrice. Seulement, la marque sombre ne voulait pas partir. Dola obtint un mouvement de recul et s’horrifia un instant.

— Oh… Oooooh ! Tu euh… d’accord !

— Ça va bien se passer ! calma Isil.

— Lucan, il ne plaisante pas avec ses… aventuriers, reprit Dola toujours sous le choc.

— Est-ce que tu vas bien, Dola ? demanda Isil avec compassion.

Elle prit un moment pour se recomposer, elle observa les chevaux qui avaient l’air d’aller bien, puis lui répondit.

— Oui… Oui.

— Tu es protégé avec nous ! rassura Isil.

— La situation a un peu dérapé, quand même, surgit Elaron.

— C’est le résultat qui compte, enchérit Isil.

— Tu paniques ? demanda Cattleya.

— Non, non. Tout va bien, répéta Dola en les scrutant un à un lentement. Mais enlevez ça de vos vêtements ! C’est dégueulasse.

Elle désigna les morceaux restants de l’ours et le sang répandu sur les corps de Cattleya et Isil.

— Heureusement que je porte du noir. Ça ne se remarque pas, rétorqua Ymir qui aperçut quelques traces rougeâtres sur ses manches.

— Ce n’est pas que ça se voit le problème, chérie ! C’est que ça va pourrir demain, répliqua Dola.

Cattleya alla près d’une rivière pour se débarbouiller tandis qu’Isil fut aidée par Ymir pour se nettoyer, même si Ymir en fut dégoutée. Les deux femmes partirent ensemble vers une autre source d’eau. Elaron retourna autour du feu pour se reposer un peu plus, non loin des chevaux.

Ymir décida de continuer sa conversation avec Isil près de la source. L’elfe remercia la tieffeline et se posa une question.

— D’où vient ta magie ?

— Je tiens ça du dieu de la mort et si tu le souhaites, il me demande beaucoup de serviteurs, répliqua Ymir dans le plus grand calme.

Isil la regarda fixement dans les yeux et hocha la tête d’une manière rigide.

— Merci, répondit l’elfe avec un sourire pincé.

Dola fit du mieux qu’elle pouvait pour nettoyer au maximum les restes de l’ours afin d’éviter que des charognards ne s’approchent d’eux pour le reste de la nuit. Mais avant cela, Cattleya récupéra quelques morceaux de viande sur la dépouille, puis elle partit se coucher juste après. Elaron se proposa de réaliser le dernier quart. Isil et Ymir discutèrent encore quelques instants avant de se délasser. Isil avait subi une sacrée blessure et devait se reposer, Elaron l’avait bien compris, voilà pourquoi il se présenta.

Après une première nuit mouvementée, ils se réveillèrent tous autour d’un feu de camp éteint. L’aube pointait au bout de la route. Le jour se dressa et la petite troupe put reprendre leur chemin. En se levant, Dola possédait une tignasse qui avait doublé de volume. Elle s’éveilla avec son enthousiasme visiblement régénéré. Elle se redressa, fit un tour près de la caravane, papouilla les chevaux et les prépara pour le début d’une nouvelle journée. Isil se réveilla à son tour et fournit un coup de main à Dola, mais la halfeline renoua leur conversation en lui parlant de tout et de rien concernant les bourrins. Seulement, Isil en tentant d’aider la cochère opéra une mauvaise manœuvre. Dola s’énerva et lui expliqua qu’elle ne l’avait pas écoutée lorsqu’elle lui avait donné la consigne d’enfiler le harnais du côté gauche pour ce cheval. Car ce dernier n’aimait pas tout ce qui surgissait de la droite. Ainsi, le cheval asséna un grand coup de tête à l’elfe surprise.

La journée ne faisait que commencer.  

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Reglisse000
Posté le 29/03/2025
Déjà mieux comme ça ! Bien que ce soit toujours un peu long pour moi, pour la plupart des lecteurs sur Plume d'Argent, c'est très bien ! J'ai hâte que la suite sorte !
P. Neuville
Posté le 29/03/2025
Haha merci :)
Effectivement mes chapitres sont longs, mais c'est une manière qui me plaît.
La suite est déjà écris, j'attends la semaine prochaine pour le diffuser.
J'espère qu'il te plaira :)
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