Alors que le soleil du matin réchauffait les cœurs et l’intérieur de la charrette rafraichi par la nuit passée, l’odeur des morceaux d’ours s’estompait. Après avoir affronté les premiers imprévus sur la route de Gondalfen, notre petite compagnie regagna leur chemin.
La tieffeline, Ymir, se plaignait d’avoir mal dormi. Elle s’installa à l’intérieur de la caravane sur un sac de farine qu’elle avait modelé pour elle tout en reprenant ses incantations. L’elfe sylvestre, Isil, s’était remise avec difficulté de sa nuit mouvementée. Elle monta à son tour en effleurant machinalement sa nouvelle cicatrice sur la gorge. L’humaine, Cattleya, avait continué de nettoyer sa tenue tachée du sang de l’ours en se disant qu’elle devrait en changer. Elle se plaça au plus près de l’arrière de la charrette pour avoir un œil sur la route. Le demi-elfe, Elaron, touchait une fois de plus nerveusement sa chevalière. Il décida de monter à l’avant près de la halfeline, Dola. Cette dernière fouetta les chevaux et expliqua à son passager de droite la fois où elle avait essayé de réaliser une tresse avec la queue du son bourrin. Dès que Dola commençait à parler avec Elaron, Ymir se sentit blasée et voulut la faire taire en lui disant d’aller voir ailleurs, chez le pays des gnomes. Elaron se demandait s’il était bien à sa place avec cette troupe et contemplait Dola avec un air étrange. Il avait pourtant l’extrême désir de rester loin d’Ymir et de Cattleya qui se querellait sans cesse. Mais au bout du compte, une halfeline aussi bavarde concernant des choses futiles le mettait tout autant mal à l’aise. Il parcourut ses compagnons et suppliait du regard que quelqu’un prenne finalement sa place. Seulement personne ne se désigna.
Après cinq secondes de silence, Elaron remarqua que Dola n’observait plus la route, mais dévisageait le demi-elfe en cherchant la manière de lui poser une question. Elaron tentait de ne pas croiser son attention. Il savait pourtant qu’elle le scrutait, mais tel un enfant il se disait que s’il ne la voyait pas, alors elle ne ferait rien. Il détenait ses mains sur ses genoux et remuait les doigts comme à son habitude d’une attitude gênée. Puis, la roue de la charrette heurta un trou sur la voie, mais Dola continuait de fixer le demi-elfe comme si de rien n’était. À l’arrière, Cattleya ressentit le choc de la route et jeta un regard noir à l’avant en se déclarant que Dola devrait plutôt observer devant elle. Puis, Elaron songea que cela ne ferait de mal à personne d’engager lui-même la conversation.
— Je sais que tu es cochère et que tes parents l’étaient aussi, mais es-tu intéressé par l’aventure ? demanda timidement Elaron.
Dola cessa de scruter Elaron et se mit à réfléchir. Seulement, l’impatience du jeune demi-elfe l’obligea à énoncer une autre interrogation.
— Que penses-tu de notre équipe ? annonça-t-il avec un petit sourire et enthousiasme.
À l’arrière, personne n’avait entendu la question d’Elaron. Ymir était trop concentrée sur ses incantations et Isil se reposait encore, tandis que Cattleya contempla l’horizon. Puis, la bonne humeur d’Elaron reprit et il formula une troisième demande.
— Te sens-tu bien avec nous ? Demeures-tu en confiance ? Avec les événements d’hier, j’espère que tu n’as pas trop peur. En définitive, restes-tu contente de te trouver avec nous ?
Dola scruta à nouveau Elaron en le fixant dans les yeux. Elle semblait tourner sept fois sa langue dans sa bouche avant de répliquer. Puis, elle regarda la route de manière pensive. Elle jeta un œil furtif à l’arrière de la charrette et continua sa réflexion, pour finalement lui répondre.
— Quand j’étais enfant, je voyageais derrière. Moi aussi je voulais effectuer de la magie. C’était cher. Dans les bourgades que nous traversions avec papa et maman, nous rencontrions des troubadours et autres petits mages de pacotilles. J’ai vu des choses pendant la guerre que je trouvais impressionnante. Je m’étais dit qu’un jour ce serait moi. Mais, je me rends compte que l’opportunité ne s’est jamais présentée et que j’ai découvert autre chose qui me convenait. L’aventure j’aimerai bien, mais j’en ai déjà assez avec quelques bandits, un ours et puis vous ! Ça promet d’être amusant. Toi par exemple, le euh… le tour de magie ou tu fais exploser l’ours…
— Ce n’était pas prévu, coupa Elaron gêné. J’avoue, c’est une des premières fois où j’utilisais ma magie d’une manière consciente et confiante. Je ne m’attendais pas à ce résultat.
— Explique !
— J’accomplis de l’enchantement depuis toujours, mais…
L’émotion montait aux yeux d’Elaron. Isil le ressentit et écouta la conversation qui se tramait devant elle. Puis, le demi-elfe reprit.
— Dans ma vie, l’on m’a constamment restreint dans mes dons, parce que j’ai effectué des choses très néfastes involontairement. C’est depuis peu que… j’apprends à apprivoiser mes pouvoirs. Donc… j’essaie de doser. Mais le résultat demeurait assez… explosif pour…
— Quand tu parles de choses néfastes, que veux-tu dire ? surgit Ymir de l’ombre des sacs de farine et semblant entendre des voix dans sa tête. Avez-vous dit mort ?
Plusieurs regards avaient fini par se poser sur Elaron et des questions lui arrivèrent depuis l’arrière. Dola tentait de contenir sa curiosité, mais réussit par échouer. Elle se rapprocha un petit peu d’Elaron et se mit à murmurer.
— Dis-moi dans l’oreille. À moi tu peux me dire.
— Moi aussi, chuchota à son tour Ymir.
Mais Elaron hésita. Il termina par se pencher et le susurrer à l’oreille de la halfeline sans que qui que ce soit ne puisse l’entendre, vexant Ymir.
— À cause de mes pouvoirs, j’ai tué quelqu’un. Une personne très proche et depuis ça… l’on m’a forcé à restreindre mes dons. Ce n’est que très récemment que je me suis libéré de ces chaines-là, car j’ai compris que je ne devais pas me limiter, mais m’aider à apprendre… à les apprivoiser. Voilà. Je demeure novice dans cette discipline.
Dola ne savait plus quoi dire. C’était si rare qu’il fallait le noter. Devant ce moment gênant, Elaron décida de donner une anecdote amusante à haute voix.
— Mais je maitrise très fortement les sorts de réparation. Je n’ai jeté que des sortilèges mineurs, mais…
Soudain, les idées fusèrent dans l’esprit de Dola et elle reprit la discussion avec le demi-elfe, comme si rien ne s’était passé.
— Ça tombe bien, parce que parfois les brides elles s’effritent.
Puis, la conversation continua sur les solutions pour mieux entretenir le matériel du cuir avec les meilleures lotions.
Cattleya commençait à s’ennuyer à l’arrière de la carriole. L’échange de Dola la fatiguait, alors qu’Isil arrivait à suivre le dialogue et observer les horizons. Ymir regardait également le paysage, mais ne préférait pas écouter Dola, au risque de s’énerver contre elle. Soudain, Isil et Ymir aperçurent des morceaux d’étoffe rougeâtre déchiquetés et une jambe.
— Dola ! Nous devons nous arrêter, ordonna Isil.
— Oui ! soutint Ymir. Nous avons vu quelque chose !
L’instant d’après, Dola tira fortement sur ses brides et les chevaux freinèrent des quatre fers. L’arrêt demeura violent et Cattleya n’eut pas le temps de s’accrocher à quoi que ce soit et tomba à la renverse. Elle jura avec énergie.
— Mais, nous allons perdre du temps ! Nous devons nous rendre rapidement à Gondalfen !
— Ouvre tes yeux, tu verras quelque chose, lança Ymir avec dédain.
— Mais je m’en moque de ce qui peut se dénicher sur le bord de la route ! s’agaça l’occultiste.
Mais Isil ne prit pas en compte cette remarque et descendit en observant cette étoffe. Elle tentait de reconnaitre les morceaux. Elle arriva à discerner derrière quelques feuilles que la jambe ne fût pas accrochée au reste d’un corps. Elle sentit une forte odeur de charogne. Elaron semblait ne pas être concerné non plus par ce qui se trouvait sur le bas-côté. Il resta avec Dola à l’avant comme pour la protéger en attendant un retour des deux femmes. Ymir descendit et tenta une investigation parmi les branches pour regarder de quelconques traces. Elle remarqua beaucoup de sang, mais ce qui l’intéressait était de savoir si cette jambe avait été trainée depuis un autre lieu ou non. Isil semblait suivre la même piste. Les deux femmes fonctionnaient de concert et elles comprirent rapidement la scène qui s’était déroulée. Ces morceaux d’humains se trouvaient dans une petite clairière cachée depuis la chaussée. Voyant l’horreur du spectacle, Isil se retourna vers la charrette. Cattleya espérait qu’elle leur indiquerait de reprendre leur chemin.
— Nous devrions rester sur nos gardes ! proclama Isil. C’est peut-être récent. Surveillez les alentours.
Ymir voulut approuver, toujours penchée sur les restes. Seulement, de nouveaux indices étayèrent la possibilité que la victime ait fui quelque chose depuis un certain temps. Ymir tentait de connaitre la source de l’agression, sans y parvenir sur l’instant. Grâce aux quelques feuilles posées sur les morceaux de tissus et de la jambe, elles pouvaient déterminer que cela faisait moins d’une semaine que celle-ci se trouvait là, mais forcément plus de deux jours. Le membre commençait à rentrer en décomposition. L’odeur et les mouches étaient présentes. Isil resta dubitative face à ces nouveaux indices, tandis qu’Ymir était formelle. Cela faisait au moins deux jours et elle l’indiqua aux autres. La tieffeline se plaça encore plus proche, presque à renifler l’effluve de la putréfaction, jusqu’au moment ou Cattleya intervint.
— Ce n’est qu’une jambe. Qu’espérez-vous découvrir ?
Elaron était assez d’accord avec la réflexion et fit un mouvement de tête. Il commençait tout de même à avoir peur qu’un bandit ne l’attaque.
— Cela ne veut pas dire que le monstre qui a accompli ça se trouve déjà loin, précisa Isil.
Elaron fut convaincu par l’elfe et se mit en retrait en acquiesçant par un nouveau hochement de tête.
— Nous sommes cinq ! redémarra Cattleya avec une pointe d’énervement. Comment espérez-vous qu’elle nous attaque ?
Isil et Ymir reprirent leurs investigations sans se préoccuper des autres. Elles constatèrent que ce n’était pas un humain qui aurait pu faire une chose pareille. Elles remarquèrent des traces de morsures, sans réussir à en déterminer la source.
— Ne pensez-vous pas que c’est l’ours d’hier ? accentua Cattleya. Tout simplement.
Aucune des deux n’était vraiment certaine que cela pouvait être le monstre de la nuit passée. Isil en était presque sûre, le coup de dent ne correspondait pas à celle de l’ours. En revanche, qui que soit la victime, elle y avait laissé son sac. Dès la vue de l’objet, Ymir l’agrippa immédiatement, prête à l’ouvrir. Isil l’arrêta net en lui saisissant le poignet.
— Ne veux-tu pas voir à l’intérieur ? demanda Ymir. Ne veux-tu pas qu’on récupère les affaires à l’intérieur ?
— Si, si, répondit Isil. Mais ne souhaites-tu pas regarder d’abord quel genre de besace c’est, avant de mettre ta main dedans et peut-être te la faire dévorer ?
Une inquiétude s’installa autour d’elle. Puis Ymir comprit quelque chose. Cette elfe était une sorte de spécialiste. Elle avait l’habitude de coup fourré. C’était une sorte de roublarde.
— Je vais faire confiance à l’experte dans ce cas, reprit Ymir avec un petit sourire en lui tendant l’objet.
Isil attrapa le sac et l’observa sans rien voir de particulier. Sa mine se déconfit. Très rapidement, elle le lui rendit et Ymir hésita un instant. Elle regarda sa nouvelle amie pour se rassurer. Dola avait fini par descendre de la charrette et pendant tout ce temps elle avait calmé les chevaux. Elle avait rejoint les deux femmes sur le bord de la route et se pencha près d’elles. Ymir finit par élargir le sac et aperçut cinq pièces d’or et un flacon avec une étiquette où était inscrit le mot soins. La nécromancienne voulait ouvrir la fiole pour la sentir et s’assurer que c’était bien une potion de guérison. Mais elle se rendit compte de ses faiblesses en la matière et se ravisa. Cependant, Cattleya descendit de la caravane à son tour.
— Laisse-moi faire ! répliqua-t-elle en s’approchant et en attrapant le remède d’un geste brusque.
Seulement, elle obtint un doute. Ce type de fiole était bien différente de ses connaissances et la couleur ne lui parlait pas. Elle avait pourtant vu nombre de potion dans sa vie et avait appris auprès de ses anciens maîtres, mais le soin n’était pas sa spécialité. Le regard jugeant d’Ymir se fit pesant. Les deux femmes se jaugèrent l’une l’autre. La tieffeline avait presque envie de se moquer d’elle devant tout le monde. Seulement, Cattleya se retourna pour trouver d’autres indices. Elle ouvrit la fiole et essaya de la humer. Elle estimait bien que c’était une potion de soin, mais n’était sûre de rien. Elaron descendit et s’avança vers les quatre femmes. Il s’agenouilla auprès de Cattleya et contempla à son tour.
— Je pense pouvoir m’en assurer ! déclara le demi-elfe. Puis-je ?
Devant la délicatesse d’Elaron, Cattleya céda volontiers le flacon. Il huma. Il semblait savoir ce qu’il faisait et l’humaine eut un regard interrogateur. Le demi-elfe le remarqua.
— J’ai appris la médecine ! soutint Elaron en continuant son inspection. J’ai été formé autrefois à cet art. Donc des potions de soin j’en ai l’habitude.
Il retourna le flacon et attrapa un rayon de lumière pour lui faire traverser le verre et observer la couleur. Pour lui, c’était authentique. L’étiquette était réelle.
— Ça reste bien une potion de soin, assura Elaron.
— J’estime que tu as trouvé, donc tu peux la garder, accepta Ymir de bon cœur.
Elaron rougit avec timidité et se sentit touché par la réaction de la tieffeline.
— Oh… C’est gentil, merci.
Ymir reprit la fouille du sac et subtilisa les cinq pièces d’or afin de les dissimuler pour elle-même. Or Cattleya l’avait vu.
— Nous sommes cinq. Une pièce d’or par personne !
— Oui ! Une pièce d’or par personne ! s’enthousiasma la halfeline.
— Pas Dola ! jeta Ymir sans compassion.
Le visage de la halfeline se décomposa et ses bras qui se trouvaient en l’air retombèrent lentement tout comme sa joie de vivre. Un petit silence gênant s’installa. Isil regardait Ymir de haut en bas. Puis Elaron décida d’intervenir.
— Nous pouvons procéder à un vote ! suggéra-t-il.
— Dola le mérite tout autant que nous, reprit Cattleya.
Puis, sous l’insistance du groupe, Ymir céda.
— Bon aller, une pièce chacun, annonça-t-elle sans entrain en distribuant l’or. Mais la prochaine fois, vous me laisserez sommeiller seule dans la calèche, je vous le dis !
Isil saisit sa pièce d’or et fut étonnée de voir que la tieffeline partageait. Elles échangèrent un regard et Isil la questionna avec ses yeux perçants.
— Aujourd’hui, mon dieu est bien luné, se justifia Ymir. J’ai bien dormi, je me sens reposée.
En recevant sa pièce, Dola passa d’un visage triste à un visage ravie. Elle se dirigea vers le bord de l’armure de la nécromancienne et lui fit un câlin. Ymir accepta, mais n’était pas rassurée. Elle n’était pas très à l’aise avec les autres personnes en générale ou le contact physique. L’instant d’après, elle voulut la chasser pour s’en défaire.
Ymir reprit ses investigations. Elle découvrit des miettes et des rations complètement rongées par quelques minuscules cloportes et fourmis qui s’étaient introduits dans le sac depuis deux jours. Une bourse contenant un jeu de dés se retrouvait sous une grande feuille, elle avait dû tomber de la besace. Isil s’en saisit aussitôt sans demander l’approbation d’Ymir qui ne le remarqua même pas. Dans le fond de la sacoche, ils dénichèrent une trousse de soins entamée. Elaron l’empoigna pour admirer ce qui se trouvait à l’intérieur. Puis, il la rangea dans son propre balluchon. Une fois tout ça terminé, Ymir tenta de s’assurer qu’aucune autre trace de sang n’aurait pu la guider sur l’origine de la cause. Cattleya, voyant que cela s’éternisait, décida de repartir vers la charrette et de les attendre juste à côté en regardant la forêt pour rester sur ses gardes. Elaron se retourna vers Dola et lui demanda son avis.
— C’est l’ours ! s’énerva Cattleya en intervenant. Arrêtez de tergiverser. Allons-y !
— Mais l’ours se trouvait plus loin, répondit Ymir avec dédain.
— Et alors ? Ils voyagent eux aussi, il ne reste pas dans leur coin, ajouta Cattleya sur le même ton.
— Il n’aurait pas laissé une jambe, même si lui y a bien laissé ses viscères, rit Ymir aux dépens de la créature.
La remarque fit sourire l’occultiste et laissa Elaron et Isil de glaces.
Pendant ce temps, Dola s’approcha du sac retrouvé sur le bord de la route et s’en saisit. Elle scruta à l’intérieur et fut déçue. Plus rien.
— Bon ! On y retourne ? suggéra-t-elle avec joie.
— Absolument ! soutint Cattleya. Allez, Dola, en selle ! Nous partons !
— Nous jouerons aux dés ce soir, Dola, proposa Isil tout heureuse d’avoir récupéré sa petite boite.
Cette fois-ci, Ymir monta à l’avant et leur périple reprenait sous un soleil généreux et un léger vent frais qui rendit le voyage plus agréable. La jeune tieffeline profita des rayons lumineux pour parfaire son teint. Cattleya semblait ravie de ne plus se trouver aux côtés d’Ymir. Elle s’était installée au même endroit, dans le fond de la charrette pour rester seule et observer le paysage qu’elle n’avait pas vu depuis si longtemps. Elaron se posa quant à lui en face d’Isil de bon cœur. Il se sentait en confiance. Dola continuait de mener ses chevaux, en revanche elle était gênée. Elle jetait de petits regards furtifs sur les vêtements nobles d’Ymir, jusqu’au moment où elle souhaitait briser la glace avec sa petite voix basse.
— Était-elle vraiment morte, Isil ?
— Elle en était proche ! assura la tieffeline.
Dola s’interloqua et ouvrit grand la bouche, surprise par les événements de la veille.
— J’ai un certain don, se vanta Ymir avec fierté.
Dola découvrit les marques sur les bras de la jeune femme. Elle aperçut les nombreuses cicatrices sombres et ses veines noires, mais uniquement d’un seul côté. Ymir avait chaud, alors ses manches étaient relevées et elle ne fit pas attention au regard insistant de la halfeline. Dola semblait effrayée. Elle chercha à formuler une question pendant quelque temps, mais elle rougit et se ravisa. Ymir la contempla en retour d’une manière étrange et surprise. Elle constata que son bras était un peu découvert, dès lors elle enfila sa manche de façon très gracieuse. Voyant le regard insistant de la halfeline, Ymir lui expliquait quelle divinité faisait partie de sa religion.
— C’est le dieu de la mort et des morts, ce n’est pas le seul. Mais celui que je prie est plutôt celui que l’on vénère plus par crainte que par adoration. Par exemple, lorsque la vieillesse devient difficile à supporter ou que la maladie nous frappe. Les gens accusent ma divinité.
La conversation montrait des aspects morbides pour Dola qui n’en avait pas l’habitude. Son sang circulait plus vite que la normale. Sa poitrine se gonflait rapidement. Elle avait vraiment peur de cette personne.
Pendant ce temps, Isil avait remarqué la tentative d’approche d’Elaron, donc elle l’admirait juste assez pour qu’il s’en rende compte, mais pas plus. Elaron se sentit gêné et n’osait pas parler ni trop la regarder, mais elle continuait de le fixer pour lui faire comprendre qu’elle était ouverte à la discussion. Alors, le demi-elfe intrigué, se lança.
— Comment te sens-tu… enfin, qu’est-ce qui s’est réellement passé ? commença Elaron en s’embourbant dans de multiples questions. Qu’est-ce que tu as vu pendant le court instant où tu allais mourir ? Qu’est-ce que tu as ressenti ? Qu’est-ce qui s’est passé ?
Isil songea un moment. Les nombreuses interrogations d’Elaron l’assaillirent, mais ne l’ébranlèrent pas. Le demi-elfe restait timide et ses joues rougirent. L’elfe prit vraiment le temps de la réflexion. Elle possédait un regard doux et apaisé. Elle finit par répondre à Elaron, tout en ayant l’oreille attentive de Cattleya.
— Ça m’a un peu rappelé la guerre. J’ai failli mourir… une fois et c’est ce qui s’est passé à nouveau. On dit que la vie défile sous nos yeux avant de périr, mais visiblement ce n’est pas mon cas. Néanmoins, cette fois-ci, une sorte de crâne apparut.
— De crâne ? surgit Ymir depuis l’avant surprise. L’as-tu vu ? L’as-tu vu dans son entité propre ou simplement le crâne ? Peut-être as-tu observé des flashs, je ne sais pas, mais… en as-tu aperçut qu’un ou plusieurs ?
Isil répondit d’un haussement d’épaules pour lui faire comprendre qu’elle ne se souvenait plus.
— C’était un crâne blanc, réagit Isil.
— Avec un triangle ? demanda Ymir.
— Tout était ténèbres autour de moi, mais je voyais quand même un triangle noir.
— Qu’effectuais-tu pendant la guerre ? reprit Elaron. Si ce n’est pas indiscret.
— Je me trouvais du côté des villes occupées et j’aidais des personnes qui en avaient besoin à sortir, pour les sauver… notamment. Parmi toutes mes besognes.
— D’accord, répondit simplement Elaron impressionné.
— C’était… drôle, annonça Isil.
— Drôle ? s’offusqua Cattleya en se retournant vers eux. La guerre drôle ?
— C’est… un temps étrange la guerre, répliqua-t-elle avec mystère.
Un nouveau silence s’installa parmi la compagnie et la tension monta d’un cran. Tous entendaient les roues tourner sur le chemin de terre.
— C’est une façon de voir les choses, je pense, ajouta Elaron en essayant de remettre un peu de gaité. Autant garder un bon souvenir.
— Je ne trouve pas ça drôle, moi, grommela Cattleya en se tournant de nouveau vers l’horizon.
Elaron s’interloqua et effectua un gros haussement de sourcil.
— Et bien, le nombre de personnes que j’ai pu sauver, c’est quelque chose de bien, reprit Isil avec une voix doucereuse
— Oui, ça, je ne dis pas le contraire, répondit l’humaine avec soulagement.
Un dernier silence se présenta et le calme se reposa. Durant les quelques minutes suivantes, ils purent entendre les oiseaux chanter. Puis, l’inquiétude d’Ymir naquit dans sa poitrine. Elle repensa à la réfléxion de l’elfe. Alors, elle se retourna de nouveau vers Isil.
— Ta plaie te fait-elle toujours mal ? demanda-t-elle soucieuse.
— Pas plus mal que… non, ça va.
— Si elle te fait du tort, tu devras me le dire.
Une inquiétude plana quelques instants. Elaron souhaita poser une question, mais Isil l’interrompit juste avant.
— As-tu peur que ça s’infecte ?
— D’une façon ou d’une autre, cela pourrait s’infecter, oui.
— Tu n’as pas confiance en tes capacités de guérisseuse ? demanda gentiment Isil.
— Attends ! Quel sort as-tu utilisé pour la soigner au final ? sollicita Cattleya qui voulait connaitre la vérité.
— C’était mon interrogation, rétorqua Elaron d’une voix basse enfantine. Et si nous, demain, nous devions mourir. Quelles seraient les conséquences ? Y en aurait-il sur Isil ? Possédons-nous cette épée de Damoclès au-dessus de la tête ?
— Tant que je demeure avec elle, rien ne pourra lui arriver, mais je devrais en être informé, répliqua Ymir avec sagesse.
— C’est devenu ta servante ! affirma Cattleya d’une expression grave.
— Non… Pas vraiment.
— L’as-tu asservie ? continua l’humaine.
— Ce n’est pas vraiment ça…
— Elle dépend de toi ? demanda Elaron calmement.
— En quelque sorte… oui, soulagea-t-elle. Pas vraiment de moi, mais plutôt d’une entité. Toutefois, je ne peux pas vous en dire plus. Je ne voudrais pas vous effrayer tant que ça. Mais sachez que voilà, tant que je suis là je peux quand même…
— Tu sais parfois, effrayer les gens c’est une bonne chose, ajouta Isil en épargnant à Ymir une énième explication.
— Si ça nous empêche de mourir… Moi ça me va, se rassura Elaron. Est-ce qu’on peut te faire confiance ?
— Moi je ne te fais pas confiance, intervint Cattleya. Je ne veux pas servir ton démon ! Je t’interdis de toucher mon corps ! Quoiqu’il m’arrive.
— Je pense que j’ai prouvé qu’on pouvait me faire confiance d’une certaine manière. Après c’est à vous de juger, se justifia la tieffeline.
— Oui, mais ce qui fait peur ce sont les répercussions après le sort, reprit Elaron. Comme tu nous l'as dis, elle dépend de toi maintenant.
— Les conséquences, tenta Ymir. Elles dépendent…
— Pourquoi vous êtes là ! coupa Isil pour défendre la nécromancienne.
La question étonna tout le monde et chaque membre du groupe fixa l’elfe. Cattleya semblait dubitative à son encontre. Elle se demandait même si elle n’était pas déjà contrôlée.
— Nous ? s’aventura Elaron.
Isil acquiesça d’un signe de la tête et d’un petit bruit de bouche. Puis, Ymir et Elaron répondirent ensemble d’une même voix.
— Pour Lucan !
Un subtil sourire se dessina sur le visage de l’elfe, apaisant toutes les tensions alentour. Sa légèreté et sa sérénité pouvaient calmer un fauve en colère à cet instant précis. Son regard était sage.
— Faites-lui confiance ! indiqua Isil.
— Lucan, je lui fais confiance, avoua Elaron. Le problème, ce sont les autres personnes. Je ne vous connais pas, enfin…
— Lucan n’a pas toujours fait les bons choix, rétorqua Cattleya en jetant un regard de défi en direction d’Ymir.
— Je ne réagirais même pas à ça, répliqua l’intéressée en grimaçant.
Puis, elle ne put s’empêcher de commenter une petite phrase agacée.
— Elle est usante ! lança-t-elle en se retournant sur la route à côté de Dola.
— Si Lucan nous fait confiance, c’est que quelque part on peut lui faire confiance.
— Tu as raison, répondit Elaron.
— Je viens d’une famille qui a obtenu, dirons-nous, un passé assez compliqué, se livra Ymir. J’ai décidé de changer. Cependant, je garde mes pouvoirs. Alors, je préfère rester à côté de toi.
La voix de la tieffeline avait tremblé. Elle s’était livrée avec le cœur et tous pouvaient le ressentir. Cela adoucit Cattleya qui commençait à comprendre.
— Si tu avais le choix, souhaiterais-tu ne pas utiliser tes pouvoirs ? demanda Cattleya.
— À part si tu désires mourir, oui, lança avec noirceur Ymir.
— Ce que je veux dire c’est, as-tu hérité tes pouvoirs de ta famille ?
— En quelque sorte oui.
— En vérité, tu n’as pas vraiment envie de t’en servir, car ce n’est pas de la bonne magie pour toi.
— Nous pourrions voir ça ainsi, oui. Mais c’est quand même de la magie utile.
Après quelques échanges, finalement cordiaux entre les deux femmes, Isil dirigea sa tête vers l’avant de la caravane et se rendit compte que Dola n’avait rien dit depuis un moment. Elle lui demanda si tout allait bien. Dola regarda en arrière avec de grands yeux ronds et une main tremblante. Isil comprit que quelque chose d’étrange se déroulait, sans aucun rapport avec leur conversation. Elle scruta autour d’elle. Isil se saisit immédiatement de la main d’Elaron surprit, pour la presser. Elle sentait le danger approcher, mais ne vit rien depuis l’intérieur.